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Projet Acacia, pour planter des arbres de connaissances dans l'école et autour de l'école

Dans :  Techniques pédagogiques › évaluation › 
Juin 1997

L'IDEM Pédagogie Freinet, l'association SCOLA, la Maison de quartier de Maurepas, le centre social du Landrel, les écoles de Trégain (ZEP Rennes), Léon Grimault (Zone sensible Rennes) et de Maxent (zone rurale) ont élaboré le projet "ACACIA" et se sont donné‚ pour objectifs la réussite scolaire des enfants et le développement du rôle éducatif des parents par la mise en place du système des "Arbres de connaissances".

 
A l'origine du projet : un constat
 
Les enfants éprouvant des difficultés scolaires sont issus majoritairement de familles françaises de condition modeste et de familles d'origine étrangère, du fait de la distance existant entre les cultures familiales et les exigences du système scolaire.
Cette distance se traduit essentiellement :
* pour les enfants, par :
                - un bagage langagier pauvre
                - une aptitude à la communication restreinte
                - un manque d'appétence pour l'école
                - une curiosité en veilleuse
                - une image de soi dévalorisée ou survalorisée sur des critères extérieurs à l'école
* pour les parents, par :
                - un sentiment d'impuissance à l'égard de l'école et une éducation souvent inadaptée à ses
                   exigences
         - une image de soi dévalorisée.
 
Principes et philosophie des arbres de connaissances
 
"Personne ne sait tout, mais tout le monde sait quelque chose..."
Partant de ce principe, Michel AUTHIER et Pierre LEVY, enseignants-chercheurs, ont imaginé les "arbres de connaissances", outil dynamique pour développer les échanges de savoirs.
Le système repose sur un usage convivial de l'informatique qui rend visible, sous forme d'images (ressemblant à des arbres) la multiplicité des savoirs et des compétences disponibles dans une communauté, et les gère en temps réel.
Il est conçu pour :
* valoriser chaque acteur au sein de la communauté,
* enrichir son capital de compétences,
* dynamiser ses relations aux savoirs et aux autres.
 
Les objectifs du projet
 
Encourager l'apprentissage et l'échange des connaissances
Il s'agit, à l'aide de l'informatique :
* d'établir le profil des compétences scolaires et non-scolaires des enfants
* d'établir l'arbre des connaissances de chaque site, somme des compétences individuelles, dans le but de valoriser les enfants aux yeux de leurs pairs, des enseignants et des parents.
* d'établir un réseau d'échanges de compétences entre les sites : écoles et structures de quartier.
 
Valoriser et intégrer les parents
* établir les arbres de connaissances des fratries et des parents, prioritairement des familles les plus distantes de l'école
* considérer les parents comme personnes-ressources afin d'utiliser leurs compétences, de les valoriser et de faciliter leur approche du système scolaire.
 
Participer à la relance de dynamiques sociales positives
Si le projet s'articule sur l'école, puisqu'il vise d'abord la réussite scolaire de tous les enfants, il s'appuie aussi nécessairement sur tous les acteurs sociaux du quartier ou de la commune.
Autour de l'arbre de connaissances du quartier et de la commune, des liens se créent.
Anne-Marie Girardeau, Christian Lego,
 Pierrick Descottes et Patrice Outin
 
Chronique des arboriculteurs associés
 
Premiers actes
Nous avons consacré les premiers mois à débroussailler le terrain, créer les conditions d’une croissance équilibrée de notre arbre.
En parallèle avec les échanges et recensements réguliers de savoirs individuels ou collectifs, nous avons cherché avec les enfants une classification de ces premiers savoirs émergents.
Cela a conduit à l’issue de cette première phase à l’élaboration des 4 champs d’icônes qui constituent traditionnellement l’infrastructure des brevets :
- la matière, le domaine (arts plastiques, communication, vie pratique, maths...)
- le type d’épreuve (A, B, C, D...)
- l’action (taper, fabriquer, rouler...)
- l’origine du brevet (école, centre social, maison de quartier...).
En disposant d’un portable sur lequel était implanté une version du logiciel, nous avons pu commencer à exploiter le système sous ses différentes dimensions, dès novembre 95 sur nos 2 classes. Tout ce travail de découverte s’est fait bien sûr en compagnie des enfants sur différents ateliers dans et hors temps scolaire.
Dans un premier temps, il a fallu entrer toutes les icônes envisagées et en dessiner quelques-unes, particulièrement dans le champ des domaines-matières. Travail de création et de dessin sur quadrillage déjà intéressant en lui-même et dans lequel certains enfants se sont bien investis.
Au cours du printemps 1996, petit contretemps : nous avons connu quelques ennuis techniques mais les ateliers et autres activités autour de l'arbre Acacia ont continué à l’école Léon Grimault jusqu'aux vacances d'été.
 
La technique des groupes de 5
Nous avons donc essentiellement poursuivi le travail sur l'émergence et les échanges de savoirs.
Lors d'une rencontre à Trivium en avril 96, Michel Authier et Chantal Lebrun nous ont suggéré la technique des groupes de 5. Nous avons décidé d'expérimenter cette technique lors de nos ateliers du jeudi midi. Le groupe se retrouve donc autour d'une table dans le but d'élucider certains savoirs partagés par une partie de lui-même ou portés seulement par un de ses membres.
Cette technique s'appuie sur deux grands principes. Le premier dit "de discernement" voudrait que "chaque groupe trouve son identité à travers une compétence et que réciproquement chaque compétence s'incarne dans un groupe de personnes." Le but recherché est que, "étant donné un groupe, toutes les personnes du groupe doivent posséder une compétence que ne posséderont pas les personnes qui ne sont pas dans le groupe." Selon le second principe dit "d'altérité", "l'enjeu numéro un des arbres étant la valorisation des acteurs, celle-ci doit venir des autres et passer par la communication. En conséquence plus que la reconnaissance narcissique, c'est la reconnaissance des autres qui doit fonder la personne. L'idéal serait donc que l'énonciation de la compétence d'un groupe vienne du groupe complémentaire."
Avec la pratique d'échanges de savoirs divers pendant nos ateliers, les enfants dépassaient déjà, il nous semble, ce narcissisme primaire, la communication étant au principe des activités. Cependant, nous ne pourrions encore dire à ce stade de l'expérience, si l'insertion et la volonté de s'intégrer à l'arbre sont guidées avant tout par l'égocentrisme ou le désir de reconnaissance par le groupe. En l'occurence, le recours à cette technique était plus motivé par notre volonté de relancer l'émergence de nouveaux savoirs à échanger ou non.
 
Mickaël atterrit...
Concrètement, cela se traduit par des discussions qui permettent d'approfondir les déclarations de brevets et qui amènent à déjouer occasionnellement certaines déclarations présomptueuses. Au cours d'une séance, Mickaël, assez coutumier du fait, enfant abreuvé de télé qui avait souvent du mal à distinguer fiction et réalité, prétendait savoir faire du karaté. Pourquoi pas ? Malheureusement pour lui, Abdou, qui pratique le karaté depuis quelques temps, était présent dans le groupe et prouva à Mickaël au cours de la discussion que faire du karaté n'est pas si simple que cela et demande certaines connaissances techniques et un vocabulaire approprié - ça a été l'occasion pour le maître d'apprendre ce jour-là ce qu'étaient des katas. Du coup, cela a permis à Abdou de déclarer un brevet "karaté" et à Mickaël d'affronter le douloureux principe de réalité.
Est-ce cette péripétie ou bien celle-ci parmi toutes les autres situations de communication dans la classe au cours desquelles Mickaël découvrait que le monde n'était pas aussi magique qu'il se l'imaginait, se mettant quelquefois en difficulté face aux groupes par ses déclarations invraisemblables? Toujours est-il qu'en fin d'année, non sans qu'il ait fallu le protéger bien souvent de la virulence du groupe devant ses élucubrations (il faut dire aussi que c'était sa première année à l'école en CM1, ce qui était déjà un handicap pour son intégration), Mickaël avait beaucoup plus le sens de la réalité et était mieux intégré.
 
Savoir ce que je sais, ce n'est pas si simple.
Ces groupes de 5 sont aussi, quand il s'agit de savoirs partagés, l'occasion de discussions animées mais fécondes sur la définition adéquate des brevets. Parfois le groupe réclame spontanément et immédiatement la preuve. Enora a dû montrer sur le champ qu'elle savait faire le grand écart américain. Du coup, Karine et Sonia ont découvert qu'elles savaient aussi le faire. Un des principaux intérêts de cette technique est qu'elle amène les enfants à plus de rigueur et de précision dans leurs déclarations, outre le fait qu'elle stimule la prise de conscience de savoirs acquis.
Au passage, il semble que, bien souvent, les enfants qui éprouvent par ailleurs des difficultés scolaires ont beaucoup de mal à élucider les savoirs et compétences qu'ils maîtrisent, quand bien même il s'agit de savoirs non scolaires. Serait-ce l'effet précoce d'une autodévalorisation, d'une intériorisation de l'échec même si nous sommes vigilants pour reconnaître le droit à l'erreur? Les arbres sont de ces outils qui devraient permettre de les réassurer. C'est la base de notre projet et nous continuerons d'y porter toute notre attention.
C'est aussi une des vertus de la technique des groupes de 5 que de stimuler la prise de conscience de leurs acquis par ces enfants qui se trouvent complètement cois devant leur feuille quand on leur demande d'y réfléchir seuls. Où le groupe communicant m'aide à (me) révéler ce que je suis en reconnaissant mes apports et qualités spécifiques.
Une autre illustration des effets positifs de cette technique à travers les deux brevets très particuliers que s'est octroyés Diana, originaire du Gabon et qui est restée très perturbée par son arrivée brutale en France en petite section. Elle était bien la seule à savoir monter sur un éléphant et à pouvoir porter des charges sur la tête. Si nous ne pouvions vérifier ses dires faute d'éléphant à portée de main, sa description assez précise de ce qu'il fallait faire nous parut assez probante pour en faire le critère d'attribution. Quant à sa deuxième proposition elle voulut nous en faire une démonstration immédiate non sans quelque fierté personnelle et un bonheur évident.
 
Le "marché" de brevets
Début Juillet, avant de nous quitter pour les vacances, nous avons consacré une journée complète à l'attribution des brevets déjà existants aux enfants qui pensaient pouvoir les inscrire dans leur blason. Une bonne pousse de printemps pour notre arbre puisqu'au total 130 attributions eurent lieu ce jour-là concernant environ 30 brevets différents. On assista à l'explosion de tous ces bourgeons que constituent les brevets déposés qui étaient encore peu partagés.
La consultation régulière de l'arbre sur un seul ordinateur par la cinquantaine d'enfants de nos deux classes ne donnait en effet qu'un rythme de croissance assez lent, d'autant que les attributions ne peuvent se faire en général qu'après le passage d'une petite épreuve proposée par le déposant, ce qui demande toute une organisation.
Pour préparer cette journée nous avons donc sorti le listing complet des brevets avec leurs caractéristiques et chaque enfant a pu s'inscrire pour passer ceux qu'il désirait. Il ne s'agissait pas comme nous l'avions fait auparavant d'échanges de savoirs, ceux-ci demandant plus de temps, mais bien uniquement de vérifier les compétences que chacun pensait avoir. Il n'est d'ailleurs pas sans intérêt de constater les réactions très différentes entre les enfants. Certains parmi les moins à l'aise sur le plan scolaire étaient les plus pressés de tout essayer sans trop s'interroger sur leurs chances de succès mais la plupart, connaissant déjà bien le contenu de l'arbre, savaient très bien choisir ce qui leur convenait.
Le brevet "savoir faire du vélo" dont l'épreuve se passait dans la cour grâce à l'aide d'un parent et, bien entendu, en présence du déposant, battit tous les records avec 23 attributions. Les CE2 mirent également au point un brevet de "vente" dont l'idée leur était venue lors de la kermesse de l'école où certains étaient chargés de vendre leurs petits bricolages de l'année.
Cette journée fut donc une belle conclusion à nos premiers tâtonnements, nous permettant de disposer d'un Arbre déjà bien fourni pour la rentrée.
 
Tout près de mon arbre
Depuis la rentrée de septembre, notre réseau fonctionne correctement avec des postes-clients sous windows 95. Les versions récentes de gingo sont beaucoup plus conviviales et un certain nombre d'enfants maîtrisent d'ores et déjà les procédures de base. Ils peuvent ainsi accéder au système de façon autonome.
A Léon Grimault, le poste étant installé dans la classe de Pierrick Descottes, sa proximité induit une familiarité plus importante et un recours plus fréquent au système. Les enfants ont un plan de travail personnel sur lequel figurent le contrat de quinzaine fixé avec le maître, en fonction des besoins de chacun, mais aussi tous les projets et les activités que chaque enfant entreprend de son propre chef, seul ou en petits groupes. Désormais, le dépôt et le passage de brevets sont inscrits en bonne place sur ce plan de travail.
On peut déposer un brevet à tout moment. Chaque nouveau brevet, quand il y en a un, est présenté à la classe et soumis à la discussion du groupe sur sa définition et ses modalités de validation au cours des moments d'entretien quotidiens. Cela introduit des débats intéressants aboutissant à des amendements réguliers sur les modalités de validation, particulièrement. Le groupe s'impose peu à peu des exigences et plus de rigueur sur l'élaboration des brevets. "Tu dis que tu sais conduire mais comment va-t'on le vérifier ?" C'est ainsi que Hayat et Vanessa qui s'étaient aventurées à déclarer un brevet "conduire" ont été renvoyées à leurs chères études après une discussion animée : "C'est impossible à prouver puisqu'on n'a pas le droit. - Et si notre père (et ta mère, alors? NDLR) certifie que oui ? - Ouais, mais ton père, il peut très bien dire oui pour te faire plaisir et ce sera pas vraiment ça , etc..". Au bout du compte, Hayat et Vanessa devront redéfinir leur brevet en l'intitulant "bases de conduite". Ah! Ce maudit principe de réalité ! A l'usage aussi, le brevet "macramé" s'est dédoublé en "macramé droit" et "macramé tournant".
L'Arbre doit donc être présent au quotidien, faire partie des "meubles" de la classe utilisés le plus régulièrement. Sinon on peut craindre que notre bel Acacia tombe peu à peu dans les limbes. Sa consultation doit pouvoir être possible à tout moment. Quelques enfants se sont déjà appropriés le système et ont souvent le réflexe de relier nos activités courantes de classe à l'Arbre. Par exemple, il a été décidé par le groupe que le brevet "cuisiner des gâteaux" déposé par Charline donnerait aussi l'occasion de vendre les gâteaux réalisés pour notre caisse de coopérative, en vue d'organiser notre voyage chez les correspondants. Pour d'autres, un peu refroidis par les déboires techniques de l'année dernière, il faudra peut-être un peu plus de temps pour se réconcilier avec le système.
De toute façon, la question est de savoir si, dans le temps, l'Arbre va répondre à un besoin des enfants. Est-ce que ceux-ci, habitués déjà à s'exprimer et à communiquer dans différents réseaux (classe, inter-classes, télématique, fax...), vont investir durablement ce nouvel espace de reconnaissance et d'échanges en cherchant à communiquer ce qu'ils savent?
 
Sabéra se débogue
N'est-ce pas la saison ? Sabéra est une petite fille très réservée, pas du genre à s'épancher facilement dans le groupe. Elle avait un peu travaillé sur l'Arbre l'année dernière mais n'avait pas eu le temps de se familiariser avec lui. Par ailleurs, elle rencontre de nombreuses difficultés dans le domaine scolaire.
Tous les lundis après-midi, nous organisons des ateliers décloisonnés entre 3 classes de cycle III. Un atelier "Arbre de connaissance" est bien sûr proposé. Quand Sabéra a participé la première fois (chaque enfant reste sur le même atelier 2 lundis de suite), elle était toute intimidée, restant muette tout le début de l'atelier. Lors de la première séance, les 3 ou 4 enfants qui participent à l'atelier consultent l'Arbre existant à l'aide du butineur et repèrent les brevets qu'ils se sentent aptes à passer ou qui les intéressent. C'est l'occasion d'envoyer des messages aux déposants quand on le juge nécessaire. Très vite, après voir vu la place qu'elle occupait a priori dans l'Arbre (elle n'avait que 3 brevets au départ), Sabéra s'est piquée au jeu, s'intéressant à plusieurs brevets, demandant à les consulter et décidant d'envoyer quelques messages aux déposants respectifs. Rendez-vous était d'ailleurs pris avec Mehdi présent dans la classe et déposant du brevet "bulles de chewing-gum" pour passer celui-ci dans les jours suivants.
A son arrivée dans l'atelier le lundi suivant, Sabéra se montra tout de suite questionnante : "Comment les messages arrivent-ils à ceux à qui on les envoie ?" De toute évidence, le fonctionnement de ce drôle de système l'intrigue. Elle reprend de suite la consultation de l'Arbre et se demande rapidement avec son copain Maxime, qui s'était peu impliqué pendant la première séance, s'ils peuvent eux aussi déposer des brevets. Une esquisse de "groupe de 3" avec Karine, l'autre participante à l'atelier, leur permet de prendre conscience de quelques compétences à déclarer.
La séance est largement consacrée à la rédaction de 3 nouveaux brevets "kayak", "grand écart" et "skate board", ensuite saisis sous Word. Voilà un avantage des dernières versions de Gingo. Les enfants peuvent saisir les brevets hors connexion sur traitement de texte puis par "copier-coller" les introduire dans l'Arbre. Tout bénéfice pour le porte-monnaie quand on doit se connecter à un serveur distant.
A la fin de la séance Maxime n'avait pas eu le temps de coller son brevet dans l'Arbre. Sabéra avait bien compris les procédures de dépôt et afficha une belle détermination en venant frapper à notre porte à chaque récréation (ils sont tous les deux dans la classe d'à côté moins impliquée pour l'instant) tant que l'ordinateur n'a pas été disponible, pour aider son camarade à déposer ce fameux brevet.
Elle a été invitée à repasser quand elle voudrait pour consulter l'Arbre ou insérer de nouveaux brevets. Gardera- t' elle un intérêt soutenu pour le système sans autre incitation que sa motivation personnelle ? Son évolution mérite d'être suivie avec attention. Nous vous en recauserons sûrement... (1)
                              
Pascale Bourgeois et Pierrick Descottes
 
(1) Cet article ayant été écrit en octobre 96, nous avons pu suivre depuis l’évolution de Sabéra par rapport au système. Il s’avère que son enthousiasme s’est largement confirmé et qu’elle a même entraîné sa jumelle Hafida dans la danse. Mais nous vous réservons cela pour un prochain épisode...