Raccourci vers le contenu principal de la page

L'oral dans une démarche globale de communication et de coopération II

Dans :  Français › Principes pédagogiques › Principes pédagogiques › 
Avril 1996

Introduction

 
Au cours du premier dossier, nous avons suivi, dans l'expression de leur inté­riorité, les témoignages sur l'entretien, le débat informel, les ré­seaux de parole qui se tissent quoti­diennement et souvent à notre insu entre les enfants et les adolescents au tra­vail. Parole singulière, fugace que le maître aide à éclore, accompagne en fa­cilitant, par l'organisation coopéra­tive, des lieux d'expression et des temps d'écoute, de partage, dans des groupes fluctuants. Parole qu'il entend afin d'aider chacun à accéder, lente­ment, à une ouverture de plus en plus grande à soi, aux autres.
Mais les niveaux de parole et les re­gistres de langue, extrêmement com­plexes et imbriqués nous poussent dans ce deuxième dossier à ouvrir d'autres portes du langage pour explorer d'autres types de parole qui se mani­festent quo­tidiennement dans la vie de la classe, à des degrés divers selon les possibilités d'émergence et l'âge des élèves.
D'où la palette de techniques finali­sées que nous proposons encore, pour laisser, à chaque type de parole, la possibilité de s'installer, d'une ma­nière plus ou moins institutionnelle. L'institution ayant pour valeur de mon­trer qu'il s'agit d'un droit fondamen­tal apparte­nant à chaque individu du groupe - so­cial classe.
Ce sera d'ailleurs une des fonctions de la coopérative que de veiller à ce res­pect des différentes paroles. Au maître, averti et conscient des enjeux d'être un grand écoutant afin d'aider à approfon­dir les questionnements, l'implication de plus en plus grande du sujet parlant pour qu'il apprenne à se situer parmi ses pairs, dans une parole critique. La pratique régulière du dé­bat, de la conférence, de la radio ou de la vidéo, permettra la confrontation de la parole et fortifiera une approche distanciée. Quant à la parole sensible et poétique, sans doute fragile dans l'enfance mais essentiel jaillissement de l'adolescence, contrepoids d'un monde technicisé à outrance, exprimé par la parole logique et extérieure, il faut l'accueillir, la reconnaître avec tou­jours plus d'attention, d'enthousiasme. Qu'au moins l'école soit l'ultime creu­set de cette parole existencielle !
 
Une parole d'organisation, de planification, de gestion, d'évaluation
 
Pour saisir l'esprit de la coopération scolaire, il nous semble utile de rappe­ler la mise au point faite par Freinet dans l'Imprimerie à l'Ecole de mars 1932 sur cette notion.                                     "Dès mon arrivée à Saint - Paul... j'ai posé comme prin­cipe essentiel de notre vie scolaire que les enfants doivent être capables de se diriger, de s'organiser, de cher­cher eux - mêmes les modes d'organisation susceptibles de servir le groupe." (1)
Certes, l'organisation se met toujours en place graduellement, au fur et à me­sure des besoins nés des activités di­verses, des pistes d'apprentissages à explorer à deux, à trois... des chan­tiers de travail à assumer, des pro­blèmes matériels à régler, des conflits à gérer ... Il y a une grande variété de structures en ce domaine mais aussi quelques invariants auxquels nous al­lons nous attacher pour révéler comment cette institution mouvante, sans cesse remise en cause par l'évolution même des diffé­rents facteurs constitutifs de la col­lectivité, est génératrice d'une parole d'éducation à la citoyenneté. Comme toute mise en place est d'abord singu­lière, nous préférons toujours cerner quelques points clefs par des témoi­gnages qui valent pour leurs au­teurs, que d'autres discuteront, modi­fieront... tant mieux !
 
* Le responsable de jour, diseur de temps
 
"On prend l'ordre alphabétique des en­fants, et chacun devient à tour de rôle "responsable de jour". Il a en main le chronomètre de la classe, c'est le di­seur de temps. C'est lui qui fait res­pecter les plages horaires que nous avons décidées ensemble. Mon interven­tion dans ce domaine est extrêmement li­mitée. Car si on veut faciliter la pa­role des enfants, il faut diminuer la parole de l'enseignant. Ce "responsable de jour" est un moyen pour moi de ré­duire mes interventions. Il est là aussi, en première ligne, pour essayer de résoudre un problème imprévu (par exemple : "on devait aller à la BCD ; elle est occupée : qu'est - ce qu'on fait ?"). Je suis là évidemment pour l'aider si c'est nécessaire. Les en­fants ont ainsi un accés à la parole qui peut rythmer et organiser la vie de la classe. Au début ils sont coincés, mais en fin d'année, ou mieux, au bout de deux ans, ils ont acquis une maî­trise de la relation tout à fait éton­nante. Ils s'éveillent progressivement à la dyna­mique de groupe, avec de grands progrès dans la prise de parole. Le lundi, le responsable de jour a aussi la lourde tâche de mener l'organisation de l'emploi du temps sur la quinzaine. Mais comme c'est un peu difficile, ils s'y mettent souvent à deux, et toujours avec mon aide. C'est aussi un révélateur de caractères. Comme on suit l'ordre alpha­bétique, certains jours, le responsable n'assume pas tout à fait son rôle : mais tout le monde y passe et pas seulement ceux qui ont une certaine facilité de parole, ou un certain goût pour cette responsabi­lité. Cela nous amène à constater que certains enfants ont moins de facilités que d'autres ; le groupe entier en prend conscience et en vient à mieux définir le contenu de cette res­ponsabilité (de ce "métier") et les qua­lités requises. Qu'est - ce que la pa­role ? la prise de parole ? le res­pect de ce que disent les autres en­fants quand ils font des propositions ? Cer­tains responsables de jour ont d'emblée la facilité d'écouter les autres et d'essayer de proposer une so­lution consensuelle, et d'autres n'y arrivent pas du tout, parce que leur structure intérieure ne leur permet pas de faire ce type de démarche. C'est là encore tout un apprentissage de la pa­role et de la dynamique de la parole.
 
* La réunion de co­opérative
 
"Là aussi : responsabilités tournantes, en suivant l'ordre alphabétique, avec un responsable de la réunion et un sécré­taire, désignés en début de quin­zaine. Mais cela ne se limite pas à la séance de quinzaine ! Beaucoup d'échanges se font tout au long de la période, direc­tement entre chaque en­fant, chaque petit groupe et les res­ponsables de quinzaine, sans passer par moi : "tu inscris telle ou telle ques­tion pour la réunion". Tout cela im­plique des discussions, des mini - ré­unions, qui m'échappent totalement ! La réunion de coopé, c'est la partie émer­gée de l'iceberg ! Tout le reste, l'adulte n'y a pas accés, mais il est indispensable que l'institution ait per­mis que ces échanges se déroulent. C'est sans doute cet aspect qui gêne beaucoup d'enseignants : "il peut se passer des choses en dessous, et tu ne le sauras même pas ! " Et il est très fréquent que nous ne soyons pas au cou­rant de cer­tains problèmes, ce que peu­vent nous re­procher des parents... Or les enfants ont une facilité de parole bien plus grande quand nous ne sommes pas dans le circuit.
Le rôle du maître dans la réunion coopé­rative c'est de savoir trouver sa bonne place, savoir parfois regarder en l'air quand tout le groupe a les yeux tournés vers lui, renvoyer le groupe à sa propre interrogation... Et même alors que le groupe semble tout à fait autonome, sa­voir arrêter le groupe, in­tervenir à contre - temps, ce qui n'est pas tou­jours simple, mais cela s'apprend. Ceci pour éviter que les ré­unions de coopéra­tive deviennent trop formelles. Ou bien accepter que le groupe s'enflamme et même devienne agressif parce qu'il se passe quelque chose de profond. Savoir aussi par mo­ment remotiver un groupe, voire le pro­voquer. Ce qui veut dire ac­cepter un certain bruit dans la classe, les re­marques désagréables du collègue qui est à côté ou du visiteur imprévu, et protéger le groupe par rapport à ces remarques. Savoir très précisément pour­quoi on a laissé faire les choses à tel ou tel moment.
L'argumentation passe forcément par l'oral : écrire, c'est difficile ; argu­menter aussi. Argumenter par écrit re­double les difficultés. Et il est diffi­cile d'argumenter par écrit si on n'a pas appris à argumenter oralement.
La réunion coopérative est un bon mo­ment pour cet apprentissage : quand un enfant a demandé qu'un problème soit inscrit en réunion coopérative, il est amené à dé­fendre son point de vue. S'il ne l'argumente pas un tant soit peu, il me­sure que ça ne passe pas. C'est à nous aussi, à ce moment - là, de poser les questions qui peuvent amener à rendre plus lisible l'argumentation : "pourquoi as- tu dit ceci ? explique - nous cela".
Et devant des stéréotypes, des opinions manifestement erronées, que faire ?
Organiser, faciliter la confrontation des opinions pour éviter qu'il n'y ait pas que celles - ci qui s'expriment. Mais il faut accueillir ces opinions, il faut qu'elles sortent ! Exemple ré­cent : "les grévistes, c'est des fei­gnants... " C'est généralement le re­flet des opi­nions de leur milieu. Mais c'est un long chemin pour qu'ils pas­sent de cette opi­nion à une opinion plus personnelle, y compris chez les adultes !"
L'oral pour régler des conflits diffé­remment
"En maternelle, dit Marie - Do Nardi, il n'y a pas de réunion coopérative à pro­prement parler, parce qu'il est diffi­cile aux enfants de se projeter dans le temps. Quand il y a des conflits entre eux, il vaut mieux les régler toute suite, sans moment insti­tué, dans l'urgence. L'oral, dans ces situations - là, c'est très important. Si on s'explique, cela chasse une par­tie de l'agressivité : ils prennent conscience que c'est mieux que d'en ve­nir aux mains."
Témoignages des camarades girondins
 
A l'école de Chauriat (Puy de Dôme) les cinq classes de l'école (de la mater­nelle au CM2) ont des réunions de coopé­rative communes. Le témoignage de Michel Maubert évoque clairement les trois temps distincts de paroles.
"La réunion de coopérative est un mo­ment de communication, d'échange entre des enfants de chaque classe. C'est aussi un lieu de décision. Les pro­blèmes de rela­tions entre enfants, entre adultes et enfants y sont exposés et discutés (relations entre enfants et institu­teurs, parents, élus locaux, interve­nants extérieurs...). On y pré­sente aussi ce qui se fait dans chaque classe.
Ce conseil qui a lieu chaque vendredi matin de 11 à 12 heures est précédée d'une réunion de chaque classe au cours de laquelle sont désignés deux ou trois délégués et définies des propositions.
Le conseil se déroule dans chaque classe à tour de rôle en présence des élèves et du maître qui aide au bon dé­roulement (prise de parole de chacun, compte - rendu, recours...).
La réunion est très structurée : les dé­légués et le maître sont regroupés en cercle alors que les autres élèves sont à l'écart et simples auditeurs. Le pré­sident de séance et le sécrétariat sont les délégués de la classe où se déroule le conseil.
A la fin de la réunion, le compte - rendu est rédigé et distribué dans chaque classe où il est présenté et dis­cuté.
Il y a donc trois temps de paroles :
1- pour la préparation de la réunion ---->délégation
2- la réunion du Conseil des délégués
3- le compte -rendu dans chaque classe avec répartition des tâches
 
Encart 1 - Compte - rendu de la ré­union des délégués (en classe de CM) - Vendredi 17 novembre 1995 - Ex­trait : Les travaux sur l'arborétum
"Les CM ont exploré les collines de pylère et le parc d'Erik pour déter­miner les arbres. Ils ont planté des graines.
Les CE2 ont planté des sapins et un platane.
Les Maternelles ont planté des bulbes. Ils ont fait la collecte de graines pour le potager. Avec l'atelier de jardinage, ils vont faire des semis.
Les CE1 ont planté des potirons, lentilles, marrons, graines de blé. 
 
Cette parole d'organisation, de planifi­cation, de gestion, d'évaluation est de plus en plus nécessaire si l'on veut que l'école joue son rôle dans l'éducation à la citoyenneté. Il n'est plus possible à notre époque de garder le silence sur tout ce qui divise. Il n'est plus pos­sible de réduire l'éducation à la ci­toyenneté à un en­seignement formel d'institutions. Les valeurs et les fina­lités de la vie en société sont à fonder sur le terrain où l'on exerce et les jeunes n'adhéreront à des valeurs com­munes que si elles de­viennent des tech­niques de vie à l'école. Sans écoute, sans dialogue, sans reconnaissance d'un droit à la différence, sans esprit de tolérance et de solidarité, sans respon­sabilisation , sans prise de conscience des contraintes de la vie collective, des concessions et des choix que celle - ci implique, dans le respect des valeurs universelles... la violence, la délin­quance, le racisme s'enkysteront dans notre société.(Encart 2)
 
Une parole d'expression, de création
 
* L'expression poé­tique en maternelle
 
"Il faut être présent, présent à l'image dans la minute de l'image... dans l'adhésion totale à une image iso­lée, très précisément dans l'extase même de la nouveauté d'image".(2)
En tant qu'animatrice d'un atelier d'expression poètique en grande section de maternelle / CP, je retrouve totale­ment mon comportement dans cette évoca­tion de Bachelard.
Quand on n'a jamais enseigné en mater­nelle, qu'on ne voit les enfants qu'une fois par semaine, dans un temps relati­vement court puisque les options se re­nouvellent dans le décloisonnement, mais qu'on est passionné de poésie et d'art... tout se vit, dans l'instant, et part de presque rien. Un seul mot est souvent germe de rêve. Et les pa­roles multiplient le rêve en cascade.
Voici quelques expressions poétiques égrenées par Mounia ou Djamila, Cora­lie, Amandine, Hélène, Alan, Thomas, Xavier, Morgan... et d'autres.(Encart 3)
 
encart 2
Vendredi 17 novembre, à la réunion de coopérative, Carmen nous a annoncé qu'elle ne viendrait pas lundi matin car elle devait se rendre à une réunion. Alors elle nous a proposé de faire "une journée sans maître". La classe entière devrait travailler de façon entièrement autonome, sans solliciter l'aide d'un adulte.
Lundi matin, nous sommes arrivés en classe, pour cette JOURNEE SANS MAITRE. Chacun a déballé ses affaires et s'est mis au travail (écriture de textes libres, lectures, fiches de mathématiques...)
A 10 heures nous nous sommes regroupés. Nous avons élu le nouveau président (Ange), choisi de nouveaux trésoriers (Jonathan et Florent), et les nouveaux secrétaires (Aurore et Mayuko).
Puis c'était les actualités-trouvailles : Florent, Jonathan et Sarah nous ont présenté des radios. Jennifer avait une jolie exposition de coquillages, et Karina des photos de quand elle était petite.
Ensuite nous avons fait notre lecture de textes libres.
Après la lecture des textes, il fallait préparer le nouveau plan de travail. Grégory a noté au tableau les conférences qui seraient présentées sur les deux semaines, les tables à apprendre... Puis chacun a mis ses limites à atteindre, en fonction de son plan précédent.
Nous avons aussi organisé les ateliers de l'après-midi, ainsi que les responsabilités (mettre la table, nourrir les poules et les oiseaux, aider à la vaisselle, répéter l'épiscope pour la conférence du soir).
Après avoir installé nos ateliers, nous sommes allés balayer l'école.
Quand Carmen est arrivée, en début d'après-midi, tout fonctionnait dans le calme et dans la bonne humeur : l'ateliet théâtre, le terre, des ateliers de mathématiques, le dessin, ou alors simplement du travail personnel.
NOUS SOMMES TOUS TRES FIERS D'AVOIR SI BIEN REUSSI CETTE JOURNEE SANS MAITRE !
La classe des grands
Extrait de "Les pionniers" Ecole Freinet de Vence.
Décembre 1995
Encart 3
Un jour où ils s'étiraient, se dé­pliaient pour émerger de la somno­lence, dans une pièce trop exigüe et trop chauffée :
"Mes bras ont des feuilles
au bout des doigts"
"Mes bras deviennent des branches et mon corps
se tranforme en arbre"
par ricochet : " Mes bras tout neufs vont bientôt s'user."
Le même jour, en regardant Victor, toujours questionneur et étonné :
"Les grands yeux noirs de Victor brillent
comme les plumes du merle."
Aussitôt, digression familiale :
"Mes frères sont terribles
 comme l'orage"
"Maman est belle
comme l'or de son collier"
A un autre moment, alors qu'on ap­prend à se découvrir, à mieux se re­connaître, le dessin au feutre noir répond à la parole :
"La main se croise contre l'autre main pour réfléchir"
"Avec ma bouche je souffle des bi­sous pour dire au revoir à mon frère que j'aime"
"La prière vivante de tes yeux me fait plaisir" (Xavier, nouveau venu d'une école privée, instable ailleurs, heureux durant cet ate­lier)
Alan, très à l'aise dans l'imaginaire, enjambe les carreaux du sol dans la pièce vide (sans cer­ceau)
"Je saute par dessus l'étang bleu - clair pour atteindre le cerceau rouillé."
Une autre fois, en rentrant de l'activité de jardinage où ils avaient bêché, gratté la terre d'une plate - bande pour repiquer du thym et planter des bulbes, ils ne taris­saient pas :
"Avant les fleurs, l'herbe
Avant l'herbe, la terre marron et triste
Avant les dragons, les serpents."
"La petite fourmi rouge se dépêche de construire sa fourmi­lière avant minuit."
"Un jardin où la terre joue à saute - mouton avec les lézards."
Après l'écoute d'un poème d'Alain Bos­quet "Le plus important dans la vie, mon enfant", je note tout ce qu'ils expri­ment, (une page de textes imprimés dans leur journal) du plus extérieur à leur être à l'image la plus significa­tive d'un désarroi intérieur d'un pe­tit gar­çon perturbé par une séparation :
le plus important dans la vie d'un en­fant... "c'est de lui faire visiter la terre pour qu'il sache où aller quand il est perdu"
"c'est de lui offrir son coeur et une écharpe en or                                               pour le protéger du tonnerre."
En décembre, après écoute de "l'enfant qui est dans la lune" de Claude Roy, re­dite avec dialogue, voix chuchotée, voix de connivence convaincue, six en­fants de grande section parlent et des­sinent en même temps. Voici quelques paroles si­gnificatives de cette corres­pondance des sens :
Dans la lune... "je fais pas ce qu'on me dit
je vois des fleurs et des oiseaux
j'entends des pieds qui tapent sur la terre
je sens un parfum très doux de roses
on est bien dans la lune
on dort dans nos rêves."
Le 19 janvier, par contre, à l'écoute du distique de Jean Mambrino :
"L'enfant pieds nus dans la cave
imagine un cerisier"
Halima se lance dans l'interprétation avec beaucoup d'audace critique, vis à vis aussi des solutions interprétatives émises par les autres. Voici sept ré­flexions parmi d'autres :
"L'enfant n'a pas de chaussons parce qu'il a oublié de les mettre." (Romain)
"Peut - être qu'il est pauvre. Ses pa­rents n'ont pas d'argent pour lui ache­ter des chaussons." (Halima)
"Il a froid dans la cave parce qu'il y a le congélateur." (Séverine)
"Si ses parents sont pauvres il n'y a pas de congélateur." (Halima)
"Les cerisiers ça pousse pas dans la cave, ça pousse dans l'herbe quand on met des petits plants." (Halima)
"Il faudrait que l'enfant ait une clef pour ouvrir la porte. Ses yeux ont peur du noir." (Halima)
"Il faudrait qu'il gagne de l'argent et comme ça il serait un petit peu riche, pas trop." (Halima)
J'ai tenté de suivre cette piste avec d'autres distiques et les hypothèses di­vergentes d'interprétation ont conti­nué, quelques unes déconcertantes. Il me pa­raît souhaitable de "casser ce procédé" comme je l'ai fait très vite parce que je souhaite, avant tout, que les enfants ne s'étonnent pas devant la témérité du poète. "Que le langage rêve!" dit Bache­lard. L'esprit critique n'y peut rien. On insistera déjà assez sur l'explication raisonnable, au secon­daire, pour écarter les adoles­cents des "songes labyrinthiques" du poète. Of­frons une longue trêve à l'enfant son­geur qu'il faut aussi aider à s'échapper, de temps en temps, me semble - t'il, des comptines ou formu­lettes de catégories fonctionnelles va­riées qui s'associent aux jeux enfan­tins rituels et se transmettent orale­ment de généra­tion en génération, d'une manière sou­vent fort conformiste, même si "l'onomatopée, l'énumération fantai­siste, l'imitation le jeu inconscient des sonorités, la périodicité des mètres prêtent à ces improvisations en­fantines une valeur éternelle et pro­fonde".(3)
 
* Pratiques poé­tiques à l'école élémentaire
 
Aux journées départementales de poésie organisées par le CDDP de La Roche - sur - Yon, Joël Blanchard insistait sur les représentations à faire évoluer pour s'approcher d'une démarche impli­cante pour les enfants et d'une vie de classe et d'école où le Vivre en Poésie est un engagement quotidien.
Ces pistes pratiques, présentées à l'école élémentaire, dépassent large­ment ce cadre et mettent fort bien en exergue l'interférence des paroles oral / écrit, de l'écouter et du dire.
Depuis une quinzaine d'années des pra­tiques nouvelles ont fait jour et se sont répandues 
Travail plus ouvert de diction.
Production poétique, ateliers d'écriture - vogue des jeux poétiques (écrire comme... , acrostiches, calli­grammes...)
Ouverture à la poésie contemporaine sous toutes ses formes et tous ses thèmes.
Certains parlent de déblocage, d'expression, de libération par la poé­sie plutôt que d'apprentissages. Il y a nécessairement des apprentissages pour rencontrer la poésie ; ils sont d'ordre linguistique et d'ordre affectif et ima­ginaire.
Apprentissage du lire / écrire ; appren­tissage du écouter / dire
Ces apprentissages ne peuvent être ef­fectifs que s'ils s'insèrent dans une vie de classe où tout est faitpour que la communication poétique ait la possi­bilité d'être présente en permanence et dans toutes ses dimensions. C'est ce que j'appelle "vivre en poésie".
Tout cela n'a de sens que dans le cadre d'une vie de classe et d'école où existe la possibilité pour les élèves d'être "des enfants actifs dans un mi­lieu qu'ils gèrent" grâce à une vie coopéra­tive et une pédagogie avec des projets.
Mais ces apprentissages ne constituent pas un but en eux - mêmes. Le but pour­suivi est à la fois plus global et plus vital : former des enfants qui, au cours et à l'issue de leur scolarité, soient capables seuls, c'est - à - dire de leur propre initiative, de lire, dire, pro­duire des poèmes. Simplement parce que, en ayant fait l'expérience, ils en au­ront le désir et la possibi­lité. Et pré­cisément c'est bien pour déscolariser la poésie que l'on propose ces apprentis­sages aux enfants.
Dans le fonctionnement actuel de notre société, qui d'autre que l'école, peut le faire, pour tous les enfants ? L'école restant le seul lieu de passage obligé de tous les enfants.
 
* Ce qu'on peut faire et ce que l'on gagne à prati­quer la poésie
 
Créer un bain poétique :
- Lire jour après jour des poèmes diffé­rents aux enfants.
Lorsque l'enfant entend jour après jourdes poèmes différents, il accède au libre - choix. Son cahier de poésie de­vient réellement sa propre anthologie.
- Aménager un coin poésie à la BCD ou dans la classe avec de vrais livres de poésie.
Lorsque l'enfant peut accéder librement à toutes sortes d'ouvrages de poésie, son choix devient plus précieux puisqu'il exerce sa propre autonomie de jeune lecteur dans une recherche dont les buts lui sont propres.
- Rendre familier ces étranges étran­gers que sont les poèmes.
Nécessité d'une lecture spécifique : on ne lit pas un poème comme on dévore une histoire ou comme on cherche des infor­mations dans un texte.
C'est une lecture plurielle au lieu d'une lecture linéaire, simplement in­formative. Mais la poésie est aussi un langage qui joue et se joue du langage.
Lorsque l'enfant peut valoriser libre­ment son choix par une présentation, il devient acteur et médiateur de poésie. Dans ma classe "on ne récite pas une poésie, mais on présente un poème".
- Rencontrer des poètes (correspondance, rencontres physiques : Charpentreau, Co­ran, Malineau, Bela­meri, Held...)
Pour se familiariser à la poésie, il faut un langage séduisant, un langage contemporain et une variété d'auteurs. Du contemporain au classique il y a un pas qui ne peut être franchi que par un habitué. Le poète contemporain a l'avantage d'être accessible. On peut lui écrire,le rencontrer, le toucher, l'embrasser..." Qu'attendez - vous pour lire les poètes, qu'ils soient morts ? " (Louis Dubost - Le Dé Bleu)
- Contact avec une variété de formes et de thèmes (y compris la révolte et la mort) par expulsion du joli, de l'enfantin, du facilement compréhen­sible qui submergeaient les anthologies de poèmes pour enfants.(Exemple notre par­ticipation au concours "Poèmes pour la fraternité" lancés chaque année par La Ligue des Droits de l'Homme)
- Animations pour sortir la poésie de l'école.
Murs de poèmes (fête du Livre jeunesse d'Aizenay) (Edition de Carnet d'agésinate II : recueil de poèmes). Poèmes - objets.
Il n'y a pas à mon sens de poèmes ni de poètes destinés aux enfants, il y a une poésie qui est une.
- Ecriture libre (texte poétique libre)
Les poèmes libres ainsi produits ne sont que des traces apparentes de tout un processus dynamique très personnel qui, à travers l'interaction langage / imagi­naire chez chaque enfant, à tra­vers les interactions des personnalités d'un groupe - classe, structure, pour chacun, sa relation au monde, aux autres et à soi - même.
- Ecriture poétique : classe culturelle avec Tarabuste - production d'un re­cueil, d'une oeuvre aboutie : " Carnet d'agésinate".
- La poésie, parce qu'elle s'adresse à l'individu, à l'homme, place tout le monde à égalité.
Cela permet à chaque élève (même en dif­ficulté scolaire) de se plonger dans un poème, de le donner aux autres.
Ce n'est pas un seul type d'activités mais des activités multiples et variées qui permettent cette systèmie, cette ri­chesse, cette vie en poésie dans la classe. L'objectif de l'école est bien de créer, de former des amateurs de poé­sie et non des poètes.
Mais je reste convaincu que notre ac­tion est minime et ce qui se passe quotidien­nement entre l'enfant et le poème dé­passe l'adulte. Toute pédagogie de la poésie garde aussi une part de mystère.
                                                                                              Joël Blan­chard
 (85190 Aizenay)
On pourrait reprendre toutes ces sugges­tions de pratiques poétiques au niveau du collège. Les démarches d'approche restent valables. Seules les structures compartimentées de l'institution devront être bousculées pour les mettre en pra­tique. Mais c'est possible si on le veut bien et si on y croit !
L'essentiel c'est que les adolescents parlent, écrivent en prenant véritable­ment la parole : leur parole et non plus en empruntant celle des adultes.
"L'important est qu'ils puissent créer comme on vit, on aime, on a peur, on souffre, on affronte la solitude et la mort, on se révolte, on défie, on ap­pelle, on rêve, on désire, on espère à leur âge - c'est - à - dire crier sans mensonges leur propre cri, et le crier chargé de toutes leurs soifs d'une vie vraie qui soit également une vraie vie."
 (J.C Renard - Livres Poèmes d'adolescents - (5))
Tant mieux si par leurs forces neuves, désaliénantes et transformatrices, ils remettent ainsi en cause le monde et la société d'aujourd'hui.
 
* La création col­lective en collège et le choeur parlé
 
Même si on multiplie les réseaux de com­munication, il y aura toujours des textes libres parfois très courts, des réflexions, un jaillissement ébauché dont on ne saurait que faire, si ce n'est un prétexte à un prolongement col­lectif qui crée dans la classe une exci­tation intellectuelle joyeuse et cris­tallise par le groupe ce qu'il y a de plus original en chacun.
Quand un de ces textes, une phrase, une réflexion orale semble assez ouverte à la création de tous, chacun s'en empare et écrit pendant dix minutes environ l'écho qui se déclenche en lui. Au bout de ce temps très bref, chacun lit tout haut ses trouvailles. On écoute très ac­tivement, repérant les réflexions écrites les plus audacieuses, les plus neuves et déjà on les écrit au tableau et sur feuille en sautant deux lignes. On parachève telle audace, telle nou­veauté, sans souci d'organisation, en numérotant simplement chacune d'elles... Quand on arrive à épuise­ment, on essaie de trouver ensemble un montage , en dé­coupant les phrases au ciseau, en les organisant, en les en­chaînant, oralement et visuellement.
Le rôle du groupe est d'atteindre, à partir des productions de chacun, une sorte de poème collectif anonyme où les uns et les autres jouiront de leur part individuelle magnifiée par le groupe.
Le premier souci est toujours la commu­nication... Cette création collective paraîtra dans le journal, illustrée, mise en page. Elle pourra être montée en choeur parlé, enregistrée et envoyée aux correspondants. (Encart 4)
Elle pourra être dite en choeur parlé pour notre propre plaisir et laisser chez beaucoup d'adolescents des mots gravés, des structures intégrées pour être réinvestis longtemps après.
Les voix différentes, affirmées, ampli­fiées, émises de positionnements diffé­rents dans l'espace, donnent à l'ensemble une force commune vivi­fiante.
L'intervention ponctuelle d'un comédien apportant sa technique aux élèves pour leur apprendre à mieux se servir de leur corps, de leur voix, de leur re­gard pour une présence sur scène est enthousias­mante et donne à la communi­cation agran­die de la parole poétique une densité d'émotion saisissante.
 
* L'expression dra­matique
 
Pour prolonger cette approche ponc­tuelle de l'expression dramatique, il faudrait rappeler combien il est facile d'intégrer les marionnettes à l'école élémentaire, en 6ème / 5ème. Leur créa­tion manuelle permet d'abord de proje­ter librement ses désirs, ses rêves, ses difficultés, son identité. Et sur­tout, la marionnette parle pour l'enfant qui lui prête dans ses mots une ou deux mi­nutes de joie, de colère, de violence, de tendresse enfouie. Qu'importe l'aspect rudimentaire du castelet... C'est tout à fait secon­daire !
Quant aux masques, leur utilisation fait entrer le corps, la voix et l'objet dans l'expression libre et re­présente une étape pour les plus ti­mides et les plus complexés. Avec quel plaisir les adoles­cents s'impliquent dans leur réalisation ! Là encore, faute de scène, en repous­sant les tables, l'espace, même limité permet d'inventer, par affinités d'intérêts, de courtes présentations, toujours très symboliques, que le groupe appréciera, qui seront motivations à discussions et créeront dans le public - classe des réactions de surprise, de complicité, d'étonnement admiratif, d'attendrissement, de jubilation.
A travers un projet théâtre l'expérience plus aboutie, plus ambi­tieuse de l'Ecole Anatole France à Vaulx en Velin est très significative de l'engagement social de l'équipe pé­dagogique et des interactions convi­viales qu'ils ont su aider à re­nouer entre deux quartiers qui s'ignoraient : ex - cité de transit et quartier pavil­lonnaire..
Faute d'espace, nous ne reproduisons ici qu'un extrait du bilan fait par Saâd, Estelle, Khonira, Hicham, Nadia, Mokh­tar, Astrid, Orietta, Jamila, An­thony, Guâmar, et Virginie, les jeunes partici­pants au stage théâtre implanté dans cette école.
"Nous avons offert un spectacle et nous avons appris à vivre et à travailler en­semble !
Ainsi en joignant le travail à l'agréable, nous avons acquis des com­portements de patience, de calme et de compréhension que nous n'avions pas au début du stage.
Nous avons appris à vivre en communauté entre jeunes de deux quartiers diffé­rents... et de deux cultures diffé­rentes. Nous avons appris à communiquer par l'intermédiaire du jeu théâtral, des actualités et du rire.
L'expérience du stage théâtre nous a permis de développer notre sens cri­tique. Nous nous sentons à présent plus à l'aise face au regard des autres. Ainsi, nous pouvons plus facilement com­muniquer avec des personnes que nous ne connaissons pas... nous pouvons par­ler à voix haute, lorsqu'on se trouve en face de gens inconnus, nous nous sentons moins timides.
Nous avons appris à nous transformer physiquement et moralement en d'autres personnes,en d'autres choses que nous sommes. C'est ainsi que nous avons dé­couvert des personnalités cachées que nous n'aurions pas soupçonnées si nous n'avions pas effectué ce stage théâtre."
                                   Extrait d'un compte - rendu de Danielle Roulet qui est à l'origine de ce projet.
 
* La Radio, la vi­déo
 
Autre situation vraie de communication, ouverture sur l'environnement, la radio place l'enfant au coeur d'un système au­tocorrectif qui le conduit à véri­fier, par l'écoute, la valeur et la crédibi­lité de sa communication. Là en­core on retrouve l'interactivité entre l'oral et l'écrit car avant de passer à l'antenne, une préparation écrite, sou­vent sé­rieuse, soutient l'oralité et permet plus facilement d'improviser, de s'impliquer en direct.
En maternelle déjà !
Surprenant, non ?
"Depuis le début du mois de septembre, enfants et adultes de la maternellevi­vent avec émotionlespremiers balbutie­ments de la radio. A 9 heures 25, quelques - uns sont encore dans les pré­paratifs animés. A 9 heures 30, l'émission est attendue. Elle ne dure que quelques instants mais ce court mo­ment est devenu important.
Le principe est simple : chaque jour trois enfants d'une classe, des plus grands aux plus petits, transmettent par l'intermédiaire d'un micro, d'un ampli et des enceintes, des informa­tions aux enfants et adultes de l'école. La trame de ces informations est rituelle : date, météo, anniver­saires, évènement prévu pendant la journée, menu du restaurant scolaire. Le contenu du journal appar­tient aussi aux enfants : un enfant ani­mateur peut transmettre ce qui lui tient à coeur aux autres. Nous utilisons aussi cet outil pour tranmettre les compte - ren­dus des conseils de cour.
L'animation est, elle, un peu plus com­pliquée : elle demande aux enfants de travailler en équipe et de penser à la fois à bien articuler, à ce qu'ils veu­lent dire,à quel moment il est prévu de le dire et de veiller à rester silen­cieux quand c'est un autre enfant qui a le micro en main.
Inciter les enfants à parler pour commu­niquer, tel est notre objectif. Cette radio est une des actions mises en oeuvre cette année pour favoriser l'acquisition du langage,la prise de pa­role et l'écoute des autres".
                                   Isabelle Godron (Ecole maternelle Louis Buton - Aizenay 85)
A l'école élémentaire... l'atelier radio
"L'école produit, pour la quatrième an­née, une émission hebdomadaire d'un quart d'heure. Celui - ci est composé de diverses rubriques : informations, lec­ture de textes, mise en onde ( avec bruitage et musique) d'un livre qui fai­sait partie de la sélection du "prix littéraire", ainsi que la production d'un groupe "radio libre"qui se réunit entre midi et deux heures,avant ou après la cantine. Pour cela, il y a une heure d'atelier par semaine. Le groupe "radio libre" est indépendant de cet atelier radio. Il est très dynamique, beaucoup plus que l'atelier radio qui a sans doute un contenu plus "scolaire".
Tout est enregistré puis diffusé sur une radio libre associative de l'agglomération de Bordeaux, le samedi matin, pour permettre l'écoute à la mai­son. Les enfants qui y participent sont des volontaires. Ils ont une cer­taine expérience (là encore, il y a continuité d'une année sur l'autre). Ce qui se réa­lisait en deux heures ne de­mande plus qu'une heure. L'intérêt, ici encore, c'est qu'il y a brassage de ni­veaux. Pourtant ce sont plutôt des grands. Les enfants y vont souvent par affinités. Et il y a brassage aussi entre l'atelier et le groupe "radio libre". Dans ce dernier groupe, les plus dynamiques actuellement sont des enfants en difficulté de verba­lisation (incapables d'arriver correcte­ment au bout d'une phrase...). Nous constatons des progrès rapides, sans doute à cause du micro, mais surtout parce qu'ils sa­vent qu'ils vont être diffusés, écoutés et parce qu'il y a une dimension créa­tive, un jeu de parole qui existe moins dans l'atelier radio. De même, dans l'atelier radio, ce ne sont pas les meilleurs qui y vont, loin de là. Les C.P. ont même eu du mal à s'y intégrer, mais ils ont eu envie d'y al­ler et en sont revenus contents.
En fait, pas de différence entre les C.P. et les autres : tout le monde est soumis à la même pression ( le manque de temps, les nécessités tech­niques...). On prépare un peu dans la classe les infos, puisqu'il s'agit des informations de la classe. On se de­mande, avec des volon­taires qui vont aller à l'atelier radio, ce qu'ils vont dire de la classe : qu'est - ce qu'on peut diffuser à l'extérieur ? Dans cer­taines classes, on choisit aussi les textes libres qui se­ront diffusés : ce sont ceux qui ont déjà été lus et cor­rigés.
Les rubriques : informations, textes libres, reportages (réalisés lors d'une sortie), feuilleton (la 1ère année du moins ; on s'est répété les années sui­vantes d'où une certaine saturation), lecture d'un livre pour la sélection du prix littéraire, avec préparation (distribution des rôles, musique, brui­tages...). Le manque de temps fait que l'on essaie de travailler en temps réel. L'un d'entre nous s'est spécia­lisé sur le plan technique et nous com­mençons à être bien équipés (5 micros, table de mixage), ce qui facilite le travail. Ce­pendant le montage est ré­duit au mini­mum, ce que nous regret­tons, car ce se­rait une excellente fa­çon de démystifier la radio.
Grâce à la durée (4ème année de l'atelier radio) et à la continuité de l'équipe pédagogique, les enfants ac­tuellement en C.M.ont toujours pu néné­ficier de cet atelier. Ce qui serait sans doute inefficace sur un an, le de­vient quand on prend en compte les cinq années de présence à l'école. Cela per­met à ceux qui évoluent plus lentement ou sont timides, d'y aller plus douce­ment.
Pour l'instant, peu de retours, à part ceux qui ont parlé et veulent s'écouter ! La première année, la diffusion le mercredi en début d'après - midi était très écoutée. Se savoir écouté, dans un "vrai" poste de radio, c'est très impor­tant ! On ne sait pas à qui on s'adresse, c'est la bouteille à la mer...
Ecoutent - ils maintenant la radio de façon différente ? Nous n'avons pas as­sez de recul pour l'affirmer."
 
* La vidéo - corres­pondance
 
"Au collège de Vedène (Vaucluse) nous recevons, en classe de 4ème, une lettre - vidéo de Cérano en Italie avec une de­mande de correspondance de classe à classe. La coopération d'une prof de technologie et d'une prof d'italien, l'existence de clubs- communication pra­tiquant la vidéo, la télématique, le journal, la photographie... facilite l'élaboration et la réalisation du pro­jet."
(Pour les mêmes restriction de pages, nous ne présentons ici, que ce qui touche à l'expression orale dans la des­cription de cette pratique)
"En demi - classe, premières remarques orales sur l'ensemble puis, par écrit, chacun note les informations fournies par la lettre - vidéo... Plus tard, chaque groupe inscrit au tableau, en les présentant, les sujets choisis pour notre réponse ; au fur et à mesure, ils sont complétés. Cela permet à tous de prendre la parole face aux autres...
Aux séances suivantes, à tour de rôle, un groupe de quatre élèves prépare un scènario pour présenter le collège. Les consignes ont été discutées en classe entière... Le travail se fait d'abord oralement à quatre. Ensuite le texte est rédigé, discuté avec moi, puis ils pas­sent au tournage.
Dans la lettre - vidéo de leurs corres­pondants italiens, les adolescents ont vu l'importance que prenait l'oral dans cette forme de communication...Ils com­prennent et acceptent vite les contraintes matérielles. Autant, lors de la recherche en groupe, la parole va tous azimuts, autant lorsqu'ils s'adressent à leurs correspondants, ils se donnent la parole successivement. Ils s'entraident pour exprimer une idée, pour présenter un lieu de vie. Autour de la caméra, chacun a une res­ponsabilité ; autour du sujet à présen­ter, chacun aide son camarade à prendre la parole. Celui ou celle qui a le plus de facilité pré­sentera le groupe, sa­chant que dans l'année ce poste tour­nera... Ici, pas de communication sans coopération."
                                                           Annie Bellot (Collège de Ve­dène - 84)
 
Une parole pour ar­gumenter, faire sa­voir, convaincre
 
* Le débat
 
S'apprendre à donner à quelqu'un les moyens de comprendre, quand on veut lui expliquer quelque chose, demande à l'émetteur des tâtonnements multiples et du temps. Etablir les points clefs et les mettre en place sous la forme de deux ou trois idées simples pour la com­munication est difficile si l'on s'en tient à la structuration solitaire vis à vis d'une question, même jusqu'à la fin du 1er cycle au secondaire.
Alors, on ne multipliera jamais assez les occasions de débats, de petites conférences avec des partenaires diffé­rents,devant des auditoires variés pour s'entraîner à exprimer des points de vue argumentés sur des sujets concrets, abs­traits, en évitant les sujets fourre - tout, "bidons" des exposés tradition­nels et compilatoires qui occultent une réa­lité plus immédiate, plus profonde, celle des élèves d'abord.
Dès que le point de départ est fourni : texte libre, vie quotidienne, évène­ment... et qu'il a retenu l'intérêt d'un groupe fluctuant en nombre (12à 15 c'est l'idéal), ce sont les élèves, avec notre recours, qui proposent deux ou trois questions simples, précises, à la portée de tous. Pour la date de dé­bat fixée par le groupe, chacun des in­téressés met soigneusement, par écrit ses arguments. A l'heure prévue, autour de trois ou quatre tables (regroupées en une minute au collège) , chacun sait quoi dire puisqu'il est épaulé par ses recherches qu'il ne lit pas cependant. Délivré de l'appréhension, il écoute, entend, sera capable de réagir libre­ment. Selon le thème concret ou abs­trait, après chaque question, synthèse immédiate des idées forces en deux ou trois phrases ou mise en relief des idées originales pour une création col­lective... ou un enregistre­ment pour les correspondants. Le groupe ne sera heureux que s'il aboutit à une trace que d'autres interlocuteurs pour­ront infirmer ou confirmer. Au maître encore d'être le facilitateur discret d'une expression profonde par une brève ques­tion complémentaire, une invitation du regard, un sourire encourageant. C'est la part sécurisante nécessaire qui per­met au groupe deréussir et valorise tous ses membres.
Au second cycle, Jacques Brunet a tou­jours tiré bénéfice d'une pratique régu­lière du magnétophone dans le cadre des débats:
"Après un débat à toute la classe ou en demi - classe, je demande à un petit groupe de volontaires ( pas plus de quatre ou cinq) de reprendre l'essentiel de l'argumentation grâce aux notes du sécrétaire et aux docu­ments de prépara­tion. C'est générale­ment programmé huit jours après. Les volontaires, après une brève initiation technique, se retrou­vent seuls dans une salle (ou une petite salle du C.D.I.),sans mon intervention. En une heure, ils obtiennent en moyenne dix minutes d'enregistrement quiest ré­écouté, critiqué, monté, souvent envoyé aux correspondants ou / et transcrit pour le journal. J'ajoute qu'entendre la voix des correspondants est un évè­nement souvent très émouvant. Ce serait bien dommage de s'en priver ! "
On doit aussi évoquer la richesse des débats autour de livres pour confronter les points de vue, les réactions indivi­duelles et socialiser dans un brassage dynamisant telle ou telle vue parcel­laire et personnelle du problème abordé dans l'ouvrage. Lecture, parole orale et écrite, acquis de la libre ex­pression et rigueur de décryptage de sens dans un roman sont en interaction permanente et tissent tout un ensemble de référents qui aident à penser plus large, plus juste, à être plus lucide.
 
* La conférence
 
Sans avoir la possibilité de traiter en profondeur la technique de la "conférence", familière àbeaucoup de classes et dont l'objectif essentiel est de traiter des informations d'origines diverses sur un sujet pré­cis, de pro­duire de l'information éla­borée, adaptée au niveau du groupe, de finaliser ce travail en l'exposant à d'autres. Il y a une grande variété de démarches dans ce traitement de l'information, appropriées au contenu, à l'âge des élèves mais, la parole orale étant notre propos, nous nous bornerons à évoquer ici l'aspect commu­nication.
A Chauriat (63), dans le cours moyen de M.Maubert, quand le travail d'élaboration est terminé "la présenta­tion est programmée le lundi matin, au cours du plan de travail de la semaine. La conférence se déroule dans un temps compris entre quinze et trente minutes. Quand le conférencier parle, les autres écoutent et notent les questions qui se­ront posées à la fin. Après échanges, une trace écrite sera conservée dans un classeur spécial ou / et éditée dans le journal scolaire".
A l'école Martinon de Gradignan (33) (4 classes, 5 avec un groupe d'enfants sourds en intégration) l'équipe pédago­gique a mis au point une présentation des travaux devant la centaine d'enfants de l'école.
"Les travaux qui doivent être présentés sont choisis dans la classe, parmi toutes les recherches. Après chaque pré­sentation, on s'est donné pour règle de poser trois questions, pas plus, et celles - ci doivent venir des classes autres que celle qui présente le tra­vail puisque cela a été réalisé dans la classe, a fait l'objet de questions, a pu être amélioré à la suite des ques­tions avant cette présentation. Il y a eu en quelque sorte "validation" par la classe. C'est devenu un critère de choix : on ne présente à l'école qu'un travail suffisamment au point.
Dans cette séance, on présente un tra­vail par classe. L'école dispose de place : une salle est réservée aux pré­sentations. Si elle était en amphi­théâtre ce serait encore mieux. Contenu : recherches documentaires, pas les re­cherches en math ni en français présen­tées à l'intérieur de chaque classe.
C'est parce qu'ils sont habitués à être ensemble, pour d'autres activités, tous niveaux confondus, qu'il sont capables d'écouter des présentations difficiles pour eux, ou trop simples quand il s'agit de C.M qui écoutent des C.P, qu'il y a réception. On peut dire alors qu'ils ont le sentiment d'appartenir à un supra - groupe, l'école Martinon. C'est à la fois "reçu" et "moteur". Lorsqu'un groupe de petits présente son travail, il le présente à son niveau, mais cela peut donner envie à des grands de reprendre le même travail sur une piste à laquelle ils n'avaient pas pensé. C'est très intéressant parce que l'on voit les questionnements diffé­rents à propos d'un même sujet. Le bé­néfice qu'en retirent les enfants varie selon les niveau : les C.P - C.E 1 sont tirés vers le haut d'une façon impres­sionnante et les grands (C.E 2 - C.M) doivent faire un effort considérable de clarifi­cation, de précision de vocabu­laire, de synthèse. Quand ils voient que les pe­tits commencent tous à lever le doigt, ils recommencent en essayant d'être plus clairs, en simplifiant le plus possible. Ils jaugent leur assis­tance. On s'aperçoit que dès qu'il manque un mot au début, les auditeurs sont perdus pour la suite. Et quand les orateurs expli­quent un de ces mots es­sentiels à leur recherche, ils sont amenés en fait à ré­sumer tout ce qu'ils ont pu expliquer.
Le fait de sortir de la classe a en­traîné un niveau d'exigence supplémen­taire dans le mode de présentation :
- indépendance par rapport aux notes : au début de l'année, ils lisaient leurs documents ; maintenant ils en sont presque à la conférence, en glissant un oeil sur les dates, les chiffres... Ils racontent.
- ils s'aident de documents visuels : panneaux, cartes. On se met peu à peu à l'audiovisuel, particulièrement adapté à ce genre de communication devant un grand groupe. C'est très perfectible sur ce point... Nous avons constaté que les enfants, lorsque leur travail est choisi, préparent leur présentation, améliorent leurs panneaux, pour rendre l'illustration plus lisible.
- exigence pour la voix : avec la pré­sence des sourds, on est obligé d'aller lentement pour que l'interprète ait le temps de traduire. Les grands, en parti­culier, doivent faire un effort impor­tant pour le débit. Ils doivent parler fort, regarder leur auditoire.
Un exposé, en cycle 2, dure à peu près cinq minutes, un peu plus en cycle 3. Au total, avec les questions, la séance dure à peu près une demi - heure. Ce n'est pas très long, il y a de la va­riété, et l'attention est très bonne.
On ne fait pas de bilan formel, mais il y a manifestement réinvestissement de ce qu'ils ont remarqué dans la séance pré­cédente.
Le petit groupe est valorisé par cette présentation. C'est très important pour des enfants en difficulté. Présenter un travail devant cent camarades, c'est une épreuve et un exploit, une victoire sur soi. Les conséquences sont diffici­lement mesurables, mais elles existent sans conteste. L'idéal serait que tous puis­sent passer une fois. C'est pos­sible, sur plusieurs années, sans les forcer, puisque là encore, grâce à l'équipe et à la cohérence du projet, on peut prendre en compte la durée."
 
Conclusion
 
Si nous avons pu, au travers des diffé­rents aspectsdes témoignages,montrer l'usage et le souci d'un fonctionnement naturel de la parole, éclairer diffé­rents types de cette parole qui nais­sent, évoluent et se confortent dans les pratiques de la pédagogie Freinet, nous voudrions encore insister sur le fait que toute éducation à la parole doit se garder d'être réductionniste ou option­nelle.
Les quatre champs de parole que nous avons modestement tenté d'explorer, dans leur ancrage quotidien
- parole quotidienne et spontanée,
- parole d'organisation, de planifica­tion, de gestion, d'évaluation,
- parole d'expression et de création,
- parole d'argumentation,
sont à enrichir constamment et leurs re­gistres spécifiques à améliorer avec lu­cidité.
C'est l'interaction permanente de ces quatre champs qui permettra à chaque in­dividu d'être le plus singulièrement lui - même pour exprimer aux autres sa vé­rité et être capable d'entendre, en re­tour, des réponses qui l'aideront à se construire.
"Dans la vie, il y a moi, il y a l'autre. Il faut pratiquer une pédago­gie de l'autre qui est un autre soi - même et un soi - même autre.
" (E. Morin)
 
Dossier réalisé par Janou Lèmery
avec la participation d'Alain Camille, Philippe Mora, Marie - Do Nardi, Domi­nique et Jean - Luc Bellue, André Pé­not, Jacques Brunet, Michel Maubert, Ecole maternelle de Mercoeur Clermont - Fd (63000), Isabelle Godron, Joël Blan­chard, Danielle Roulet, Annie Bellot.
 
 
Références biblio­graphiques complé­mentaires
 
(1) Barré Michel - Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps - Tome 1 - Editions PEMF
(2) Bachelard Gaston - La poétique de l'espace - PUF - Quadrige
(3) Les comptines de langue française - Seghers -
(4) Journaux scolaires - "Les Pion­niers" - Journal de l'école Freinet - Le Pioulier - Vence (O6)
                                    - "Joie de vivre" - Collège de Chama­lières (63)
(5) Poèmes d'adolescents - Pédagogie Freinet - Ed. Casterman

 

 
 
De l'avis de tous, c'est le plus bel âge de la vie pour s'amuser avec les copains, rire, chanter, être partout à la fois, vivre. On a peu de contraintes, de devoirs, de soucis, de décisions gravec à prendre. On se sent relativement libres ; on est dynamiques, pleins d'espoir, de fantaisie, de rêves fous, avec encore beaucoup d'illusions, portés par le temps, protégés par la famille ou la société, "cocons" qui nous reconnaissent encore le droit à l'erreur et au tâtonnement.
15 ans est un passage d'expériences importantes des choses de la vie avec beaucoup de surprises, de joies, quelques déceptions.
On a le pouvoir de s'exprimer, de s'évader, de rêver, de tout remettre en question, de créer, d'émouvoir mais en fait peu de pouvoirs concrets sur le monde réel, même si nous sommes une génération plus audacieuse et plus franche dans l'expression de ses idées.
Cependant, en dépit de tous ces avantages, nous nous estimons trop dépendants, trop soutenus. Fuir l'enfance, c'est le début des interrogations profondes, d'un trouble intérieur difficile à vivre par rapport aux parents, au milieu environnant ; c'est l'aurore de l'amour.
Curieux de l'état adulte, nous attendond aussi, espérons l'avenir et pensons que, de toute façon, il vaut mieux ne pas trop s'occuper de l'âge qu'on a et prendre la vie comme elle vient.
Synthèse d'un débat réalisé en 3ème