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Septembre 1995
On a beaucoup légiféré depuis deux ou trois décennies de manière scientifique et souvent à priori sur les pratiques pédagogiques. Pour faire face au désarroi de très nombreux enseignants, enserrés dans des réformes successives parcellaires induisant des "comment" normatifs mais jamais des "pourquoi", on a prescrit des solutions miracles, une instrumentation sophistiquée ou gadget, dénaturant souvent ainsi les apports des recherches en didactique, en psychologie sociale, en psychologie cognitive.
Ces apports féconds sont malheureusement trop souvent compartimentés, donc réducteurs dans leur application isolée et systématique, enfermés dans leur territoire respectif, décontextualisés d'un quotidien infiniment complexe, mouvant, habité d'incertitudes, de risques, de questionnements tous azimuts, d'obstacles nécessitant donc qu'on appréhende dans sa complexité, avec des regards différents, complémentaires, regards à réconcilier pour trouver du sens aux interpellations qu'il nous envoie.
A l'I.C.E.M, comme ailleurs, nous avons été attirés par les faux-semblants théoriques déduits sommairement de pratiques ersatz. Une amnésie, aux raisons diverses, a relégué dans les bibliothèques universitaires les textes fondateurs de C. Freinet, sous prétexte qu'ils étaient datés, écrits dans un contexte socila, politique, éducatif étranger au nôtre.
A-t-on cherché à comprendre, à travers ces écrits, leur logique interne, à décoder et à s'expliquer leur langage polémique et militant pour savoir à quoi C. Freinet a été confronté, comment il a tenté et souvent est parvenu à assumer les contradictions qu'il avait débusquées ?
Nous vivons dans un monde où la réponse par des solutions techniques, économiques, momentanément remédiatisantes à tous les problèmes, masque les questions de fond et évite de penser, de s'engager modestement.
Le recours d'une mémoire historique retrouvée, la confrontation entre la grande diversité des expériences passées et actuelles de milliers d'éducateurs et nos propres expériences, une information réfléchie sur les différents champs de savoirs explorés par les chercheurs devraient éclairer notre action pédagigique quotidienne à la fois modeste et audacieuse.
Modeste car l'expérience de la quotidienneté nous apprend que les petits pas sont plus réalistes que les grandes enjambées. Audacieuse toujours, puisque le sens de notre action a pour visée l'humanité dans l'homme, donc "tout ce qui permet à chaque enfant humain d'apprendre à devenir homme" (1)
Nous aurons toujours besoin, à chaque commencement d'une nouvelle année scolaire, à ce moment décisif des premières rencontres avec les enfants, les adolescents, d'appeler en nous ces repères qui soutiendront notre exigence de prise en compte de chacun pour l'accompagner dans la construction de ses apprentissages, de sa personne et son émancipation.
Ces repères-étayages nous rendront plus disponibles pour écouter, accueillir l'évènement porteur mais dérangeant, l'imprévisible, et pour inventer, au jour le jour, avec chaque enfant singulier, avec tous aussi, de nouvelles pistes prometteuses et libératrices, indifférentes aux modes et inscrites dans ce que chaque être humain, en devenir, porte en lui d'universel.
Lire Freinet
Lire C. Freinet sans même se sentir interpellé par lui, sans se sentir en famille d'entrée de jeu mais, comme le dit O. Reboul "en faisant taire toutes nos objections, en ne gardant qu'une seule question : que me dit-il ?"
Ne pas lire ses écrits pour en appliquer directement dans sa classe, en 1995, les propositions d'actions qui y sont faites, dépendantes d'une époque, d'une personnalité charismatique mais pour retrouver, dans le langage souvent métaphorique, des analogies et des différences, ce qui ressemble ou au contraire ce qui nous paraît étranger à nos préoccupations, à nos questions d'éducateurs de "l'ici et du maintenant".
"Celui qui publie un texte se soumet ipso-facto au jugement de ses lecteurs ; il me demande à moi, lecteur, de tester la solidité de ses arguments, de déceler les présupposés de ses énoncés et le non dit de ce qu'il dit."(1)
Qui sait si, au noeud de l'action, la parole la plus simple, chargée d'expérience, ne permettra pas au praticien d'entrevoir une "correspondance" au sens baudelairien du terme et une ouverture éducative sur des enjeux qui en vaillent la peine.
Le texte (voir encadré) qui ouvre ce premier dossier pédagogique est extrait de "Les Dits de Mathieu" (1954). C'est à la recherche d'une pédagogie de bon sens, à la figure familière que Freinet nous invite dans ces paraboles, prolongeant le dialogue philosophique avec Mathieu, le berger-poète héros de son livre "L'éducation du Travail" (1942/43). Ces dits aux titres devenus des slogans : "C'est en forgeant qu'on devient forgeron", "Prendre la tête du peloton", "Ne pas se lâcher des mains avant de toucher des pieds"... nous rappellent inlassablement la nécessité de l'action solidaire et du compagnonnage avec l'enfant pour l'aider à prendre en mains son devenir.
"Ouvrez des pistes
As-tu suivi parfois ces sentiers de montagne, tracés et creusés par la multitude ancestrale des pieds d'hommes et de bêtes et qui sont comme la marque encore vivante d'une humanité qui dépasse l'histoire ?
Il n'y a jamais, à travers les prés comme au flanc des pentes, une solution unique, un chemin exclusif, mais de capricieux sentiers plus ou moins parallèles avec, à chaque détour, un éventail d'autres chemins ouvrant vers d'autres horizons.
Si, à un moment donné, l'éventail se reserre, c'est que la passe devient difficile, que le sentier va s'engager dans un défilé, ou aboutir à l'unique pont de rondins qui franchit le torrent. Mais, sitôt l'obstacle dépassé, comme une fleur qui s'ouvre, s'étalent à nouveau les sentiers aventureux qui partent à l'assaut de la montagne à conquérir.
Ainsi la vie offre-t-elle sa plénitude à qui veut l'affronter. Ne réduisez pas arbitrairement, d'avance, l'infinité des tâtonnements et la multiplicité des solutions aux problèmes complexes qu'elle nous impose. N'aggravez pas la monotonie d'une vie quotidienne où l'éventail des chemins s'est refermé sur la perspective grise de la rue qui conduit à l'usine. Ne désespérez pas vos enfants en faisant de votre école un défilé à voie unique, soigneusement encadré de barrières, de blocs branlants et de précipices, sans espoir de voir enfin au tournant s'ouvrir l'éventail généreux des sentiers qui montent vers la plénitude de la vie.
Dès maintenant, et chaque matin, ouvrez des pistes, même si vous n'êtes pas toujours sur qu'elles mènent au col. Qu'il y en ait pour tous les tempéraments et pour tous les goûts : pour la sage brebis qui suivra la voie centrale déjà longuement tracée, pour le bélier orgueilleux qui a besoin de montrer ses cornes infatigables, pour qui monter et grimper semble souvent un but fonctionnel.
Je vous donne ma vieille expérience de berger : le troupeau n'est pas plus difficile à mener lorsqu'il s'étale à travers les drailles, calme et satisfait, en marche vers le même horizon, que lorsqu'il s'entasse dans les endroits difficiles, tête contre queue, masse passive qu'une ombre surgissant brusquement peut projeter au précipice ou qui n'attend que la sortie du défilé pour partir aveuglément par les premiers chemins qui s'ouvrent.
C. Freinet "Les Dits de Mathieu"
Dans "Freinet ou une pensée de la similitude" (la Pédagogie Freinet : mises à jour et perspectives PU de Bordeaux mars 1994), Nadine Charbonnel insiste sur l'erreur qui est faite lorsqu'on n'accorde aux comparaisons de Freinet qu'un rôle expressif, lié plus ou moins (selon les commentateurs) à sa pensée, mais sans plus d'intérêt que stylistique.
Son éclairage sur "les similitudes", ces comparaisons entre entités hétérogènes (entre l'enfant, le parent, l'instituteur, l'enseignement et des entités du domaine horticole ou animal ou artisanal...) assigne, au contraire, à ces Dits de Mathieu "un régime sémantique qu'elle appelle praxéologique", parce qu'il est porteur d'injonction pour l'action.
Elle rappelle, en outre, qu'à travers des appellations variables, on s'entend pour repérer aussi, à côté de l'expressif, le régime "cognitif" où la comparaison a un tout autre rôle. Elle a pour but de servir à mieux "comprendre" la réalité des choses, à mieux se représenter leur essence. Cette comparaison entre entités hétérogènes appartient, dit-elle, au raisonnement par analogie, lequel a sa place dans la panoplie du bon scientifique.
Le praticien éleveur, berger et paysan qu'est Freinet, sent la vie à travers le foisonnement de toutes ses formes végétales, animales, humaines et se refuse à lui assigner des frontières.
Il met à jour des "lois de la nature" (Essai de psychologie 1-ème loi), "lois profondes et sûres du comportement" sur lesquelles construire la pédagogie. C'est toute l'aventure des "Méthodes naturelles" qui s'appuient sur les pouvoirs d'une vie potentielle qui sait ce qu'elle fait.
Regarder d'un peu plus près ce Dit permet de saisir des indices extrêmement signifiants :
* A l'idée d'enfermement du chemin unique s'oppose l'ouverture exponentielle sur d'autres chemins, d'autres horizons.
* A la notion d'obstacle qui empêche d'avancer que l'on peut aider à franchir, au prix d'efforts ou de scrifices qualitatifs, correspond la joie de la réussite, la promesse d'autres possibles.
* Analogie avec la vie et les conditions dans lesquelles un individu peut découvrir la plénitude.
* L'idée de complexité qui renvoie à l'approche systémique des problèmes.
* Analogie entre le troupeau réglé selon le rythme, les élans de chaque bête et les enfants, en marche vers le même horizon mais empruntant des chemins différenciés favorisant l'autonomie et l'apprentissage du discernement, du choix.
Contraintes et ressources, risques et enjeux, nous sommes au coeur de l'acte éducatif. Et comme cet acte de décision engage notre être, notre responsabilité, le recours à l'expérience des autres, dans son épaisseur humaine et son implication quotidienne peut nous être utile.
Bien sûr, les témoignages sont étroitement dépendants de références sociologiques, institutionnelles, liées à la personnalité des maîtres narrateurs mais, en puisant dans ce ceruset coopératif, on pourra discerner une interrogation voisine, une même question, quelques pistes aidantes à défricher autrement et à proposer à d'autres, en retour.
C'est l'objet de la deuxième partie de ce dossier : "ouvrir des pistes".
L'expérience des autres dans son épaisseur humaine et son implication quotidienne
Parmi les écrits de classe, un projet de l'ordre de l'imprévu
On remarque que ce projet est générateur d'activités authentiques d'expression et de communication grâce à l'attitude attentive, disponible du maître qui a repéré le déclenchement de l'évènement, l'a laissé s'amplifier en orientant, par son choix éthique préalable de faire de sa classe un lieu de vie, le processus de curiosité, d'exaltation, de conquête, de connaissance et une organisation coopérative du travail.
Cette année dans la classe, les enfants n'arrêtent pas d'écrire. Le premier jour de classe en septembre, à la suite d'un échange et de la réflexion d'un enfant, toute la classe s'est engagée dans l'écriture d'une collection de livres qu'ils ont appelée "Mister".
On a affiché au tableau la liste des propositions de chacun. propositions individuelles, à deux, à trois etc... Les filles, comme d'habitude, ont été très "moteur", elles ont publié les trois premiers de la collection : "Mister Hollywood", "Mister Banane", "Mister Méchant". Cela a incité les autres, notamment les garçons, à écrire ce qu'ils avaient prévu et là, débordement d'écrits. Et on aborde ainsi les problèmes de gestion du temps.
Comment corriger tous ces textes ?
Comment faire pour taper tous ces textes ?
Comment trouver le temps pour illustrer tous les livres ?
La première page, la photocopie, la reliure, la diffusion etc...?
Il a fallu discuter en conseil de classe, trouver des moyens et du temps, s'organiser...
Et puis il fallait tenir les contrats car des messages télématiques, des fax, des affiches avaient été écrits et envoyés pour annoncer les modalités pour recevoir ces livres, à l'unité, à l'abonnement,... gratuité pour les correspondants étrangers...
Tout cela s'est décidé en partie lors des conseils de classe.
Ensuite sont arrivés les premiers abonnements, les premiers chèques. Il a donc fallu un responsable des abonnements et des envois.
Juste avant ces vacances, sept autres livres sont terminés. Nous aurons déjà rempli notre contrat puisque l'abonnement était pour dix livres.
Et puis, oh surprise, nous avons reçu de Russie la version traduite de "Mister Banane" en Russe. Elle paraitra dans un journal russe pour les enseignants.
J'ai résumé en quelques lignes des heures de travail. Mais nom d'une pipe ! Que c'est difficile d'expliquer tout ce qui se passe à partir d'un évènement, d'un mot prononcé. Plein de choses m'échappent, je ne contrôle pas toujours, et c'est tant mieux ! Sinon, la vie de la classe s'en irait à peine entrée. Maintenant, je prends conscience de tout ce que je "loupe" ou que je fais "louper" aux enfants par mon attitude. Consciemment ou inconsciemment, je censure.
Tout cela est passé par des phases de plaisir, de "ras le bol", à nouveau de plaisir suivant les étapes. Je crois qu'il est important que les enfants maîtrisent le projet de A à Z pour qu'ils perçoivent bien l'idée de travail. Bien sûr il n'y a pas de règles et cela dépendra du profil du groupe. De toute manière, le produit fini et l'accueil de celui-ci par les autres est tellement gratifiant !
Ce projet était vraîment de l'ordre de l'imprévu, il est devenu presque central à la classe, une pratique de l'écrit parmi tant d'autres : le roman bilingue qu'on écrit avec une classe de Moscou, la correspondance avec la Russie, la Nouvelle Zélande, le recueil sur les vieilles chaussures...* etc.
Voilà l'allure de la classe cette année, étonamment active.
* Nous avons reçu une lettre de Taganrod en Russie, ville sur la Mer Noire, avec une série de textes racontant des histoires de vieilles chaussures. Nous avons décidé de recueillir toutes les histoires de vieilles chaussures que des enfants de France et du monde entier pourraient écrire ; un recueil sera édité et offert gratuitement à toutes les classes participantes.
Christian Lego - Rennes (35)
L'entretien au cycle II
Des occasions, des temps d'expression et de circulation de la parole sont proposés dans les classes coopératives. Ils varient souvent en fonction de l'âge des enfants ou des adolescents, du degré d'attention, de permissivité, de confiance qu'on leur accorde, du désir qu'a le maître de faire émerger cette parole et de lui donner un pouvoir.
"L'entretien au cycle II" est un témoignage parmi d'autres extrêmement variés, mettant en évidence un lieu privilégié pour instituer la communication avec soi et avec les autres et en faire l'apprentissage. D'autres lieux et registres de parole seront abordés au cours de l'année.
A quelques années près, je pense que l'entretien a toujours existé dans ma classe, sous différentes formes selon le niveau ou l'âge des enfants, selon aussi les circonstances. Pour moi, cette pratique est devenue banale, ordinaire, ne nécessitant pas que l'on s'y intéressât de façon privilégiée en tant que "technique de classe".
Le lundi matin, après installation, les enfants souhaitant parler lèvent le doigt et je les inscris au tableau. J'ai établi une grille sur laquelle je note à postériori les enfants qui ont parlé. Cela me permet de veiller à ne pas inscrire toujours les mêmes.
Tour à tour, chaque enfant vient devant ses camarades, donne son information, raconte une anecdote, en une phrase, en général.
Pas évident de prendre la parole devant vingt six paires d'yeux qui vous regardent. En début d'année, les voix ne sont pas très assurées, mais cela s'améliore relativement.
C'est ensuite le jeu des questions. Après chaque intervention, l'enfant qui a parlé donne la parole aux questionneurs. J'aide beaucoup en début d'année, puis de moins en moins.
La formulation des questions, par mon intervention, progresse également. "Où t'étais ?", "T'as bien aimé ?", "Y s'appelait comment ?" deviennent peu à peu "Où étais-tu ?", "As-tu bien aimé ?", "Comment s'appelait-il ?" Bien entendu, les enfants s'attachent à formuler correstement leurs questions à ce moment privilégié parce qu'ils se savent écoutés. Mais à la différence des exercices structuraux répétitifs, cela se déroule dans un contexte naturel. Rien à voir avec les questions à oraliser sur un modèle type. Chaque question est adaptée au récit écouté et correspond à une demande réelle.
A la fin de l'entretien, je demande aux enfants de se souvenir des narrations entendues, dans l'ordre des noms inscrits. Puis, à tour de rôle, on résume par une phrase les dires de chaque orateur.
"Benjamin est allé chez son cousin".
"Le papa de Jérôme est parti à Besançon en camion".
Pour terminer, on cherche un mot (ou un groupe nominal) relatif à chaque récit :
Benjamin ---> son cousin
Jérôme ---> le camion
Des règles de fonctionnement ont été établies dès le début d'année :
- on lève la main si on veut parler
- on ne parle que si on a la parole
- on ne se déplace pas pendant l'entretien
- on peut dessiner (à cet effet, chacun possède un carnet de graphisme où il peut s'essayer au crayon ou au feutre noir).
Le soir, j'établis sur une feuille A4 le résumé des différentes interventions des enfants (quatre par feuille), puis je fais des photocopies. Le lendemain, chaque enfant reçoit donc une ou deux feuilles qui sont lues, relues, illustrées (en classe ou à la maison), puis rangées dans le porte-vues.
Avantages du porte-vues : protection des feuilles, respect de la chronologie sans risque de désordre, faible encombrement.
Ce travail demande, bien sûr, un peu de temps supplémentaire pour l'enseignant. Cependant j'y vois encore des avantages :
- mémoire écrite
- mise en valeur des paroles des enfants
- possibilité de relecture (à la maison, à l'école)
- réinvestissement des écrits dans de nouveaux textes
- lien avec la famille
Michèle Loire. Hellemmes (59)
J'aime raconter aux autres ce que j'ai fait avec mes parents.
Timothée
J'aime l'entretien car j'apprends des choses.
Margot
J'apprends des mots nouveaux : fabrique, Besançon, la Seine...
Mathias
Moi, j'aime entendre ce qu'ont fait les autres enfants. Je me sers des textes d'entretien pour écrire d'autres histoires.
Mathilde
Ouverture sur le milieu : quel travail autour d'une sortie ?
Dans un premier temps, les enfants ont décidé de faire des photos et un film vidéo. Nous avons essayé de recenser les choses intéressantes à photographier et nous avons dressé une liste des clichés avec le nom de ceux qui devraient les prendre. Parallèlement, un questionnaire a été préparé, chacun devant poser une question (encart 1).
Durant la visite, les mots "centrifugeuse" et "décantation" furent utilisés par le moulinier. Notre guide donna une explication sur la séparation des "margines" (eau) et de l'huile, en supposant que les enfants savaient que l'huile flottait sur l'eau de par sa densité plus faible.
Ces concepts étaient trop difficiles à comprendre pour les enfants. Dès le retour, je cherchai donc des fiches correspondant à ces notions. pendant ce temps, les enfants se mirent à dessiner, écrire des textes et faire des commentaires enregistrés sur cassette audio. Les images vidéo, la cassette audio, complétées bientôt par les photos et les dessins représentent autant de traces permettant de retrouver des informations en trop grande quantité pour être assimilées le jour de la visite. Toutes ces traces permettent de revivre l'évènement afin de mieux le mémoriser. Il s'établit alors une interaction entre les différents supports permettant d'élaborer un compte-rendu détaillé de la sortie. Les textes s'enrichissent des traces remises en mémoire, les commentaires s'enrichissent du travail de discussion et de rédaction des textes. Ces commentaires d'images enregistrées sur cassette audio sont ensuite utilisés pour faire la bande son du montage d'images réalisées lors de la sortie.
Le travail continue dans plusieurs directions.
Les enfants choisissent des musiques lors de séances d'écoute musicale. On peut dire que ce travail les motive particulièrement, car ils sont attentifs et choisissent en général des musiques bien adaptées. Ces images vidéo sont ensuite envoyées à nos correspondants.
Le même travail écrit est réalisé de façon beaucoup plus sommaire en anglais à destination de la Suède. Ils nous enverront aussi des images, ce qui compense le fait que nous ne puissions pas les rencontrer.
Les textes, le questionnaire, les dessins et les photos servent à l'élaboration de pages de compte-rendu pour le journal et un album documentaire (encadré 2). Une élève a écrit un texte pour le réseau télématique à propos de l'huile d'olive. Deux classes ont répondu que chez elles on faisait l'huile avec des noisettes et les noix ou avec les fleurs de colza. Un nouveau message est parti pour demander ce qu'est le colza et si possible de nous en envoyer. La réponse précisait qu'il fallait attendre le printemps pour avoir des fleurs de colza.
Les questionnaires ont permis de travailler la forme interrogative.
Par la suite, je proposai aux enfants volontaires des expériences autour de la force centrifuge et de la décantation. Les expériences sur la force centrifuge déclenchèrent un engouement important chez les enfants. Plus tard, lors d'une visite avec nos correspondants à la fabrique de chocolats et de nougats de Solliès-Pont, j'ai pu constater que les enfants avaient bien intégré le concept de force centrifuge...
Florence Saint Luc. Solliès-Pont (83)
Andrew et Jordan ont fait une expérience, je vais vous la raconter. Ils ont pris un seau et ils l'ont fait tourner très vite, et l'eau n'est pas tombée. Ca s'appelle la force centrifuge. L'eau va au fond du seau quand on tourne très vite.
Floriane
Les bassins de décantation
Pour faire l'eau boueuse, il faut prendre un pot et mettre de la terre et de l'eau. On mélange, ça fait de l'eau boueuse, de l'eau marron. Quand la terre tombe au fond, on dit que ça se décante. C'est pareil dans les bassins de décantation. A la coopérative oléicole, dans les bassins de décantation, les petits morceaux de pulpe tombent au fond.
Jennifer
Questionnaire (extraits)
David : comment fait-on l'huile d'olive ?
Les olives sont pesées dans des caisses appelées palox. Il faut une machine qui fait monter les olives (le tapis roulant) dans la laveuse. Après, ça va dans une machine qui sépare la pulpe et le noyau de l'olise. C'est une dénoyauteuse. La pâte d'olive est pressée dans l'extracteur pour donner du jus d'olive qui va dans le bassin collecteur. La centrifugeuse sépare l'huile de l'eau. L'huile va dans les bassins de décantation pour que les impuretés tombent au fond. Elle passe dans un filtre et va dans les cuves. On fait brûler les noyaux, et ça sert de chauffage.
Kévin : avec quelles sortes d'olives peut-on faire de l'huile ?
Avec toutes sortes d'olives, mais certaines ont un meilleur rendement, c'est à dire qu'elles donnent un peu plus d'huile.
Andrew : Qu'est-ce qu'on fait avec la pulpe d'olive après avoir extrait l'huile ?
La pulpe est répandue (jetée) dans les champs pour assouplir la terre.
Roxane : A partir de l'olive, quels produits peuvent être fabriqués ?
De l'huile, des savons, des gâteaux, des produits diététiques, des médicaments.
Grégory : Les oliviers ont-ils des maladies ?
Oui, la fumagine. C'est l'olivier qui devient noir. La maladie de la mouche donne des vers dans les olives. Il y a trois traitements par an pour éviter ça.
L'"histoire de la semaine" en maternelle...
... ou comment créer quelques conditions favorables, matérielles et psychologiques pour que, très tôt, les enfants ressentent le plaisir et le désir de lire, pour instaurer aussi le dialogue indispensable avec les parents, élément déterminant dans la réussite de l'apprentissage du Lire-écrire.
Une classe de tout petits.
Depuis le rentrée de septembre, je raconte une même histoire tous les matins et les après-midi. Ce qui permet à certains enfants de l'écouter jusqu'à huit fois dans la semaine.
Dans le coin regroupement, en leur montrant les images, je lis le texte en essayant d'y mettre le ton. L'histoire dure quelques minutes.
Les vendredis matins, après la lecture de l'histoire de la semaine, tous les enfants en même temps la dessinent. Je leur demande de dessiner un ou plusieurs personnages. Ces dessins seront regroupés en fin d'année dans un cahier que les enfants emporteront chez eux.
A partir du mois de novembre, j'ai installé sur la porte vitrée d'entrée de la classe un panneau où est inscrit : "l'histoire de la semaine". Et dessous, je colle, chaque semaine, la photocopie du livre concerné. Chaque fin de semaine, je range la photocopie du livre lu dans un classeur qui se trouve en permanence dans la bibliothèque de la classe.
A partir du mois d'avril (beaucoup trop tard dans l'année !) j'ai mis en place un système de prêt des histoires de la semaine. Chaque vendredi, des enfants rentrent chez eux avec, dans un sac en tissu, une histoire de la semaine.
Des fiches, où se trouve collée la photocopie du livre grandeur nature, permettent de savoir en y collant un prénom, qui a emprunté le livre. Sur le sac est cousu un mot pour les parents. Le texte est court (nous avons une majorité de familles turques et magrébines) : il explique que le livre doit être rapporté le lundi qui suit et incite les parents à le lire à leurs enfants.
Une bonne quinzaine de livres est disponible actuellement. Les enfants ont la liberté du choix du livre.
L'écoute des enfants, lorsque je raconte une histoire, est bien meilleure qu'en début d'année.
Plus la semaine avance et plus les enfants anticipent sur la suite de l'histoire.
Le classeur où se trouvent les couvertures est très souvent feuilleté.
Les livres les plus ouverts sont en grande majorité les livres de la semaine. Comme le sont les livres qu'on me demande de lire dans la bibliothèque lors de l'accueil du matin.
Depuis un mois, quelques enfants remarquent que le lundi la couverture affichée a changé.
Nombreux sont ceux qui sont capables de me "lire" un titre lorsque je montre un livre de la semaine.
Quelques enfants peuvent retrouver dans la bibliothèque un livre de la semaine dont je leur donne le titre.
Il y a maintenant dans la classe des best-seller.
J'ai mis en place le prêt de livres pour sensibiliser les parents à la place importante que peut avoir le livre dans l'univers de 2/3 ans. Pour l'instant, tous les livres ont été rapportés. Des parents ont parfois demandé de le garder un jour de plus car ils n'avaient pas eu le temps de le lire. Deux mères ont été surprises de constater que leur enfant connaissait le texte presque par coeur. De plus en plus, lors de la sortie, les parents s'attardent pour regarder quel est exactement le livre.
Pour conclure, je dirai que s'est créé dans la classe un patrimoine livresque. Et de voir Zyad prendre "A ton avis" Ed "L'école des loisirs" au moins une fois par jour, et cela pendant près d'un mois, me fait penser que cet enfant doit véritablement y trouver du plaisir.
Et les maîtres mots chez les petits ne sont-ils pas plaisir et désir ?
Pascal Marie (69)
L'album, une variante
Le point de départ
Le point de départ d'un album en classe (à la maison également, d'ailleurs), c'est souvent l'envie de parler de quelque chose préoccupant ou concernant un ou des enfants, un fait vécu ou remarqué, un objet familier personnel ou familial ou plus "extérieur" (presse, revue, document...) qui a retenu l'attention, un jeu, une production textuelle, plastique ou autre.
Cet évènement est alors commenté, présenté, offert peut-on dire au groupe ou à l'enseignant. Si le groupe accueille, reçoit cette parole, cette production, il est important de le considérer avec intérêt comme objet éventuel de travail donc d'apprentissage.
L'album en classe peut aussi survenir après un "évènement forcé" comme une sortie, une enquête pour un album de français, histoire etc...
Quelques-uns des thèmes sujets d'albums réalisés en classe, durant la moitié de l'année.
La Tunisie, à partir d'une carte postale ramenée de la maison.
L'Afrique, à partir d'un collier "Masaï" ramené en surprise à l'entretien du matin.
Ma famille joue de la musique, à partir d'une lettre aux correspondants.
Géométrie, tracés de figures décoratives, à partir d'un livret de géométrie de la classe.
Mes chiens, à partir d'une photo amenée en classe un matin.
La grossesse et la naissance, à partir de la naissance d'un petit frère, racontée à l'entretien.
Le Maroc, à partir d'une présentation du pays d'origine d'un enfant.
Des outils de la préhistoire, à partir d'un objet "bizarre" en silex améné par un père d'élève.
Il y en a bien d'autres : les abeilles, le poignet cassé, le voyage à Bellewaerde, La Nouvelle Calédonie, le cacao, l'esclavage en Afrique, la vie de mon Grand Père dans les mines de charbon, le vélo, je me promène à Lille, le musée d'Histoire Naturelle, un voyage en Hollande, les bébés, A Paris, mon père est informaticien, devinette mathématique etc...
Des types de démarches plurielles
Nous observons souvent au départ des types de démarches plurielles (qui s'entrecroisent par ailleurs) de la part des élèves :
- cela va intéresser mon correspondant : souhait de communication différée.
- cela va intéresser les autres enfants de la clase, l'enseignant (!) : souhait de communication directe et aussi souvent de reconnaissance symbolique dans le groupe. C'est une autre façon de dire "Bonjour, je suis là" aux autres dans le cadre scolaire.
- cela va m'intéresser, me faire plaisir : démarche plus personnelle ?
Un cadre espace-temps
L'idée apparait donc et le sujet est présenté à tous dans un cadre espace-temps qui doit être bien défini. En communication, à partir des conceptions initiales des enfants, des vérifications, expérimentations, confrontations des points de vue avec les autres élèves et l'enseignant se mettent en place. Les recherches tantôt individuelles, tantôt collectives s'organisent, la production, l'écriture, la mise en page et l'illustration... démarrent.
Mise en place progressive d'une structure coopérative
"L'organisation doit être au service de la vie et du travail, et non le travail et la vie génés et dominés par l'organisation." C. Freinet
La structure coopérative de la classe qui va progressivement se mettre en place doit permettre à chaque enfant d'exister dans le groupe, de présenter son travail aux autres, de poser des problèmes, de solliciter des aides. Il est important de souligner ici que les structures coopératives de transferts de savoirs, de production etc... ne sont amenés qu"au fur et à mesure des besoins.
Des moments de synthèse
Après une heure, une demi-journée, une semaine de travail personnel sur les albums, les moments de synthèses collectives sont très utiles pour relancer les recherches ou poser de nouvelles questions. Ces moments de synthèse où l'on doit s'assurer de l'écoute et du respect mutuel forment des instants de reconnaissance par étapes des travaux menés. Par étape il est souvent difficile d'approfondir un sujet, de se mettre à la place de l'autre (le récepteur : correspondants ou la classe). L'explicitation de sa démarche de recherche sur un sujet n'est pas aisée non plus. Une "décentration" est nécessaire pour faire passer son message, pour se faire comprendre.
Raconter à ses pairs d'âge évite en même temps les "écarts de compréhension" et les difficultés d'explication à des personnes éloignées de sa propre zône proche de développement.
La part du maître
La part du maître est encore ici très importante. C'est lui qui va inciter chaque enfant à aller plus loin, à dépasser le descriptif, à écrire davantage ou à soigner sa présention selon les cas. L'enseignant va encore pouvoir, avec l'aide du groupe classe, mettre en relation les différents savoirs individuels et collectifs en rapport avec le sujet traité tout d'abord et les concepts sous-jacents ensuite.
La coopération pour apprendre
La pratique de l'album crée des situations impliquantes et motivantes pour l'enfant qui reste "au coeur du processus d'apprentissage". La réussite dépend aussi assez souvent des aller-retour fréquents entre individu et groupe, travail personnel et travail collectif, recours aux personnes, outils de type fichire, documents... On met alors en relation au moins trois "niveaux de culture" (non hiérarchisés) :
- la culture personnelle, fruit d'interrelations familiales, affectives, sociales antérieures.
- la culture du groupe constitué, de la classe comme entité provisoire.
- la culture extérieure, "normée", de la société, des adultes dont l'enseignant est le plus souvent le véhicule.
La multiplicité des interactions sociales comme les conflits socio-cognitifs, les entraides, les enseignements mutuels, les contrôles et les explications de l'autre favorisent la construction d'apprentissages de plus en plus élaborés.
Sylvain Hannebique Lille (59)
Album mathématique à départ individuel
En rentrant en classe, Aurore demande à une de ses camarades Hélène et à moi :
"Combien font 2 et 3 ?"
Hélène répond :
"Ca fait 5 !
- non, ça fait 23."
Je lui réponds :
"Ca pourrait aussi faire 6 ou 32 ou d'autres nombres.
- Ah oui, je vais essayer."
Je propose alors à Aurore d'écrire ce qu'elle nous a dit puis de venir l'exposer au groupe ou à Hélène et à moi.
Voici le début de la recherche (1).
Elle revient assez vite me voir, me montre son travail. Je lui demande si elle n'aurait pas pu trouver d'autres réponses encore. En voyant la machine à calculer sur mon bureau, elle me propose l'écrit suivant (2).
Je continue car elle est maintenant "accrochée" à la recherche. Je lui propose de voir avec Hélène comment continuer. Hélène lui suggère de placer les résultats dans un tableau pour pouvoir "montrer aux autres". Voici le travail réalisé en troisième étape, qu'Aurore me montre avant de passer devant le groupe (3).
La classe reçoit le travail d'Aurore qui réussit à accrocher les élèves au moins parce que la devinette plait. Le groupe, à la lecture du tableau, questionne et demande pourquoi elle n'a mis qu'une fois les lois + et X et au contraire deux fois les lois - et :
Aurore explique que les résultats sont identiques pour 2+3 et 3+2 ainsi que pour 2X3 et 3X2.
Aurore propose ensuite à tous quelques "défis" qui sont préparés (4).
Les recherches de toute la classe butent sur les nombres négatifs qu'Aurore avait précédemment découverts. J'interviens pour une première synthèse, un premier arrêt-mémoire du travail. J'écris les remarques concernant la commutativité des lois internes + et X. Les enfants transfèrent d'ailleurs assez vite leurs acquis antérieurs (5).
Remarques et rappels de la classe sur les tables + et X qui sont symétriques alors que ce n'est pas vrai pour - et : fusent. Le groupe note quelques exemples et conclusions de la recherche d'Aurore qui elle continuera sa recherche sur un domaine non prévu au départ : les nombres relatifs et les distances (approche du calcul de la norme d'un vecteur).
Voir dans le (6) l'approche avec les ascenseurs...
Le résultat de ce travail sera adressé aux correspondants et gardé en mémoire dans l'album de vie de la classe.
Sylvain Hannebique
Et si on faisait de la biologie en anglais ?
Le témoignage qui suit (2) ouvre la piste de l'interdisciplinarité au collège, dans sa quotidienneté, pour créer des motivations d'apprentissages plus authentiques en enracinant une discipline dans une autre, en répondant mieux aux besoins et désirs des jeunes. C'est aussi l'ouverture vers une plus grande cohérence des attitudes professorales vis à vis des apprentissages et une approche éducative des contenus un peu plus fondée sur la créativité des individus et des groupes.
En collège et en lycée, le rôle du professeur de langue est à mon sens de donner aux élèves la possibilité de communiquer en langue cible, de s'approprier un outil, un instrument de travail, non d'en faire de futurs agrégés. Laissons à l'université cette tâche pour les élèves les plus motivés, ceux qui choisiront d'approfondir leur connaissance de la langue et de la culture considérées.
Pour atteindre ce premier objectif, il sera souhaitable de mettre le plus rapidement possible les élèves en situation de communication authentique. Et la télématique viendra à point nommé pour permettre de les faire communiquer avec d'autres, voire même, comme dans l'exemple suivant, avec des sommités internationales.
Ce dimanche 19 septembre 1993, je trouve donc sur ma boite électronique une invitation à participer le 21 - soit à peine deux jours plus tard - à une rencontre virtuelle (virtual visit) au Tarzana Medical Center, Califormie, avec le Docteur Paul Berg, Prix Nobel de biochimie. Joints une biographie du Dr Berg et un court résumé de ses travaux sur les gènes et maladies génétiques.
Le lendemain, je demande à mes collègues de sciences naturelles si l'opération les intéresse. Elles acceptent immédiatement. Profitant de deux heures de cours qui ne peuvent mieux tomber, nous commençons avec des troisièmes à travailler le message, photocopié en trente exemplaires, sur le Dr Berg et ses travaux. Leur professeur de sciences naturelles, justement libre en deuxième heure, leur fait une courte présentation des gènes et maladies génétiques. Nous sommes en début d'année et cette partie du programme n'a pas encore été abordée. Je liste au fur et à mesure au tableau, en anglais, le vocabulaire scientifique, heureusement souvent transparent, qu'elle utilise. Nous abordons toutes deux ensuite et dans les deux langues les questions que les élèves se posent et souhaitent soumettre au Dr Breg. Certaines tout à fait intéressantes, du genre :
- peut-on corriger les gènes ?
- Est-il possible d'en extraire un d'une cellule ?
- Peut-on en créer en en implanter un qui fonctionne comme un gène d'origine ?
- toutes les maladies génétiques seront-elles un jour guéries ?
- peut-on clôner humains ou animaux comme dans "Jurassic Park ?" etc...
Nous envoyons ces questions en français et en anglais, ce qui n'a pas d'intérêt particulier dans le cas qui nous occupe, mais qui est un peu une coutume sur notre réseau. N'oublions pas que, via EUROSESAME, nous sommes sur un réseau international. Nous y envoyons nos messages dans notre langue maternelle en même temps que dans une langue étrangère. Ceci autant pour intéresser un maximum d'élèves du réseau que pour rendre conscients les nôtres de la diversité des langues européennes et de l'intérêt de s'en approprier plusieurs.
Dès le lundi soir nos questions attendent le Dr Berg. L'envoi a pris moins de deux minutes et a coûté à peu près un franc, soit moins cher qu'un envoi postal qui aurait mis environ trois jours pour parvenir à son destinataire.
Le vendredi, nous avons les réponses. En fait, nous aurions pu les avoir le mercredi matin. Ce qui a pris du temps étant de faire en Californie la synthèse de cette rencontre virtuelle avant de l'envoyer sur les élèves.
Sur les photocopies de la réponse du Dr Berg, c'est dans la semaine même que les élèves travailleront les réponses à leurs questions. L'intérêt toujours au plus vif n'a pas eu le temps de tomber et ils ont, je crois, vraiment réalisé à cette occasion l'intérêt de ce mode de communication. Ils ont même reçu ensuite des U.S.A un petit message de remerciement pour leur participation dont ils furent très fiers. Pareille valorisation constituant, je crois, un point important...
... En Avril, quand nous sommes allés à Caen avec les correspondants américains pour visiter le Mémorial de la Paix, ils n'en revenaient pas de lire le nom du Dr Breg dans le hall des Prix Nobel. Ainsi c'était bien vrai ! Ils avaient communiqué en anglais avec un Prix Nobel et acquis des compétences en biologie pour lesquelles l'apprentissage d'une langue étrangère avait servi d'outil.
Françoise Kerneis. Nantes (44)
Pourquoi faut-il ouvrir des pistes ?
Remarques et réflexions générales
On pourrait multiplier les témoignages si le nombre de pages le permettait tant sont grandes la profusion et l'hétérogénéité des documents issus du quotidien des classes ouvertes au besoin vital pour les enfants et les adolescents de s'exprimer, de communiquer, d'expérimenter, d'apprendre à maîtriser le monde qui les entoure, d'acquérir du pouvoir.
Mais l'objectif de ce dossier restreint n'est que de susciter des désirs chez les enseignants, de parier sur des tentatives de mises en marche, d'appeler aussi le lecteur averti à des confrontations, des prolongements pour un autre dossier que nous envisageons sur le thème "aller en profondeur". Toutefois, il nous a semblé utile de prolonger cette partie centrale centrée sur l'expérience des autres par quelques remarques et réflexions plus générales sur le "pourquoi faut-il ouvrir des pistes ?"
La première évidence est de ne pas limiter "l'ouverture des pistes" au début d'année, ni au début de la journée, dans un entretien coopératif pour élaborer des projets quelquefois lourds à assumer, mais aussi de saisir le spontané à tout instant de l'activité d'un individu ou d'un groupe. Cette permissivité ne sera pas un éparpillement stérile si l'on a à coeur de l'étayer avec rigueur.
D'autres évidences, plus théoriques, soutiennent la nécessité fonctionnelle d'ouvrir des pistes. Nous en retiendrons trois types.
- Ouvrir des pistes, c'est permettre le fonctionnement d'un régime divergent dans le groupe classe ; à partir d'une situation présente, favoriser les explorations différentes, divergentes, les combinaisons d'idées répond à la fois à des sensibilités diverses et à la découverte de la complexité des situations souvent polyconceptuelles. C'est permettre ainsi les mêmes apprentissages fonctionnels, les mêmes opérations mentales (on apprend à lire, écrire, compter, conjecturer, induire, déduire... à tout propos), le développement des mêmes modes de pensée bien que les situations soient différentes.
- ouvrir des pistes, c'est aussi favoriser l'émergence et l'enrichissement donc l'évolution des représentations mentales de chacun ; c'est donc prendre en compte chaque personnalité, là où elle en est, avec ses intérêts intrinsèques. C'est développer une différenciation naturelle. Chaque individu, explorant des chemins différents, a plus de chance d'approcher des notiuons auxquelles il est plus sensible, de saisir l'information par divers canaux personnels qui augmenteront l'efficience.
- ouvrir des pistes, c'est favoriser une conceptualisation plus naturelle. En effet, contrairement à une construction conceptuelle linéaire, par une seule voie, imposée à tous, dans une pédagogie directive, les explorations diversifiées, personnalisées de situations différentes, voisines, similaires, facilitent la construction des attributs ou caractéristiques d'un concept qui, par comparaison, association, diversification, amènent à l'abstraction de celui-ci. C'est ainsi rendre les apprentissages signifiants en reliant les nouvelles informations à celles déjà connues par l'individu, en facilitant les inter-relations pour "faire du sens", en favorisant réinvestissements en transferts.
Nous souhaitons enfin revenir sur la part aidante du maître à toujours apprendre à donner quand on choit de proposer aux jeunes des techniques d'expression libre et de communication, favorisant l'autonomie et l'épanouissement de la personnalité.
Voici, sur ce thème, les points clés d'un débat du Groupe départemental ICEM des Bouches du Rhône qui nous paraissent fort utiles et féconds.
La part du maître : quelques repères
Pour l'adulte, l'expression libre est aussi un point de départ qui lui permet de bâtir son action éducative sur le réel.
Elle crée un courant qu'il peut rendre puissant, productif en produisant des outils, les techniques et le milieu nécessaires, en créant l'espace. Si nous reconnaissons aux enfants et adolescents le droit de choisir leurs activités en fonction de leurs intérêts et de leur plaisir, il n'est pas question, sous prétexte de non directivité et de respect de la nature, d'abandonner les jeunes aux seules stimulations de leur environnement.
Il est donc nécessaire d'organiser l'espace éducatif pour le plus de richesses possibles. L'enfant doit pouvoir expérimenter tous les moyens d'expression ; multiplions donc les champs d'expression, multiplions donc les coins ateliers.
La part du maître, c'est aussi créer l'écoute et le respect des autres. Il est indispensable d'accueillir ce que l'enfant exprime, même maladroitement, en n'imposant pas sa propre conception de la "beauté", mais plutôt en valorisant le "nouveau". Il est évident que la création n'est pas automatiquement aboutie dès qu'elle sort de la tête du créateur, à plus forte raison lorsque le créateur est un enfant.
L'adulte doit aussi servir de médiateur entre le groupe et l'enfant : il favorise le dialogue, la critique positive qui permettra justement une évolution de la création, un approfondissement, un dépassement.
L'adulte ne doit pas non plus censurer ce qu'il n'aime pas entendre, mais il est parfois nécessaire de définir le domaine et les limites de la communication de cette expression : certaines choses peuvent se dire, s'écrire, se jouer au sein du groupe mais pas en dehors.
Trop d'adultes pensent que pour s'exprimer, il faut d'abord connaître les règles : ce qui fait que l'expression disparaît très vite sous l'ennui des apprentissages préalables imposés. L'élan personnel est tué au profit d'une technique rodée mais dépourvue de vie.
Ne pas imposer de sujet ou de thème : la création se nourrit de tout l'environnement mais doit trouver son propre cheminement. Ce qui n'exclut pas que c'est rester libre que de pouvoir choisir momentanément ses modèles, assimiler ce qui peut être utile à son expérience et se débarrasser de ces modèles quand on le veut (c'est la valeur de l'exemple).
Certaines techniques sont parfois nécessaires pour franchir un palier de l'expression ; il faut parfois les apporter pour que l'enfant acquiert une plus grande maîtrise, mais lorsqu'il en fait la demande ou lorsque l'adulte en sent la nécessité pour cet enfant là et à ce moment là de son projet.
Et c'est toute la difficulté de cette part du maître : quand donner le coup de pouce ?
Question jamais totalement résolue !
Pour des enfants que l'éducation a bloqués, il sera parfois nécessaire de proposer des techniques plus stimulantes qui permettront rapidement un début de réussite. Mais il faut toujours garder à l'esprit que le processus de création est au moins aussi important que le produit final.
C.R de Liliane Corre (13)
Conclusion
Ouvrir des pistes donc, au fur et à mesure des jours, en tenant compte de notre disponibilité intérieure, du contexte plus ou moins facilitateur, des ressources des enfants et des adolescents qui sont multiples, même si elles sont un peu enfouies ou prennent des allures de faux-semblant au départ.
Parier de plus en plus sur le spontané mobilisateur, enthousiasmant qui aiguise, dans l'instant l'attention, la curiosité, le goût du dépassement.
Savoir donc s'arrêter sur le chemin, bifurquer le temps d'assouvir un questionnement personnel ou collectif.
Laisser des traces de ces cheminements originaux en les valorisant.
Se dire aussi que chacun, maître ou élève, avance en fonction de sa personne, qu'une panoplie de techniques et d'outils médiateurs, de documents, d'analyses de dispositifs et dedémarches peuvent être des recours aidants.
Dans la grande variabilité des parcours d'apprentissage, "on chemine sans qu'il y ait de chemin, le chemin se fait en avançant". (A. Pachado)
Dossier réalisé par J. Lèmery
Repères bibliographiques
(1) Olivier Reboul Les valeurs de l'éducation PUF sept 1992
(2) Communication à l'Université d'été "Ecrit, Ecran, Ecole" coorganisée par Ouest France et les secteurs télématiques de l'ICEM - Pédagogie Freinet et de l'INRP IUFM des Pays de Loire. Août 94
- Dans les Oeuvres pédagogiques de Célestin Freinet Seuil 1994 :
* Les Dits de Mathieu (1954) Tome 2
* L'éducation du travail (1942/43) Tome 1
- La Pédagogie Freinet : mises à jour et perspectives P. Universitaires Bordeaux (mars 1994)
- Pour ouvrir des pistes : les dossiers du Nouvel Educateur (PEMF)
Réhabiliter le texte libre (n° 61 et 62 de sept et octobre 1994)
La correspondance (n° 63 nov. 1994)
Le journal scolaire (n°66 et 67 de février et mars 1995)
L'enfant expérimentateur (février 1966 et n° 69 et 70 de mai et juin 1995)
S.D.L, bulletin du secteur second degré de l'ICEM. Chez C. Mazurie, 41 rue J. Duclos 33270 Floirac
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