Dans : EPS › Formation et recherche ›
Février 1996
Education corporelle et pratiques chorégraphiques
données actuelles
L'intégration des activités artistiques à l'école se pose en termes spécifiques vis-à-vis des paradigmes de l'enseignement, du travail scolaire, de l'apprentissage, de l'évaluation... Tout enseignement artistique se heurte aux résistances des rationalités des disciplines dites "fondamentales" essentiellement structurées par les codes linguistiques aux logiques avérées, admises et contrôlables.
S'agissant de l'éducation corporelle en "Education Physique et Sportive" (E.P.S) dans ses visées "expressives", ses contenus quasi-exclusifs actuels sont représentés par "la danse" qui s'est confrontée dans l'histoire de son institutionnalisation à deux espèces d'enjeux. D'abord les enjeux scolaires l'ont interrogée sur le statut du corps dans la culture, la place des activités gestuelles dans les compétences du sujet et la définition du rapport apprentissages gestuels / apprentissages conceptuels. Ensuite des enjeux disciplinaires proprement internes à l'E.P.S ont provoqué une réflexion et une mutation du statut des gestualités à finalité artistique par rapport à celui des gestualités sportives.
Un contexte historique
Très schématiquement les activités gestuelles à "visées expressives et esthétiques" ont été représentées par des figures typiques de pratiques corporelles, symboles des idéologies éducatives du moment :
- les années 1970 ont vu fleurir "l'expression corporelle" (inventée dans les années 50).
- les années 1980 ont vu naître le vocable d'Activités Physiques d'Expression (A.P.Ex), qui a consacré les objectifs scéniques des pratiques de danse, de mime et d'expression corporelle.
- les années 1985 ont institutionnalisé sans ambiguïté les A.P.Ex dans les I.O pour les collèges et les lycées.
- les années 1990 donnent naissance à un "domaine d'action" avec ses programmes spécifiques en matière d'"expression".
Des enjeux éducatifs
Pour comprendre les événements, il faut exhumer leurs enjeux éducatifs. Pour quelles finalités et pour quels contenus les enseignants se sont-ils mobilisés ? Quelles sont leurs valeurs de référence ?
Pour répondre, il faut un modèle d'interprétation des pratiques. Nous avons choisi celui de Michel Bernard concernant le système mythique de "l'expressivité du corps". La notion tient son sens de quatre valeurs majeures qui définiraient l'authenticité d'une expression corporelle et par extension, l'excellence d'une gestualité théâtrale :
- la SPONTANEITE
- le LANGAGE DU CORPS
- la PRESENCE de l'acteur
- le PLAISIR du jeu
Nous avons déjà montré que les termes de cette matrice sont plus ou moins investis par les discours sur la Danse à trois moments de son évolution :
- période magique de l'"expression corporelle" : l'expression du sujet vers la technique sportive (dominance de la "spontanéité", de la "présence" et du "plaisir").
- période de didactisation et d'invention des A.P.Ex (émotion et symbolique du geste).
- période de reconnaissance : tentative de résolution du paradoxe du comédien (intégration de l'émotion et du savoir dans le jeu, processus de symbolisation).
L'ensemble de l'évolution permet de remarquer une régression des idéologies expressivistes et l'émergence de questions sur le sens des apprentissages chorégraphiques et des produits gestuels qu'ils génèrent.
L'actualité didactique de la "danse" à l'école
Aujourd'hui, les praticiens sont mis en demeure de produire des "programmes" en énonçant les contenus d'apprentissage sous les espèces de "Principes d'Action, Principes Opérationnels et Principes de Gestion". Ces énoncés caractérisent des ensembles de conduites motrices dénommés "domaines d'action". Celui qui nous préoccupe est actuellement défini comme l'ensemble des "actions motrices se caractérisant par la création et la maîtrise de forme avec ou sans engin, destinées à être perçues par autrui, auxquelles le sujet donne une ou des significations à travers différents registres d'expression esthétique". (document "projet EPS" IGEN p.2)
Or jusqu'ici, les praticiens de danse en milieu scolaire restent maîtres de leur discours avec ses codes spécifiques. La nécessité de répondre à la pression institutionnelle des "programmes" donne lieu à un renversement de procédure de définition de la discipline :
- phase 1 : les experts ont imposé leur modèle à l'institution, tout en faisant entrer "la danse" dans un schéma méthodologique orthodoxe de l'E.P.S.
- phase 2 : les experts doivent formater leurs contenus en respectant le "logiciel" de la discipline.
Quelles influences les nouvelles contraintes institutionnelles exercent-elles sur les finalités et les contenus d'enseignement et par conséquent sur les valeurs véhiculées par les pratiques chorégraphiques dans le système scolaire ?
Données actuelles
Un bilan global
Les tendances didactiques sont assez lourdes pour nous permettre d'affirmer que l'objet qui est en jeu dans les apprentissages opérationnels reste le langage. Son "code" demeure flou. Les images de la "cohérence", du lien entre les "signifiants" et les "signifiés" qui relaient la métaphore "langage" ne lèvent pas les ambiguïtés majeures.
Une nécessité d'implication du sujet dans son jeu semble demeurer ("gestuelle personnelle", "donner du sens à son langage corporel").
La présence de l'acteur semble donc requise dans son geste, celle du chorégraphe dans sa composition (son "langage poétique"). Mais cette présence reste ambivalante dans les conceptions pédagogiques. D'une part il est demandé au danseur d'"engager son identité corporelle" et d'autre part il est contraint de "gérer ses émotions".
Le bilan didactique
La théâtralisation du geste comme objet d'apprentissage scolaire est massivement définie comme l'apprentissage d'un langage que l'on qualifie furtivement de "poétique".
Le processus de composition des chorégraphies est traité schématiquement en termes de "contrastes", de "ruptures", d'"élimination des gestes parasites", de tri des "éléments pertinents", de respect de règles ("un début et une fin").
La communication est abordée en termes d'"images fortes", d'"exploit" et surtout d'"effets réussis". La valeur d'excellence de la communication est, conformément au texte officiel, "l'efficacité", voire la "performance" qui est mesurée au "nombre d'images fortes repérées par 75% des spectateurs" (Nantes, n° 10, 1994, p. 54). Dans ce cas, l'effet scénique devient une performance et la valeur artistique une affaire de quantité. Soit, mais de quantité de quoi ?
Le code disciplinaire unique n'aurait-il pas pour effet d'entraîner des amalgames symboliques ?
Les nouveautés disciplinaires apparentes
La disparition totale des idéologies expressivistes se repère à l'évacuation de deux mythes majeurs de l'expression corporelle, la "spontanéité" et le "plaisir".
La "spontanéité" était encore une ressource pédagogique en 1990 ; elle est désormais désignée comme la borne dont il convient de s'éloigner pour "passer du mouvement au geste", pour "passer d'une gestualité habituelle (ou anecdotique) à une gestualité originale, authentique, stylisée (dansée)".
L'apparition surréaliste d'une pensée théâtrale qui ignore tout d'une approche sémiotique de la gestualité (pourtant classée parmi les "sémiocinèses" depuis 1984 par J.C Serre en référence aux propositions de Julia Kristeva de 1968), mais qui voudrait malgré tout en faire apprendre les principes.
L'initiation poétique est réduite à l'apprentissage d'un langage dont personne ne se risque à définir le code.
L'idée que l'élaboration poétique d'une chorégraphie doit être efficace constitue, dans les propositions éducatives actuelles, un contre sens majeur sur les valeurs symboliques des activités "esthétiques".
Comment alors s'étonner que les enseignants d'E.P.S spécialistes de danse participent activement à la contestation de l'ambiguïté et de l'autoritarisme des propositions de programmes ?
Gil Mons,
Centre de Recherches Européennes
en Education Corporelle (C.R.E.E.C)
67000 Strasbourg
Auteur :