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Ouvrir des pistes

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Septembre 1995

On a beaucoup légiféré depuis deux ou trois décennies de manière scienti­fique et souvent à priori sur les pratiques pédagogiques. Pour faire face au désarroi de très nombreux en­seignants, enserrés dans des réformes successives parcel­laires induisant des "comment" normatifs mais jamais des "pourquoi", on a prescrit des so­lutions miracles, une ins­trumentation sophistiquée ou gadget, dénaturant souvent ainsi les apports des re­cherches en didactique, en psycholo­gie sociale, en psychologie cogni­tive.

Ces apports féconds sont malheureuse­ment trop souvent com­partimentés, donc réducteurs dans leur application isolée et systématique, enfermés dans leur territoire respectif, décontex­tualisés d'un quotidien infiniment complexe, mou­vant, habité d'incertitudes, de risques, de ques­tionnements tous azimuts, d'obstacles nécessitant donc qu'on appréhende dans sa complexité, avec des regards différents, complémen­taires, regards à réconcilier pour trouver du sens aux in­terpellations qu'il nous en­voie.
A l'I.C.E.M, comme ailleurs, nous avons été attirés par les faux-sem­blants théoriques déduits sommaire­ment de pratiques ersatz. Une amné­sie, aux raisons diverses, a relégué dans les bibliothèques universitaires les textes fondateurs de C. Freinet, sous prétexte qu'ils étaient datés, écrits dans un contexte socila, poli­tique, éducatif étranger au nôtre.
A-t-on cherché à comprendre, à tra­vers ces écrits, leur lo­gique in­terne, à décoder et à s'expliquer leur langage po­lémique et militant pour savoir à quoi C. Freinet a été confronté, comment il a tenté et sou­vent est parvenu à as­sumer les contradictions qu'il avait débusquées ?
Nous vivons dans un monde où la ré­ponse par des solutions techniques, économiques, momentanément remédiati­santes à tous les problèmes, masque les questions de fond et évite de penser, de s'engager modestement.
Le recours d'une mémoire historique retrouvée, la confron­tation entre la grande diversité des expériences pas­sées et actuelles de milliers d'éducateurs et nos propres expé­riences, une information réfléchie sur les différents champs de savoirs explorés par les chercheurs devraient éclairer notre action pédagigique quotidienne à la fois mo­deste et au­dacieuse.
Modeste car l'expérience de la quoti­dienneté nous apprend que les petits pas sont plus réalistes que les grandes en­jambées. Audacieuse tou­jours, puisque le sens de notre ac­tion a pour visée l'humanité dans l'homme, donc "tout ce qui permet à chaque enfant humain d'apprendre à devenir homme" (1)
Nous aurons toujours besoin, à chaque commencement d'une nouvelle année scolaire, à ce moment décisif des premières rencontres avec les en­fants, les adolescents, d'appeler en nous ces repères qui soutiendront notre exigence de prise en compte de chacun pour l'accompagner dans la construction de ses apprentissages, de sa personne et son émancipation.
Ces repères-étayages nous rendront plus disponibles pour écouter, ac­cueillir l'évènement porteur mais dé­rangeant, l'imprévisible, et pour in­venter, au jour le jour, avec chaque enfant singulier, avec tous aussi, de nouvelles pistes prometteuses et li­bératrices, indifférentes aux modes et inscrites dans ce que chaque être humain, en deve­nir, porte en lui d'universel.
 
Lire Freinet
 
Lire C. Freinet sans même se sentir interpellé par lui, sans se sentir en famille d'entrée de jeu mais, comme le dit O. Reboul "en faisant taire toutes nos objections, en ne gardant qu'une seule question : que me dit-il ?"
Ne pas lire ses écrits pour en appli­quer directement dans sa classe, en 1995, les propositions d'actions qui y sont faites, dépendantes d'une époque, d'une personnalité charisma­tique mais pour retrouver, dans le langage souvent métaphorique, des analogies et des différences, ce qui res­semble ou au contraire ce qui nous paraît étranger à nos préoccupations, à nos questions d'éducateurs de "l'ici et du maintenant".
"Celui qui publie un texte se soumet ipso-facto au jugement de ses lec­teurs ; il me demande à moi, lecteur, de tester la solidité de ses argu­ments, de déceler les présupposés de ses énoncés et le non dit de ce qu'il dit."(1)
Qui sait si, au noeud de l'action, la parole la plus simple, chargée d'expérience, ne permettra pas au praticien d'entrevoir une "correspondance" au sens baudelairien du terme et une ouverture éducative sur des enjeux qui en vaillent la peine.
Le texte (voir encadré) qui ouvre ce premier dossier péda­gogique est ex­trait de "Les Dits de Mathieu" (1954). C'est à la recherche d'une pédagogie de bon sens, à la figure fa­milière que Freinet nous invite dans ces paraboles, prolon­geant le dialogue philosophique avec Mathieu, le berger-poète héros de son livre "L'éducation du Travail" (1942/43). Ces dits aux titres devenus des slo­gans : "C'est en forgeant qu'on de­vient forgeron", "Prendre la tête du peloton", "Ne pas se lâcher des mains avant de toucher des pieds"... nous rappellent inlassablement la néces­sité de l'action solidaire et du com­pagnonnage avec l'enfant pour l'aider à prendre en mains son devenir.
"Ouvrez des pistes
 
As-tu suivi parfois ces sentiers de montagne, tracés et creusés par la multitude ancestrale des pieds d'hommes et de bêtes et qui sont comme la marque encore vivante d'une humanité qui dépasse l'histoire ?
Il n'y a jamais, à travers les prés comme au flanc des pentes, une solu­tion unique, un chemin exclusif, mais de capricieux sentiers plus ou moins parallèles avec, à chaque détour, un éventail d'autres chemins ouvrant vers d'autres horizons.
Si, à un moment donné, l'éventail se reserre, c'est que la passe devient difficile, que le sentier va s'engager dans un défilé, ou aboutir à l'unique pont de rondins qui fran­chit le torrent. Mais, sitôt l'obstacle dépassé, comme une fleur qui s'ouvre, s'étalent à nouveau les sentiers aventu­reux qui partent à l'assaut de la montagne à conquérir.
Ainsi la vie offre-t-elle sa pléni­tude à qui veut l'affronter. Ne ré­duisez pas arbitrairement, d'avance, l'infinité des tâtonnements et la multiplicité des solu­tions aux pro­blèmes complexes qu'elle nous impose. N'aggravez pas la monotonie d'une vie quotidienne où l'éventail des chemins s'est refermé sur la perspective grise de la rue qui conduit à l'usine. Ne désespérez pas vos en­fants en faisant de votre école un défilé à voie unique, soigneusement encadré de barrières, de blocs bran­lants et de précipices, sans espoir de voir enfin au tour­nant s'ouvrir l'éventail généreux des sentiers qui montent vers la plénitude de la vie.
Dès maintenant, et chaque matin, ou­vrez des pistes, même si vous n'êtes pas toujours sur qu'elles mènent au col. Qu'il y en ait pour tous les tempéraments et pour tous les goûts : pour la sage brebis qui suivra la voie centrale déjà lon­guement tracée, pour le bélier orgueilleux qui a be­soin de montrer ses cornes infati­gables, pour qui monter et grimper semble souvent un but fonctionnel.
Je vous donne ma vieille expérience de berger : le troupeau n'est pas plus difficile à mener lorsqu'il s'étale à tra­vers les drailles, calme et satisfait, en marche vers le même horizon, que lorsqu'il s'entasse dans les endroits difficiles, tête contre queue, masse passive qu'une ombre surgissant brusquement peut projeter au précipice ou qui n'attend que la sortie du défilé pour partir aveuglé­ment par les premiers chemins qui s'ouvrent.
C. Freinet "Les Dits de Mathieu"
 
Dans "Freinet ou une pensée de la si­militude" (la Pédagogie Freinet : mises à jour et perspectives PU de Bordeaux mars 1994), Nadine Charbon­nel insiste sur l'erreur qui est faite lorsqu'on n'accorde aux compa­raisons de Freinet qu'un rôle expres­sif, lié plus ou moins (selon les commentateurs) à sa pensée, mais sans plus d'intérêt que stylistique.
Son éclairage sur "les similitudes", ces comparaisons entre entités hété­rogènes (entre l'enfant, le parent, l'instituteur, l'enseignement et des entités du domaine horticole ou ani­mal ou artisanal...) assigne, au contraire, à ces Dits de Mathieu "un régime sémantique qu'elle appelle praxéologique", parce qu'il est por­teur d'injonction pour l'action.
Elle rappelle, en outre, qu'à travers des appellations va­riables, on s'entend pour repérer aussi, à côté de l'expressif, le régime "cognitif" où la comparaison a un tout autre rôle. Elle a pour but de servir à mieux "comprendre" la réalité des choses, à mieux se représenter leur essence. Cette comparaison entre en­tités hétérogènes appartient, dit-elle, au raisonnement par analogie, lequel a sa place dans la panoplie du bon scientifique.
Le praticien éleveur, berger et pay­san qu'est Freinet, sent la vie à travers le foisonnement de toutes ses formes végé­tales, animales, humaines et se refuse à lui assigner des fron­tières.
Il met à jour des "lois de la nature" (Essai de psychologie 1-ème loi), "lois profondes et sûres du comporte­ment" sur lesquelles construire la pédagogie. C'est toute l'aventure des "Méthodes naturelles" qui s'appuient sur les pouvoirs d'une vie poten­tielle qui sait ce qu'elle fait.
Regarder d'un peu plus près ce Dit permet de saisir des in­dices extrême­ment signifiants :
* A l'idée d'enfermement du chemin unique s'oppose l'ouverture exponen­tielle sur d'autres chemins, d'autres horizons.
* A la notion d'obstacle qui empêche d'avancer que l'on peut aider à fran­chir, au prix d'efforts ou de scri­fices qualitatifs, correspond la joie de la réussite, la promesse d'autres possibles.
* Analogie avec la vie et les condi­tions dans lesquelles un individu peut découvrir la plénitude.
* L'idée de complexité qui renvoie à l'approche systémique des problèmes.
* Analogie entre le troupeau réglé selon le rythme, les élans de chaque bête et les enfants, en marche vers le même horizon mais empruntant des chemins différenciés favorisant l'autonomie et l'apprentissage du discernement, du choix.
 
Contraintes et ressources, risques et enjeux, nous sommes au coeur de l'acte éducatif. Et comme cet acte de décision engage notre être, notre responsabilité, le recours à l'expérience des autres, dans son épaisseur humaine et son implication quotidienne peut nous être utile.
Bien sûr, les témoignages sont étroi­tement dépendants de références so­ciologiques, institutionnelles, liées à la personnalité des maîtres narra­teurs mais, en puisant dans ce ceru­set coopératif, on pourra discerner une interroga­tion voisine, une même question, quelques pistes aidantes à défricher autrement et à proposer à d'autres, en retour.
C'est l'objet de la deuxième partie de ce dossier : "ouvrir des pistes".
 
L'expérience des autres dans son épaisseur humaine et son implication quotidienne
 
Parmi les écrits de classe, un pro­jet de l'ordre de l'imprévu
 
On remarque que ce projet est généra­teur d'activités au­thentiques d'expression et de communication grâce à l'attitude attentive, dispo­nible du maître qui a repéré le dé­clenchement de l'évènement, l'a laissé s'amplifier en orientant, par son choix éthique préalable de faire de sa classe un lieu de vie, le pro­cessus de curiosité, d'exaltation, de conquête, de connaissance et une or­ganisation coopérative du travail.
 
Cette année dans la classe, les en­fants n'arrêtent pas d'écrire. Le premier jour de classe en septembre, à la suite d'un échange et de la ré­flexion d'un enfant, toute la classe s'est engagée dans l'écriture d'une collection de livres qu'ils ont appe­lée "Mister".
On a affiché au tableau la liste des propositions de cha­cun. propositions individuelles, à deux, à trois etc... Les filles, comme d'habitude, ont été très "moteur", elles ont publié les trois premiers de la collection : "Mister Holly­wood", "Mister Banane", "Mister Méchant". Cela a incité les autres, notamment les garçons, à écrire ce qu'ils avaient prévu et là, débordement d'écrits. Et on aborde ainsi les problèmes de gestion du temps.
Comment corriger tous ces textes ?
Comment faire pour taper tous ces textes ?
Comment trouver le temps pour illus­trer tous les livres ?
La première page, la photocopie, la reliure, la diffusion etc...?
Il a fallu discuter en conseil de classe, trouver des moyens et du temps, s'organiser...
Et puis il fallait tenir les contrats car des messages té­lématiques, des fax, des affiches avaient été écrits et en­voyés pour annoncer les modali­tés pour recevoir ces livres, à l'unité, à l'abonnement,... gratuité pour les correspon­dants étrangers...
Tout cela s'est décidé en partie lors des conseils de classe.
Ensuite sont arrivés les premiers abonnements, les premiers chèques. Il a donc fallu un responsable des abon­nements et des envois.
Juste avant ces vacances, sept autres livres sont terminés. Nous aurons déjà rempli notre contrat puisque l'abonnement était pour dix livres.
Et puis, oh surprise, nous avons reçu de Russie la version traduite de "Mister Banane" en Russe. Elle parai­tra dans un journal russe pour les enseignants.
J'ai résumé en quelques lignes des heures de travail. Mais nom d'une pipe ! Que c'est difficile d'expliquer tout ce qui se passe à partir d'un évènement, d'un mot pro­noncé. Plein de choses m'échappent, je ne contrôle pas toujours, et c'est tant mieux ! Sinon, la vie de la classe s'en irait à peine entrée. Maintenant, je prends conscience de tout ce que je "loupe" ou que je fais "louper" aux enfants par mon atti­tude. Consciemment ou inconsciemment, je censure.
Tout cela est passé par des phases de plaisir, de "ras le bol", à nouveau de plaisir suivant les étapes. Je crois qu'il est important que les en­fants maîtrisent le projet de A à Z pour qu'ils perçoivent bien l'idée de travail. Bien sûr il n'y a pas de règles et cela dépendra du profil du groupe. De toute manière, le produit fini et l'accueil de celui-ci par les autres est tellement gratifiant !
Ce projet était vraîment de l'ordre de l'imprévu, il est devenu presque central à la classe, une pratique de l'écrit parmi tant d'autres : le ro­man bilingue qu'on écrit avec une classe de Moscou, la correspondance avec la Russie, la Nouvelle Zélande, le recueil sur les vieilles chaus­sures...* etc.
Voilà l'allure de la classe cette an­née, étonamment active.
* Nous avons reçu une lettre de Ta­ganrod en Russie, ville sur la Mer Noire, avec une série de textes ra­contant des histoires de vieilles chaussures. Nous avons décidé de re­cueillir toutes les histoires de vieilles chaussures que des enfants de France et du monde entier pour­raient écrire ; un recueil sera édité et offert gratuitement à toutes les classes participantes.
Christian Lego - Rennes (35)
 
L'entretien au cycle II
 
Des occasions, des temps d'expression et de circulation de la parole sont proposés dans les classes coopéra­tives. Ils varient souvent en fonc­tion de l'âge des enfants ou des ado­lescents, du degré d'attention, de permissivité, de confiance qu'on leur accorde, du désir qu'a le maître de faire émerger cette parole et de lui donner un pouvoir.
"L'entretien au cycle II" est un té­moignage parmi d'autres extrêmement variés, mettant en évidence un lieu privilégié pour instituer la communi­cation avec soi et avec les autres et en faire l'apprentissage. D'autres lieux et registres de parole seront abordés au cours de l'année.
 
A quelques années près, je pense que l'entretien a toujours existé dans ma classe, sous différentes formes selon le ni­veau ou l'âge des enfants, selon aussi les circonstances. Pour moi, cette pratique est devenue banale, ordinaire, ne nécessitant pas que l'on s'y intéressât de façon privilé­giée en tant que "technique de classe".
Le lundi matin, après installation, les enfants souhaitant parler lèvent le doigt et je les inscris au ta­bleau. J'ai établi une grille sur la­quelle je note à postériori les en­fants qui ont parlé. Cela me permet de veiller à ne pas inscrire toujours les mêmes.
Tour à tour, chaque enfant vient de­vant ses camarades, donne son infor­mation, raconte une anecdote, en une phrase, en général.
Pas évident de prendre la parole de­vant vingt six paires d'yeux qui vous regardent. En début d'année, les voix ne sont pas très assurées, mais cela s'améliore relativement.
C'est ensuite le jeu des questions. Après chaque interven­tion, l'enfant qui a parlé donne la parole aux ques­tionneurs. J'aide beaucoup en début d'année, puis de moins en moins.
La formulation des questions, par mon intervention, pro­gresse également. "Où t'étais ?", "T'as bien aimé ?", "Y s'appelait comment ?" deviennent peu à peu "Où étais-tu ?", "As-tu bien aimé ?", "Comment s'appelait-il ?" Bien en­tendu, les enfants s'attachent à formuler correstement leurs questions à ce moment privilé­gié parce qu'ils se sa­vent écoutés. Mais à la différence des exercices structu­raux répétitifs, cela se dé­roule dans un contexte naturel. Rien à voir avec les questions à oraliser sur un modèle type. Chaque question est adaptée au récit écouté et cor­respond à une demande réelle.
A la fin de l'entretien, je demande aux enfants de se sou­venir des narra­tions entendues, dans l'ordre des noms ins­crits. Puis, à tour de rôle, on résume par une phrase les dires de chaque orateur.
"Benjamin est allé chez son cousin".
"Le papa de Jérôme est parti à Besan­çon en camion".
Pour terminer, on cherche un mot (ou un groupe nominal) re­latif à chaque récit :
Benjamin ---> son cousin
Jérôme ---> le camion
Des règles de fonctionnement ont été établies dès le début d'année :
- on lève la main si on veut parler
- on ne parle que si on a la parole
- on ne se déplace pas pendant l'entretien
- on peut dessiner (à cet effet, cha­cun possède un carnet de graphisme où il peut s'essayer au crayon ou au feutre noir).
Le soir, j'établis sur une feuille A4 le résumé des diffé­rentes interven­tions des enfants (quatre par feuille), puis je fais des photoco­pies. Le lendemain, chaque enfant re­çoit donc une ou deux feuilles qui sont lues, relues, illustrées (en classe ou à la maison), puis rangées dans le porte-vues.
Avantages du porte-vues : protection des feuilles, respect de la chronolo­gie sans risque de désordre, faible encombre­ment.
Ce travail demande, bien sûr, un peu de temps supplémen­taire pour l'enseignant. Cependant j'y vois en­core des avantages :
- mémoire écrite
- mise en valeur des paroles des en­fants
- possibilité de relecture (à la mai­son, à l'école)
- réinvestissement des écrits dans de nouveaux textes
- lien avec la famille
Michèle Loire. Hellemmes (59)
 
J'aime raconter aux autres ce que j'ai fait avec mes pa­rents.
Timothée
J'aime l'entretien car j'apprends des choses.
Margot
J'apprends des mots nouveaux : fa­brique, Besançon, la Seine...
Mathias
Moi, j'aime entendre ce qu'ont fait les autres enfants. Je me sers des textes d'entretien pour écrire d'autres his­toires.
Mathilde
 
Ouverture sur le milieu : quel tra­vail autour d'une sortie ?
 
Dans un premier temps, les enfants ont décidé de faire des photos et un film vidéo. Nous avons essayé de re­censer les choses intéressantes à photographier et nous avons dressé une liste des clichés avec le nom de ceux qui devraient les prendre. Pa­rallèlement, un questionnaire a été préparé, chacun devant poser une question (encart 1).
Durant la visite, les mots "centrifugeuse" et "décantation" fu­rent utilisés par le moulinier. Notre guide donna une ex­plication sur la séparation des "margines" (eau) et de l'huile, en supposant que les enfants savaient que l'huile flottait sur l'eau de par sa densité plus faible.
Ces concepts étaient trop difficiles à comprendre pour les enfants. Dès le retour, je cherchai donc des fiches corres­pondant à ces notions. pendant ce temps, les enfants se mi­rent à dessiner, écrire des textes et faire des commen­taires enregistrés sur cas­sette audio. Les images vidéo, la cassette audio, complétées bientôt par les photos et les dessins repré­sentent autant de traces permettant de retrou­ver des informations en trop grande quantité pour être as­similées le jour de la visite. Toutes ces traces permettent de revivre l'évènement afin de mieux le mémori­ser. Il s'établit alors une interac­tion entre les différents sup­ports permettant d'élaborer un compte-rendu détaillé de la sortie. Les textes s'enrichissent des traces remises en mé­moire, les commentaires s'enrichissent du travail de discus­sion et de rédaction des textes. Ces commentaires d'images enregistrées sur cassette audio sont ensuite uti­lisés pour faire la bande son du mon­tage d'images réalisées lors de la sortie.
Le travail continue dans plusieurs directions.
Les enfants choisissent des musiques lors de séances d'écoute musicale. On peut dire que ce travail les motive particulièrement, car ils sont atten­tifs et choisissent en général des musiques bien adaptées. Ces images vidéo sont ensuite envoyées à nos correspondants.
Le même travail écrit est réalisé de façon beaucoup plus sommaire en an­glais à destination de la Suède. Ils nous en­verront aussi des images, ce qui compense le fait que nous ne puissions pas les rencontrer.
Les textes, le questionnaire, les dessins et les photos servent à l'élaboration de pages de compte-rendu pour le journal et un album do­cumentaire (encadré 2). Une élève a écrit un texte pour le réseau téléma­tique à propos de l'huile d'olive. Deux classes ont répondu que chez elles on faisait l'huile avec des noisettes et les noix ou avec les fleurs de colza. Un nouveau message est parti pour demander ce qu'est le colza et si possible de nous en en­voyer. La réponse précisait qu'il fallait attendre le printemps pour avoir des fleurs de colza.
Les questionnaires ont permis de tra­vailler la forme inter­rogative.
Par la suite, je proposai aux enfants volontaires des expé­riences autour de la force centrifuge et de la décanta­tion. Les expériences sur la force centrifuge déclenchèrent un engoue­ment important chez les enfants. Plus tard, lors d'une visite avec nos cor­respondants à la fabrique de choco­lats et de nougats de Solliès-Pont, j'ai pu constater que les enfants avaient bien intégré le concept de force centrifuge...
Florence Saint Luc. Solliès-Pont (83)



 
Andrew et Jordan ont fait une expé­rience, je vais vous la raconter. Ils ont pris un seau et ils l'ont fait tourner très vite, et l'eau n'est pas tombée. Ca s'appelle la force centri­fuge. L'eau va au fond du seau quand on tourne très vite.
Floriane
 
Les bassins de décantation
Pour faire l'eau boueuse, il faut prendre un pot et mettre de la terre et de l'eau. On mélange, ça fait de l'eau boueuse, de l'eau marron. Quand la terre tombe au fond, on dit que ça se décante. C'est pareil dans les bassins de dé­cantation. A la coopéra­tive oléicole, dans les bassins de décantation, les petits morceaux de pulpe tombent au fond.
Jennifer
 
Questionnaire (extraits)
 
David : comment fait-on l'huile d'olive ?
Les olives sont pesées dans des caisses appelées palox. Il faut une machine qui fait monter les olives (le tapis rou­lant) dans la laveuse. Après, ça va dans une machine qui sé­pare la pulpe et le noyau de l'olise. C'est une dénoyau­teuse. La pâte d'olive est pressée dans l'extracteur pour donner du jus d'olive qui va dans le bassin collecteur. La centri­fugeuse sépare l'huile de l'eau. L'huile va dans les bassins de décan­tation pour que les impuretés tombent au fond. Elle passe dans un filtre et va dans les cuves. On fait brûler les noyaux, et ça sert de chauffage.
Kévin : avec quelles sortes d'olives peut-on faire de l'huile ?
Avec toutes sortes d'olives, mais certaines ont un meilleur rendement, c'est à dire qu'elles donnent un peu plus d'huile.
Andrew : Qu'est-ce qu'on fait avec la pulpe d'olive après avoir extrait l'huile ?
La pulpe est répandue (jetée) dans les champs pour assou­plir la terre.
Roxane : A partir de l'olive, quels produits peuvent être fabriqués ?
De l'huile, des savons, des gâteaux, des produits diété­tiques, des médica­ments.
Grégory : Les oliviers ont-ils des maladies ?
Oui, la fumagine. C'est l'olivier qui devient noir. La ma­ladie de la mouche donne des vers dans les olives. Il y a trois traitements par an pour évi­ter ça.
 
L'"histoire de la semaine" en mater­nelle...
 
... ou comment créer quelques condi­tions favorables, matérielles et psy­chologiques pour que, très tôt, les enfants ressentent le plaisir et le désir de lire, pour instaurer aussi le dialogue indispensable avec les parents, élément déterminant dans la réussite de l'apprentissage du Lire-écrire.
 
Une classe de tout petits.
Depuis le rentrée de septembre, je raconte une même histoire tous les matins et les après-midi. Ce qui per­met à certains enfants de l'écouter jusqu'à huit fois dans la semaine.
Dans le coin regroupement, en leur montrant les images, je lis le texte en essayant d'y mettre le ton. L'histoire dure quelques minutes.
Les vendredis matins, après la lec­ture de l'histoire de la semaine, tous les enfants en même temps la dessinent. Je leur demande de dessi­ner un ou plusieurs personnages. Ces dessins seront regroupés en fin d'année dans un cahier que les en­fants emporteront chez eux.
A partir du mois de novembre, j'ai installé sur la porte vitrée d'entrée de la classe un panneau où est ins­crit : "l'histoire de la semaine". Et dessous, je colle, chaque semaine, la photocopie du livre concerné. Chaque fin de semaine, je range la photoco­pie du livre lu dans un classeur qui se trouve en permanence dans la bi­bliothèque de la classe.
A partir du mois d'avril (beaucoup trop tard dans l'année !) j'ai mis en place un système de prêt des his­toires de la semaine. Chaque ven­dredi, des enfants rentrent chez eux avec, dans un sac en tissu, une his­toire de la semaine.
Des fiches, où se trouve collée la photocopie du livre grandeur nature, permettent de savoir en y collant un prénom, qui a emprunté le livre. Sur le sac est cousu un mot pour les pa­rents. Le texte est court (nous avons une majorité de familles turques et magrébines) : il explique que le livre doit être rapporté le lundi qui suit et incite les parents à le lire à leurs enfants.
Une bonne quinzaine de livres est disponible actuellement. Les enfants ont la liberté du choix du livre.
L'écoute des enfants, lorsque je ra­conte une histoire, est bien meil­leure qu'en début d'année.
Plus la semaine avance et plus les enfants anticipent sur la suite de l'histoire.
Le classeur où se trouvent les cou­vertures est très souvent feuilleté.
Les livres les plus ouverts sont en grande majorité les livres de la se­maine. Comme le sont les livres qu'on me demande de lire dans la biblio­thèque lors de l'accueil du matin.
Depuis un mois, quelques enfants re­marquent que le lundi la couverture affichée a changé.
Nombreux sont ceux qui sont capables de me "lire" un titre lorsque je montre un livre de la semaine.
Quelques enfants peuvent retrouver dans la bibliothèque un livre de la semaine dont je leur donne le titre.
Il y a maintenant dans la classe des best-seller.
J'ai mis en place le prêt de livres pour sensibiliser les parents à la place importante que peut avoir le livre dans l'univers de 2/3 ans. Pour l'instant, tous les livres ont été rapportés. Des parents ont parfois demandé de le garder un jour de plus car ils n'avaient pas eu le temps de le lire. Deux mères ont été surprises de constater que leur enfant connais­sait le texte presque par coeur. De plus en plus, lors de la sortie, les parents s'attardent pour regarder quel est exactement le livre.
Pour conclure, je dirai que s'est créé dans la classe un patrimoine li­vresque. Et de voir Zyad prendre "A ton avis" Ed "L'école des loisirs" au moins une fois par jour, et cela pen­dant près d'un mois, me fait penser que cet enfant doit véritablement y trouver du plaisir.
Et les maîtres mots chez les petits ne sont-ils pas plaisir et désir ?
Pascal Marie (69)



 
 
L'album, une va­riante
 
Le point de départ
Le point de départ d'un album en classe (à la maison égale­ment, d'ailleurs), c'est souvent l'envie de parler de quelque chose préoccupant ou concernant un ou des enfants, un fait vécu ou remarqué, un objet fami­lier personnel ou familial ou plus "extérieur" (presse, revue, docu­ment...) qui a retenu l'attention, un jeu, une production textuelle, plas­tique ou autre.
Cet évènement est alors commenté, présenté, offert peut-on dire au groupe ou à l'enseignant. Si le groupe accueille, reçoit cette pa­role, cette production, il est impor­tant de le considérer avec intérêt comme objet éventuel de travail donc d'apprentissage.
L'album en classe peut aussi survenir après un "évènement forcé" comme une sortie, une enquête pour un album de fran­çais, histoire etc...
 
Quelques-uns des thèmes sujets d'albums réalisés en classe, durant la moitié de l'année.
La Tunisie, à partir d'une carte pos­tale ramenée de la mai­son.
L'Afrique, à partir d'un collier "Masaï" ramené en surprise à l'entretien du matin.
Ma famille joue de la musique, à par­tir d'une lettre aux correspondants.
Géométrie, tracés de figures décora­tives, à partir d'un li­vret de géomé­trie de la classe.
Mes chiens, à partir d'une photo ame­née en classe un matin.
La grossesse et la naissance, à par­tir de la naissance d'un petit frère, racontée à l'entretien.
Le Maroc, à partir d'une présentation du pays d'origine d'un enfant.
Des outils de la préhistoire, à par­tir d'un objet "bizarre" en silex améné par un père d'élève.
Il y en a bien d'autres : les abeilles, le poignet cassé, le voyage à Bellewaerde, La Nouvelle Calédonie, le cacao, l'esclavage en Afrique, la vie de mon Grand Père dans les mines de charbon, le vélo, je me promène à Lille, le musée d'Histoire Naturelle, un voyage en Hollande, les bébés, A Paris, mon père est informaticien, devinette mathématique etc...
Des types de démarches plurielles
Nous observons souvent au départ des types de démarches plurielles (qui s'entrecroisent par ailleurs) de la part des élèves :
- cela va intéresser mon correspon­dant : souhait de commu­nication dif­férée.
- cela va intéresser les autres en­fants de la clase, l'enseignant (!) : souhait de communication directe et aussi souvent de reconnaissance sym­bolique dans le groupe. C'est une autre façon de dire "Bonjour, je suis là" aux autres dans le cadre sco­laire.
- cela va m'intéresser, me faire plaisir : démarche plus personnelle ?
Un cadre espace-temps
L'idée apparait donc et le sujet est présenté à tous dans un cadre espace-temps qui doit être bien défini. En commu­nication, à partir des concep­tions initiales des enfants, des vé­rifications, expérimentations, confrontations des points de vue avec les autres élèves et l'enseignant se mettent en place. Les recherches tan­tôt individuelles, tan­tôt collectives s'organisent, la production, l'écriture, la mise en page et l'illustration... démarrent.
Mise en place progressive d'une structure coopérative
"L'organisation doit être au service de la vie et du tra­vail, et non le travail et la vie génés et dominés par l'organisation." C. Freinet
La structure coopérative de la classe qui va progressive­ment se mettre en place doit permettre à chaque enfant d'exister dans le groupe, de présen­ter son travail aux autres, de poser des problèmes, de solliciter des aides. Il est important de souligner ici que les structures coopéra­tives de transferts de savoirs, de produc­tion etc... ne sont amenés qu"au fur et à mesure des besoins.
Des moments de synthèse
Après une heure, une demi-journée, une semaine de travail personnel sur les albums, les moments de synthèses collec­tives sont très utiles pour re­lancer les recherches ou po­ser de nouvelles questions. Ces moments de synthèse où l'on doit s'assurer de l'écoute et du respect mutuel forment des instants de reconnaissance par étapes des travaux menés. Par étape il est souvent difficile d'approfondir un sujet, de se mettre à la place de l'autre (le récepteur : corres­pondants ou la classe). L'explicitation de sa démarche de re­cherche sur un sujet n'est pas aisée non plus. Une "décentration" est né­cessaire pour faire passer son mes­sage, pour se faire comprendre.
Raconter à ses pairs d'âge évite en même temps les "écarts de compréhen­sion" et les difficultés d'explication à des personnes éloi­gnées de sa propre zône proche de dé­veloppement.
La part du maître
La part du maître est encore ici très importante. C'est lui qui va inciter chaque enfant à aller plus loin, à dépasser le descriptif, à écrire da­vantage ou à soigner sa présen­tion selon les cas. L'enseignant va encore pouvoir, avec l'aide du groupe classe, mettre en relation les diffé­rents savoirs individuels et collec­tifs en rapport avec le sujet traité tout d'abord et les concepts sous-ja­cents ensuite.
La coopération pour apprendre
La pratique de l'album crée des si­tuations impliquantes et motivantes pour l'enfant qui reste "au coeur du processus d'apprentissage". La réus­site dépend aussi assez souvent des aller-retour fréquents entre individu et groupe, tra­vail personnel et tra­vail collectif, recours aux per­sonnes, outils de type fichire, docu­ments... On met alors en rela­tion au moins trois "niveaux de culture" (non hiérarchisés) :
- la culture personnelle, fruit d'interrelations fami­liales, affec­tives, sociales antérieures.
- la culture du groupe constitué, de la classe comme entité provisoire.
- la culture extérieure, "normée", de la société, des adultes dont l'enseignant est le plus souvent le véhicule.
La multiplicité des interactions so­ciales comme les conflits socio-co­gnitifs, les entraides, les enseigne­ments mutuels, les contrôles et les explications de l'autre favo­risent la construction d'apprentissages de plus en plus élaborés.
Sylvain Hannebique Lille (59)
 
Album mathématique à départ indivi­duel
 
En rentrant en classe, Aurore demande à une de ses cama­rades Hélène et à moi :
"Combien font 2 et 3 ?"
Hélène répond :
"Ca fait 5 !
- non, ça fait 23."
Je lui réponds :
"Ca pourrait aussi faire 6 ou 32 ou d'autres nombres.
- Ah oui, je vais essayer."
Je propose alors à Aurore d'écrire ce qu'elle nous a dit puis de venir l'exposer au groupe ou à Hélène et à moi.
Voici le début de la recherche (1).
Elle revient assez vite me voir, me montre son travail. Je lui demande si elle n'aurait pas pu trouver d'autres ré­ponses encore. En voyant la machine à calculer sur mon bu­reau, elle me propose l'écrit suivant (2).
Je continue car elle est maintenant "accrochée" à la re­cherche. Je lui propose de voir avec Hélène comment conti­nuer. Hélène lui suggère de pla­cer les résultats dans un tableau pour pouvoir "montrer aux autres". Voici le travail réalisé en troisième étape, qu'Aurore me montre avant de passer devant le groupe (3).
La classe reçoit le travail d'Aurore qui réussit à accro­cher les élèves au moins parce que la devinette plait. Le groupe, à la lecture du tableau, questionne et demande pourquoi elle n'a mis qu'une fois les lois + et X et au contraire deux fois les lois - et :
Aurore explique que les résultats sont identiques pour 2+3 et 3+2 ainsi que pour 2X3 et 3X2.
Aurore propose ensuite à tous quelques "défis" qui sont préparés (4).
Les recherches de toute la classe bu­tent sur les nombres négatifs qu'Aurore avait précédemment décou­verts. J'interviens pour une première synthèse, un premier arrêt-mémoire du travail. J'écris les remarques concernant la commutativité des lois internes + et X. Les enfants transfè­rent d'ailleurs assez vite leurs ac­quis antérieurs (5).
Remarques et rappels de la classe sur les tables + et X qui sont symé­triques alors que ce n'est pas vrai pour - et : fusent. Le groupe note quelques exemples et conclusions de la recherche d'Aurore qui elle conti­nuera sa recherche sur un domaine non prévu au départ : les nombres rela­tifs et les distances (approche du calcul de la norme d'un vecteur).
Voir dans le (6) l'approche avec les ascenseurs...
Le résultat de ce travail sera adressé aux correspondants et gardé en mémoire dans l'album de vie de la classe.
Sylvain Hannebique
 
Et si on faisait de la biolo­gie en anglais ?
 
Le témoignage qui suit (2) ouvre la piste de l'interdisciplinarité au collège, dans sa quotidienneté, pour créer des motivations d'apprentissages plus au­thentiques en enracinant une disci­pline dans une autre, en répondant mieux aux besoins et désirs des jeunes. C'est aussi l'ouverture vers une plus grande co­hérence des atti­tudes professorales vis à vis des ap­prentissages et une ap­proche éduca­tive des contenus un peu plus fondée sur la créativité des individus et des groupes.
 
En collège et en lycée, le rôle du professeur de langue est à mon sens de donner aux élèves la possibilité de communi­quer en langue cible, de s'approprier un outil, un instru­ment de travail, non d'en faire de futurs agrégés. Laissons à l'université cette tâche pour les élèves les plus moti­vés, ceux qui choisiront d'approfondir leur connaissance de la langue et de la culture considérées.
Pour atteindre ce premier objectif, il sera souhaitable de mettre le plus rapidement possible les élèves en si­tuation de communication authentique. Et la télématique viendra à point nommé pour permettre de les faire communiquer avec d'autres, voire même, comme dans l'exemple suivant, avec des sommités internationales.
Ce dimanche 19 septembre 1993, je trouve donc sur ma boite électronique une invitation à participer le 21 - soit à peine deux jours plus tard - à une rencontre virtuelle (virtual vi­sit) au Tarzana Medical Center, Cali­formie, avec le Docteur Paul Berg, Prix Nobel de biochimie. Joints une biographie du Dr Berg et un court ré­sumé de ses travaux sur les gènes et maladies génétiques.
Le lendemain, je demande à mes col­lègues de sciences natu­relles si l'opération les intéresse. Elles ac­ceptent immé­diatement. Profitant de deux heures de cours qui ne peuvent mieux tomber, nous commençons avec des troisièmes à tra­vailler le mes­sage, photocopié en trente exem­plaires, sur le Dr Berg et ses tra­vaux. Leur professeur de sciences na­turelles, justement libre en deuxième heure, leur fait une courte présenta­tion des gènes et maladies géné­tiques. Nous sommes en début d'année et cette partie du programme n'a pas encore été abordée. Je liste au fur et à mesure au ta­bleau, en anglais, le vocabulaire scientifique, heureu­sement souvent transparent, qu'elle utilise. Nous abordons toutes deux ensuite et dans les deux langues les questions que les élèves se posent et souhaitent soumettre au Dr Breg. Cer­taines tout à fait intéressantes, du genre :
- peut-on corriger les gènes ?
- Est-il possible d'en extraire un d'une cellule ?
- Peut-on en créer en en implanter un qui fonctionne comme un gène d'origine ?
- toutes les maladies génétiques se­ront-elles un jour gué­ries ?
- peut-on clôner humains ou animaux comme dans "Jurassic Park ?" etc...
Nous envoyons ces questions en fran­çais et en anglais, ce qui n'a pas d'intérêt particulier dans le cas qui nous oc­cupe, mais qui est un peu une coutume sur notre réseau. N'oublions pas que, via EUROSESAME, nous sommes sur un ré­seau international. Nous y envoyons nos messages dans notre langue maternelle en même temps que dans une langue étran­gère. Ceci au­tant pour intéresser un maximum d'élèves du réseau que pour rendre conscients les nôtres de la diver­sité des langues européennes et de l'intérêt de s'en appro­prier plu­sieurs.
Dès le lundi soir nos questions at­tendent le Dr Berg. L'envoi a pris moins de deux minutes et a coûté à peu près un franc, soit moins cher qu'un envoi postal qui aurait mis en­viron trois jours pour parvenir à son destinataire.
Le vendredi, nous avons les réponses. En fait, nous aurions pu les avoir le mercredi matin. Ce qui a pris du temps étant de faire en Californie la synthèse de cette rencontre virtuelle avant de l'envoyer sur les élèves.
Sur les photocopies de la réponse du Dr Berg, c'est dans la semaine même que les élèves travailleront les ré­ponses à leurs questions. L'intérêt toujours au plus vif n'a pas eu le temps de tomber et ils ont, je crois, vraiment réalisé à cette occasion l'intérêt de ce mode de communica­tion. Ils ont même reçu ensuite des U.S.A un petit message de remercie­ment pour leur participation dont ils furent très fiers. Pareille valorisa­tion constituant, je crois, un point important...
... En Avril, quand nous sommes allés à Caen avec les cor­respondants améri­cains pour visiter le Mémorial de la Paix, ils n'en revenaient pas de lire le nom du Dr Breg dans le hall des Prix Nobel. Ainsi c'était bien vrai ! Ils avaient communiqué en anglais avec un Prix Nobel et acquis des com­pétences en biologie pour lesquelles l'apprentissage d'une langue étran­gère avait servi d'outil.
Françoise Kerneis. Nantes (44)
 
Pourquoi faut-il ouvrir des pistes ?
 
Remarques et ré­flexions géné­rales
 
On pourrait multiplier les témoi­gnages si le nombre de pages le per­mettait tant sont grandes la profu­sion et l'hétérogénéité des documents issus du quotidien des classes ou­vertes au besoin vital pour les en­fants et les adolescents de s'exprimer, de communiquer, d'expérimenter, d'apprendre à maîtri­ser le monde qui les entoure, d'acquérir du pouvoir.
Mais l'objectif de ce dossier res­treint n'est que de susci­ter des dé­sirs chez les enseignants, de parier sur des ten­tatives de mises en marche, d'appeler aussi le lecteur averti à des confrontations, des pro­longements pour un autre dossier que nous envisageons sur le thème "aller en profondeur". Toutefois, il nous a semblé utile de prolonger cette par­tie centrale centrée sur l'expérience des autres par quelques remarques et réflexions plus générales sur le "pourquoi faut-il ouvrir des pistes ?"
La première évidence est de ne pas limiter "l'ouverture des pistes" au début d'année, ni au début de la journée, dans un entretien coopératif pour élaborer des projets quelque­fois lourds à assumer, mais aussi de sai­sir le spontané à tout instant de l'activité d'un individu ou d'un groupe. Cette permissivité ne sera pas un éparpillement stérile si l'on a à coeur de l'étayer avec rigueur.
D'autres évidences, plus théoriques, soutiennent la néces­sité fonction­nelle d'ouvrir des pistes. Nous en retiendrons trois types.
- Ouvrir des pistes, c'est permettre le fonctionnement d'un régime diver­gent dans le groupe classe ; à partir d'une si­tuation présente, favoriser les explorations différentes, diver­gentes, les combinaisons d'idées ré­pond à la fois à des sensibilités di­verses et à la découverte de la com­plexité des situations souvent poly­conceptuelles. C'est permettre ainsi les mêmes apprentissages fonction­nels, les mêmes opérations mentales (on apprend à lire, écrire, comp­ter, conjecturer, induire, déduire... à tout propos), le développement des mêmes modes de pensée bien que les situa­tions soient différentes.
- ouvrir des pistes, c'est aussi fa­voriser l'émergence et l'enrichissement donc l'évolution des représentations men­tales de chacun ; c'est donc prendre en compte chaque per­sonnalité, là où elle en est, avec ses intérêts intrin­sèques. C'est dé­velopper une différenciation natu­relle. Chaque individu, explorant des chemins différents, a plus de chance d'approcher des notiuons auxquelles il est plus sensible, de saisir l'information par divers canaux per­sonnels qui augmenteront l'efficience.
- ouvrir des pistes, c'est favoriser une conceptualisation plus naturelle. En effet, contrairement à une construction conceptuelle linéaire, par une seule voie, imposée à tous, dans une pédagogie directive, les ex­plorations diversi­fiées, personnali­sées de situations différentes, voi­sines, similaires, facilitent la construction des attributs ou carac­téristiques d'un concept qui, par comparaison, asso­ciation, diversifi­cation, amènent à l'abstraction de celui-ci. C'est ainsi rendre les ap­prentissages signifiants en reliant les nouvelles informations à celles déjà connues par l'individu, en faci­litant les inter-relations pour "faire du sens", en favorisant réin­vestissements en trans­ferts.
Nous souhaitons enfin revenir sur la part aidante du maître à toujours ap­prendre à donner quand on choit de proposer aux jeunes des techniques d'expression libre et de communica­tion, favorisant l'autonomie et l'épanouissement de la personnalité.
Voici, sur ce thème, les points clés d'un débat du Groupe départemental ICEM des Bouches du Rhône qui nous paraissent fort utiles et féconds.
 
La part du maître : quelques repères
 
Pour l'adulte, l'expression libre est aussi un point de dé­part qui lui per­met de bâtir son action éducative sur le réel.
Elle crée un courant qu'il peut rendre puissant, productif en produi­sant des outils, les techniques et le milieu né­cessaires, en créant l'espace. Si nous reconnaissons aux enfants et adolescents le droit de choisir leurs activités en fonction de leurs intérêts et de leur plaisir, il n'est pas question, sous prétexte de non directivité et de res­pect de la nature, d'abandonner les jeunes aux seules sti­mulations de leur envi­ronnement.
Il est donc nécessaire d'organiser l'espace éducatif pour le plus de ri­chesses possibles. L'enfant doit pou­voir expé­rimenter tous les moyens d'expression ; multiplions donc les champs d'expression, multiplions donc les coins ate­liers.
La part du maître, c'est aussi créer l'écoute et le respect des autres. Il est indispensable d'accueillir ce que l'enfant exprime, même maladroite­ment, en n'imposant pas sa propre conception de la "beauté", mais plu­tôt en valorisant le "nouveau". Il est évident que la création n'est pas au­tomatiquement aboutie dès qu'elle sort de la tête du créa­teur, à plus forte raison lorsque le créateur est un en­fant.
L'adulte doit aussi servir de média­teur entre le groupe et l'enfant : il favorise le dialogue, la critique po­sitive qui permettra justement une évolution de la création, un appro­fondissement, un dépassement.
L'adulte ne doit pas non plus censu­rer ce qu'il n'aime pas entendre, mais il est parfois nécessaire de dé­finir le do­maine et les limites de la communication de cette expres­sion : certaines choses peuvent se dire, s'écrire, se jouer au sein du groupe mais pas en dehors.
Trop d'adultes pensent que pour s'exprimer, il faut d'abord connaître les règles : ce qui fait que l'expression dispa­raît très vite sous l'ennui des apprentissages préalables imposés. L'élan personnel est tué au profit d'une technique rodée mais dé­pourvue de vie.
Ne pas imposer de sujet ou de thème : la création se nour­rit de tout l'environnement mais doit trouver son propre cheminement. Ce qui n'exclut pas que c'est rester libre que de pouvoir choisir momentanément ses mo­dèles, assimiler ce qui peut être utile à son expérience et se débar­rasser de ces modèles quand on le veut (c'est la valeur de l'exemple).
Certaines techniques sont parfois né­cessaires pour franchir un palier de l'expression ; il faut parfois les apporter pour que l'enfant acquiert une plus grande maîtrise, mais lorsqu'il en fait la demande ou lorsque l'adulte en sent la nécessité pour cet enfant là et à ce moment là de son pro­jet.
Et c'est toute la difficulté de cette part du maître : quand donner le coup de pouce ?
Question jamais totalement résolue !
Pour des enfants que l'éducation a bloqués, il sera parfois nécessaire de proposer des techniques plus sti­mulantes qui permettront rapidement un début de réussite. Mais il faut toujours garder à l'esprit que le processus de création est au moins aussi important que le produit final.
C.R de Liliane Corre (13)



 
Conclusion
 
Ouvrir des pistes donc, au fur et à mesure des jours, en tenant compte de notre disponibilité intérieure, du contexte plus ou moins facilitateur, des ressources des enfants et des adolescents qui sont multiples, même si elles sont un peu enfouies ou prennent des allures de faux-semblant au départ.
Parier de plus en plus sur le spon­tané mobilisateur, enthousiasmant qui aiguise, dans l'instant l'attention, la curiosité, le goût du dépassement.
Savoir donc s'arrêter sur le chemin, bifurquer le temps d'assouvir un questionnement personnel ou collec­tif.
Laisser des traces de ces chemine­ments originaux en les valorisant.
Se dire aussi que chacun, maître ou élève, avance en fonction de sa per­sonne, qu'une panoplie de techniques et d'outils médiateurs, de documents, d'analyses de dispositifs et dedé­marches peuvent être des recours ai­dants.
Dans la grande variabilité des par­cours d'apprentissage, "on chemine sans qu'il y ait de chemin, le chemin se fait en avançant". (A. Pachado)
 
Dossier réalisé   par J. Lèmery
 
Repères bibliogra­phiques
 
(1) Olivier Reboul Les valeurs de l'éducation PUF sept 1992
(2) Communication à l'Université d'été "Ecrit, Ecran, Ecole" co­organisée par Ouest France et les secteurs télé­matiques de l'ICEM - Pédagogie Frei­net et de l'INRP IUFM des Pays de Loire. Août 94
- Dans les Oeuvres pédagogiques de Célestin Freinet Seuil 1994 :
* Les Dits de Ma­thieu (1954) Tome 2
* L'éducation du travail (1942/43) Tome 1
- La Pédagogie Freinet : mises à jour et perspec­tives P. Universi­taires Bordeaux (mars 1994)
- Pour ouvrir des pistes : les dos­siers du Nouvel Educateur (PEMF)
Réhabiliter le texte libre (n° 61 et 62 de sept et octobre 1994)
La correspondance (n° 63 nov. 1994)
Le journal sco­laire (n°66 et 67 de février et mars 1995)
L'enfant expéri­mentateur (février 1966 et n° 69 et 70 de mai et juin 1995)
S.D.L, bulletin du secteur second de­gré de l'ICEM. Chez C. Mazurie, 41 rue J. Duclos 33270 Floirac