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Un outil d'orthographe

Février 2011
Michel BARRIOS Muret -31
Une classe qui écrit, qui parle, qui diffuse. Qui bourdonne. Et l'éternel problème de la maîtrise orthographique. Un problème que la diversité rend plus aigu dans ces écrits tous azimuts.
 
Comment progresser en orthographe quand on est pris par d'autres intérêts, d'autres apprentissages. Quand on est d'âge et de niveaux différents... Je sais bien qu'en forgeant on devient forgeron. C'est pour ça qu'on a tant de fers au feu, en classe. Mais les enclumes sont si dissemblables, les marteaux si hésitants; si étourdis parfois... Qui n'a jamais pesté contre les " fautes " qui reviennent, celles dont on sait que l'enfant sait, ou qu'il devrait savoir, et qu'il est sans excuses, ce crâne de piaf d'oublier encore le " s " du pluriel ou l'accord du verbe être, le " e " du féminin ou les terminaisons de l'imparfait... A quoi ça sert qu'on se décarcasse, nom de Bled !
Bien sûr, il y a les fichiers, ceux de PEMF, ceux que j'ai empruntés aux copains, ceux que j'ai fabriqués... Mais ce ne sont que des béquilles, quelquefois des étais. Souvent des placebos. Et les fautes reviennent, narquoises, collantes, se moquant des fichiers comme de mes désespoirs. Ou de mes fureurs. Malgré leçons, dictées, conjugaison, correction individuelle, correction collective. Autant de traces dans le sable que je croyais sillons. Et que le vent d'Autan efface à tous coups. Ou presque.
C'est compliqué, l'orthographe, ennuyeux, bouffeur de temps. Il me fallait donc un outil simple, rapide, motivant. Et beaucoup plus efficace...
Je suis tombé un jour sur un travail de Jean le Gal, qui me parut bigrement novateur. Et je m'en suis très largement inspiré, avec quelques adaptations pour intégrer cet outil dans ma classe.
Quelques idées simples ont guidé la démarche :
1. Le code orthographique est général, mais l'orthographe est intime. Et chaque enfant fait ses propres " fautes ". S'il fait la même qu'un autre enfant, il n'est pas sûr que ce soit pour les mêmes raisons. Donc un outil PERSONNALISÉ.
2. Le code orthographique n'est qu'une convention, pas toujours logique ni explicable. Donc pas ou peu d'explications. Faut un outil d'IMPRÉGNATION.
3. L'imprégnation, c'est comme l'homéopathie : petites doses, souvent répétées. Donc COURTES SÉQUENCES FRÉQUENTES.
4. L'orthographe, à mon sens, passe par les yeux, par les oreilles et par la main. On la fait trop passer par la cervelle. Je crois à l'orthographe corporelle. Donc un outil SIMPLE.
5. Et enfin, ce qui est ennuyeux a tendance à être évacué. La brièveté élimine l'ennui.
Donc un outil RAPIDE.
À partir de ces quelques idées simples, voilà comment se passe l'orthographe dans ma classe sur les bases données par Jean le Gal.
J'ai toujours dans ma poche un bloc de papier autocollant (style post-it 7 sur 7). Chaque fois qu'un enfant fait une faute d'orthographe dans un écrit quelconque (je dis bien tous les écrits, texte libre, lettre, exposé. recherche, compte-rendu, télématique, etc.... ), j'écris le mot ou l'expression juste sur un post-it, avec le nom de l'enfant dans un coin. Quelques secondes d'explication suffisent si c'est une faute d'accord, rien si c'est un mot d'usage. L'enfant corrige sa faute puis va coller le post-it dans un coin réservé sur le mur de la classe. C'est très rapide et le mot est " mis en réserve ". Très souvent, il s'agit de bouts de phrases (nous sommes allés, c'est toi qui arrives, vous avez joué,...). A la fin de la semaine, chacun récupère ses post-it dans la collection pour ajouter les mots sur sa feuille d'apprentissage.
La feuille individuelle d'ap­prentissage se présente ainsi :

        Nom
X
X
 
1
Nous sommes allés
31
 
 
 
 
X
 
 
2
Elle est tombée
32
 
 
 
 
X
X
 
3
On y va
33
 
 
 
 
X
 
 
4
Il a reçu
34
 
 
 
 
 
 
 
5
Le buffet
35
 
 
 
 
 
 
 
6
….
36
 
 
 
 
 
 
 
7
 
37
 
 
 
 
 
 
 
8
 
38
 
 
 
 
 
 
 
9
 
 
 
 
 
 
 
 
10
 
 
 
 
 
 
 
 
 
11
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
Chaque mot ou expression est inscrit sur une ligne avec un numéro. Consigne stricte : il ne doit pas y avoir de fautes sur cette feuille. Pour ceux qui ont du mal, c'est moi qui écris. Je contrôle rapidement toutes les feuilles. II faut 5 mn, chaque enfant ayant entre 3 et 10 lignes à transcrire.
L'APPRENTISSAGE
- Fréquence : tous les jours. 2 fois par jour (Matin. après-midi).
- Durée : 4 minutes. chrono en main (il y a un responsable du temps en classe).
-.Consignes :
1. On lit le mot les veux ouverts;
2. on lit le mot les veux fermés ;
3. on écrit le mot les yeux ouverts ;
4. on écrit le mot les veux fermés (au début ça les fait marrer d'écrire les yeux fermés. mais ça passe vite).
 
- Liberté : on apprend le nombre de mots qu'on veut.
On démarre et on arrête ensemble, au signal du contrôleur. Il n'y a aucun commentaire, sauf rappel des 4 consignes. Le responsable orthographe distribue les feuilles d'apprentissage au début et les ramasse à la fin. Au bout de 3 apprentissages (il tient le compte sur une feuille qui reste dans la corbeille-orthographe), il annonce : TEST. Chacun prend alors la feuille du voisin et ils se dictent mutuellement. Chacun arrête son dicteur quand il veut. Je contrôle rapidement. Mots erronés barrés. On ne corrige pas. L'enfant inscrit une croix dans la colonne 1 de sa feuille d'apprentissage, en face de chaque mot juste. Contrôle du maître et pointage des enfants sont très rapides. Quand l'enfant a 3 croix en face d'un mot (3 tests réussis), il le raie au surligneur. Ce mot sort du champ d'apprentissage. Les progrès sont visibles sur la feuille. Périodiquement, tous les 2 mois à peu près, les mots rayés sont soumis à un test-mémoire. S'il y a faute à nouveau, il est rajouté à la liste.
La numérotation a plusieurs utilités :
- Chaque enfant, sur le bilan hebdomadaire vu par les parents, indique le nombre d'expressions acquises. C'est toujours un nombre plus grand que la fois d'avant...
- Chaque enfant calcule son efficacité (nombre de mots acquis par rapport au nombre de mots à apprendre). Selon les cas, ça peut servir à moduler l'apprentissage : dans ma classe, après discussion, les 20. 30% ont une minute d'apprentissage de plus qu'ils peuvent ou non utiliser : les 80% ont le droit de ne plus apprendre. Jusqu'à ce que les mots s'ajoutant le pourcentage baisse...
- La numérotation sert à visualiser les progrès matérialisés par un trait qui ne peut que s'allonger sur le tableau d'ensemble en face de chaque nom, au fur et à mesure des réussites.
CONSTATATIONS
après plusieurs années d'utilisation :
1 . Cet outil ne tient compte que des réussites. Un échec, c'est seulement une future réussite. J'ai vu des enfants s'acharner sur une erreur tenace, en faire une affaire personnelle jusqu'à la maîtriser et la rayer d'un trait victorieux.
2. Nous faisons entre 40 mn et 1 h d'orthographe par semaine sans aucune lassitude, sans presque s'en apercevoir (avec 2 tests en moyenne par semaine).
3. Les " mauvais " en orthographe côtoient les " meilleurs " les dépassent parfois dans le nombre de réussites.
4. Chaque enfant a ses fautes-leitmotiv, un profil d'erreur, ce qui permet de l'aider à ajuster son travail par ailleurs (plan de travail).
5. Le fait d'utiliser les bouts de phrases contenant LA FAUTE évite une orthographe trop pointilliste, trop sèche.
6. Je crois que la main, comme l'œil, a une " mémoire ". Je ne saurais l'expliquer, mais l'imprégnation est réelle ; une lacune dans les accords du pluriel, par exemple, se retrouve sous de multiples formes et l'enfant, peu à peu, extrapole sur des formes jusqu'alors inconnues de lui. Les accords s'ajustent tout au long de l'apprentissage, empiriquement pourrait-on dire.
7. Le réinvestissement n'est pas immédiat, mais il est très réel si on a la chance d'avoir les enfants longtemps.
8. La feuille d'apprentissage est un constat toujours positif des progrès réalisés. Chez moi, elle suit les enfants l'année suivante.
9. On retrouve sur chaque feuille, à plus ou moins longue échéance, tout ce qui doit être " traité " en orthographe, vocabulaire, conjugaison. Sans trimer sur des leçons ou des exercices aussi stériles qu'ennuyeux. Et quelle satisfaction de rayer une erreur surmontée. On grandit à chaque fois...
Cet outil, qui a priori, paraît contraignant, nous laisse en réalité, aux enfants et à moi, une liberté nouvelle. En ne s'embarrassant pas des cailloux sur la route de l'écrit. On met les cailloux en tas sur le bord du chemin, on les concasse petit à petit, sans nous perturber les essieux...
A remarquer toutefois que cet outil est avide d'écrit, de production, d'expression. Il s'en nourrit. Je crois que ça ne marcherait pas dans les endroits où l'on écrit sur commande. Pour faire la chasse aux fautes, faut qu'il y ait des grands espaces d'écriture.
On ne chasse pas dans les réserves..
Michel Barrios
C’est ma faute, c’est ma très grande faute …
D’orthographe
Jacques Prévert
 
 
ARTISANS PÉDAGOGIQUES n° 10- 1995