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Le Crap-cahiers pédagogiques, à propos de la suspension de Bernard Defrance

Avril 1997

De quoi s’agit-il, en fait ? C’est - et rarement, pas de façon systématique ou courante - une sorte de jeu de la vérité où chacun, professeur comme élèves, conjugue le fait d’avancer une assertion et celui de se dépouiller d’une pièce de vêtement, comme on donne des gages : précision nécessaire, chacun peut, à tout moment, se retirer du jeu, s’il se sent gêné le moins du monde.

Cela n’avait rien de secret. Bernard Defrance a, à plusieurs reprises, décrit cette pratique - qui, encore une fois, n’est pas une pratique régulière - dans ses livres, en dernier lieu La planète lycéenne (p57 et 61) et, auparavant, Le plaisir d’enseigner. Cela n’a pas empêché de nombreux organismes ou associations (à commencer par diverses instances de l’Education Nationale comme les MAFPEN, mais aussi les fédérations de parents d’élèves, jusqu’à la revue du ministère de l’Intérieur) de faire appel à Bernard Defrance pour des interventions sur la violence à l’école, la loi etc...
Il faut bien reconnaître que l’administration réagit beaucoup plus facilement lorsque sont en jeu, ou semblent être en jeu, des questions touchant, de près ou de loin, au corps et au sexe qu’à propos de questions, plus importantes sans doute, de violence, de racisme, de sécurité (pensons, par exemple, aux bizutages si souvent dénoncés par Bernard). Tout ceci rappelle certains événements des années soixante-dix (quand, par exemple, on s’en prenait, sur plainte de parents timorés, à tel professeur qui conseillait la lecture d’une brochure d’éducation sexuelle sans hypocrisie, celle du Docteur Carpentier). Répond-on vraiment ainsi aux problèmes de l’heure ?
De plus, la sanction obligera les élèves à changer de professeur pour la préparation du baccalauréat ; ce n’est sans doute pas un service à leur rendre. Rappelons que Bernard Defrance est un professeur efficace qui réussit à faire écrire ses élèves de lycée technique sur des thèmes aussi difficiles que leur propre identité.
Bref, y a-t-il de quoi faire une « affaire » ? Nous ne le pensons pas. Ne risque-t-on pas, surtout, de jeter en pâture à l’opinion publique une histoire croustillante ou scabreuse, sans aller plus loin, sans voir le contexte ni les motivations de l’intéressé ?
Mais, ne tournons pas autour du poy. Quel sens a la pratique que l’on reproche à Bernard Defrance ? Un sens assurément multiple : le professeur n’est pas fait d’autre bois que les élèves, il est soumis aux mêmes lois, la classe est un espace et un moment de démocratie où se rencontrent des hommes de même valeur, la réflexion permet d’aller jusqu’au bout de soi, elle n’exclut pas le corps. Pratique recommandable ? Bernard Defrance est un professeur expérimenté, qui sait éviter les dérives auxquelles on peut penser sur le terrain ; d’autres ne le sauraient peut-être pas. La vérité sort nue du puits quand on la convoque, mais cette nudité peut rester métaphorique sans être amoindrie. Il y a un aspect de provocation dans ce que fait et propose B. Defrance, sur ce thème comme sur d’autres, il faut en faire la part, sans pruderie, mais sans hypocrisie. On ne saurait penser que ces pratiques doivent être généralisées ni même prônées ; mais il faut oser répondre aux questions qu’elles nous posent. 
Nul doute que, dans certaines sphères politico-pédagogiques, on se réjouit de « l’affaire », on ricane sur l’air de « on vous l’avait bien dit ! » Tant pis. La réflexion qu’engendrent certaines outrances est parfois préférable au confort d’un pseudo bon sens... Il était important que le CRAP - Cahiers pédagogiques réagisse immédiatement : nous l’avons fait par un communiqué rédigé dans l’urgence que nous reproduisons ci-dessous.
Michèle Amiel, Jacques Georges, Jean-Michel Zakhartchouk
Communiqué
Bernard Defrance est un des membres actifs du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques, dont il partage et s’attache à mettre en pratique les valeurs de respect de la démocratie et de regard positif sur les élèves ; les résultats de ses élèves aux examens attestent de ses qualités et de son efficacité pédagogiques. Le CRAP - Cahiers pédagogiques  tient à faire observer que la pratique pour laquelle on le sanctionne n’avait rien de dissimulé ou de trouble, et qu’elle respectait la liberté des élèves de s’y soustraire. Cette pratique était connue de tous, y compris les autorités académiques, et de longue date, par les écrits et les paroles de Bernard Defrance lui-même.
Au-delà du fait, la pratique de Bernard Defrance permettait de pousser, sans doute à l’extrême, la réflexion sur des questions aussi importantes que le respect et la signification du corps, l’identité et la vérité personnelles, la nécessité et le sens de la loi, mais aussi la différence entre le respect de la loi et la soumission passive à l’autorité. Cette réflexion est partie intégrante de l’éducation.
Paris, le 10 janvier 1997. Le CRAP - Cahiers pédagogiques

 

 

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