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L'école buissonnière

Dans :  Techniques pédagogiques › organisation de la classe › 
Novembre 1995

Face à une situation difficile due à la surpopulation scolaire dans des locaux devenus inadaptés, les enfants de CP-CE1 de Pollionnay (69) et leur enseignant, Roger Beaumont, ont re­noué avec l'école buissonnière. A vrai dire, cela n'a pas été une déci­sion volontariste de leur part, mais l'option s'est peu à peu imposée à eux comme une évidence. Au début, la moitié seulement d'un après-midi était consacrée aux activités exté­rieures. Mais très vite le temps a manqué pour répondre aux innombrables découvertes et émerveillements devant la richesse du milieu local. C'est l'après-midi entier qui est mainte­nant consacré à cette "classe buis­sonnière".

 
 
Le jeudi après-midi (sauf cas de pluie qui reporte la sortie sur le premier jour de beau temps qui suit), nous partons dès 13 H 30. Au fil des sorties, mon sac à dos ressemble de plus en plus à une petite caverne d'Ali-Baba :
- deux cordes de 25 m
- des bandes de plastique noir pour se masquer les yeux
- des plans du secteur à petite échelle
- un couteau
- quelques sacs et flacons plastiques
- des outils divers en fonction des projets en cours
... et dans les poches du sac :
- un décamètre et un double décamètre
- une bombe de peinture jaune
- des pochoirs
- quelques appeaux
- ...sans oublier bien-sûr l'indispensable trousse à pharmacie.
 
Premier objectif : la notion de dis­tance au sortir de l'école
 
Nous avons entrepris de mesurer le chemin qui mène au bois sur une lon­gueur de 1 Km en réalisant un mar­quage sur la route tous les 10 m sur les 250 premiers mètres puis tous les 100 m. Nous avoçns d'abord progressé de 100 m à chaque sortie, puis de 200 m au-delà du demi kilomètre.
Concrètement, l'organisation est la suivante pour assurer la sécurité au bord de la route. Avanr de quitter la classe, quatre enfants sont désignés pour manipuler les décamètres, deux autres pour les pochoirs et un der­nier pour la bombe de peinture. Pen­dant que ces sept enfants travaillent au bord de la route, les autres res­tent de l'autre côté en suivant l'avancement du balisage. La seule personne qui est amenée à traverser la chaussée, c'est moi.
Quand les 100 m sont balisés, nous déposons le matériel dans le fossé pour le récupérer au retour.
 
Deuxième objectif : course de fond
 
Essayer de courir régulièrement le plus longtemps possible.
Les repères établis sur la route lors des sorties précédentes permettront à chacun de mesurer sa progression. Cette séquence de course est complé­tée ensuite par des moments plus ra­pides en parcourant les sous-bois.
Ensuite, les objectifs s'entremêlent au cours du temps et des lieux par­courus, mais pour simplifier je les exposerai un à un.
 
Troisième objectif : découverte du milieu
 
Interaction entre les différents élé­ments du milieu. A chaque sortie, nous suivons le même parcours dans les bois, pas toujours dans le même sens et parfois avec quelques va­riantes. Pourquoi ne pas partir au hasard et à la découverte de l'inconnu ?
- pour suivre d'une semaine sur l'autre l'évolution de la nature
- pour approfondir chaque fois l'exploration d'un lieu précis
- pour apprendre à mieux connaître et mieux sentir la vie grouillante qui s'abrite dans le bois.
C'est ainsi que peu à peu nous appre­nons à nous déplacer sans bruit, en tenant compte du vent, à ouvrir grand nos yeux en nous concentrant soit sur les arbres, soit sur le sol, à lais­ser les sons guider notre regard etc... Peu à peu notre connaissance de l'habitat se complexifie.
Nous avons découvert des nids de pics-verts, des couches de che­vreuils, des oeufs de grenouille etc...
Les deux cordes de 25 m servent à ba­liser un parcours entre les arbres. Alors les enfants un à un se bandent les yeux et suivent la corde en exer­çant leur odorat et leur ouïe. Et puis, quand le lieu s'y prête, une partie de cache-cache ou de grimper aux arbres fait toujours briller les yeux.
 
Quatrième objectif : l'arbre et son écosystème
 
Tout au long du parcours nous avons choisi lors de la première sortie des arbres d'espèces différentes que nous avons numérotés afin que les enfants puissent essayer par la suite de les identifier par des recherches sur do­cuments. La plupart étant des feuil­lus, nous les avons sélectionnés d'après leur silhouette. La texture de l'écorce a fourni aussi de pré­cieuses indications pour les diffé­rencier les uns des autres et surtout pour découvrir leurs semblables dis­séminés dans le bois. L'exploration du sol au pied de chacun a permis d'aider les recherches par la décou­verte des feuilles mortes et des fruits. C'est grâce à l'enveloppe de son fruit que le hêtre a été identi­fié par Loïc, tout comme le chêne, d'ailleurs. Le peuplier, lui, l'a été par sa forme. Pour les autres les ob­servations continuent. Avec le prin­temps, les bourgeons, les fleurs et les feuilles seront des indices qui permettront de les reconnaître avec certitude.
 
Cinquième objectif : éveil de la cu­riosité
 
Découvrir soudain ce que l'on n'avait jamais vu lors des précédents pas­sages parce que les souvenirs permet­tent d'établir des comparaisons. Dé­couvrir les petits changements prou­vant l'existance de la vie végétale et animale. J'essaie de répondre aux questions au fur et à mesure. Si le problème est complexe et nécessite un travail plus approfondi, nous empor­tons en classe un échantillon ou nous prenons une photo (diapos) pour l'explorer plus tard. Plus les en­fants se familiarisent avec les lieux, plus ils perçoivent de choses parce qu'ils ont accumulé des élé­ments de comparaison lors des orties précédentes.
La dernière fois, ils se sont mis à ramasser les vieilles bouteilles et détritus plastiques qui gâchaient le plaisir de la vue. Le retour a été laborieux parce que les bras étaient fort chargés, mais quelle fierté d'avoir empli la grande poubelle de l'école !
 
Prolongements dans la classe
 
Après chaque sortie, nous reportons sur un plan notre itinéraire en uti­lisant différentes couleurs. En vert le chemin que nous avons mesuré, en marron celui où nous avons couru, en bleu la clairière qui a servi au jeu de cache-cache etc... Nous situons aussi nos arbres sur le parcours.
Les enfants ont planté dans des bacs des glands, des châtaignes, des graines d'érables etc... Les oeufs de grenouille ont été installés dans un aquarium et les diapos prises permet­tent de dialoguer calmement sur les interactions qui se produisent entre les différents acteurs du milieu.
Depuis j'ai appris que plusieurs en­fants avaient fait découvrir le par­cours à leurs parents et qu'ils avaient pu montrer "leurs" arbres (une petite marque jaune à la base est là pour convaincre les scep­tiques), "leurs" nids, "leurs" té­tards...
Plus les séances se succèdent, plus je pense que ce type de travail peut se développer en ville aussi bien qu'à la campagne. Les observations seront différentes, bien-sûr, mais le quartier recèle des animaux, des vé­gétaux et des traces de l'activité humaine qui permettent tout autant que les bois d'accumuler les observa­tions pour mieux percevoir son envi­ronnement immédiat...
Alors vive la classe buissonnière. Même lorsque nous disposerons d'un observatoire ouvrant sur la vallée du Rhône, les Alpes et le bois dans le futur groupe scolaire, rien ne rem­placera le contact direct de tous nos sens avec l'environnement.
Roger Beaumont