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Une nécessaire interactivité entre "l'intime expérience tâtonnée", la connaissance et les autres

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Mai 1997

La personnalisation des apprentissages ne se réduit pas à l'individualisation de ceux - ci.

Afin d'aider à une clarification de ce concept propre à la pédagogie Freinet, nous avons recueilli quelques extraits de divers propos sur ce sujet : ceux de Francine Best*, ceux de Célestin Freinet et ceux de Jean Vial*.
 
 
Sortir de l'opposition individualisation - socialisation
"Quand on parle d'individualiser, d'individualisation, de personnalisation, c'est pour opposer ces pratiques à un apprentissage collectif, c'est comme s'il y avait d'un côté la socialisation, (le fait de vivre avec d'autres enfants du même âge) et de l'autre côté l'individualisation et la personnalité, comme si la personnalité était enfermée en elle - même, dans son individualité...
Or toutes les études ont montré que les interactions entre pairs étaient un formidable levier des apprentissages, y compris devant un micro - ordinateur qui fait tourner un logiciel ; on s'est rendu compte que les interactions entre deux ou trois enfants étaient aussi déclenchantes que l'appareil, que le programme lui - même.
Il existe une incitation à l'apprentissage individuel par la vie en petit groupe, par la vie sociale.
Donc bien comprendre que la réussite scolaire, la réussite personnelle, la sociale ne font qu'un pour aider à la construction d' une personnalité. Il n'y a donc pas des éléments qui seraient entièrement personnels et d'autres entièrement sociaux et civiques. Les deux sont en constantes interactions.
La communication avec les pairs produit un effet sur les apprentissages cognitifs. Cette découverte importante montre qu'il y a une relation très forte entre les apprentissages cognitifs (connaissances) et les dialogues avec les autres."
Extraits de la conférence de Francine BEST (1) Nantes 1989
Construire sa chaîne personnelle de la connaissance est fondamental
Nous retrouvons chez C. Freinet les fondements de cette personnalisation des apprentissages qui n'est pas qu'une simple alternance entre des pratiques individualisantes, mais qui proposent le même travail à chacun, et des pratiques collectives, qui relèvent d'une "pédagogie frontale".
"...Nous touchons là à la nature même, intime et profonde, d'une conception nouvelle de la méthode pédagogique : on est parti jusqu'à présent de ce point de vue que l'enfant ne "sait" pas ; qu'il faut l'instruire, c'est - à - dire lui présenter le résultat formel de l'expérience d'autrui pour qu'il s'en serve dans son comportement sans refaire lui - même toutes les expériences qui y ont conduit. Et surtout, on ne veut pas qu'il s'attarde à ces expériences : nous possédons tout un lot de connaissances que nous estimons sûres et définitives ; nous voulons, d'autorité, porter l'enfant à ce niveau, à partir duquel il pourra plus rapidement s'aventurer dans la vie pour y creuser sa trace, toujours plus avant ...
... L'homme est ainsi fait que - à moins d'une extrême faiblesse asservie par l'autorité ambiante - il n'est jamais persuadé, par l'extérieur, de ce qu'on lui dit et de ce qu'on lui montre. Tout se passe comme s'il se demandait, même devant la plus claire évidence : Mais est - on sûr qu'il en soit ainsi ?
Et si moi je pouvais faire autrement , si je veux faire autrement ! Il faut voir , dans cette tendance, moins un flagrant délit de contradiction que l'affirmation originale d'une personnalité qui prétend se construire et se modeler elle - même, selon ses lignes de vie, et qui résiste d'avance à la main qui se tend non pour l'aider mais pour l'arracher prématurément à une formation qui lui est essentielle.
... Comme on le voit : l'expérience tâtonnée est spécifiquement personnelle ; mais elle peut et doit être enrichie, accélérée, rendue plus rapidement efficace par les contacts et les comparaisons avec l'expérience tâtonnée de ceux qui nous entourent et nous accompagnent.
Seulement, attention : l'expérience tâtonnée d'autrui n'a d'utilité et d'efficacité pour nous que si elle s'encastre dans notre propre expérience tâtonnée...
C. Freinet insistait toujours, dans de nombreux écrits, sur la nécessité impérieuse d'une auto - construction de cette chaîne personnelle de la connaissance ; mais une chaîne qui intègre, à bon escient, au moment sensible de plus forte perméabilité, les apports extérieurs : les expériences , les connaissances des autres (pairs ou adultes). Il symbolisait même cette interactivité par des "maillons" extérieurs s'imbriquant dans la chaîne personnelle en construction (Voir analyses et schémas à propos de l'imitation et l'exemple (2) p.371)
"... Notre chaîne de la connaissance, nous la forgeons anneau par anneau, si nous sommes livrés à nos propres forces, avec d'autant plus de rapidité et de sûreté que nous sommes mieux équilibrés, mieux organisés, physiologiquement et psychiquement, plus intelligents. Si nous trouvons de l'aide pour forger les anneaux intermédiaires, il nous suffira de les ajouter aux anneaux initiaux, d'en contrôler le jeu et la solidité, pour parvenir à l'anneau principal autour duquel se nouent d'autres maillons de la chaîne. La multiplicité, la sûreté de ces maillons seront fonction encore de l'aide généreuse que nous aurons reçue des recours - barrières.
... Il faut des recours - barrières aidants qui :
- rendent l'expérience tâtonnée possible ;
- en précipitent le processus ;
- en systématisent, en comparent, en jugent les conclusions."
Cependant, les connaissances extérieures apportées, même sous des formes diversifiées, ne doivent pas se substituer à l'élaboration d'un "savoir privé" sinon, dit - il, on risque d'aboutir à la construction de deux chaînes parallèles.
"Et si, au comble de l'erreur, vous présentez à l'enfant votre propre chaîne de la connaissance, même s'il l'utilise plus ou moins bien à l'école, vous n'en avez pas moins manqué votre but parce que l'enfant retournera, dès qu'il le pourra, à sa propre chaîne qu'il assemblera et forgera et enrichira avec les moyens de son bord, empiriquement peut - être, mais il aura sa chaîne. Il sera alors partagé entre deux chaînes de connaissances : l'une qui lui sert exclusivement à l'école et constituée à grand renfort de mots, de définitions, de lois et de théorèmes, avec lesquels il jongle de son mieux jusqu'à y devenir parfois virtuose - et sa propre chaîne, apparemment moins riche peut -être, moins impressionnante, mais personnelle, solide et familière, et qui sera son outil essentiel dans la vie."
Célestin FREINET (2)
 
"C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul"
(ou l'auto - socio - construction de sa chaîne personnelle de la connaissance)
 
On puisera aussi, avec intérêt, de l'information sur les fonctions du travail en équipe et de la vie coopérative dans l'ouvrage de de Jean Vial (3) où se côtoient historiques, analyses et synthèses mais aussi descriptions de pratiques diverses dont voici deux extraits :
à propos du travail en équipe :
"... il y a accord entre les besoins de l'enfant, le développement harmonieux de sa personnalité, et le travail par groupes (J.Bordebeurre, Leadership et personnalité).
Une telle activité présente, en effet, à la fois, l'attrait de l'action ludique et le réalisme exaltant du travail créateur, ces traits prenant en quelque sorte l'image du partenaire agréé et de l'objet accessible. En fait, les enfants craignent l'insolite et la solitude ; ils vont à un milieu à leur mesure ; par son volume, l'équipe autorise les contacts nécessaires ; par sa nature, elle réalise un cercle de "pairs", saisis au même niveau de développement, selon des axes de motivation semblables ; par son but, elle organise et soutient la coopération. Ces chances sont accrues si l'enfant est associé à des équipes diverses d'objet et de même nature."
à propos de la vie coopérative :
"Les coopératives bien conçues se révèlent comme riches de possibilités matérielles, pédagogiques, psychologiques, morales, et, surtout sociales...
...L'occasion, le cadre et la fin de cette expression étant de nature sociale, ce sont des qualités communautaires qui s'affirment : camaraderie de travail, faculté d'amitié, loyauté envers autrui. L'apport des coopératives est donc riche sur le plan social. Distribuant, à la fois, des méthodes coopératives et un esprit communautaire, elles constituent "une école incomparable de la vie sociale"... "C'est une admirable école d'entraide" notait Piaget."
... La classe n'est plus seulement une unité pédagogique, à la mesure du maître ; intégrant, respectant et exprimant chacun de ses membres, maîtres et enfants, elle devient un capital particulier de biens, d'idées et d'amis ; elle se définit par un style singulier de vie, de travail et de relations, d'une riche diversité de formulations ; elle se crée une personnalité ; elle devient une réalité sociale authentique."
Jean VIAL (3)
 
* Francine Best : Inspectrice Générale. Directrice honoraire de l'I.N.R.P
   Jean Vial : Professeur en Sciences de l'Education à l'Université de Caen. Récemment disparu.
 
 (1) Francine Best - Actes du salon des apprentissages individualisés et personnalisés de Nantes
Réussir par l'Ecole. Comment ? Edité par l'I.C.E.M. 62 Bd Van Iseghem 44000 Nantes
(2) Célestin Freinet - Essai de psychologie sensible I - in Oeuvres pédagogiques Tome I - Seuil
(3) Jean Vial - Vers une pédagogie de la personne - Collection SUP - PUF