Traces laissées par une rencontre
Salah Al Moussawy : son cheminement et son œuvre
Salah Al Moussawy est né à al Nagaf en Irak. Il vit aujourd’hui à Saint-Etienne (Loire) où je l’ai rencontré.
Candidat à l’école des Beaux-Arts de Bagdad, il échoue. Quelques années plus tard, il y entre comme professeur et chef du département de la Calligraphie arabe et des Arts décoratifs islamiques. Il poursuit des études au Caire, puis passe un DEA spécialisé histoire et Civilisations à l’université de Clermont-Ferrand.
Actuellement, il prépare une thèse de doctorat sur la relation entre la religion et l’image dans l’art.
Son projet actuel est de préparer à l’an 2000 en réalisant une grande exposition sur la paix avec d’autres créateurs, réunissant mille et une œuvres. Un autre projet est de créer une association d’écoliers sans frontières, toujours dans un objectif d’éducation à la paix.
Dans son œuvre, des sourates du Coran côtoient des poèmes, des citations de Gandhi, Lao Tseu, Paul Valéry, Jacques Prévert… Paix, amour, connaissance, tolérance en sont les thèmes privilégiés. Toutes les civilisations y sont réunies harmonieusement entre les arabesques, les flammes et les fleurs de ses calligraphies, qu’elles soient traditionnelles ou modernes.
Salah Al Moussawy nous interroge par la musique qui se dégage de la chorégraphie qu’il sait installer entre les mots ainsi libérés.
« Pour calligraphier une phrase, le premier souci est celui de l’effet qu’elle peut avoir sur l’individu. Après l’analyse sémantique et l’examen de la notion, voir l’image conceptuelle que l’on pourrait imaginer et donner. En tant que créateur de l’image de ce concept, il ne faut pas oublier celui qui va recevoir et mémoriser cette image de la phrase. On doit interroger la musique de la langue pour pressentir la sonorité de la prononciation des vocabulaires, car, dans la langue arabe, les lettres ont chacune un nom différent de sa sonorité. C’est le rythme de l’articulation juste qui fait la beauté musicale de la langue en plus de sa forme. Comme auparavant, la formation des élèves passe par l’enseignement de l’articulation des lettres, en même temps que par le dessin de leur forme. Le son et l’image vont de pair. Enfin, penser au message que la phrase peut donner. Tout ceci ne compose qu’une phase importante du travail. La deuxième partie consiste à montrer la beauté, la signification matérielle, le symbole, bref, tout ce qui peut aider à matérialiser l’abstraction, afin d’obtenir des indices révélateurs au sens, aux valeurs et à la conception profonde du mot… Passer au-delà de la lecture littérale du mot à une lecture contemplative du signe. On peut donc dire qu’en calligraphiant un mot, on démontre à tous ceux qui nous regardent ce qui compte : au-delà du signe maîtrisé, c’est la liberté de l’esprit, tels qu’un être humain exemplaire incarne sa raison d’être. »
Tant que j’agis, je suis
Etre créateur, selon Salah Al Moussawy c’est d’abord marquer son existence. Il est indispensable de toujours pense, toujours créer, sinon on tourne vite en rond. L’artiste est simplement un être humain qui dispose d’une maîtrise. A lui de faire en sorte que cette compétence serve l’humanité dans un sens positif. Ici, le calligraphe s’offre au regard comme les autres plasticiens. Que le « regardeur » accède ou pas à l’idée du créateur, celui-ci conserve sa liberté de regard. Quelle que soit l’appréciation critique, l’important, c’est ce qu’on offre à la sensibilité du regard.
« Ce matin, un reportage présentait la situation d’une république de l’ex-URSS où des orphelins étaient laissés à l’état de bêtes, nus et démunis de tout, dans des conditions de niveau zéro, plus bas que des animaux… Ça provoque un cri. Alors, le créateur s’en empare et réagit avec son art. »
A « je pense, donc je suis », Salah Al Moussawy préfère « tant que j’agis, je suis ». A partir du moment où un mot, un évènement… a déclenché le besoin de créer, il imprègne sa mémoire d’une pensée. Il représente symboliquement le mot, la phrase, par le graphisme pour nous solliciter et nous inviter à s’engager dans la voie de ce qui est JUSTE.
A notre époque, les prétextes à réfléchir sur notre monde et nous-mêmes ne manquent pas. Agitation, guerres… tout nous pousse à ne pas rester indifférent, à réagir.
Il est toujours temps de commencer
Les sujets d’inspiration de Salah Al Moussawy sont issus de la philosophie du bonheur, de la paix sans laquelle on ne peut vivre, de l’amitié dont l’absence est impossible, même si nous avons tout. La liberté bien sûr, mais aussi l’espoir sont des thèmes inévitables, incontournables.
« Chaque jour est une nouvelle vie, parce que le jours se lève et qu’il est toujours temps de commencer, de partir même du point zéro. De créer le besoin de sentir la vie, de créer la beauté, le sensible. »
La calligraphie est une alchimie entre l’art et l’esprit, la pensée et la plastique. Elle est une écriture magique qui soustrait à la platitude du quotidien. C’est en utilisant l’universalité de l’émotion artistique que Salah Al Moussawy illustre les messages de paix, de sagesse, d’ouverture spirituelle pour communiquer avec ses semblables.
« Je suis d’abord un être humain, responsable de moi-même et aussi des autres. L’éducation que j’ai reçue m’a donné pour principes d’être utile dans la vie, d’être beau en soi, en harmonie avec le monde qui est naturellement beau. Quel que soit le travail dans lequel chacun se réalise , il doit se perfectionner sans cesse. »
Le roseau doit respirer pour celui qui écrit
« Moi, j’étais doué pour ce moyen d’expression. Tout petit, j’aurais rempli le monde entier de tous ces papiers sur lesquels j’écrivais. C’est né avec moi, sur tous ces papiers, partout, sans arrêt. Ce que je sais faire, c’est la calligraphie. Les lettres tracées témoignent de ce que nous sommes, de notre engagement social, religieux, artistique.
Il ne s’agit pas seulement de prendre un roseau. C’est la responsabilité entière de l’homme qui entre dans le choix du mot, de la forme, de la composition. Forme et contenu sont intiment liés. Il n’existe aucune séparation entre l’utile et le beau. L’utile doit être beau et inversement le roseau doit respirer à la place de celui qui écrit. »
Pour Salah Al Moussawy, le travail est la vie, l’existence même, l’expression d’une énergie avec les moyens dont il dispose. L’encre, comme la terre, offre une multitude de possibilités.
La couleur procure, elle aussi, un certain bonheur. L’effet « couleur » est très important pour l’homme. « C’est comme une musique qui le rend raisonnable. Or, seule la raison différencie l’homme de l’animal. Nous devons donc travailler au service de la raison, ce qui évite de franchir certaines frontières et de mettre l’homme en danger. Il manque toujours quelque chose à l’homme : c’est comme une ligne inachevée, il peut toujours aller plus loin. »
Liberté
Salah Al Moussawy a ressenti son besoin de créer le jour où il a réalisé qu’« il faut avoir cet objectif : laisser quelque chose à l’humanité lors de son passage sur terre ».
Une de ses œuvres le touche plus particulièrement. Il s’agit d’un travail réalisé en 1982, intitulé « liberté ».
« Parce que dans le monde entier, on en parle. C’est une montagne. On constate que la liberté est de plus en plus absente dans le monde. Le nombre des prisons augmente. Je ne juge pas l’acte, mais j’en cherche les causes. »
Oui, sans aucun doute, c’est à cette œuvre que va sa préférence. Il semble s’y retrouver. Lorsqu’il lui arrive d’avoir des commandes, il se sent mal à l’aise parce qu’il ne ressent pas le travail correctement. Cependant, il ne refuse jamais, même s’il a des difficultés à entrer dans le sujet imposé. Il travaille dans le monde du sensible et de l’émotion, et il est certain que l’émotion des uns ne peut être celle des autres sous prétexte de commande. C’est une difficulté que l’artiste surmonte grâce au symbole porté par les mots. Une même phrase, un même concept, peuvent être représentés de plusieurs façons. Il fera passer une sensibilité personnelle et le commanditaire y lira peut-être son propre message, en goûtant sans retenue le mouvement.
Descriptif du tableau
Il raconte la création : Montagne. Œil. Regard. Espoir. Mot enchaîné.
Espace vide pour signaler l’espace empoisonné duquel tombent les oiseaux.
Malgré tout cela, l’espoir.
Drapeau : victoire de la liberté.
La main sortant de la montagne : je suis là.
Une petite musique ponte et va rejoindre l’espace empoisonné.
« Ce tableau, je ne l’ai pas vendu. Je l’aime, j’en ai besoin pour sentir la vie. ? Il n’ya que dans la République de Platon que tout est parfait, mais il ne faut pas baisser les bras pour autant.
Il n’a pas de prix, il n’est pas vendable. Je ne peux pas m’en séparer. La calligraphie donne au prince le sens de la beauté, donne au riche le sens de la perfection, au pauvre le moyen de vivre. » |
Sans la vie, la technique reste vide
La calligraphie, comme tout art, n’est pas du simple ressort technique. « C’est une harmonie entre les battements du cœur et le mouvement du calame. Notre vie est très simple, aussi simple que l’art. Notre matériel aussi. Il devient une partie de nous-même avec les secrets de chacun : la taille des calames, l’amour et l’espoir qu’il met dans les lignes tracées, les couleurs choisies, le message contenu… »
La technique, selon le calligraphe, n’est pas un a priori, et n’est surtout pas suffisante pour transmettre une émotion. Elle ne doit pas être un souci : c’est à force de travail qu’on la maîtrise. Sans la vie, la technique reste vide. Elle doit être au service du créateur.
« Chaque lettre, comme chaque homme, possède une énergie. Il s’agit d’humaniser la lettre, de lui donner un mouvement en respectant le principe fondamental de l’équilibre, de la justice dans l’espace. Donner à chaque lettre l’espace qu’elle mérite. »
Cependant Salah Al Moussawy, dans son besoin de communiquer par son art, prend en compte l’environnement dans lequel il vit et avec lequel il souhaite entrer en relation. Il explique ainsi l’aspect différent de ses œuvres et la particularité de ses œuvres récentes à afficher des couleurs vives.
« Le premier souci est l’effet que la calligraphie peut avoir sur le regardeur. Il ne faut jamais oublier celui qui va recevoir. »
En France, dit-il, on a besoin de couleurs. Pour répondre aux attentes, pour communiquer, il utilise tous les moyens, tout ce qui lui semble utile, sans compromettre ce qu’il a à dire.
Il faut avoir un cou de chameau
Les contacts de plus en plus importants et variés sont pour lui un enrichissement. La calligraphie étant essentiellement un des moyens de communication, prendre en compte l’autre, si l’on veut être entendu, regardé…, est incontournable.
Mais l’éducation reste fondamentale dans toute expression. Chez lui, on dit qu’il faut avoir un long cou, un cou de chameau pour permettre à la parole de faire un long parcours avant d’être exprimée. Ne dit-on pas chez nous « tourner sept fois la langue dans sa bouche » ? Il en va de même pour la calligraphie, il faut sans cesse tourner et retourner le travail jusqu’à tendre vers la perfection, jusqu’à la vente, même, qui est un moyen de vivre.
Vendre son travail est une nécessité pour l’artiste, comme pour tout autre.
« Pour moi, mon travail est de remplir une mission par rapport à l’homme. J’ai besoin de temps, de beaucoup de temps, toujours, toujours… jusqu’au moment où je devrai rendre ma vie à son propriétaire ? C’est à ce moment-là qu’on peut être satisfait ou non. La spiritualité est essentielle. Un corps sans âme est inutile. »
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Nicole BIZIEAU
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