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L'enfant s'interroge sur son corps

Février 1996

Au cours de l'année scolaire 92/93, les élèves de cours moyen deuxième année de Michel Bonnetier (Ecole Ka­rine. Strasbourg) se sont intéressés au problème de la respiration. Plu­sieurs séances de travail se sont suc­cédées, sur environ un trimestre. Le premier travail de l'enseignant a été de rassembler les connaissances des enfants, les représentations qui étaient les leurs. Pour en savoir plus, de nombreuses activités ont été orga­nisées: expériences, recherche documentaire, observation de radiogra­phies et même... dissection.

 
Première étape
 
On parle de "la respiration" :
- La respiration rentre par le nez puis va vers le corps jusqu'au ventre et ressort par la bouche.
- D'abord on respire, puis l'air passe vers le cerveau pour le faire fonctionner.
- D'abord on respire par le nez, après la respiration va vers le coeur, après vers le poumon et après au cer­veau.
- Quand j'ai couru, mon ventre gonfle, mon coeur bat vite, l'air passe par le ventre.
- C'est la bouche et le nez qui fa­briquent l'air.
- L'air rentre dans le nez, passe tout autour du coeur et sort par la bouche.
- L'air entre par le nombril et sort par la bouche.
- L'air descend jusqu'au ventre.
- L'air se forme dans les poumons."
 
Deuxième étape
 
On dessine "la respiration". J'ai re­pris les dessins "premier jet" de mes élèves.
 
 
La bouche fabrique de l'air
 
L'air se forme dans le ventre puis remonte, va au coeur et ressort par la bouche.
 
L'air entre par le nez, passe par le coeur, les poumons et va au cerveau.
 
Les représentations apportent des éléments intéressants : la présence des poumons, l'apparition de l'oxygène, du gaz carbonique.
 
L'air monte et descend de la gorge aux poumons.
 
On respire pour ramener l'oxygène
 
Premières représentations du va et vient :
 
La "circulation", le trajet de l'air est représentée dans divers croquis de ce genre :
 
L'air rentre par le nez et ressort par la bouche.
 
L'air rentre dans le nez, va dans les poumons et ressort par la bouche.
 
Ce qui est mis en évidence après ces moments de libre parole et de libre représentation :
- On manque de mots, de vocabulaire précis, pour dire, décrire (par exemple : "la respiration va vers le coeur").
- On ne sait pas dessiner l'intérieur de notre corps.
- Tout le monde a pris conscience de l'entrée et du rejet de l'air.
- Et a également pris conscience de son importance : "si l'air n'entre pas, c'est comme les noyés".
 
Troisième étape
 
Mise au point d'un "canevas".
Si les représentations orales et des­sinées ont pu paraître pauvres, le canevas montre que dans la classe, cer­tains élèves possèdent des connaissances, même si elles ne sont pas toujours précises.
"L'oxygène, c'est dans l'air... Le gaz carbonique ne sent pas bon..."
On comprend, avec ce canevas, l'idée d'"appareil respiratoire". Deux ques­tions apparaissent :
"- Est-ce que les animaux respirent ?
- Est-ce que les amygdales ont quelque-chose à voir avec la respira­tion ?"
 
Quatrième étape
 
Une dizaine d'élèves observe le stock de radiographies du musée scolaire.
On identifie facilement les mains, les pieds, les crânes puis la colonne vertébrale. Deux élèves disent avoir été radiographiés à l'hôpital, mais ils n'ont pas vu les radios. Personne ne sait identifier les radios des poumons.
J'en présente de différentes gran­deurs. On ne trouve pas tout de suite le rapport grand-petit (radio de pou­mons d'adulte ou radio de poumons de bébé, d'enfant).
On ne comprend pas la réduction (format 8 cm sur 7 cm) de la radio jointe à un électrocardiogramme.
Les élèves parlent librement : on se demande le pourquoi des radios et on aborde tout de suite le thème des ma­ladies. Je demande lesquelles. On me répond "le cancer" et les témoignages fusent : "on perd les cheveux..."
Je prononce le mot "tuberculose" : personne ne réagit. On prend le dic­tionnaire (Editions Hachette) : on ne comprend rien, mais tout à coup, les élèves s'éveillent : "le BCG, moi, je sais ce que c'est : c'est quand on a une piqûre !"
On expose les radiographies sur une table. Puis on fait le point. De nou­velles remarques sont énoncées :
"- Si on court, le coeur bat plus vite, on respire plus vite.
- Quand on dit une longue phrase, on est obligé de respirer.
Un choc coupe la respiration.
- Quand on siffle, de l'air sort de la bouche.
- Quand on parle aussi.
- Quand on chante, on a besoin de respirer".
L'intérêt grandit. De nouvelles ques­tions apparaissent à propos de l'air, à propos des maladies dûes au tabac, et on veut savoir aussi si l'air em­pêche "le vomi" de remonter (pendant les sorties en autocar, je fais faire des exercices d'inspiration et d'expiration forcées et, habituelle­ment, les malaises disparaissent). On parle aussi d'un petit élève de l'école qui porte un respirateur, pe­tit tube de plastique adapté directe­ment au la­rynx.
 
Cinquième étape
 
Nous organisons la recherche documen­taire.
Très vite, nous constatons
- le petit nombre de documents pré­sents au Centre de documentation.
- les difficultés de lecture.
Je prépare une fiche de vocabulaire, à l'aide du dictionnaire d'éveil. Les mots soulignés sont travaillés collectivement, ora­lement. On réalise également une fiche de mots qui iront rejoindre le répertoire orthographique.
On observe aussi les schémas des livres, mais tout cela paraît encore bien mystérieux : ces schémas sont bien différents des représentations dessinées par les élèves.
Une fille permet d'aller plus loin : "l'autre jour, ma mère avait acheté un lapin au supermarché. J'ai soufflé dans les poumons du lapin, c'était rigolo".
 
Sixième étape
 
J'achète une fressure de porc au su­permarché voisin, pour 15 francs (une fressure, c'est l'ensemble "coeur-poumons-trachée", le plus souvent de porc ou de mouton).
A la vue de l'objet, plusieurs élèves quittent la salle en disant "je ne veux pas voir ça !"
Il est vrai que les schémas des livres sont agréables à regarder, la couleur rose paraît douçâtre. Sur la table, la fressure, qui dégage une odeur spéciale, est moins agréable à regarder.
Des élèves osent la manipuler. On re­marque le coeur ; les poumons sont comme "les grandes oreilles du coeur". La trachée retient l'attention de certains. Quelqu'un propose d'enfoncer un tuyau en plas­tique dans la trachée et de souffler dedans.
Les résultats sont immédiats et spec­taculaires.
Quelqu'un remarque ensuite le struc­ture de la trachée : "on dirait du plastique !" On découpe un poumon, on voit nettement une bronche et di­verses ramifications.
Mon manque d'expérience en ce do­maine, des instruments peu cou­pants... tout cela est bien sanguino­lent... On arrête la découpe. Une élève emportera les restes et le coeur pour les donner à son chien.
Souffler dans une fressure donne des résultats impressionnants. On perçoit bien que le sang a un rôle impor­tant dans la respiration, que le coeur est la machine qui fait fonctionner tout cela...
Et c'est une avalanche de questions :
"- Est-ce qu'on respire comme les porcs ?
- Est-ce que nos poumons ressemblent à ceux des porcs ? Sont-ils plus gros ? Plus petits ?
- Combien de litres d'air peuvent-ils contenir ?
- Est-ce que les animaux respirent tous de la même façon ?"
Alors commence une recherche intéres­sante au Centre documentaire. On veut savoir comment respire un oiseau, un lézard, une mouche, un ver de terre, un poisson.
 
Les poissons posent problème tout de suite, les remarques fusent :
"- Les poissons meurent à l'air.
- ils sortent un tout petit peu la tête de l'eau pour respirer.
- Les poissons avalent de l'eau, ils devraient gonfler.
- Ils ont des trucs qui s'ouvrent sur le côté.
- Il y a de l'oxygène dans l'eau..."
A propos des serpents, les élèves re­pèrent des informations du genre :
"Le serpent possède des poumons, mais pour beaucoup d'espèces, seul le pou­mon droit fonctionne. Le poumon gauche n'est pas développé ou parfois même absent. Il respire aussi par la peau : les écailles souples permet­tent le passage de l'air à travers la peau."
A propos des vers de terre :
" Un ver privé de toute humidité ne tarde pas à mourir. Il n'a en effet ni branchies, ni poumons et ne res­pire que par le peau. Mais cette res­piration n'est possible que si la peau est humide".
 
Cette recherche, intéressante, n'aboutit pas toujours à du concret. Lire que le ver de terre ou le ser­pent respirent par la peau est insuf­fisant. Je suis souvent obligé de dire : "vous apprendrez plus tard...". Le problème de la respira­tion des plantes n'a pas été abordé.
 
Septième étape
 
On essaie de "mesurer" la respira­tion.
On se propose donc d'effectuer un certain nombre de petites expériences à partir des questions :
- "Combien de litres d'air contien­nent mes poumons ?
- Est-ce que l'air est lourd ?
- Combien de temps peut-on tenir sans respirer ?"
J'ai répondu à cette dernière ques­tion en évoquant les plongeurs en apnée. Je n'avais pas de données pré­cises sous la main. Des élèves ont dit : "c'était à la marche de le Gloire à la télé, il est resté 24 heures dans l'eau sans respirer". Heureusement, d'autres ont corrigé ces données.
Il est difficile de présenter ici des résultats précis. Notre salle de "sciences" (ou de bricolage...) ne pos­sède pas d'appareil genre spiro­mètre. Nous avons travaillé avec du matériel simplifié du type "boite en plas­tique, bouteille d'eau minérale, balance peu précise...".
- essai de mesure de la capacité tho­racique en chassant l'eau de plu­sieurs bouteilles.
- transvaser de l'air.
- aspirer de l'air : un élève a pro­posé : "on gonfle un ballon de bau­druche, on le met sur le plateau d'une balance, on le pèse". On a es­sayé... mais le ballon ne tenait pas en place sur le plateau !
- comptage de nos inspirations et ex­pirations au repos et après un ef­fort.
Ces petites expériences sont assez faciles à mettre en oeuvre. Les élèves expriment des résultats du genre : "j'ai soufflé environ 3 litres d'air dans les bouteilles" ou bien " l'air contenu dans un ballon de baudruche pèse entre 1 et 2 grammes".
Les mesures effectuées sont approxi­matives, faute d'un matériel de plus grande précision.
Nous avons rencontré des difficultés
pour comprendre le tableau suivant, tiré d'un manuel scolaire :
pour 100 cm3 d'air     air inspiré    air expiré
 
oxygène                  21 cm3         16 cm3
dioxyde de carbone       très peu       4 à 5 cm3
azote                    79 cm3         79 cm3
 
J'ai constaté tout de suite la confu­sion cm3/centilitre
Certains élèves ont même parlé d'aire.
Nous avons dû retravailler la notion de volume à partir du matériel uti­lisé en base dix : cubes de 1 cm3, barres de 10 cm3, plaques de 100 cm3, cubes de 1000 cm3 ou 1 dm3.
Ce matériel a été "critiqué" par cer­tains élèves : "quand on souffle, on ne souffle pas des petits cubes, des barres ou des plaques !"
Des élèves ont voulu représenter leur souffle sous forme de boules. Alors, on a essayé de mesurer le volume d'une boule de billard plongée dans une éprouvette graduée contenant de l'eau. Cela a donné l'occasion de nou­veaux tâtonnements.
Des élèves ont proposé de calculer la quantité d'oxygène inspirée en classe, dans une journée. Ces calculs n'ont pas abouti. D'autres ont pris le relais.
D'autres questions, d'autres constats apparaissent à tout moment :
- "Si on gonfle un ballon de bau­druche, c'est mouillé dedans.
- On court, on respire plus vite et on sue : pourquoi ?
- L'air ne sent pas. Parfois il y a des odeurs, du parfum ou de la puan­teur. Comment se forment les odeurs.
- Comment on les sent ?
- est-ce que l'air odorant pèse plus que l'air normal ?
- A quoi sert le nez ?
- Pourquoi le nez pique à la piscine ?
- Si on ne fume pas, on grossit.
- Qu'est-ce que c'est qu'une ciga­rette ultra-légère ?
- Comment se fait la pollution dans les villes ?
- Pourquoi on rote quand on boit de la limonade ou du coca-cola ?
- Comment se fait la voix ?
- etc..."
 
Pour conclure...
 
La classe a connu d'autres inté­rêts... Les problèmes respiratoires ont baissé d'intensité. Je pensais, à un moment donné, construire un bel édifice de connaissances qu'on aurait pu évaluer... Il n'en a rien été, plus on avançait, plus on découvrait de nouvelles pistes, de l'inconnu.
Beaucoup trop de questions n'ont pas eu de réponses. Les expériences sont restées trop approximatives.
Cette recherche m'amène à plusieurs constats :
- je dois intensifier les moments d'étude sur le corps humain, son fonctionnement, les maladies...
- j'ai senti chez mes élèves une vé­ritable soif de savoir, le désir de faire des choses nouvelles, principa­lement des expériences.
Même imparfait, incomplet, le travail mené aura peut-être aidé certains élèves à clarifier quelques-unes des questions qu'ils se posent à propos de leur corps.
Michel Bonnetier
Ecole Karine, Strasbourg