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Non au droit de vote à 16 ans

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Mars 1996

Pour les droits politiques au lycée 

Dans les interventions publiques, il est de bon ton de faire jeune. Chaque candidat aux Présidentielles fait sa cure de jouvence auprès des jeunes. Et quelques conseillers en communica­tion donnent le "la" à nos hommes po­litiques pour conquérir cet électo­rat. Cela a partiellement réussi à notre actuel Président de la Répu­blique.
 
Il y a deux ans, les jeunes sont mas­sivement descendus dans la rue contre le C.I.P. A la suite de ces mouve­ments, Mr Balladur a mis en place un Comité Consultatif de la Jeunesse qui a fait des propositions pour les jeunes, dont l'une est le droit de vote à 16 ans.
Cette proposition est en réalité ré­actionnaire et démagogique. Démago­gique car elle flatte la jeunesse sans lui donner les moyens d'exercer réellement le droit de vote. Réac­tionnaire parce qu'elle aboutira da­vantage à une vision surmédiatisée de la politique où le débat d'idées fera place aux effets de foule dont l'animateur télévisé restera le maître.
Nos hommes politiques de la IIIème République avaient bien compris que le droit de vote octroyé en 1948 pour les (seuls) hommes ne suffisait pas... Le coup d'état de Napoléon III en 1851 et le plébiscite qu'il avait recueilli des milieux paysans avaient montré les faiblesses d'un droit sans éducation. Et c'est pourquoi les ré­publicains développèrent l'école pu­blique à partir de 1881 - école pu­blique, laïque et obligatoire - pour permettre au peuple, grâce à la science, à la philosophie, à l'histoire, d'accéder aux Lumières et à la raison. La progression des suf­frages socialistes et républicains à la fin du XIXème siècle devait leur donner raison.
 
La politique bannie des lycées
 
Aujourd'hui, le droit politique est interdit au lycée car il est assimilé à un prosélytisme qui violerait le caractère laïc de l'école publique. Les jeunes n'ont donc jamais l'occasion au lycée de discuter, d'argumenter pour ou contre, de ma­nier des opinions par rapport aux grands évènements du monde, en bref de faire de la politique.
Rappelons aussi que l'Education Ci­vique n'est séparée de l'Histoire/Géo qu'au collège où des enfants de 13 ans apprennent ce qu'est ... le Conseil Général ! (Demandons qui le sait... dans une salle de profs !) Alors qu'au lycée cet enseignement est globalisé dans les programmes d'Histoire et Géographie. Or le pro­gramme est tellement lourd en termi­nale qu'on ne s'attarde pas vraiment sur toutes les questions institution­nelles (régionalisation, pouvoirs d'une commune...) que les élèves ont traitées en 6ème...5ème...4ème ! On ne s'attarde pas non plus sur la for­mation des partis politiques (quelles idées ? Quels hommes ? Quels choix ?) sinon au détour de leçons sur l'Europe, sur la IVème à la Vème Ré­publique. La course au programme, la certitude aussi, et c'est tant mieux dans le cadre actuel, que les ques­tions directement politiques ne figu­reront pas à l'examen, incitent à ne pas aborder à fond les questions po­litiques.
Ainsi, c'est au moment où les élèves seraient mûrs pour une véritable for­mation politique que le programme ne donne pas toute sa place à cette initiation.
De même les pratiques sociales au ly­cée ne permettent pas d'exercer les droits politiques :
- Que ce soient les droits des délé­gués qui sont des tâches en plus des cours, souvent désertées par les élèves les plus capables. Comme la fonction politique, la fonction de délégué se dégrade...
- Que ce soit le droit de réunion qui est toujours considéré comme une pos­sibilité de troubles et de menaces, les problèmes d'assurance, de respon­sabilité venant justifier la limita­tion de ce droit des élèves.
- Que ce soit donc le droit de diffu­sion de tracts politiques à l'intérieur des lycées, les règle­ments l'interdisant (notamment la circulaire Bayrou, laquelle, pour traquer le foulard à l'école, inter­dit de fait toute diffusion politique au lycée).
Ainsi on considère nos adolescents comme d'éternels enfants, à qui on interdit de se frotter à la poli­tique, comme on interdit à un bambin de toucher le feu pour lui éviter une expérience désagréable.
Et on lâche à 18 ans ces mêmes jeunes dans la vie politique en leur deman­dant d'aller voter pour des partis dont ils n'auront jamais entendu par­ler, de toucher des problèmes dont ils n'auront pas eu souvent l'occasion de discuter.
Il n'est pas étonnant que les jeunes aient une vision déformée de la vie politique, vision que les médias am­plifient le plus souvent. Or la source essentielle d'information de la jeunesse n'est ni Le Monde, ni Le Figaro, mais la télévision !
Il n'est pas étonnant aussi que les jeunes qui critiquent - souvent sans savoir - la déliquescence politique, votent massivement pour un "type" qui fait jeune, qui a la gouaille popu­laire, qui a la justice à ses trousses, un yacht et qui est le zorro des reprises d'entreprises. Où est la politique ici ?
Demain si le Doc se présentait, il pourrait avoir beaucoup de voix car il est "cool"... et concret.
 
Télévision et manipulation
 
Les jeunes (et pas seulement eux d'ailleurs) ne voient la politique qu'à travers les "affaires", mais ne voient jamais le lent travail mili­tant, la discussion dans une réunion autour de propositions sur le chô­mage, sur la sécurité, sur la réforme de l'enseignement...
Ils n'ont de vision du débat télévisé que la mise en scène de la parole "spontanée" où chacun vient prendre le micro, et pousser un cri sans que jamais une discussion n'ait lieu. C'est l'animateur le grand gourou de ces cérémonies expiatoires. L'émission "Che la Ouate" est à ce sujet l'exemple achevé de la non dis­cussion. Dès qu'un débat peut avoir lieu et donc engager des questions politiques, le Doc remet les pendules à l'heure : "ici, on ne fait pas de politique... mais du concret". Car lui, le Doc, fait du concret, il sait que trois ou quatre minutes de dis­cussion provoquent le zapping, donc la perte d'audimat !
Dans le dernier mouvement social que nous avons vécu en décembre et qui portait sur l'avenir de la société, prestations sociales, retraites, em­ploi... la jonction avec les jeunes a été assez difficile et s'est faite ça et là de façon sporadique. Quand nous avons fait grève en tant qu'enseignants, très peu de lycéens se sont véritablement mobilisés. Ils étaient tout au plus curieux de sa­voir pourquoi il y avait un tel mou­vement.
Les prestations télévisées des jeunes étaient souvent assez décevantes. Les critiques que formulaient les étu­diants ou lycéens traduisaient fina­lement assez bien la coupure radicale entre le monde politique et la jeu­nesse et l'ignorance même des jeunes quant aux mécanismes de décision dans une démocratie.
Ce qui a permis pour les hommes poli­tiques rodés aux exercices télévi­suels de faire davantage d'effets . Face à des critiques parfois dures et qui témoignent aussi de la méconnais­sance des institutions, il est facile pour un homme politique de jouer le paternalisme afin de mieux expliquer, comme Juppé "expliquait" aux fran­çais, en décembre, sa "bonne" poli­tique.
Le débat devient vite une explication de texte du politique-professeur qui sait, face à des jeunes agités (c'est de leur âge !) en déficit d'explication. Cette impression est d'autant plus renforcée que la prise de parole des jeunes (à l'exception de quelques leaders) est souvent gauche et maladroite (cela en dit d'ailleurs long sur l'échec de la formation en collège et lycée !) face à la parole structurée de l'homme po­litique.
Ainsi la parole sauvage (au sens où l'entendaient les Européens en par­lant des "sauvages" au XVIIIème siècle) a été canalisée par la parole "cultivée" ; et les réflexes contes­tateurs dûs à l'ignorance supposée sont atténués grâce à l'intervention du politique médiatique, aidé souvent par la complaisance des journalistes.
Il faut noter que la parole sauvage ouvrière, tout aussi maladroite, ré­siste davantage aux discours policés car, par culture ouvrière, les tra­vailleurs se méfient et demandent à leurs leaders syndicaux de contrer les propos des politiques, sentant bien confusément qu'on cherche à les "rouler".
Aussi est-il temps d'éduquer les jeunes à la politique !
 
Eduquons à la politique démocratique
 
Or la discussion politique exige un peu de sérieux. Une information, d'abord, qui prend en compte diffé­rents points de vue, pour mieux les comprendre, et parfois mieux les com­battre. Une discussion, où chacun ap­porte des arguments ou se contredit. Une synthèse enfin, qui permet de dé­passer le débat et d'avancer. Cela s'apprend et ne nécessite pas les projecteurs, mais l'humilité du tra­vail et de l'écoute.
La vie démocratique exige aussi l'existence de partis forts où les gens se rencontrent, s'écoutent, dis­cutent, nuancent leur propos et déci­dent ensemble une action en fonction de ce qu'ils ont analysé. Ce n'est pas une discussion mondaine pour pas­ser le temps. Cela n'a rien à voir avec un show télévisé !
Et cette vie démocratique apprend à réfléchir, à relativiser son point de vue, à s'enrichir de l'apport des autres. Elle est ainsi le meilleur apprentissage de la tolérancce.
 
Pour la vie politique au lycée
 
Cessons de penser que la laïcité si­gnifie l'aseptisation du monde sco­laire où on écarte tout problème qui dérange. Nous avons des valeurs à dé­fendre dans ce monde instable, : celle de la laïcité contre les obscu­rantismes, les intégrismes religieux (d'où qu'ils viennent), celle de la démocratie contre les nationalismes ou les populismes. L'école est le lieu où doivent être discutées ces valeurs.
* Osons introduire le droit politique au lycée en sanctionnant simplement les écrits contraires aux valeurs dé­mocratiques : l'apologie du sexisme, du racisme, et en intervenant contre la diffamation.
* Osons mettre au programme de pre­mière et terminale (quitte à réduire le programme d'histoire-géo, bien sûr !) une heure ou deux d'initiation po­litique comportant l'histoire des institutions, le dialogue avec des élus qui interviendraient dans les classes, l'histoire des partis poli­tiques de l'extrême droite à l'extrême gauche en passant par les écologistes.
* Osons donner le droit de réunion aux élèves, même sur des sujets que l'administration n'impose pas et ainsi faire venir les partis poli­tiques au lycée.
* Osons modifier les pratiques sco­laires en valorisant aussi l'esprit d'initiative. Un élève capable de monter un projet de solidarité avec ses camarades, des professeurs, des acteurs institutionnels, doit être considéré pour ce travail autant qu'un fort en maths !
Si l'on ne veut pas que la politique se réduise à un défilé de majorettes, à des cadeaux surprises, à un concert rock et à un show télévisé, si l'on ne veut pas que la "sondomanie" (c'est à dire sonder n'importe qui sur n'importe quoi en recueillant des opinions de gens qui répondent à des questions qu'ils ne connaissent pas) remplace la formation d'une opinion par la lecture ou le débat, alors il est URGENT de faire entrer la poli­tique au lycée. Cela se fait en Alle­magne où les jeunes ont, dans les grandes classes équivalant aux se­condes, premières et terminales, une ou deux heures par semaine d'instruction civique. Cela consiste à prendre un point d'actualité et, à partir d'un article ou d'un dossier de presse, à faire discuter les jeunes qui échangent des arguments contradictoires. Des Allemandes qui étaient dans ma classe en novembre avaient discuté... des essais nu­cléaires français ! Elles savaient s'exprimer (en français !) et sa­vaient dialoguer avec beaucoup plus d'aisance que nos élèves ! Alors, pourquoi ne pas faire cela chez nous ?
Oui, il est urgent que les lycéens s'initient à la complexité de la vie politique. La démocratie est exi­geante, elle demande un effort et de la réflexion : et c'est encore dans l'école de la République que l'on peut apprendre cela !
Le droit de vote à seize ans ne se­rait dans le cadre actuel qu'une gi­gantesque manipulation... La poli­tique au lycée, elle, est vitale pour la survie du système démocratique.
Gilbert Dumas
Professeur d'histoire et géographie
Lycée Récamier 69000 Lyon