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Tâtonnement expérimental : l'expérience tâtonnée

Février 1996

Après avoir situé une méthode naturelle, fon­dée sur le processus du tâtonnement expéri­mental, par rapport aux méthodes analytique et globale (1), nous envisageons d'éclairer ce processus d'apprentissage central en péda­gogie Freinet (2), par la confrontation de textes fondateurs avec certains éléments des recherches en psychologie cognitive.

Nous souhaitons, au cours des numéros sui­vants, lever quelques ambiguités :
- le tâtonnement expérimental est-il un pro­cessus d'apprentissage efficient ?
- se confond-il avec l'apprentissage aveugle par essais - erreurs (2), au hasard, cepen­dant commun à l'homme et à l'animal (3) ?
J & E. Lèmery
 
Nous symbolisons le comportement par une fi­gure en escalier : le trait vertical, c'est l'acte d'expérience tâtonnée, suivie d'une sorte de palier au cours duquel l'enfant ré­pète l'acte réussi au cours de l'expérience tâtonnée. Cette répétition peut se faire sous forme de travail utile si les circonstances de milieu le permettent ; sinon elle conti­nuera sans autre finalité qu'un besoin natu­rel d'acquérir la maîtrise de l'outil et de faire passer les actes dans l'automatisme.
Cette expérience tâtonnée se poursuit par le truchement des outils dont l'enfant dispose. Nous indiquons un outil nouveau à chaque ex­périence tâtonnée. Mais, dans la pratique, cette maîtrise demande de nombreuses expé­riences tâtonnées qui s'interfèrent, se chevau­chent...
...Il n'y a pas, d'une part expérience tâton­née, et d'autre part répétition pour acquisi­tion des automatismes. Ce ne sont là que deux temps inséparables du même processus. L'expérience tâtonnée suivante ne peut être menée à bien tant qu'un minimum d'automatisme n'est pas venu consolider l'acquisition opérée. La maîtrise de la main ne pourra pas s'opérer tant que l'on n'a pas appris la maî­trise du bras ; le langage articulé ne sau­rait apparaître tant qu'une infinité d'expériences tâtonnées n'ont pas fixé dans votre automatisme la maîtrise suffisante des outils précédents : pharynx, lèvres, langue.
Il se peut que l'ordre que nous donnons ne soit pas parfait et que, à l'expérience, on doive, sur certains points, le remanier. Comme il se peut que d'autres outils méritent de prendre place dans notre série.
Ces imperfections inhérentes à toute oeuvre qui remue ainsi un fonds entièrement nouveau, ne changent rien aux principes que nous avons établis. Et ce principe de procession normale de l'expérience tâtonnée en est un des plus importants.
Pour être plus précis et mieux compris, for­mulons sous forme de lois ces diverses conclusions :
- 1ère loi : Le processus de croissance est tout entier basé sur l'expérience tâtonnée.
- 2ème loi : Chez le tout jeune enfant, comme;chez l'animal, cette expérience tâton­née ne sort pas du              cadre des be­soins et des réactions instinctifs.
- 3ème loi : L'homme a précipité et différen­cié son expérience tâtonnée par l'emploi des outils.
- 4ème loi : L'action se fait en deux temps :
1er temps : expérience tâtonnée qui tend à trouver une solution satisfaisante en face d'une situation nouvelle.
2ème temps : la répétition des expériences réussies jusqu'à la maîtrise automatique de          l'outil.
- 5ème loi : Cette répétition peut, dans les circonstances les plus favorables, concourir à la                                  satisfaction di­recte des besoins (je charrie de l'eau pour aider mon père qui arrose le                                       jardin). C'est alors un jeu - travail . A dé­faut, la répétition se fait sans cette fina­lité, le seul        but étant la maî­trise de l'outil et la conquête de l'automatisme. C'est alors un travail - jeu.
- 5 ème loi (bis) : Cette répétition peut s'échelonner sur un long espace pour un même outil, sur                                    plu­sieurs années, pendant que se poursuit ce­pendant la montée subséquente par                             expérience tâtonnée et répétition. Il y a alors comme une sorte de retour en arrière                    très caractéristique dans le jeu.
- 9ème loi : Le progrès dans le comportement est une conséquence des deux fonctions alter­nées :                     expérience tâtonnée et ré­pétition. Si, pour des raisons que nous avons exposées,                                  l'expérience tâtonnée n'est pas possible, l'individu en reste à la phase animale                                          d'automatismes suscités par les instincts vitaux. S'il y a expérience tâ­tonnée sans                            possibi­lité d'inscription dans l'automatisme par les jeux - travaux ou les travaux - jeux,      l'expérience tâtonnée est à recommencer et tout progrès est, de même, impossible.
Texte extrait de la brochure BENP (N ° 36 pa­rue en 1948) reproduite dans la BTR 18/19 (avril 76)
 
(1) Nouvel Educateur n°72 Octobre 1995
(2) On trouve aussi une description détaillée du tâtonnement expérimental dans C.Freinet -   Oeuvres pédagogiques - Ed.Seuil - Tome 1 p.355 et p.371 - Tome 2 p.211
(3) d'après Olivier Reboul - Qu'est - ce qu'apprendre ? - Ed.PUF - p.51/52