Raccourci vers le contenu principal de la page

La cor­respondance sco­laire

Dans :  Principes pédagogiques › communication › 
Septembre 1995
Nous avons choisi, pour le premier numéro de l'année scolaire du Nouvel Educateur, en cette période impor­tante où tout se met en place, de pu­blier ce texte qui rappelle à propos toute la valeur pédagogique de la correspondance scolaire, mais aussi ses lois fondamentales qui doivent être respectées si l'on veut qu'elle tienne ses promesses...
Il s'agit d' une synthèse qui est le résultat d'une année scolaire de ré­flexions et de rencontres dans les classes, menées par le groupe dépar­temental ICEM 59. Son but est de pro­poser une théorisation de la corres­pondance scolaire et l'implication que cela entraîne sur les démarches.
 
 
Précisons tout de suite que la cor­respondance scolaire est une entrée en pédagogie Freinet. Si ce n'est pas la seule, elle est un excellent moyen pour l'aborder.
Quelles sont donc les caractéris­tiques essentielles de la correspon­dance scolaire ? Nous en avons dis­tingué huit. Les quatre premières présentent plutôt la correspondance sur le fond (pourquoi ?) tandis que les quatre suivantes concernent da­vantage la forme (comment ?) et pro­posent quelques pistes d'organisation.
 
Pourquoi la cor­respondance ?
 
La correspondance scolaire est une technique qui per­met avant tout à l'enfant de s'exprimer et de communiquer.
 
 Elle n'est donc pas une activité im­posée à un moment de l'emploi du temps et à une fréquence estimée par l'instituteur, mais un moyen pour en­trer en relation avec des camarades de son âge. Pour leur dire, leur écrire, leur envoyer sous toutes formes des témoignages de ses activi­tés, de sa vie, mais aussi pour jume­ler des points de vue, des idées...
Pour certains enfants, "avoir un cor­respondant personnel" est particuliè­rement important : c'est l'assurance, pour ces enfants souffrant de l'indifférence ou même de l'hostilité de leurs parents, d'un regard ami posé sur eux."(1)
 
 
 
Mais, même dans un milieu accueil­lant, l'enfant souhaite ce regard ami avec lequel il va pouvoir partager ce qui le touche : une joie, une peine, une naissance, un décès...
D'autre part, pour le correspondant, seule existe la lettre, son contenu, le dessin... mais vis à vis de l'extérieur, il n'y a pas de marquage particulier du type cancre ou chou­chou de l'enseignant ou enfant ayant tel ou tel travers... et en cela cette forme d'expression et de commu­nication est tout à fait particu­lière.
C. Freinet affirmait en ces termes l'importance de la communication :
"Nous cultiverons avant tout ce désir inné chez l'enfant de communiquer avec d'autres persones, avec d'autres enfants, surtout de faire connaître autour de lui ses pensées, ses senti­ments, ses rêves, ses espoirs. Alors, apprendre à lire, à écrire, se fami­liariser avec l'essentiel de ce que nous appelons la culture sera pour lui une fonction aussi naturelle que d'apprendre à marcher."
Si on en est convaincu, il est cer­tainement nécessaire que, tous les jours, l'enfant ait un moment où il puisse exprimer toute sa personna­lité, où il puisse faire aboutir le projet qu'il s'est construit afin de le communiquer... et donc où il puisse préparer son envoi au corres­pondant. Cela ne veut pas dire qu'il le fera tous les jours, simplement il en aura la possibilité.
 
La correspondance est un acte au­thentique qui donne du sens à nos activités, les fonctionnalise et les socialise.
 
Pour faire prendre conscience à une classe, à des enfants de l'authenticité de cet acte, le fait d'aller à la poste peut s'avérer par­ticulièrement révélateur. Il s'agit alors en même temps de repérer un lieu institutionnel (surtout en ma­ternelle, où cela peut être carrément une découverte).
De plus, la correspondance scolaire suscite l'intérêt et donne du sens à ce qu'on fait. Voici ce qu'en dit une enfant du CM2 :
"Moi, ce qui m'intéresse dans la cor­respondance, c'est de savoir qu'il y a quelqu'un que je ne connais pas mais que je connais quand même, qui vit là- bas, sur un point de la carte de France.
Et puis après, je vais aller le voir : c'est drôle tout ça !"
La correspondance scolaire a donc un rôle d'ouverture...
"Les échanges élargissent son champ visuel si l'on peut dire, ils invi­tent à une ouverture d'esprit. L'enfant prend tout à coup conscience qu'il existe d'autres façons de vivre : "ils mangent ceci et comme cela !" Comparaison de vies quotidiennes : jeux, loisirs, alimentation, habitat, école, habillement, équipement..." (1)
Mieux qu'une leçon d'éducation ci­vique...
"Nous sommes persuadés que la multi­plication des échanges, favorisant la connaissance des autres, permettant de comprendre leurs mentalités, est un moyen de faire prendre conscience des valeurs que nous voulons faire passer : tolérance, respect des dif­férences, acceptation d'autres modes de vie, création de liens affectifs en acceptant les autres tels qu'ils sont..." (1)
 
Parce qu'elle est authentique, qu'elle part du vécu, la corres­pondance scolaire suscite le désir d'apprendre natu­rellement.
 
A partir du moment où la correspon­dance permet une expression réelle et la communication, à partir du moment où les enfants prennent conscience que c'est un acte authentique, elle suscite alors le désir d'apprendre. Ainsi, l'an passé, lors d'une confé­rence sur les apprentissages et la coopération, nous montrions comment il ne peut y avoir travail hors contexte vers une conceptualisation, que s'il y a auparavant expression et communication. Et pour illustrer cela, je pense à Kamel, un enfant très inhibé qui avait d'énormes dif­ficultés à aligner quelques mots.
J'ai cette image de Kamel qui cherche par tous les moyens à écrire à son correspondant (c'est ce à quoi il a le plus vite accroché), et pourtant quelle énergie déployée : recherche dans ses textes, aide demandée aux copains..! Au départ pour communiquer quelque-chose, mais à l'arrivée tout simplement pour écrire.
La correspondance scolaire favorise l'apprentissage naturel en permettant de s'ouvrir sur le monde extérieur. Elle favorise ainsi un processus de recherche, de questionnement et donc à terme d'apprentissage.
Mais elle permet également d'avoir un regard neuf sur notre propre milieu, comme le précise si bien le para­graphe qui suit :
"Nous croyons, bien à tort souvent, connaître notre cadre de vie, mais les questions parfois naïves des cor­respondants nous montrent à quel point nous ignorons ce qui nous en­toure et cela nous amène à étudier des problèmes que nous ne nous étions jamais posés. D'où vient l'eau de nos robinets ? Pourquoi y a-t-il tant de parents cheminots dans le quartier ? Que signifie tel nom de rue ? Pour­quoi telle coutume bizarre ?" (1)
C'est ainsi que dans la classe d'un collègue, les enfants ont été amenés à envoyer des photos de leur école. A côté de celle-ci, il y a un château d'eau, tellement intégré dans le dé­cor pour les enfants de l'école qu'aucun d'eux ne le remarquait plus. Il a fallu les questions des corres­pondants à propos d'"une tour qu'on distingue derrière l'école" pour être amené à se demander pourquoi il y avait là un château d'eau, à quoi il servait. Ce phénomène de décentration est très bien évoqué dans le para­graphe ci-dessous :
"Parce qu'il a besoin de les décrire, l'enfant prend conscience de ses conditions de vie personnelle, de la vie de son village ou de son quar­tier, de sa province même. Il dé­couvre le travail de ses parents, des ouvriers de la région, les circuits commerciaux... Alors qu'il vivait trop près des choses, voilà qu'il prend de la distance pour mieux les pénétrer, établir des relations." (1)
On peut rappeler ici tout l'intérêt et le décalage apporté par la corres­pondance internationale.
Exemple : des lavabos et de l'eau ac­cessibles en plusieurs endroits de la maison en France. Au Sénégal, un point d'eau à l'extérieur pout tout le village.
Il peut être intéressant, en France, de correspondre avec des enfants dont la réalité est différente de la nôtre (ville-campagne, culture étrangère-française, milieu social différent).
 
La correspondance scolaire nécessite et génère en même temps un certain climat d'accueil, d'écoute et de to­lérance que la co­opération et l'interaction entre les indivi­dus de la classe favorisent.
 
L'an passé, à propos de la coopéra­tion, voici les propos que nous te­nions. Ceci est d'ailleurs vrai d'une manière générale pour toute activité, tout apprentissage et donc particu­lièrement pour la correspondance sco­laire.
"L'écoute et la tolérance :
La classe doit être un lieu de débat, d'écoute et de tolérance. Tout doit pouvoir y être dit, à condition que l'intégrité physique et morale de chacun soit préservée.
Si l'on veut que le débat puisse avoir lieu, il est nécessaire que les rapports d'autorité d'adulte à enfant y soient proscrits au bénéfice de la construction de la règle et du dia­logue.
Ainsi chaque enfant pourra s'exprimer, contester, émettre ses doutes sans peur de la sanction, de la note, du rire, de la moquerie."
Ceci dit, nous pouvons préciser que la correspondance scolaire favorise l'initiative d'un enfant ou d'un groupe d'enfants qui veulent mener à bien leur projet. Or, dans cette lo­gique, pour nous, il est nécessaire qu'il y ait un regard du groupe classe à qui l'on communique donc la teneur de son travail. Il s'ensuit alors un temps de critique et de pro­position, puis de décision concernant ce qui a été présenté.
Il s'agit donc rarement (voire jamais !) de se demander "à froid", sans projet "qu'est-ce qu'on va envoyer aux correspondants ?" et dans la fou­lée de se mettre à l'ouvrage tous en­semble collectivement, mais plutôt d'envoyer des productions, reconnues par tous, où chacun s'est investi parce qu'à un moment ou à un autre c'est devenu le projet de la classe ou parce qu'il y a eu coopération au­tour de ce travail.
La correspondance est donc un ré­flexe, mais plus encore une occasion de coopérer, de se rencontrer entre individus de la classe sur un projet précis.
C'est ainsi que dans ma classe, der­nièrement, Clémence a voulu rapporter aux correspondants le déroulement d'une compétition USEP de hand ball où la classe était engagée, que Jean Marc et Kamel ont présenté les che­vaux sous forme d'album, que Fran­çoise a réalisé un dessin... A chaque fois, l'enfant ou le groupe a l'initiative, annonce son projet, le réalise (si l'idée a été retenue) puis le présente à la classe lors d'un moment quotidien réservé à cet effet. Les productions de Françoise et Clémence ont été envoyées après quelques modifications proposées par la classe, mais celle de Kamel et Jean Marc jugée trop insuffisante ne l'a pas été. Elle a par contre permis d'engager une recherche sur les ani­maux et de voir comment on peut pré­senter un animal.
La correspondance scolaire est une technique de base au milieu d'autres techniques et d'autres outils, mais elle offre des avantages spécifiques. Pratiquer la pédagogie Freinet n'implique pas forcément pratiquer la correspondance scolaire. D'autres ou­tils, d'autres techniques existent (journaux scolaires, expositions, en­tretien, texte libre...) et peuvent satisfaire notre volonté de laisser s'exprimer les enfants, de donner du sens à leurs activités, de favoriser l'apprentissage naturel ou de créer un climat de coopération et de tolé­rance.
Mais outre que la correspondance sco­laire permet tout ce que je viens de citer, elle présente d'autres avan­tages bien spécifiques et particuliè­rement intéressants :
- elle suppose dans la plupart des cas (sauf correspondance ponctuelle) un retour du récepteur.
- dans la correspondance de classe à classe l'échange se fait entre deux pairs : deux personnes qui se situent à peu près à un même niveau d'âge, de connaissances.
- l'échange se fait donc sur la base d'une réciprocité et d'une équiva­lence des échanges.
On conseille donc à ceux qui démar­rent d'adopter le plus tôt possible la correspondance scolaire parce qu'elle permet beaucoup d'ouvertures, parce qu'elle offre des possibilités très intéressantes.
 
Comment la corres­pondance ?
 
La correspondance scolaire revêt plusieurs formes car toute produc­tion peut devenir objet de corres­pondance.
 
La correspondance scolaire ne revêt pas le seul support de la lettre écrite mais plus largement toutes les formes possibles de communication.
Au niveau du support, il y a le manu­crit, l'imprimé, la cassette audio, la casstte vidéo, la photo...
La nature de la correspondance peut également varier. Il y a la lettre bien sûr, mais aussi le récit, le poème, la pièce de théâtre ou encore l'enquête, le compte-rendu d'expérience, la recherche documen­taire ou mathématique, le dessin.
Enfin, quand on évoque la correspon­dance scolaire, on entend essentiel­lement correspondance individuelle ou de groupe classe à groupe classe.
Notons toutefois l'existence de la correspondance ponctuelle qui est une forme particulière de correspondance scolaire et qui ne s'y substitue pas. Par correspondance ponctuelle nous entendons les envois effectués à des adultes, des organismes, des élus... pour des demandes, des sollicitations particulières.
Nous le voyons donc, loin d'être une forme stéréotypée, la correspondance permet une grande diversité car toute production peut devenir objet de cor­respondance.
 
La correspondance scolaire doit à la fois respecter un certain nombre d'engagements et de contrats mais aussi laisser s'exprimer l'originalité.
 
Il convient donc de :
- gérer le temps et respecter une fréquence régulière, un rythme mini­mal d'échanges, ceci afin de per­mettre de vrais échanges, dignes de ce nom.
- répondre aux questionnements des correspondants, faire référence à tout envoi.
- veiller à ce qu'il y ait une réelle équivalence des échanges (pas seule­ment le nombre d'envois mais aussi leur qualité).
- veiller à ce que l'enfant tienne des échéances, des engagements, ce qui peut signifier favoriser les contrats (voir exemple de contrat au college Debeyre à Loos à la fin de l'article).
Autre exemple dans ma classe, un élève peut s'engager, avec l'agrément bien sûr de ses camarades, à faire un envoi pour la classe : relater un évènement particulier, commencer une histoire... Une échéance est fixée et on vérifie qu'elle est bien respec­tée.
- veiller à ce qu'une correspondance s'établisse entre les instituteurs et qu'un contrat clair soit établi entre ces derniers : éviter les écrits non corrigés dans une classe, corrigés dans l'autre par exemple.
- rechercher la qualité. Au collège Debeyre, on décerne des prix (lettre la mieux écrite, la mieux orthogra­phiée, la mieux présentée, la plus originale. Cette démarche est inté­ressante car suggestive, incitative comme la correspondance.
Et à propos d'originalité voici ce qu'écrit un camarade de l'ICEM :
"De nombreux modes de fonctionnement existent et je ne pense pas qu'on puisse définir un mode type. L'essentiel est de préserver le plai­sir que le groupe ou l'enfant à titre individuel peut éprouver à travaers la correspondance. Sans nier les contraintes qu'elle impose, il faut à tout prix qu'elle soit dépourvue de tout aspect routinier."
Monique Bru
Laissons donc la place à la fantaisie sur le fond et la forme... malgré notre volonté de rigueur.
 
La correspondance scolaire nous en­traîne en pleine pédagogie de l'évènement.
 
Nous pensons que la correspondance est une excellente occasion et une excellente raison de s'intéresser au milieu qui nous entoure. Cela nous amène donc à faire des recherches, des enquêtes, des compte-rendus.
Il est donc souhaitable que la classe soit attentive à observer, à accueil­lir et à exploiter toute sollicita­tion extérieure. C'est dans ce contexte là qu'il est souhaitable de profiter de l'intérêt au moment où il se manifeste et donc d'exploiter toute sollicitation sans trop at­tendre, de laisser la correspondance envahir nos classes dès sa réception, de préparer une réponse assez rapide­ment.
La correspondance scolaire nous place donc en pleine pédagogie de l'évènement et c'est là qu'une orga­nisation de classe est à réfléchir.
" On ne "fait" pas correspondance de telle heure à telle heure, mais on accepte qu'elle bouleverse les struc­tures de la classe, le groupe classe étant ainsi amené à repenser l'organisation de sa vie et par là même de son travail". (1)
 
Alors, notre at­tention première consistera donc davantage à nous mettre au service de ces projets et des envies de com­muniquer des en­fants de nos classes plutôt que d'assurer un em­ploi du temps trop rigide.
 
Dans cette optique, il est utile d'organiser :
- des moments d'individualisation du travail et des moments de travail en groupe suivis de mise en commun.
- d'avoir une organisation globale de la classe, ouverte aux élèves c'est à dire libre d'accès aux enfants, et si possible riche en ressources avec des coins pour se documenter, pour se corriger, pour s'informer...
Une telle organisation requiert une information explicite de son fonc­tionnement. L'affichage peut ici s'avérer utile. Ainsi dans l'idée de l'organisation d'un coin correspon­dance scolaire, il peut convenir d'afficher :
- la date du prochain envoi
- tous les précédents envois et ceux déjà reçus.
- s'il y a correspondance indivi­duelle, le suivi de chaque enfant.
- les responsabilités : délais, nom du (des) responsables.
Enfin, précisons que toute organisa­tion de classe n'est pas un préa­lable. Entrer dans une pédagigie de l'évènement dépend davantage d'une ouverture d'esprit, d'une habitude de classe... que d'une organisation mi­nutieuse. Nous disons simplement que celle-ci favorise une correspondance scolaire proche de l'évènement et de la communication.
 
Conclusion
 
En ce qui me concerne, c'est ce que j'ai vraiment appris cette année : plus on ouvre sa classe à l'évènement extérieur, à ce qui nous entoure comme aux informations qui nous arri­vent, plus la correspondance s'enrichit et devient naturelle de par l'intérêt qu'elle suscite.
C'est ainsi que tout peut pratique­ment devenir objet de correspon­dance...
Au niveau des élèves :
"- Je vais écrire cette histoire pour mon correspondant.
- Mon dessin c'est pour mon corres.
- Cet évènement, faut qu'on le dise aux corres.
- Qu'est-ce qu'on va envoyer aux corres ?"
Et au niveau des adultes :
"-La correspondance, c'est un ré­flexe".
 
A vous de réagir, maintenant !
Régis Grouillon
Ecole Rameau 59 Villeneuve d'Ascq
 
 
(1) in "Pourquoi-comment la corres­pondance scolaire" Editions PEMF
 
Notes :
 
* Lire le dossier du Nouvel Educateur : "La correspondance au centre des apprentissages" Nouvel Educateur 63 décembre 1994
* Pour trouver des correspondants :
- écrire à "Secteur échanges et com­munication" de l'ICEM, Ph. Gallier, école de Bouquetot 27310 Bourg-Achard
- au minitel : taper 3614 EDUCAZUR puis ICEM