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Quand BCD et CDI se suivent et ne se ressemblent pas

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Octobre 1995

Dans son cursus scolaire, il y a des incohérences auxquelles l'élève se trouve dans l'obligation de faire face. Or, si certaines ruptures peu­vent aider à grandir, d'autres, de toute évidence, constituent des en­traves. La réflexion sur le passage BCD/CDI montre l'urgence pour l'institution à travailler sur ses propres failles.

 
Au groupe scolaire d'Aizenay (Vendée), l'équipe pédagogique a mis en place une politique globale de lecture sur l'école depuis 1980 au­tour de trois axes principaux : un apprentissage de la lecture - au cycle II - utilisant des supports les plus fonctionnels possibles ; une fa­miliarisation avec les livres bien avant le CP et une poursuite de l'apprentissage et de l'entraînement bien au-delà ; la présence de tous les écrits de l'école dans une BCD ouverte sur la ville et sur des acti­vités culturelles.
 
Des enfants ac­teurs
 
Organisée coopérativement avec les enfants (conseil de bibliothèque heb­domadaire), la BCD est un lieu cen­tral de l'école et est en constante interaction avec les classes. C'est un centre de ressources où les élèves peuvent accéder seuls à tout moment, où ils vont parce qu'ils en ressen­tent la nécessité dans le cadre de leurs projets. C'est un lieu de conquête de l'autonomie (gérer son temps, ses déplacements, son propre questionnement) au sein d'une collec­tivité qui a aussi ses règles. C'est un lieu d'apprentissages à part en­tière. Les enfants peuvent s'y rendre pour lire, échanger leurs livres, préparer une revue de presse, effec­tuer des recherches documentaires, exposer ou voir des travaux réalisés, lire à de plus jeunes qu'eux, parti­ciper à des présentations de livres ou lire pour leur plaisir, rencontrer d'autres adultes que leur maître. Ils peuvent aussi parallèlement partici­per à l'élaboration du journal bimen­suel de l'école (L'écho du p'tit Bu­ton), participer aux critiques litté­raires et à la publication de la re­vue Ecritiques ou répondre par télé­copie à des écoles du réseau qui re­cherchent des documents ou des ren­seignements ("Les enfants renseignent les enfants").
La fête du livre jeunesse organisée chaque année par la BCD et l'école est l'occasion de rencontres avec des écrivains, des illustrateurs, des conteurs, des libraires, des spec­tacles, dans le cadre d'expositions, d'animations, de créations artis­tiques autour de la poésie mais aussi de découvertes : nouveautés de la littérature jeunesse... La BCD est l'outil tellement intégré au quoti­dien que son utilisation ne peut être remise en cause.
Habitués à lire, écrire, produire dans des situations de communication réelles n'utilisant pas ou peu de faux-semblants, ces enfants, au terme du cycle III, maîtrisent les objets de lecture : table des matières, som­maire, glossaire, index, répertoire, bibliographies, biographies, édition, classification leur sont d'un emploi familier parce que fréquent et néces­saire. A l'examen de leurs représen­tations et de leurs réponses, on constate que ces élèves ont acquis une réelle démarche documentaire. Ils remplissent même coopérativement leur rôle de documentaliste en étant pro­ducteurs d'information, ayant appris à gérer la proximité et la diversité des réseaux de ressources documen­taires.
 
La fracture
 
Entrer en 6ème, aspiration légitime qui signifie grandir, c'est, en l'absence de collège public à Aize­nay, partir à quinze kilomètres au chef-lieu - la ville - avec la certi­tude que "là bas" aussi, il y aura ce lieu indispensable, intégré totale­ment dans les habitudes de travail. Malheureusement, jusqu'à cette année, le collège du secteur ne possédait pas de CDI digne de ce nom (local exigu, décentré, mal aménagé et mal équipé, absence de documentaliste formé...). Certains élèves, devant la pauvreté du lieu, l'absence d'accueil, l'absence de "ressources" véritables, vont jusqu'à refuser toute utilisation de ce lieu. Quelques-uns fréquentent alors la bi­bliothèque municipale du chef-lieu. D'autres disent : "oui, je vais quand-même au CDI pour y chercher de la lecture, mais le plus souvent, je préfère aller à la bibliothèque muni­cipale et pour mes recherches de do­cuments, je reviens à la BCD de l'école primaire".
Arrivés en classe de seconde, les élèves retrouvent avec facilité la fréquentation régulière et assidue du CDI du lycée, tout simplement parce qu'il est accueillant, qu'on y trouve des documents transversaux à toutes les disciplines ou spécifiques d'une discipline et aussi parce que "les professeurs ont des exigences qui né­cessitent de s'approprier le CDI et de parvenir à l'utilisation maximum des documents dans un travail de­mandé. Cela met bien le doigt sur le fait que trop d'élèves peuvent encore traverser la scolarité obligatoire sans avoir accédé à un centre res­source : BCD, CDI, bibliothèque, li­brairie... Pas étonnantes alors les réactions des professeurs de lycée, voire d'universités, qui constatent l'inaptitude de certains élèves au travail personnel ou à des pratiques d'auto-documentation. A la demande : "penses-tu que la fréquentation que tu as eue de la BCD lorsque tu étais en primaire t'a permis de mieux te débrouiller par la suite, dans tes recherches et tes besoins d'écrits ?", la réponse est claire : "j'ai du mal à mesurer ce qui fait que j'arrive à me débrouiller, mais ce qui est sûr, c'est que je n'ai aucune difficulté, que je suis sûrement parmi ceux ou celles qui y parvien­nent pour ceux qui ont la chance d'en profiter et dans tant de domaines !" (Propos presque tous identiques de plusieurs anciens élèves actuellement en lycée).
Wilfried, aux résultats scolaires très moyens, après un parcours assez difficile en collège, s'est retrouvé en classe de technologie dans un ly­cée professionnel. La documentaliste du CDI nous a confié avoir rarement rencontré d'élèves comme lui. En ef­fet, dans ces classes, les élèves présentent la caractéristique commune de ne guère fréquenter le CDI. Or, celui-ci venait tous les jours, pour y chercher soit des renseignements, soit des documents, soit un livre à lire. Et lui d'ajouter : "je ne com­prends même pas comment j'ai fait pour me passer de CDI au collège, mais il faut dire qu'il n'y en avait pas."
Le nouveau documentaliste arrivé cette année au collège avoue : "il y a rupture, forcément, et pour plu­sieurs raisons : tout d'abord, c'est la médiocrité de l'équipement du CDI depuis toujours dans ce collège ; la seconde, c'est l'incapacité des pro­fesseurs de par leur manque de forma­tion, de par leurs pratiques, à prendre en compte une autre approche des enfants. Tous sont considérés de la même façon, la différenciation n'existe pas. La pratique de la fré­quentation d'un CDI étant inconnue, il ne leur est pas possible d'imaginer que les enfants en ressen­tent la nécessité. Beaucoup possèdent dans leur classe un fonds personnel documentaire et s'ils l'utilisent, c'est à titre personnel, et non pour le confier aux élèves afin qu'ils puissent l'utiliser de manière auto­nome !"
La demande des élèves originaires de l'école primaire d'Aizenay a conduit le conseiller d'éducation du collège à permettre à certains d'entre eux de mettre en place un club "lecture", ou encore un club "journal d'établissement".
Maintenant, le CDI est en train de s'équiper ; les élèves de 6ème sont sollicités pour l'organisation maté­rielle. Les enfants n'ont pas encore trouvé le "réflexe CDI", mais... les professeurs non plus ! Ces derniers se refusent toujours à "donner" leur documentation afin qu'elle devienne collective et si quelques-uns font de timides tentatives, beaucoup n'en franchissent toujours pas la porte, sans comprendre cependant pourquoi les enfants ne passent pas leur temps libre au CDI. Le documentaliste tient bon : il n'est pas question que les élèves viennent ici pour "tuer" le temps. Il faut qu'ils prennent l'habitude d'avoir besoin du CDI, dans leurs recherches, leurs documen­tations personnelles, leurs envies de lire, leurs envies de création (écrire ses textes directement sur traîtement de texte, par exemple, y est possible). En collège, les rôles sont encore répartis : au professeur de français de faire produire du texte, au professeur de technologie d'apprendre à le traiter. Et, bien sûr, on ne parle pas du même texte.
Que dire de l'intérêt pour des en­fants rompus à l'utilisation de trai­tements de texte professionnels à l'école primaire qui doivent passer par des exercices systématiques de découverte du clavier (écran éteint pour les premières séances !) au col­lège ?
 
Repartir du réel
 
La continuité primaire-collège, dans l'intérêt des élèves, ne peut résider que dans la connaissance, la recon­naissance (car les compétences trans­versales développées à l'école pri­maire ne font pas l'objet d'une éva­luation et le pourraient-elles ?) et la prise en compte que le collège pourrait avoir du passé scolaire des enfants à leur entrée en 6ème. Le classement du collège en expérimenta­tion cette année, la volonté de la direction et la ténacité du documen­taliste permettent quelque espoir.