Raccourci vers le contenu principal de la page

En Chantier n°16, Plaidoyer pour la recherche documentaire

Dans :  Techniques pédagogiques › 
Petit plaidoyer en dix points pour la RECHERCHE DOCUMENTAIRE à l’école
 
Bulletins du CA-Doc III p.3
 
Un article de Michel FORGET, Wentzwiller (Haut-Rhin), 2 août 1991
        
Nous nous proposons de reproduire dans chaque En Chantier à venir des documents déjà publiés, mais qui méritent que l’on se penche à nouveau sur eux parce qu’ils posent des questions toujours d’actualité. Ici, un plaidoyer pour la recherche documentaire un peu daté (entre autres utilisation du minitel) mais toujours juste sur les principes généraux. Le plaidoyer reste indispensable : La recherche documentaire intégrée dans un fonctionnement général de la classe, partie intégrante de la construction intellectuelle de l’enfant, est-ce une notion réellement prise en compte? avons-nous vraiment progressé dans cette direction? Comment les nouvelles possibilités offertes par l’informatique et internet ont-elles fait avancer la recherche documentaire ? L’utilisation intense de ces moyens modernes va-t-elle dans le sens d’une véritable recherche documentaire ? La masse d’informations disponible ne fait-elle pas quelquefois illusion ? Permet-elle réellement de choisir, de trier, de comparer pour construire ses connaissances, comme nous le proposait avec force Michel Forget en 1991?
A vous de lire, de vous faire une opinion, et de nous envoyer vos réactions et les prolongements possibles de cet article…
 
Plan de l’article :
 
Présentation
 
1 – Une utilisation rapide et efficace des sources documentaires
2 – Une prise de conscience
3 – L’importance de la méthode et de la démarche dans la recherche documentaire.
4 – La documentation doit autant que possible permettre de résoudre les questions que l'on se pose.
5 - La présence de la documentation en situation éducative a pour fonction d'apprendre à s'en servir.
6 - L’inégale valeur des sources d'information.
7 - Lutter contre le compartimentage des disciplines.
8 - Posséder et organiser sa propre documentation. 
9 - Le désir d'apprendre et d'augmenter ses connaissances est une démarche naturelle.
10 - Il appartient à la nature de la connaissance d'être inachevée.
 
Conclusion
  
 
Présentation :
 
L'importance d'une fréquentation assidue de la littérature de jeunesse (récits romans, contes, poésie, ...) pour le développement de l'enfant n'est plus à démontrer. En revanche, l'intérêt d'une bonne maîtrise de l'utilisation de sources documentaires paraît moins évident et celle-ci n'est pas toujours considérée comme un savoir-faire à développer en priorité.
C'est pourquoi j'aimerais présenter ici un petit plaidoyer pour la recherche documentaire à l'école.
J'entends par recherche documentaire le passage nécessaire, pour l'élève, par l'utilisation d'instruments spécialisés (BT, BTJ, BTSon, encyclopédies diverses, dictionnaires, journaux, revues. Minitel, ...) au travers desquels il est amené à rencontrer, trier, comparer, choisir les informations dont il a besoin pour répondre aux questions qu'il se pose, pour construire ses connaissances et enrichir son pouvoir sur les choses.
 
 
1. Une utilisation rapide et efficace des sources documentaires.
Être capable d'utiliser de façon rapide et efficace les sources documentaires est un acquis capital pour les enfants.
Il s'agit, en effet, d'un accès au savoir médiatisé par des outils sociaux reconnus comme tels. La quasi-totalité de nos connaissances disponibles, sur tous les sujets, est accessible par le moyen de documents spécifiques, principalement mais non exclusivement, écrits. Pouvoir s'orienter dans le dédale de ces savoirs, choisir entre des articles et des encyclopédies, identifier rapidement la page pertinente d'un gros volume, trouver le texte de synthèse qui apportera des renseignements fiables sont des savoir-faire indispensables à qui espère utiliser son esprit de façon libre et autonome. En ce sens, savoir trouver et utiliser de la documentation augmente l'autonomie de l'enfant, c'est une garantie de liberté. En rendre les enfants, peu à peu, capables me paraît tout à fait capital.
 
 
2. Une prise de conscience :
Une autre fonction de la documentation consiste à aider l'enfant à prendre conscience de son insertion dans un processus de culture.
Il est important qu'il s'aperçoive que toutes les questions qu'il se pose, d'autres avant lui se les sont posées et que, par conséquent, il est inséré dans une chaîne de préoccupations, de recherches, de réponses et que d'autres ont travaillé avant lui sur les mêmes questions. Autrement dit, le fait d'avoir recours à la documentation publiée insère l'enfant dans un processus général d'interrogations qui nous concerne tous et que j'appelle la culture.
 
 
3. L’importance de la méthode et de la démarche dans la recherche documentaire.
Il me semble aussi que nous ne devons pas craindre d'affirmer que la documentation proposée aux élèves est moins importante par les contenus qu'elle apporte que par les méthodes et les démarches qu'elle permet ainsi que par la curiosité intellectuelle qu'elle contribue à entretenir.
Il est, à cet égard, important de faire apparaître le caractère relatif et provisoire de nos savoirs. C'est pourquoi je pense que des encyclopédies démodées ou des B.T. très vieilles sont tout à fait intéressantes parce qu'elles ont leur rôle à jouer dans la prise de conscience que nos savoirs sont essentiellement évolutifs, provisoires et remaniables. Par exemple, il est intéressant qu'un livre qui était consacré à un sujet d'actualité devienne un jour un livre d'histoire. En ce sens, la recherche documentaire intelligente, loin d'être une manifestation de positivisme naïf, porte en elle une démystification potentielle des prétentions scientistes ou de l'autosuffisance des savoirs clos.
 
 
4. La documentation doit autant que possible permettre de résoudre les questions que l'on se pose.
La documentation doit permettre de résoudre parfois, en tout cas de clarifier souvent, les questions que l'on se pose.
Mais ceci suppose évidemment que l'on se pose des questions ou que des questions se posent ou que l'on nous pose des questions. La plupart du temps, l'école est un lieu où l'enfant est sans cesse interrogé, où on lui pose des questions (généralement ponctuelles et fermées) alors qu'il serait souhaitable qu'elle soit un lieu de vie organisé de telle sorte que l'enfant soit amené à s'y poser continuellement des questions. Le rôle du maître est ici tout à fait essentiel. Il consiste à faire de la classe ce milieu de vie où les fausses évidences du sens commun sont transformées en problèmes. Dans cette perspective, la documentation devient évidemment un outil de première importance. En effet, apprendre c'est partir de questions que l'on se pose (ou que l'on vous pose). Je rappelle ici, pour mémoire, le rôle décisif de ce que l'on a appelé "la démarche d'éveil" qui suppose, sur ce trajet qui va des représentations initiales approximatives au savoir vérifié, le passage obligé par des sources documentaires examinées de façon critique.
 
 
 
 
5. La présencede la documentation en situation éducative a pour fonction d'apprendre à s'en servir.
Être capable d'utiliser de la documentation c'est être capable petit à petit d'en apprécier la pertinence ou l'intérêt. D'où l'importance de ce que j'appellerai la fonction comparative de la documentation. Il faut plaider pour une pluralité de sources d'information, une multiplicité de documents de styles et de formes variés avec évidemment le développement corrélatif de l'esprit critique. Pourquoi ce document m'apporte-t-il plus de choses que celui-là ? Pourquoi celui-ci me laisse-t-il insatisfait? Savoir, peu à peu, expliciter les raisons pour lesquelles on apprécie tel document et les raisons pour lesquelles tel autre vous laisse insatisfait, c'est apprendre à dépasser le : "c'est bien", le: "c'est pas mal" ou le : "c'est nul" auxquels en restent la plupart des adultes dans le commentaire qu'ils font de leurs lectures.
 
 
 
6.  L’inégale valeur des sources d'information.
L'une des difficultés de la recherche documentaire tient à la multiplicité des sources possibles d'information en même temps qu'a leur inégale valeur. L'enfant est pris entre des sources multiples : la parole des parents est importante mais que se passe-t-il lorsqu'elle entre en contradiction avec celle du maître? Il y a les livres d'images, les récits de fiction, la télé, les encyclopédies et les dictionnaires, la presse pour enfants et tout ce que l'on peut dire ou entendre autour de soi. Ce qui est en jeu ici c'est la place relative, la valeur épistémologique de ces différentes sources d'information. Le témoignage enregistré de quelqu'un qui parle d'un problème a-t-il la même valeur que ce que je lis dans un livre, dans un manuel ou que ce que j'ai entendu à la télévision? Ce qui n'est pas maîtrisable immédiatement c'est la valeur relative de ces différents témoignages. Grandir dans le savoir c'est être capable d'attribuer un coefficient de plus ou moins grande certitude aux différentes sources. Or cet apprentissage, si nécessaire, ne va pas de soi. Si l'école ne faisait rien pour y entraîner systématiquement ses élèves cela reviendrait à confier ce soin aux familles qui ont avec les outils culturels le plus grand degré de familiarité ; ce serait donc aussi privilégier le succès scolaire des plus favorisés.
 
 
 
7. Lutter contre le compartimentage des disciplines.
La documentation proposée aux enfants devrait aussi permettre de lutter contre le compartimentage des disciplines. Un document bien fait doit ouvrir et non pas fermer une recherche. Il doit être un point de départ et non pas un point d'arrivée. Il doit permettre d'établir des passerelles avec d'autres domaines du savoir. Exemple : dans une classe, à propos du tiers-monde, on est arrivé à parler de l'espérance de vie des enfants dans tel ou tel pays. Il est intéressant quand on aborde ce sujet de faire apparaître que ce problème de l'espérance de vie se posait d'une façon analogue au XVIIe siècle en France et qu'un problème spécifique au tiers-monde aujourd'hui est un problème que l'Europe a connu dans le passé. Il est utile qu'une recherche conduise ainsi à montrer la relativité en même temps que l'interdépendance de l'espace et du temps sur des problèmes aussi complexes que celui-là. De même, une séquence sur les pandas, animal en voie de disparition, a conduit à faire apparaître que ce problème crucial aujourd'hui pour les pandas est un problème à la fois très ancien et très actuel et qu'au cours des siècles, jour après jour, année après année, de très nombreuses espèces animales ont disparu et continuent de disparaître. C'est ainsi qu'à partir d'un point local et très spécifique il est possible de faire apparaître des chaînes de problèmes ailleurs et d'une portée très générale.
 
 
 
8 – Posséder et organiser sa propre documentation.
Logiquement la fréquentation de la documentation ou une pédagogie organisée autour de la recherche documentaire devrait aboutir, à mon sens, à donner aux élèves la possibilité et le goût de posséder et d'organiser leur propre documentation. Si une pédagogie de la documentation est réussie elle devrait conduire l'enfant à aimer avoir chez lui sa propre bibliothèque documentaire (avec tous les problèmes que cela suppose de stockage, de tri, de conservation, de classement, de renvois, d'archivage, d'identification,...). Le principe d'une pédagogie de la documentation conduit à prendre conscience qu'il y a tout un ensemble de techniques capables d'augmenter nos ressources et nos savoir-faire. Et je pense très concrètement qu'en classe, au lieu d'avoir des cahiers qu'on ne relit jamais, il serait plus intéressant d'habituer l'enfant à se constituer, sous des formes variées et qui lui conviennent, un archivage des connaissances qu'il a décidé de mettre en mémoire. L'utilisation d'ordinateurs familiaux et les possibilités qu'ils offrent de fichiers informatiques ouvrent, à cet égard, des perspectives prometteuses.
 
 
 
9. Le désir d'apprendre et d'augmenter ses connaissances est une démarche naturelle.
Pour le plus grand nombre d'enfants le désir d'apprendre et d'augmenter ses connaissances est une démarche naturelle et leur avidité intellectuelle ne connaît pas de limites. Pour d'autres, au contraire, cette curiosité se manifeste plus timidement ou plus tardivement. Il est intéressant de noter que pour certains enfants, moins spontanément attirés par l'aventure intellectuelle, l'amour de la science, de la connaissance, du savoir, de la lecture (y compris de fiction) semble parfois éclore par le biais de l'attrait pour la collection. Peut-on risquer une explication de ce phénomène? Chez ces enfants le savoir inquiète parce qu'il est divers et multiple, mais la collection rassure parce qu'elle est immuable, parce que chaque volume nouveau ressemble, pour une part, à ceux qui l'ont précédé. C'est la dialectique du Même et de l'Autre. L'aspect formel de la collection rassure parce que c'est du connu alors que le savoir inquiète parce que c'est forcément de l'inconnu. Je ne sais pas si cette raison suffit, à elle seule, à rendre compte de la fascination qu'exercent les collections ou les séries sur les enfants (et quelquefois sur les adultes). Cependant, lorsqu'on se préoccupe de savoir quels documents mettre entre les mains des enfants, on aurait tort de négliger ce levier que peut constituer, pour certains, le prestige de la collection. A condition, bien sûr, de ne pas se laisser enfermer dans la collection. Nous savons tous que les meilleures collections comportent leurs bons et leurs moins bons titres. Ici encore l'esprit critique doit exercer sa fonction de vigilance sur chaque volume particulier.
 
 
10. Il appartient à la nature de la connaissance d'être inachevée.
La documentation devrait enfin ouvrir sur une sorte de vertige car il appartient à la nature de la connaissance d'être inachevée et, probablement, inachevable. Il devrait donc y avoir au cœur de toute pédagogie de la documentation bien faite comme un principe d'insatisfaction. Plutôt que de dire, comme certains titres présomptueux : "Tout sur tout" ou "Tout, savoir sur tout", je préférerais que la documentation emprunte sa maxime à Marguerite DURAS : "Deux ou trois choses que je sais de quelque chose" et que l'enfant puisse dire: "J'ai appris des choses, mais je sais que je ne sais pas tout ; je peux en savoir plus ; mais je ne peux pas tout savoir". Par conséquent il est impératif qu'un document proposé à l'enfant permette la prise de conscience qu'il ne s'agit-là que d'une approche d'un sujet qui se prolonge ailleurs et qu'il fournisse lui-même des éléments pour aller plus loin. D'où l'importance ici des bibliographies, des notes, des références, de l'indication des sources, des photographies légendées. Car le savoir, par définition, n'est jamais clos et il est important de comprendre le plus tôt possible, que son infinité qui constitue sa faiblesse est aussi au principe de sa séduction.
 
 
CONCLUSION.
 
Au moment de conclure nous devons nous garder de toute illusion. L'illusion serait ici de croire avoir trouvé, avec la recherche documentaire, une nouvelle panacée, infaillible, contre l'échec scolaire.
Je crois au contraire que le succès à l'école se construit par un juste équilibre entre des activités extrêmement diverses qui tirent intérêt de leurs différences. Pour qu'un élève ait des chances de traverser sans encombre sa longue scolarité il faut qu'il sache lire, écrire et calculer et qu'il ait plaisir à le faire. Il faut qu'il sache s'exprimer par la parole, l'écriture, la musique et la poésie ; qu'il ait une imagination capable des plus folles extravagances mais aussi un esprit susceptible de se soumettre à un exercice réglé de la raison. Il faut qu'il soit à l'aise dans son corps, qu'il sache établir avec autrui des relations à peu près détendues, qu'il garde -si possible- un peu d'humour et sans doute bien d'autres choses encore. La recherche documentaire n'est qu'une pièce de ce puzzle, ni plus ni moins utile qu'une autre, mais qui, si elle venait à manquer, risquerait de compromettre gravement l'équilibre fragile et toujours à construire de nos élèves.
Michel FORGET, Wentzwiller (Haut-Rhin), 2 août 1991
 
 
 

 

Fichier attachéTaille
plaidoyer_pour_la_recherche_doc.pdf59.63 Ko