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Peut-il exister une pédagogie de la poésie ?

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Mars 1998

 

CréAtions n° 81 - Spécial Poésie -  publié en mars-avril 1998

 

Peut-il exister une pédagogie de la poésie ?

Peut-il exister une pédagogie de la poésie ?


Plutôt que de produire moi-même un article de fond sur la fréquentation des textes, j’ai préféré donner la parole à Georges jean, écrivain, spécialisé dans la poésie à l’école.
Le texte qui suit est composé d’extraits choisis parmi ceux qui m’ont paru les plus significatifs dans sa publication A l’école de la poésie (éditée chez Retz), dans laquelle il développe plus amplement ses propos.


Nicole Bizieau


L’enfant ne découvre jamais seul les textes poétiques et il faut bien admettre que les enfants vont rarement chercher spontanément des livres de poésies s’ils n’ont pas été incités par quelqu’un à le faire.
Ainsi ces enfants d’école maternelle qui voient pour la première fois dans leur cour un vrai feu allumé pour brûler les feuilles d’automne et qui découvrent la beauté d’un élément qu’ils ont si peu l’occasion de contempler dans leur HLM chauffées par radiateurs. L’institutrice, comprenant qu’il se passe quelque chose, profite de l’occasion pour lire quelques courts textes sur le feu.

« Je fis un feu,
L’azur m’ayant abandonné
Un feu pour être mon ami… »
Paul ELUARD

L’activité poétique devrait être régulière… et provoquée. Or, la poésie, à l’école élémentaire, n’est pas forcément liée à un emploi du temps ; l’instituteur devra persuader ceux qui aiment naturellement la poésie que l’amour, la passion, etc. ne suffisent pas. Pour les autres, il devra les aider à découvrir en eux que le désir, le plaisir de plonger dans l’imaginaire, vaut bien un certain nombre d’efforts.
« On n’explique pas un poème, on cherche à saisir sa respiration ! »
La culture de la sensibilité et de l’imagination participe beaucoup plus qu’on ne pourrait a priori le penser à l’équilibre de la personnalité de l’enfant tout entière.

L’école de la poésie est d’abord l’école de l’écoute.
Un poème est quelque chose qui parvient aux enfants porté sur ou par une voix. Chaque écoutant interprète à sa manière le poème, il le recrée à son image en fonction de sa vie, de son imagination et de ses sensibilités. Des connotations intimes accompagnent ce chant léger et grave, elles deviennent ce chant.
Un texte poétique doit se lire comme une partition. Les sons, les silences, les pauses, les signes, les blancs se répondent se contrastent, s’enchaînent, se superposent, se perdent.
Lire un poème, c’est en percevoir la mélodie verbale, la construction harmonique, la respiration du sens, la pulsion du texte. On peut dire qu’il existe des partitions écrites de tous les textes et de la poésie en particulier. La vive voix est un facteur essentiel de la rencontre pédagogique.
« La diction, disait François Billetdoux, c’est la moitié de la pensée, tout le reste est vocabulaire.»
En français, la mélodie traduit la présence à l’arrière-plan de facteurs extralinguistiques appartenant au domaine affectif : colère, joie, satisfaction, etc.
Le rôle émotif est premier en poésie.
Que le pédagogue amateur de poésie réfléchisse sur ces lignes. Qu’il évite de prescrire une diction passe-partout – celle de la sempiternelle et ronronnante récitation de mon enfance dont j’ai eu la naïveté de croire qu’elle avait disparu des écoles, des collèges, des lycées, des universités et des conservatoires d’art dramatique.

L’école de la poésie est sans doute l’école où l’enfant peut apprendre à saisir intuitivement, et dans le plaisir d’une certaine jouissance sensuelle, la syntaxe de la langue. Il ne s’agit certes pas de prendre la poésie comme un prétexte pour s’entraîner à « faire de la grammaire ». La finalité ici, ne l’oublions pas, est de « mettre en bouche » un poème.
« Et surtout ne vous hâtez point d’accéder au sens. N’arrivez à la tendresse, à la violence que dans la musique et par elle. Défendez-vous longtemps de souligner les mots, il n’y a pas encore de mots » écrivait Paul Valéry dans De la diction des vers. Certains lui ont reproché d’évacuer le sens alors qu’il dit comment l’atteindre : à la fin !

Ceci mériterait de longs commentaires car les enseignants ont tendance à d’abord expliquer – à traquer le sens avant de chercher à l’exprimer. Ce qui n’exclut pas avec de grands élèves des explorations érudites, sémiotiques, historiques, d’un texte poétique. Et surtout, quand on le peut, une analyse des brouillons, hésitations, « avant-textes », variantes du poème.
Le petit enfant saisit les métaphores, les images sans chercher à les expliquer ni à analyser les éléments qui les constituent et il est capable de les redire en s’en émerveillant.
Dans une clase quelconque, urbaine ou rurale, où la poésie existe en tant que telle, tous les enfants finissent par se décider à affronter le silence peuplé de leurs camarades et par dire leur poème ou le lire. Car une autre erreur fort répandue consiste à considérer la poésie et la récitation en particulier comme un exercice propre à l’entraînement de la mémoire. Cependant, lorsqu’un enfant a triomphé de sa timidité et des maladresses de son articulation, la récitation poétique devient un extraordinaire moteur pour développer et assurer la mémoire. Et en plus, c’est assurer en soin, pour la vie, un trésor de textes avec lesquels dans certains instants, joyeux ou malheureux, on vivra mieux.

Le dire poétique n’est pas le seul chemin pour traverser le langage poétique. Le fait de recevoir des textes de poèmes et celui de créer ce que l’enfant désigne comme une poésie sont deux approches complémentaires.
Il faut reconnaître que l’enseignement en toutes disciplines négligea très longtemps la créativité des enfants et des adolescents jusqu’au moment où la « créativité » devint un lieu commun de toute pédagogie qui se voulait de pointe et d’avant-garde ; si bien que l’on en vint à sacraliser toute production enfantine parce qu’elle était enfantine. L’enfant, s’il en sent le chemin, n’est pas naturellement et parce qu’il est un enfant, un poète. L’emploi de la métaphore chez le jeune enfant qui étonne parfois les adultes, à juste titre, résulte plus d’un déficit en vocabulaire actif que d’une volonté délibérée de créer des images verbales originales.
Les jeux poétiques devraient être utilisés pour libérer l’enfant ou l’adolescent d’une approche traditionnelle de la langue en général et de la langue poétique en particulier. Dès qu’on entre dans cet univers ludique, se découvrent les diversités de ces jeux (jeux surréalistes comme des procédures aléatoires ou certaines propositions de l’Oulipo). Ils sont l’application de certaines règles et/ou contraintes. Ils débouchent le plus souvent sur des productions.
Nous avons à nous demander ce qu’il est possible d’en faire à l’école, au collège, au lycée.
Ecrire pour s’acheminer vers une lecture créatrice.
L’activité poétique passe obligatoirement par l’écoute, la lecture et l’écriture.
• On écoute non seulement celui ou celle qui lit le poème, mais on écoute également le poème que l’on se dit pour soi, à soi-même, fût-ce intérieurement.
• La lecture au sens de lecture des yeux de la poésie est, me semble-t-il, une des voies majeures d’apprentissage de la lecture courante ; J’écrirais volontiers « lecture courante à allure variable », dans la mesure où les lignes du poème, régulières ou inégales, imposent aux yeux des mouvement liés à certains rythmes, mais également des repérages de graphèmes voisins ou semblables.
• Enfin, l’écriture, nous l’avons dit, c’est à la fois dans ce domaine chercher à cheminer mieux dans les textes et peu à peu prendre conscience que chacun est, à sa manière, un petit poète qui découvre que la langue est un matériau qui résiste et que pour « tout dire » comme le proclame Eluard, il convient d’apprendre à savoir le dire ».

D’après Georges JEAN

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