Dans : Formation et recherche › connaissance de l'enfant ›
Avril 1996
Il apparaît dans les classes élémentaires et secondaires que les enseignants ont de plus en plus de difficultés aujourd'hui à fonder les apprentissages sur une motivation profonde des jeunes.
De quelle nature est cette motivation à déclencher ? Quels moyens mettre en oeuvre ?
Question fondamentale, fréquemment posée, pour laquelle il nous paraît intéressant de mettre en parallèle deux écrits de Célestin Freinet et Louis Legrand. (1)
Louis Legrand définit en effet, très clairement, deux types de motivation (2).
"Un savoir peut être acquis dans des situations très différentes du point de vue de l'apprentissage selon qu'il s'agit de motivation externe ou de motivation interne. Dans le premier cas (hétérodétermination) le sujet est entraîné à prendre une habitude intellectuelle (savoir réciter ou savoir opérer) par un conditionnement externe jouant sur les réactions primaires de recherche du plaisir ou de fuite de la douleur. La pédagogie traditionnelle use, ou plutôt usait, de ce conditionnement par le jeu des récompenses et des punitions. L'évolution des moeurs pédagogiques, reflet des moeurs familiales, a peu à peu fait disparaître ces moyens externes sans leur substituer une motivation interne désormais seule capable de mobiliser les jeunes apprenants. Dans ce cas, en effet, l'acquisition du savoir et du savoir - faire découle de la satisfaction répétée de besoins propres du sujet apprenant. Le principe du plaisir est toujours et nécessairement présent, mais la recherche en est autonome et ne dépend pas de conditionnements externes. Il peut s'agir de produire des effets permettant la satisfaction de besoins biologiques, ce qui est rarement le cas à l'école. Mais il peut s'agir aussi du besoin de comprendre, de communiquer, de s'exprimer, de se sentir en communauté, etc. Les méthodes actives ont toujours fait fond sur cette motivation interne, à la fois pour des raisons éthiques de respect et de développement de l'autonomie et pour des raisons techniques découlant de la théorie de l'apprentissage. La psychologie de l'apprentissage a en effet montré depuis Claparède que les apprentissages intellectuels découlant des besoins propres de l'individu sont plus stables que les apprentissages issus d'un conditionnement externe.
Or, nous trouvons là la seconde caractéristique de tout apprentissage scolaire : celle d'être intégralement et synthétiquement construit par l'enseignant ou au contraire de procéder par essais et erreurs progressivement rationnalisés. Ces deux types antagonistes correspondent par ailleurs aux deux types de motivation que je viens de décrire : la construction synthétique dont l'enseignement programmé offre un exemple achevé, s'appuie généralement sur la motivation externe ; l'apprentissage tâtonné sur la motivation interne."
Célestin Freinet insiste sur le "processus fonctionnel" qui est le fondement de toute motivation lorsqu'il analyse longuement une éducation du travail (3)
"Certaines activités sont spécifiques au petit d'homme, comme la course après la souris est spécifique au petit chat. Elles sont la satisfaction normale de nos besoins naturels les plus puissants : intelligence, union profonde avec la nature, adaptation aux possibilités physiques ou mentales, sentiment de puissance, de création et de domination, efficacité technique immédiatement sensible, utilité familiale et sociale manifeste, grande amplitude de sensations, peine, fatigues et souffrances incluses. Il ne s'agit pas ici d'une vulgaire joie, d'un superficiel plaisir, mais d'un processus fonctionnel : la satisfaction de ces besoins procure par elle - même la plus salutaire des jouissances, un bien - être,un sentiment de plénitude, au même titre que la satisfaction normale de nos autres besoins fonctionnels. Et cette satisfaction se suffit à elle - même. C'est pourquoi de telles activités sont en même temps des jeux, dont elles ont les caractéristiques générales, et qu'elles détrônent et remplacent le jeu."
(1) Louis Legrand, professeur honoraire de Sciences de l'Education - Strasbourg-
(2) Louis Legrand - L'école unique : à quelles conditions ? - Scarabée - Cemea - p. 174/175
(3) C.Freinet - Oeuvres pédagogiques - Tome 1 - Ed. Seuil - " L'éducation du travail" - p.167
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