Janvier 1996
Ayant reçu une longue lettre d'Algérie, nous avons choisi d'en publier d'importants extraits en respectant l'anonymat de son auteur, comme chacun le comprendra aisément.
Comme beaucoup d'écoles du Tiers Monde, l'école algérienne souffre d'un tas de problèmes qui freinent son évolution : manque de moyens pédagogiques, surcharge des classes, retard dans la construction scolaire, formation insuffisante du personnel enseignant, incompétence des cadres etc... Mais le mal le plus profond qui ronge réellement l'Institution est sans conteste l'indigence et l'obsolescence des programmes et des méthodes pédagogiques qui ont largement contribué à la régression du système éducatif national et à l'apparition de l'intégrisme religieux qui ensanglante le pays depuis trois années.
En effet, si le climat de violence que vit actuellement l'Algérie a des origines politiques et sociales, il n'en demeure pas moins que la vraie source du drame vient de l'école. L'écrivain, poète et journaliste Tahar Djaout a été l'un des premiers intellectuels algériens à mettre en cause le système scolaire dans la dérive actuelle du pays. pour lui, l'école algérienne est "une usine de la haine et de l'obscurantisme qui fabrique des monstres qui éteignent les étoiles". Il fut, hélas ! le premier écrivain et journaliste algérien à être exécuté par "la haine et l'obscurantisme" le 23 mai 1993.
Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à reconnaître, après lui, que tout le mal de l'Algérie provient de son système éducatif...
...Depuis l'indépendance du pays en 1962, aucune véritable politique éducative n'a été appliquée si ce n'est quelques semblants de réformes qui, au lieu de sauver l'école, l'ont allègrement enfoncée.
C'est à partir des débuts des années 80 que le système éducatif national entamait un long processus de délabrement et de régression, après notamment l'introduction d'une nouvelle réforme inspirée du modèle Est-Allemand de l'époque qu'on baptisa officiellement "enseignement fondamental"...
...Cette réforme qui institua entre autres l'arabisation totale de toutes les matières a été mal préparée. Elle était très ambitieuse certes, mais ne possédait pas les moyens de sa politique. De nouveaux programmes ont été ainsi mis à la disposition d'enseignants désabusés, ne sachant quoi faire devant un chois politique imposé et arbitraire et une réforme à laquelle ils n'étaient pas préparés.
Les contenus de certains programmes ont été conçus de telle sorte que l'idéologie prenne le pas sur la pédagogie et que l'endoctrinement religieux soit de règle.
Au lieu et place d'une éducation à la vie et à la citoyenneté, d'un savoir scientifique et technique de base, nos enfants "s'abreuvent" tout au long de leur scolarité d'une culture de l'intolérance et de l'obscurantisme où la violence et la haine de l'autre sont les aspects les plus dominants.
C'est ainsi par exemple que, dans les manuels de littérature, les meilleures oeuvres littéraires arabes sont évacuées pour laisser place à des textes vidés de leur quintessence artistique et à des tracts politiques militants.
Le choix des textes reste largement dominé par la référence à la religion, à l'histoire ou au nationalisme et rarement à la littérature...
...Le constat est le même concernant les contenus de certains programmes d'histoire où le nationalisme étroit et l'apologie de l'omnipotence et de la force ont la part belle...
...Quant aux programmes de l'éducation religieuse qui est une matière omniprésente et omnipotente, ils constituent une arme à double tranchant aux mains de personnes en mal de prosélytisme qui, faisant fi de toute loi et respect, endoctrinent à tout va en semant leurs idées obscurantistes qui sont contraires au vrai message de tolérance et d'humanisme que véhicule l'Islam...
...Et, pour couronner le massacre, nos "décideurs" ont mis en place une méthodologie d'enseignement qui étouffe toute vélléité d'esprit critique et toute aptitude au discernement, à la comparaison et à la créativité.
Nos enfants, comme disait une pédagogue bien de chez nous, ignorent jusqu'à l'existence des hirondelles. C'est tout dire quant au degré de délabrement de notre système éducatif dont l'intégrisme religieux se nourrit actuellement.