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La réforme de l'orthographe .....

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Février 2011

...... peut-être nécesaire mais certainement pas suffisante.

Françoise Alamartine analyse ici les obstacles à la mise en place des réformes de l'orthographe et se pose la question de sa fonctionnalité pour les enfants.
Pour un observateur étranger, le déchaînement des passions qu'a suscité la réforme de l'orthographe proposée en octobre 90 a de quoi surprendre. Une polémique a opposé ses défenseurs et ses détracteurs, occupant à première place dans tous les médias.
Les vedettes télévisuelles, auteurs littéraires, voire même hommes politiques le disputant aux académiciens dans un refus que l'on pourrait caricaturer dans un slogan de style " touche.. pas à mon orthographe ". Cette nouvelle querelle des " Anciens et des Modernes " n'a retrouvé sa juste place que parce qu'une autre guerre un peu moins hexagonale et un peu plus dramatique l'a reléguée à l'arrière-plan.
Mais, au-delà de l'ironie, il est certain que ces remous ont illustré la place de l'orthographe en France, véritable affaire nationale.
Pourtant, les modifications apportées ne semblent guère révolutionnaires.
Elles touchent principalement les accents circonflexes (supprimés lorsqu'ils n'ont plus que le rôle d'accent du souvenir), quelques doubles consonnes, le pluriel des mots composés alignés sur les règles communes et certains accords du participe passé (parmi les plus anachroniques ...) .
On était loin d'une remise en cause totale de toutes les difficultés orthographiques françaises, que ses défenseurs ne nient d'ailleurs pas. Mais, pour eux, l'handicap pour l'apprentissage qu'elles peuvent constituer est négligeable par rapport à la " richesse " dont elles sont la marque.
On ne peut alors les supprimer sans y porter atteinte. Les règles orthographiques historiques se transforment alors en véritables " Tables de la Loi " immuables.
Il n'est pas question de, faire évoluer la graphie selon l'évolution des prononciations, par exemple. L'écrit fixé, figé, doit demeurer en l'état, quelques soient les évolutions sociales qui rendent inutiles certaines formes anciennes (le fameux accord du participe passé avec le complément d'objet direct placé avant).
 
Un peu d'histoire.
 
Lorsque l'on regarde pourtant l'origine arbitraire de bien des formes orthographiques actuelles, on peut se demander pourquoi elles sont défendues avec autant de vigueur.
L'on sait par exemple le rôle des copistes d'avant l'imprimerie. Certaines lettres n'ont été ajoutées que pour distinguer différents mots, ajouts s'appuyant ou non sur l'étymologie latine (huis - vingt) .
Réécriture étymologique qui n'était d'ailleurs pas exempte d'erreurs (poids avec le "d" de pondus).
Le doublement de certaines consonnes tient beaucoup au fait qu'ils étaient payés à la ligne ; pour économiser du temps dans le cas contraire, ils utilisaient une .symbolisation qui a été reprise par la suite (nez. pour le ts, chevaus devenu chevax mais au u rétabli par les lettrés, avec le x maintenu).
La. fixation de la langue, en particulier dans le premier Dictionnaire de l'Académie, en 1694, entérine nombre de ces " fantaisies " -et en ajoute d'autres dans une frénésie latiniste.
La fixation de la langue ne s'effectue pas dès le départ en référence à un usage oral : la plupart des diphtongues et hiatus se sont déjà réduits, les consonnes finales ne se prononcent plus, mais toutes ces lettres sont cependant retranscrites. S'y ajoute la re-latinisation à partir d'une étymologie plus ou moins exacte.
 
Où l'on commence à parler de réforme.
Pourtant, dès le 16ième siècle, des propositions de simplifier l'orthographe avaient été faites. Des imprimeurs eux-mêmes, artisans actifs de l'uniformisation et de la. fixation de la langue, des auteurs utilisaient une orthographe très simplifiée par rapport à celle d'aujourd'hui.
Dans " la langue des poètes ", Ronsard pouvait ainsi écrire " secrés - heureus ". Mais l'hydre de la réforme qui n'a depuis cessé de renaître (pour ne citer que le 20ème siècle, 1901-1946-1952 ... ) a toujours échoué. La norme orthographique devenant même, à cause de sa diffusion mais pas seulement, de plus en plus prégnante.
 
 A quoi sert l'orthographe
 
C'est que la fonction de l'orthographe n'a jamais été simplement celle d'une transcription de l'oral et d'une commodité de lecture. Si Mme de Sévigné pouvait se permettre une multitude de " fautes ", l'orthographe est vite devenue le signe distinctif d'une classe sociale.
 
Les Salons consacraient nombre de leurs débats à la langue dont ils fixaient le " bon " usage.
Les formes correctes imposées par l'étude des " beaux " textes littéraires. Dès 1650, une divergence absolue existe entre la langue aristocratique et la langue pratiquée en France (d'Oïl bien sûr), la complexité voulue de l'orthographe ne faisant que l'accentuer pour l'écrit. N'est-ce pas ce que signifie très clairement la préface de Mézeray dans ce premier Dictionnaire de l'Académie? " (l'Académie) désire suivre l'ancienne orthographe qui distingue les gens de lettres d'avec les ignares et les simples femmes. "
Cette même Académie n'introduit-elle pas des siècles plus tard des graphies plus archaïques dans une nouvelle édition (lys pour lis - baptême pour bâtème) ?
La défense passionnée de l'orthographe par certains " lettrés " actuels résulte sans doute de cette " distinction ".
D'autant plus peut-être que la suprématie des " belles-lettres ", de ce que l'on appelait les " humanités " laisse la place à celle du scientifique ou technocrate (voir l'évolution, par exemple, de la formation des hommes politiques -de Pompidou à Mitterand ou Giscard D'Estaing ou Chirac). pour forger l'unité nationale et aider à la centralisation.
 
Une fonction nationale.
 
Mais l’opposition à toute réforme s’ancre dans d’autres fonctions dont a été investie l’orthographe française dès sa fixation. Comme l’imposition d’une langue unique, elle a joué un rôle non négligeable dans la constitution de la nation.
Dès François 1er, la royauté avait conscience de l'importance dune politique linguistique
Ce sera présent tout au long de l'histoire de France, et peut-être encore plus avec l'avènement de la république et la prise de pouvoir par la bourgeoisie. Même si les circonstances historiques ne permirent pas que les propositions de la Convention soient appliquées, elles marquèrent que la langue et l'orthographe étaient bien une affaire nationale, une affaire d’État, au sens propre de l'expression.
 
Et l'orthographe est chargée de ce poids historique, qui lui confère une importance démesurée. Cette volonté unificatrice se voulait aussi source d'égalité.
Il n'est pas sûr que ç'ait été et que ce soit le cas.
Elle se concrétise dans les lois Ferry (1881/86) qui visent comme but de l'enseignement primaire l'acquisition de l'orthographe. Sa connaissance est par ailleurs obligatoire pour intégrer les emplois publics.
Pour êtrefrançais, il faut connaître son orthographe -ou la reconnaître ... (et être français " ça se mérite " comme on a pu le dire dans d'autres circonstances récentes ...).
Pour être au service de la nation, il faut la maîtriser.
Les normes orthographiques deviennent des valeurs nationales. On a pu parler de " véritable croisade contre la langue maternelle de l'enfant " (1). Plus la langue écrite est éloignée de l'usage oral, et c'est l'un des effets de l'orthographe (même si elle n'est pas seule en cause), plus la rupture est forte.
Mais sa complexité devient aussi la marque de la richesse historique de la langue et de sa supériorité.
 
 
La " langue universelle de l'Europe " est présentée comme la plus " claire ", la plus " logique" . Nombre de linguistes s'attacheront à le prouver.
 N'est-elle pas, jusqu'en 1914, la langue de la diplomatie internationale ? N'est-elle pas aussi porteuse de la " mission civilisatrice " de la France dans ses colonies ?
L'orthographe fait alors partie du " rayonnement " de la France. S'y attaquer, c'est le remettre en cause. Et encore aujourd'hui où il a bien pâli, quand la domination des U.S.A. impose l'anglais. Même ceux qui ne la maîtrisent pas y adhèrent ; êtrefrancophone, c'est un peu participer à cette " grandeur "...
Toute l'histoire de l'orthographe française en fait bien autre chose qu'un outil de transcription graphique. La particularité nationale de cette histoire et investissement (au moins pour les langues occidentales) rend toute réforme quasiment inapplicable. Dès 1901, des tolérances étaient admises, qui restèrent lettre morte. Car il ne suffit pas de prévoir des modifications, encore, faut-il qu'elles soient diffusées et appliquées. Or tout cela se traduit dans un rapport particulier des Français à leur langue et orthographe.
 
Un objet de passion.
 
Outre son importance historique qui la grève lourdement, l'attachement " Nationaliste ", le rôle de discrimination sociale et son acceptation, existe un attachement affectif qui ne s'y réduit pas sans doute uniquement.
Lorsque Pivot déclare " que deviendrait typhon avec un i et un f ? Un tifon une petite pluie, n'importe quoi. ", on voit bien tout l'imaginaire qui s'investit d'autant plus dans la graphie qu'elle a, si l'on peut dire, une existence autonome.
 
L'apprentissage de l'orthographe s'inscrit dans ces cadres. Les élèves en échec n'échappent évidemment pus à ces fonctions spécifiques de l'orthographe française. Il est, fréquent qu'ils s'interrogent sur l'objectivité de ses difficultés : " la langue la plus difficile du monde " affirment-ils avec un mélange de regret et de fierté. Ce qui " excuse " à leurs yeux apparemment leurs résultats, mais cache une résignation, fataliste et une acceptation de leur échec.
Un code peu rationnel.
 
 
L'adhésion est d'autant plus .forte que la complexité orthographique semble chaotique et irrationnelle, son enseignement s'appuyant principalement sur un ensemble de règles aux exceptions presque aussi nombreuses et non sur une analyse de son fonctionnement à la lumière de l'histoire.
Elle devient un mystère quasi religieux que l'on ne peut appréhender, mais auquel on se plie avec foi. Sinon, on " faute ".
 
De mon temps...
 
Pourtant et autre Serpent de mer " le niveau baisse » ne se vérifie pas plus dans le domaine de l’orthographe que dans d’autres. Les études comparatives effectuées par A.Chervel et D.Manesse entre deux corpus de dictées de 1873 et 1987 prouvent même le contraire. Mais cela n'entame en rien la conviction de tous et des intéressés.
Elle.fait partie du système, renforce son acceptation, maintient la distance nécessaire à la discrimination (redore même peut-être le blason d'une langue fortement concurrencée ?)
Ce n'est évidemment pas sans effet sur la relation des élèves à la langue. Le leitmotiv " Je suis nul en orthographe " se transforme fréquemment en " nul en français " ce qui les interdit, selon eux, d'écriture.
 
Du côté de l'enseignement.
Le temps consacré aux " cours " d'orthographe ne peut être mis en cause, loin de là. Les règles sont d'ailleurs souvent sues, mais mécaniquement et n'entraînent que peu de réinvestissement. Pour diverses raisons.
L'importance attachée à l'orthographe, sa force symbolique la transforme en enjeu tout autre pour chacun.
On a pu ainsi dire que le rapport à l'orthographe pouvait traduire le rapport de l'individu à la " Règle " en général. Dans ce même domaine psychologique, je voudrais faire part d'une anecdote.
Le rapport au savoir et la place de l'éducateur.
 
Débutante en Seine St Denis, avec des classes de CAP de plus de 35 élèves, j'avais d'énormes difficultés pour- les suivre individuellement. Certains écrivaient de façon phonétique. Un jour de grève, aux effectifs réduits, je pus m'occuper d'une de ces élèves. Après une heure d'aide personnalisée à la correction de ses textes, elle écrivit seule deux paragraphes, sans aucune erreur.
Je ne sais ce qui se jouait dans son rapport à l'orthographe. Mais je sais pour l'avoir vérifié que l'orthographe des adolescents peut s'améliorer par de nombreuses autres médiations qu'un travail directement orthographique.
Il nie semble d'autre part que la distance entretenue et peu expliquée entre l'oral (la langue maternelle) et l'écrit, ce fonctionnement quasi mystérieux que j'évoquais plus haut, font de l'orthographe un objet à part, en soi, hors de toute utilité pratique.
Je voudrais l'illustrer par un autre exemple, récent celui-là. Un élève, bon à l'écrit (au niveau argumentatif et expressif), truffait ses devoirs d'un nombre d'erreurs incompatible avec une réussite aux examens. Il connaissait parfaitement les règles, mais rien n'y faisait. Le jour du BEP, surveillant dans la salle où il composait, je pus lire sa copie. Pas une erreur. J'aurais tendance à penser que ce jour là le principe d'utilité, dont nous avions beaucoup discuté, l'avait emporté.
 
Les problèmes ne relèvent donc pas des seules difficultés inhérentes à l'orthographe française, mais de ce qu'elle représente.
Et des pratiques pédagogiques que cela induit, rendues malaisées par la charge dont elle est porteuse. Cela explique peut-être que aussi que ne soit guère prise en compte la donnée que souligne G.Prineau:
" Un sujet moyen, moyennement motivé, devra compter quelque douze ans avant de maîtriser moyennement le système orthographique du Français." (2)
Et l'on se désespère du niveau orthographique atteint globalement par les élèves entrant en 6ième... Le Français Langue Étrangère est enseigné très différemment.
On oublie souvent que même pour un francophone le français écrit, et en particulier son orthographe, est quasiment une langue étrangère...
Ce n'est donc pas la modification de quelques règles qui pourrait changer l'apprentissage de l'orthographe. Ce n'est sans doute pas sa complexité réelle qui la rende si difficile.
Ce serait plutôt les fonctions historique, sociologique, politique qu'elle occupe dans la société .
Cette forte charge implicite induit le rapport des utilisateurs et ce qu'ils y investissent à leur tour à différents niveaux.
C'est peut-être cette toile de fond qui serait à expliciter et rationaliser pour permettre une appropriation du système orthographique et des Pratiques pédagogiques adaptées.
Françoise ALAMARTINE
(1) Les textes cités sont tirés du numéro spécial de l'École des Lettres consacré à l'orthographe -Mai 1990- ou de l'article de l'Encyclopedia Universalis sur l'histoire de la langue.française
(2)
Les habiletés en orthographe - Québec Français N-28- 1977