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Participation et citoyenneté à l'école

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Mai 1996

Le 7 août 1990, la France a ratifié la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (C.I.D.E), adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1989.

Depuis le 6 septembre 1990, elle est entrée en vigueur. En affirmant que l'enfant est titulaire des mêmes droits et libertés fondamentales que l'adulte, elle lui reconnaît un sta­tut de personne et de citoyen et ouvre à l'école le chantier d'une nouvelle citoyenneté. (1)
 
Une Convention est un instrument in­ternational contraignant. Elle a force de loi. Dans notre pays, elle vient se placer, dans la hiérarchie des textes de droit, entre la consti­tution et les lois.
L'Etat se devait donc d'aménager l'exercice de ces droits et libertés, dans tous les lieux où les enfants sont amenés à vivre et agir : les droits de l'enfant ne doivent donc plus s'arrêter à la porte des écoles. (2)
Allant dans ce sens, les 11 et 12mai 1996, la 4ème réunion du Comité de coordination du projet politique de l'enfance sur la participation des enfants à la vie familiale et so­ciale, du Conseil de l'Europe, a mis l'accent sur plusieurs points, dans un avant-projet de recommandations aux états membres :
- le fait que l'information sur le droit de participation devrait être disponible aux enfants (3)
- le fait que l'on tienne compte que les établissements scolaires, garde­ries d'enfants et institutions pour enfants, devraient être invités à faire en sorte que les enfants puis­sent exprimer leur avis sur toutes les affaires les concernant et qu'il en soit effectivement tenu compte dans les décisions prises au niveau de ces établissements (4).
La France a soumis au Comité des ex­perts des Nations Unies chargé de contrôler l'application de la Conven­tion, un rapport qui a été examiné les 11 et 12 avril 1994. Le Comité a suggéré à la France "d'examiner plus avant les moyens d'encourager l'expression de l'opinion des enfants et de faire en sorte que leur avis soit dûment pris en considération dans toute décision qui concerne leur vie, en particulier à l'école et au sein de la communauté locale". C'est dire aux pouvoirs publics, en termes diplomatiques, que leur action dans ce domaine est insuffisante depuis 1990.
Or les pionniers de l'Education nou­velle et de l'Ecole Moderne ont construit leurs pratiques éducatives novatrices :
- sur la reconnaissance de l'enfant comme une personne ayant ses inté­rêts, ses besoins, ses démarches et ses rythmes propres ;
- sur la reconnaissance de ses droits et libertés d'enfant-citoyen (5)
C'est donc dans ce champ que nous de­vons porter nos efforts et nos ré­flexions :
la participation est le critère de la citoyenneté et elle est, aujourd'hui, un droit pour les enfants et un com­bat pour les éducateurs. (6)
 
De la participa­tion formatrice au droit de partici­pation
 
"Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de déve­lopper sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté". (Loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989)
Des lois de 1882-1887 à la loi d'orientation, il a été dans la mis­sion de l'école de former des ci­toyens et, dès 1923, les instructions officielles préciseront aux ensei­gnants que :
"Lorsque l'enfant entre au cours moyen... il ne s'agit plus seulement de diriger ses habitudes, il y a lieu de lui apprendre à user de sa li­berté. Sous réserve de l'approbation du maître, les écoliers seront appe­lés à régler eux-mêmes par une en­tente concertée certains détails de leur vie commune : ils éliront ceux d'entre eux chargés de certaines fonctions, les dignitaires des "coopératives", des mutualités sco­laires, des sociétés de gymnas­tique... de toutes les associations qui se constituent dans l'école... On multipliera les circonstances où l'enfant aura l'occasion de prendre une décision soit par lui-même, soit de concert avec ses camarades : l'éducation de la volonté indivi­duelle et collective ne pourrait com­mencer plus tôt, mais il n'est pas trop tôt pour l'entreprendre".
Au même moment, Freinet, qui commence à jeter dans sa petite école de Bar sur Loup, les fondements d'une péda­gogie populaire (7), publie dans Clarté un article sur la "discipline nouvelle" (8) où il écrit :
" L'énoncé théorique des droits et des devoirs de l'individu dans la communauté ne suffit plus : c'est la pratique sociale qu'il faut dévelop­per afin que l'homme sache plus tard se conduire librement dans diverses occasions de sa vie".
Mais instructions officielles et pra­tiques novatrices donnant une place active aux enfants dans les institu­tions scolaires, n'amènent pas un changement de la relation éducative dominante dans l'école : l'enfant de­meure un être mineur qui doit se sou­mettre et obéir. Cette situation a été souvent dénoncée par les mili­tants et les éducateurs qui agissent pour un apprentissage de la citoyen­neté, fondé sur des pratiques concrètes :
Invariant n° 27 : on prépare la démo­cratie par la démocratie à l'école. Un régime autoritaire à l'école ne saurait être formateur de citoyens démocrates". (Freinet) (9)
Le rapport du Groupe technique éduca­tion civique du Conseil national des programmes (10) va tout à fait dans cette direction. Il précise que :
"L'éducation civique est la transmis­sion, par les enseignants et l'ensemble de la communauté éduca­tive, et la construction, par les élèves, de connaissances, valeurs et attitudes permettant la vie en so­ciété, la résolution pacifique des conflits... Elle est fondée sur les droits de l'Homme, entendus comme droits de toutes les personnes sans discrimination dans des sociétés dé­mocratiques..."
Tout enfant qui vient au monde naît citoyen, mais la citoyenneté se construit par l'action. L'éducation civique sera constituée par trois modes complémentaires :
les savoirs, les pratiques, les va­leurs.
"L'éducation civique tend à initier des attitudes et des actions fondées sur des valeurs, référées à des choix instruits par la raison. L'école ne saurait être fermée à des pratiques permettant à chacun de participer réellement à son fonctionnement et à la vie de la cité. Les projets et ac­tions collectifs font partie de la démarche d'éducation civique".
Chaque enfant devra :
"- s'être engagé et avoir tenu ses engagements dans un projet collec­tif...
- être capable de travailler en équipe, faire preuve de solidarité vis à vis des partenaires pour at­teindre des objectifs...
- savoir participer aux décisions prises collectivement en classe et dans l'école...
- être capable de discuter du règle­ment intérieur de l'école...
- savoir participer à un débat orga­nisé autour d'un thème d'actualité : article de presse, extrait d'un jour­nal télévisé ou d'une émission per­mettant d'illustrer la défense des droiuts de l'Homme...
- avoir participé à un projet collec­tif de solidarité...
- se sentir responsable de son rôle dans l'école..."
Nous sommes bien ici dans une pers­pective de participation et de "nouvelle citoyenneté" (11) pour une démocratie participative. Je fais mienne la définition de la participa­tion proposée par l'Union féminine civique et sociale (12) :
"La participation est un droit de re­gard, de libre discussion et d'intervention d'un individu et/ou d'un groupe d'individus sur un projet qui le concerne.
La participation, c'est l'association, le partage de connais­sances, de compétences, de savaoir-faire pour définir : un objetcif et les moyens de l'atteindre, la faisa­bilité d'une décision.
La participation est un support de la démocratie, de la citoyenneté."
Pour Dan Ferrand-Bechman, sociologue, la participation est formatrice car "c'est par la participation à des dé­cisions et des stratégies politiques que l'habitant apprendra à gérer sa vie et son destin... Tout être humain est capable de critiquer et de gérer son cadre de vie, les équipements et les services". (13)
A travers ce rapport, on voit se des­siner l'image d'un citoyen actif et engagé qui, en coopération avec les autres, pèse sur les décisions et les choix qui ordonnent sa vie quoti­dienne.
C'est ce choix que fait aussi Roger Hart (14), directeur de recherche sur l'environnement de l'enfant, à la cité universitaire de New-York.
"Une nation est démocratique dans la mesure où ses citoyens s'impliquent, en particulier au niveau de la commu­nauté... La participation est le cri­tère fondamental de la citoyenneté".
Mais l'assurance, la confiance en soi, la compétence sont nécessaires pour s'impliquer et ne peuvent s'acquérir que progressivement. C'est pourquoi il préconise "d'élargir pro­gressivement les opportunités de par­ticipation des enfants dans tous les pays qui aspirent à la démocratie, et plus particulièrement dans les pays qui sont sont convaincus qu'ils sont déjà des démocrates".
Participer au processus de décision concernant les activités et la vie à l'école nécessite un apprentissage : des enfants habitués à obéir ne peu­vent user subitement et avec discer­nement de la liberté. Pour qu'un en­fant puisse participer à une expé­rience d'autogestion, "il doit être capable de s'exprimer au sein du groupe, de faire des propositions claires et d'expliciter leurs impli­cations, de participer aux débats, donc de suivre le fil du discours, de donner son avis, de faire un choix conscient, d'analyser une situation globale, d'animer un conseil, de res­pecter des décisions collectives, de se souvenir des activités..." (15)
C. Maccio, dans son ouvrage "Autorité, pouvoir, responsabilité" (16) insiste
- sur un pertage du pouvoir avec les enfants qui leur permette de "devenir auteurs d'eux-mêmes, chacun recevant le pouvoir en fonction de l'étendue de sa responsabilité".
- sur la mise en place d'une relation qui libère, permet les tâtonnements sociaux, tout en respectant le besoin de sécurité de l'enfant.
- sur la création d'institutions où chacun a "responsabilité précise, dé­finie ensemble en fonction des be­soins collectifs... et les pouvoirs nécessaires pour l'exercer correcte­ment".
C'est la direction d'action suivie par touts les pionniers de l'éducation nouvelle et de l'éducation populaire à travers le monde.
Mais la participation des enfants pose deux questions essentielles :
 
1. Le pouvoir des enseignants sur leurs actes.
 
Les enseignants qui ont choisi d'autoriser un certain pouvoir insti­tutionnel des enfants ont dû s'approprier un espace de créativité, se donner une marge de manoeuvre, conquérir un pouvoirs sur leurs actes.
Cela ne va jamais sans risque dans un système encore fortement soumis à l'autorité de la hiérarchie.
Il est souvent question de l'infantilisation des enseignants par l'administration.
Pour Gérard Mendel (17), cette situa­tion expliquerait pourquoi "subjectivement les enseignants ne veulent et ne peuvent renoncer à l'autorité... à défaut d'avoir un pouvoir individuel et surtout collec­tif sur le contenu de leur acte de travail, il ne leur reste plus que le pouvoir sur les autres, sur les élèves (et encore celui-ci est-il de plus en plus mal assuré)".
Mireille Cifali (18) attribue plus la résistance des enseignants à la peur du pouvoir pris par les élèves.
"Ne plus "les avoir en mains", qu'ils lui échappent et que s'installe ce cercle vicieux qui de la répression accentue la résistance, qui du dia­logue rompu va vers le règlement de compte".
Une recherche, que je mène actuelle­ment sur les faits perturbateurs ren­contrés par les enseignants sta­giaires, montre combien la gestion d'une classe est difficile.
Les enseignants des classes coopéra­tives n'échappent ni aux difficultés ni aux angoisses. Il y faut donc conviction, détermination et compé­tence, connaissance des phénomènes de groupe et des techniques de partici­pation.
Les enseignants en formation y accé­deraient mieux s'ils pouvaient eux-mêmes expérimenter un réel droit de participation sur leur formation par l'I.U.F.M.
 
2. les garanties institutionnelles et juridiques des droits des enfants
 
Fondée sur une philosophie éducative, sur une éthique de la relation, sur des principes politiques, la décision d'accorder des droits et des libertés aux enfants à l'école, a été long­temps dépendante de l'enseignant. Il peut supprimer les droits comme il les a octroyés, en particulier si un conflit avec la classe le met en dif­ficulté. On a pu voir alors des en­seignants remettre en place un pou­voir absolu et des pratiques coerci­tives abandonnées.
C'est une situation de dépendance des enfants qui ne peut permettre une réelle expérience de responsabilisa­tion individuelle et collective.
par ailleurs, ces principes et pra­tiques d'action éducative démocra­tique étaient souvent contestés et attaqués par les parents et les autres enseignants.
D'où le besoin, pour les militants de la démocratie à l'école, d'obtenir des garanties institutionnelles et juridiques des droits de l'enfant, qui permettraient une légitimation de leur pratique pédagogique et une re­connaissance des décisions prises par les conseils d'enfants.
C'est ainsi qu'en 1982, j'ai rédigé, à la demande de l'I.C.E.M, un rapport sur une éducation à la responsabilité pour Alain Savary, ministre de l'Education Nationale, dans lequel j'attirais son attention sur la né­cessité d'une cohérence entre les lois et règlements et les objectifs d'éducation à la citoyenneté :
"Les lois de la classe coopérative procèdent d'une conception éducative fondée sur l'apprentissage, par tâ­tonnement expérimental, de la li­berté, de la responsabilité, des droits et devoirs, au sein d'une com­munauté qui met en oeuvre les prin­cipes d'entraide, de solidarité, d'autonomie, de coopération, d'autogestion, tant pour la réalisa­tion des projets communs définis en­semble que pour la réalisation des projets personnels.
Les lois de l'Etat font primer les impératifs de sécurité, de maintien de l'ordre dans l'école, sur les im­pératifs d'éducation à l'autonomie et à la responsabilité : il faut ensei­gner au moindre risque, surveiller étroitement et contrôler les élèves, les maintenir sous la tutelle des adultes.
Or toute loi, toute norme, toute ins­titution repose sur une éthique, sur une conception de l'Homme et de la société. Les conflits entre nos lois et la Loi sont donc essentiellement, fondamentalement, des conflits d'éthique et de conceptions. Si l'Etat veut faire de l'école un des lieux de la formation d'un homme libre, autonome et responsable, il se doit de changer une réglementation fondée sur l'idée d'incapacité, d'irresponsabilité de l'enfant, qui légitime des pratiques de soumission, d'infantilisation, propres à former des hommes obéissants, assujettis, et y substituer des lois et des règles fondées sur l'idée d'un enfant-ci­toyen.
Cette idée de l'enfant-citoyen, per­sonne humaine apte à prendre des res­ponsabilités au sein des collecivités dans lesquelles il vit, ainsi que les projets de Charte des droits de l'enfant et les propositions de sup­pression du droit coutumier de châ­tier corporellement leurs enfants, soulèvent de véhémentes protestations chez beaucoup d'adultes.
Or, l'expérience des classes coopéra­tives témoigne que les enfants peu­vent être des acteurs responsables de leur vie scolaire lorsque le droit et les moyens leur en sont donnés... L'école doit être un lieu d'apprentissage des droits de l'Homme en permettant aux enfants d'y vivre leurs droits d'enfants.
D'où la nécessité de définir et de faire appliquer une Charte des droits de l'enfant qui les protège contre l'autoritarisme des adultes et contre des châtiments et des sévices qui continuent à exister.
Dans l'immédiat, il est urgent de re­définir les responsabilités des en­seignants en ce qui concerne la sur­veillance et, en particulier, de pré­ciser le statut des activités coopé­ratives qui se passent en autodisci­pline sans laquelle il ne peut y avoir expérimentation de la liberté et de la responsabilité par les en­fants".
Les ministres successifs de l'Education Nationale, à qui l'I.C.E.M a renouvelé sa demande, n'ont guère fait évoluer la règlemen­tation. mais un jour, le 6 septembre 1990, la Convention des Nations Unies pour les droits des enfants est en­trée dans notre système juridique.
 
Le droit de parti­cipation
 
Si les éducateurs de l'Ecole Moderne se permettaient de donner des droits et libertés aux enfants, sans que rien ne les y autorise, depuis le 20 novembre 1989, nous sommes dans une logique nouvelle :
"L'enfant est désormais une personne à part entière, dont la dignité doit être respectée. Il pet prétendre à l'exercice des libertés d'expression, d'association, de pensée, de reli­gion, de conscience et au droit au respect de sa vie privée. Il peut prendre la parole, seul et avec les autres, sur les affaires qui le concernent : les libertés fondamen­tales ne s'arrêteront plus à la porte de l'école."
Et si, pour des raisons de protec­tion, d'éducation, de capacités de discernement... nous pouvons fixer des limites à l'exercice de ses li­bertés fondamentales, il n'est pas en notre pouvoir de les supprimer.
"On sort de l'idée que l'enfant est un petit être fragile à protéger contre autrui et contre lui-même, pour lui reconnaître une citoyenneté. Beaucoup de gens disent encore à pro­pos de l'enfant "il faut le préparer à être citoyen". La Convention vient de dire : "Non, il est citoyen" (Jean Pierre Rosenczveig). (19)
Dans son rapport (20) fait à l'Assemblée Nationale en 1990, Denise Cacheux écrivait, à propos du droit d'expression accordé aux enfants par la Convention internationale :
"Ce droit d'expression peut être dé­composé en trois points :
- le droit de s'exprimer, de parler, de donner son avis.
- le droit d'être écouté, d'être cru.
- le droit de participer au processus de décision et même de prendre seul des décisions".
Je souscris totalement à cette conception du droit d'expression.
Dans une perspective éducative, j'y ajoute : le droit et le devoir de participer à la mise en oeuvre des décisions, dans la limite de ses ca­pacités et compétences.
Notre analyse de la gestion d'une classe m'a amené à cerner le problème autour de quatre points : proposer, discuter, décider, appliquer, où vont s'exercer le droit d'expression et de décision collective des enfants (21).
Le cadre juridique du droit de parti­cipation (droit à la parole et pou­voir individuel et collectif de déci­sion) des enfants, dans la cité et à l'école, existe désormais.
L'école ne pourra pas ignorer, dans son organisation et ses pratiques, les libertés de l'enfant, elle devra même les lui apprendre et l'aider à exercer sa nouvelle citoyenneté. C'est donc un nouveau contrat éduca­tif qui commence, où la liberté, c'est la règle.
Exercer un droit, c'est prendre un risque. En effet, si le droit induit la reconnaissance de la faculté d'exercice d'une liberté, il implique aussi le risque d'encourir une sanc­tion pour réparation de préjudices causés à autrui.
Nous aurons à demeurer attentifs et vigilants pour que la responsabilité n'empêche pas les tâtonnements néces­saires et pour que l'exercice des li­bertés ne constitue pas une perte du droit d'être protégés.
Mais les expériences des classes et écoles coopératives montrent qu'il est possible de sortir de la contra­diction entre protection et exercice des libertés, en pensant en terme de dialectique, d'articulation entre ces positions apparamment antagonistes.
Le respect de l'enfant ne doit pas conduire, au nom de sa fragilité et d'une protection nécessaire, à la maintenir dans une dépendance sécuri­sante "pour son bien" (22). Pour Mi­reille Cifali (23), il s'agit d'une éthique de notre rapport à l'enfant.
"Dans le rapport à l'autre, où il s'agit pour lui de grandir et d'apprendre, ce qui importe est de l'autoriser à construire sa vie, sa connaissance, de se confronter aux difficultés et de les dépasser... Il est capable d'affronter les pires obstacles si l'on fait confiance à ses potentialités".
Il nous faut aujourd'hui montrer que la participation et la citoyenneté à l'école sont possibles et exiger de l'état qu'il en donne les moyens.
Nous attendons donc des pouvoirs pu­blics qu'ils s'engagent fermement et qu'ils apportent réponses et soutien à ceux qui agissent déjà, au ras du terrain, pour la promotion des droits de l'enfant, même si nous savons qu'il ne suffit pas de circulaires et de décrets pour changer les pratiques et les comportements. C'est pourquoi, dans une lettre au Ministre de l'Education Nationale en date du 10 octobre 1995, je lui ai demandé au nom de l'I.C.E.M de nous faire connaître quelles mesures il comptait prendre
"- pour faire connaître la Convention et ses implications dans l'école (24), aux enseignants et aux élèves ;
- pour permettre une plus grande par­ticipation des enfants et des jeunes à la gestion de l'école et des pro­jets éducatifs".
 
L'exercice du droit de partici­pation
 
La Convention internationale des droits de l'enfant, le Conseil de l'Europe et le Bureau International d'Education (25) engagent les élèves à une pratique de la citoyenneté ac­tive et responsable, dans les éta­blissements scolaires.
L'article 13 de la Convention stipule que l'enfant a le droit à la liberté d'expression qui "comprend la liberté de rechercher, recevoir et répandre des informations et des idées de toute espèce".
Nous aurons à nous interroger sur la pratique du journal à l'école :
- est-il un moyen réel, pour les en­fants et les jeunes, d'exercer leur liberté d'expression ?
- se sont-ils véritablement approprié ce moyen comme vecteur de leur libre parole, de leurs revendications et de la défense de leurs droits et inté­rêts ?
- les élèves et les enseignants char­gés de les informer connaissent-ils le régime juridique de la presse ?
- quels sont les obstacles et les ré­sistances à une libération du journal scolaire ?
Dans le cadre du droit de participa­tion, nous allons plus particulière­ment nous centrer sur l'article 12 :
"Les états parties garantissent à l'enfant qui est capable de discerne­ment le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité".
Les élèves devraient donc pouvoir donner leur avis, individuellement et collectivement sur toutes les af­faires les concernant. Donc tous les sujets peuvent être l'objet de leurs interrogations, de leurs critiques et de leurs propositions, afin d'améliorer leurs conditions de tra­vail et de vie :
- les contenus et les projets
- les méthodes pédagogiques et l'organisation des cours
- les leçons, les devoirs
- l'évaluation, les contrôles
- l'organisation du temps et de l'espace
- les moyesn proposés
- l'organisation institutionnelle : règlements, règles de vie, procédures disciplinaires, sanctions, procédures d'orientation...
- les attitudes et les comportements de tous les acteurs de l'établissement.
Pour que ce droit d'expression puisse s'exercer, plusieurs conditions sont nécessaires :
1. Que le cadre juridique et régle­mentaire en ait été fixé : dans les lycées et collèges, une circulaire (26) précise les modalités d'exercice du droit d'expression collective, par l'intermédiaire des délégués, du droit de réunion et du droit d'association. Mais le droit de par­ticipation des élèves à leur forma­tion reste à préciser, car la vie dé­mocratique s'arrête souvent à la porte des classes.
2. Que les enseignants soient à l'écoute des élèves, prennent le temps de les entendre et de leur ré­pondre, créent des moments de dia­logue authentique dans leurs classes, afin qu'aucun élève ne puisse plus dire :
"au mieux nous sommes écoutés, mais personne ne tient compte de ce que l'on dit, ni les profs, ni l'administration" (élève de seconde).
3. Que les lieux collectifs d'expression, de débat, de négocia­tion, de décision, soient mis en place : panneaux d'expression et de communication, lieux de réunion, conseils et assemblées générales...
4. Que les élèves investissent ces lieux et qu'un apprentissage soit mis en place afin qu'ils osent, TOUS, s'exprimer, donner un avis, émettre une proposition, participer à une dé­cision collective, s'impliquer, au­tant d'actes parfois difficiles à en­gager.
 
Structures et ins­titutions permet­tant l'exercice du droit de partici­pation
 
La classe coopéra­tive
 
Les conseils sont les institutions fondamentales de la prise en main par les enfants de leur vie scolaire. Ils y établissent leurs lois, jugent les infractions commises, examinent les propositions concernant les activités et les relations au sein du groupe, mettent au point leur plan collectif de travail, discutent de leurs réali­sations.
L'organisation des conseils est dif­férente suivant les classes, car "la classe coopérative en pédagogie frei­net est un système complexe cohérent en création permanente, chaque classe constituant, à un moment donné de son évolution, de son tâtonnement expéri­mental, un milieu vivant et original, une synthèse particulière de mul­tiples facteurs". (27)
Dans ma classe de perfectionnement, trois types de conseils existaient :
- le conseil de coopérative hebdoma­daire qui établit le bilan des acti­vités et projets collectifs, organise l'emploi du temps en fonction des propositions, analyse les dysfonc­tionnements, les conflits, les in­fractions et recherche des solutions.
- le conseil-bilan quotidien qui per­met de jeter un regard sur une jour­née écoulée et à chacun de dire, éventuellement, ses problèmes, ses critiques et les conflits qu'il a vé­cus.
- le conseil occasionnel qui s'impose au groupe pour régler "à chaud" un problème grave ou pour trouver une solution institutionnelle à un dys­fonctionnement : règlement à revoir, infraction grave à traiter...
Pour que les élèves soient capables d'autogérer (28) ces institutions, un apprentissage est nécessaire.
Les étapes journalières de notre marche vers l'autonomie sont tissées de patience et de modestie et la part du maître demeure importante au début de l'expérience. La situation devient évidemment encore plus complexe lorsqu'il s'agit non plus de classes, où la démocratie directe participa­tive est possible, mais d'établissements scolaires où il fau­dra en passer par des instances où des élèves représenteront leurs cama­rades.
 
L'établissement scolaire
 
Voir les encadrés : Un apprentissage vécu de la vie ci­vique à l'école d'Aizenay (Vendée) et Une organisa­tion qui permet aux en­fants d'exercer collectivement leur pouvoir de déci­sion et d'avoir une parole collective sur les affaires qui les concernent à l'école Anatole France de Vaulx En Velin (Rhône) (29)
 
 
 
Un apprentissage vécu de la vie ci­vique
 
Le conseil de classe
Réunit une fois par semaine les en­fants et le maître de la classe en assemblée générale
- gère la vie quotidienne de la classe (projets, services, etc)
- édite des règles de vie
- examine les conflits personnels et les non respects des règles de vie
- mandate les représentants de la classe aux Conseils d'école, de bi­bliothèque, de cantine (délégués tournants)
 
Apprentissage :
- de la gestion du travail et de la vie quotidienne dans la classe
- de la tolérance
- du débat, du vote.
 
Le Conseil d'école
Réunit deux délégués de chaque classe (du CP au CM2) une fois tous les quinze jours.
- gère la vie de l'école (déplacements, inter-classe, projet de l'école)
- examine les conflits
- promulgue les lois de l'école
 
Le Conseil de bi­bliothèque
Réunit deus délégués de chaque classe une fois par semaine avec la (les) permanent(s) de la bibliothèque.
- gère la bibliothèque (circulation, prêts de livres, projets, exposi­tions, utilisation de l'espace audio­visuel)
- élabore les règles de vie expli­cites
- informe les classes des projets de la bibliothèque (ex : présence d'un intervenant extérieur)
- intercommunication classes-biblio­thèque
- definit en début d'année le plan­ning des services de rangement
 
Le conseil de can­tine
Réunit les délégués de chaque classe une fois par trimestre avec le per­sonnel du restaurant scolaire.
- lecture critique des menus
- collecte des idées pour améliorer le moment des repas
 
Apprentissage :
- de la délégation
- du mandatement
- de la négociation
- du compte-rendu de son mandatement.
 
Une organisation qui permet aux en­fants d'exercer collectivement leur pouvoir de décision et d'avoir une parole collective sur les affaires qui les concernent.
 
Vers la maîtrise de l'environnement
 
Il s'agit de donner à l'enfant les moyens de bien connaître son environ­nement, de pouvoir se situer par rap­port à cet environnement, de pouvoir agir dessus, puis de pouvoir l'élargir.
Pour cela, il faut donner à l'enfant la possibilité de gérer :
- du temps : les récréations, les en­trées échelonnées, la programmation de ses activités ;
- des lieux : l'utilisation de la salle de classe (étendue aux trois salles de classe du module), l'utilisation des salles collectives : BCD, salle de danse ;
- du matériel : matériel collectif, matériel à disposition dans les salles de classe ou collectives (jeux de société, livres, coloriages, jour­naux, cabanes, électrophones, ordina­teurs...) ;
- ses relations : travail de groupe. Groupes de choix. Décloisonnement des âges. Correspondance. Multiplication des intervenants adultes à l'intérieur et à l'extérieur de l'école ;
- ses activités : en diversifiant les projets à l'intérieur et à l'extérieur. En sollicitant les pro­jets d'enfants individuels ou collec­tifs.
Les moyens mis en oeuvre : règlement, outils, structures.
Les enfants doivent pouvoir se situer dans un cadre bien défini ; avec des règlements connus, intégrés, établis avec et par eux et révisables ; avec des responsabilités bien précises, responsabilités d'enfants élus mais aussi responsabilités d'adultes réfé­rents qui seront régulateurs et ga­rants du système.
Le règlement de l'école prévoit des entrées échelonnées dix minutes avant le début des cours, les déplacements dans les couloirs se font librement, les classes sont aménagées pour l'accueil des enfants pendant ce temps et pendant les récréations où ils ont aussi accès aux salles col­lectives.
Les enfants ont à leur disposition des outils de fonctionnement person­nels ou collectifs, dans les classes et dans le hall, lieu de rassemble­ment du module :
- matérialisation du règlement : feu rouge. Feu vert. pour entrées et sor­ties des classes, permis de circuler, affichage ;
- affichage des responsabilités ;
- planning d'utilisation des salles, du matériel ;
- liste d'inscription au coin pein­ture ;
- planning personnel ;
- emploi du temps général ;
- boîte aux lettres pour correspon­dance.
Des structures permettent aux enfants de se déterminer pour le choix d'activités en fonction de l'activité elle-même, des enfants ou des adultes avec qui elle se fera.
 
Vers la maîtrise de ses droits et de ses devoirs
 
Le conseil, les réunions sont des lieux d'exercice du pouvoir collec­tif.
Dans notre école, un conseil est ins­titué pratiquement dans chaque classe. Des conseils extraordinaires sont quelquefois réunis pour régler des problèmes spécifiques (cantines, cour de récréation). Ils comprennent alors l'adulte responsable et les en­fants concernés.
Le conseil de module, lui, est hebdo­madaire, il règle tous les problèmes concernant le groupe CE2-CM1-CM2. Il réunit les 66 enfants de ces classes, les 3 instituteurs et l'institutrice du poste ZEP.
C'est un lieu de propositions de dé­cisions, de présentations, de discus­sions et de gestion des conflits.
 
L'exercice des li­bertés
 
L'école, dans notre Etat de droit, n'a pas de statut d'extra territoria­lité : les lois et les procédures s'y appliquent, les libertés et les droits doivent pouvoir s'y exercer :
- liberté d'expression
- liberté de réunion et d'association
- liberté de pensée, de conscience et de religion
- protection de la vie privée.
La liberté y est la règle mais son exercice est limité.
Dans un état de droit, on distingue généralement (30) deux séries de ré­gime, pour l'exercice des libertés :
             LIBERTE
 
système               système
répressif             préventif
 
exercice libre      exercice condi­tionné
 
limites             autorisation dé­claration
                     préalable
transgression
 
sanction
 
Le régime répressif est le plus favo­rable aux libertés publiques, chaque individu peut exercer librement son activité, sans en informer les auto­rités administratives. Mais les abus de la liberté, le non respect des li­mites et restrictions prescrites par la loi, peuvent entraîner une répres­sion : c'est le cas, par exemple, de la liberté de la presse, dans les ly­cées. (31)
L'autorisation préalable : ce second régime confie à l'autorité adminis­trative le soin d'autoriser ou de re­fuser la possibilité d'exercer une activité. Ce régime a été celui des lycées jusqu'aux textes sur les droits et obligations (op. cit.) : la publication d'un journal était sou­mise à l'autorisation préalable du chef d'établissement. Parfois l'autorisation préalable du poucoir administratif est liée à l'attestation d'une compétence, d'une capacité à exercer un droit : c'est le cas du permis de conduire.
 
Quelles directions d'actions à l'école pouvons-nous en tirer ?
 
Je pense qu'il faut d'abord informer les enfants sur les libertés et sur les modalités de leur exercice dans un état de droit :
- limites à respecter
- devoirs et responsabilités
- procédures de traitement des in­fractions
- médiations, recours, plaintes, re­quêtes...
Puis fixer avec eux, dans un proces­sus de négociation et de concerta­tion, les règlements qui précisent les modalités d'exercice de chaque liberté à l'école :
- libres exercices et limites
- ou autorisation préalable liée à une compétence...
La circulaire sur les droits et obli­gations des élèves des lycées et col­lèges (op. cit.) précise que "le rè­glement intérieur, qui devra être examiné et, le cas échéant, modifié en conséquence, précisera la façon dont ces droits peuvent s'exercer concrètement au sein des établisse­ments d'enseignement. Le contexte lo­cal demeure en effet toujours très important pour la détermination des conditions réelles d'exercice de li­bertés qui doivent être conciliées avec les principes d'organisation et de fonctionnement du service public d'éducation".
Rien n'interdit de procéder de même pour ls règlements intérieurs des écoles maternelles et élémentaires. Chaque élève-citoyen ou citoyen-élève doit savoir qu'il peut exercer des droits mais qu'il estaussi soumis à des obligations, qu'il a des droits dans la mesure même où il a des de­voirs. C'est une des tâches impor­tantes de tout éducateur de le lui rappeler.
Cette réciprocité apparaît très clai­rement dans le contrat éducatif éla­boré en 1989 par les différents par­tenaires du Collège Les Mousseaux, à Villepinte (Seine-Saint Denis).
Je suis un citoyen
 
J'ai le droit...
 
- au respect
- de m'exprimer librement et d'être écouté
- de représenter, d'être représenté et de participer à la vie du Collège
- à l'information
- d'être protégé contre les agres­sions physiques et morales
- à une prévention sanitaire et so­ciale
- à l'hygiène et à la sécurité
- à un cadre de vie agréable
 
j'ai de devoir...
 
-De respecter les autres quel que soit leur âge
- de ne pas porter atteinte à la li­berté et à la dignité des autres et de les écouter
- d'assumer mon rôle de délégué et de représentant
- de diffuser l'information
- de ne pas user de violence et d'en réprouver l'usage
- de me présenter aux visites médi­cales
- de respecter les règles d'hygiène et de sécurité
- de respecter les espaces verts, les lieux de travail et de loisirs
 
Je suis un élève
 
j'ai le droit...
 
- à une aide financière en cas de né­cessité (bourses)
- de recevoir une aide dans mon tra­vail scolaire
- à une évaluation de mon travail
- à une information sur l'orientation
- de choisir des options et des acti­vités périscolaires
- de recevoir un enseignement laïque sans aucune pression idéologique ou religieuse
 
j'ai le devoir...
 
- d'être ponctuel, de travailler et d'assister à tous les cours et d'avoir le matériel demandé et la te­nue adaptée
- de prendre soin des livres et ob­jets prêtés
- de payer les dégradations, les re­pas, les objets confectionnés et cer­taines activités périscolaires
- de coopérer, de s'entraider et d'être solidaire
- de communiquer mes résultats sco­laires à mes parents ou tuteurs
- d'élaborer un projet personnel d'orientation
- d'assister aux options et aux acti­vités choisies
- de ne pas faire de propagande
- de respecter la laïcité

 

 
Les problèmes posés par le port du foulard islamique dans les établisse­ments scolaires, la reconnaissance des droits et obligations des enfants et des jeunes, la violence, renfor­cent l'importance d'un réglement in­térieur qui soit :
- une charte de l'établissement où sont inscrits les droits et obliga­tions des élèves, mais aussi ceux des enseignants, du personnel de service, des membres de l'administration
- un texte juridique, inscrit dans la hiérarchie des textes (constitution, conventions, lois, règlements), sou­mis au principe de légalité, au contrôle du juge et de l'autorité académique.
Cette situation est favorable à l'exercice des libertés, car le Conseil d'Etat et le tribunal Admi­nistratif peuvent annuler certaines dispositions d'un règlement qui in­terdisent l'exercice d'une liberté et accepter des recours contre des déci­sions de sanctions prises par l'établissement scolaire, mais elle pose aussi plus fortement
 
la question des limites
 
Celle-ci se pose
- dans l'élaboration du règlement
- dans l'exercice des libertés
- dans l'action éducative.
"Il ne peut y avoir d'interdiction générale et absolue" d'un droit (Conseil d'Etat du 2/11/92), mais des limites sont à poser qui serviront de repères aux enfants et auxjeunes, li­mites liées :
- à la loi (par exemple l'injure et la diffamation, pour la liberté d'expression) ;
- au devoir de protection des adultes, pour le sécurité des enfants :
    - aspect psychologique
    - aspect juridique (surveillance, responsabilité, responsabilité éduca­tive)
    - tout n'est pas négociable dans l'école : objectifs, valeurs
- aux contraintes de l'environnement ;
- à la maturité et à la capacité de discernement des enfants.
C'est ainsi que dans ma classe de perfectionnement, en 1989, à propos de la liberté d'aller et venir, je me suis interrogé sur le régime à mettre en place.
Fallait-il permettre l'exercice des libertés, sans contrôle préalable, après en avoir fixé les limites avec les enfants ?
Fallait-il lier l'exercice des liber­tés à l'acquisition de la capacité à l'exercer et mettre en place un ré­gime préventif ?
Mais comment acquérir une capacité sinon par la pratique sociale même ? Comment déterminer les critères per­mettant d'obtenir l'autorisation d'exercice d'une liberté ? Selon quelles modalités l'attribuer ? Com­ment serait matérialisé le fait d'être titulaire d'une autorisation, permis, brevets, ceintures... ?
J'ai opté pour la première solution. J'ai indiqué aux enfants qu'au nom de la liberté d'aller et venir, les dé­placements devaient pouvoir se faire dans la classe et dans l'école, li­brement, dans le cadre des limites fixées par la loi (loi faisant obli­gation de surveillance aux ensei­gnants) et par nous-mêmes.
Les enfants ont posé des conditions limitatives à l'exercice des déplace­ments :
- on se déplace en silence
- on ne va pas parler aux autres qui travaillent
- celui qui se déplace se lève et se déplace sans bruit.
La question du déplacement pour aller aux toilettes s'est posée à travers la demande de Samuel :
"Monsieur, est-ce que je peux aller faire pipi ?"
Plusieurs propositions ont été faites :
- aller sans déranger les autres
- aller faire avant d'entrer
- aller sans demander et sans le dire au maître et sans déranger les autres.
Après discussion, nous avons décidé :
- chacun peut se déplacer dans la classe à condition de ne pas gêner les autres dans leurs activités
- pour les toilettes, chacun essaie d'y penser à la fin de la récré. Il est libre d'y aller, sauf pendant les activités collectives. Pendant les activités personnelles, sortir sans bruit et sans embêter les autres.
Cette règle a été respectée d'une fa­çon générale. Le Conseil a eu à exa­miner quelques infractions et à res­treindre l'exercice du droit de dé­placement dans la classe à des rai­sons liées à l'activité. Un seul en­fant s'est vu astreindre à demander l'autorisation d'aller aux toilettes, durant une semaine, pour abus de sor­ties.
Cet exemple n'éclaire pas, évidem­ment, tous les aspects de la démarche mise en oeuvre pour les diverses li­bertés et activités de la classe, mais il constitue un modèle d'exercice respectueux des procédures en vigueur dans un état de droit :
- partir d'une liberté, d'un droit ;
- fixer les limites et les procédures à mettre en oeuvre en cas de trans­gression ;
- mettre en place une éducation à la responsabilité.
Qu'il s'agisse du règlement de la classe ou de l'école, les procédures d'intervention en cas d'infraction au règlement et les procédures de trai­tement des conflits, ainsi que les modalités de décision et d'application des sanctions, doivent tenir compte :
- des principes fondamentaux de l'état de droit :
 - toute transgression mérite sanc­tion ;
 - nul ne peut être juge et partie ;
 - nul ne peut se faire justice soi-même ;
 - la loi est la même pour tous.
- des principes de l'article 40 de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant :
 - la présomption d'innocence ;
 la nécessité d'établir la culpabi­lité et donc d'apporter des preuves ;
 - que l'instance judiciaire soit indépendante et impartiale ;
 - l'enfant suspecté ou accusé d'infraction ne peut être contraint de témoigner ou de s'avouer coupable ;
 - que l'on entende les témoins à charge et à décharge ;
 - l'enfant peut être assisté pour la préparation et la présentation de sa défense ;
 - qu'il puisse faire appel ;
 - que sa vie privée soit respectée.
 
Conclusion en forme d'appel
 
La logique nouvelle dans laquelle se trouvent les éducateurs et les en­fants implique que des recherches et des pratiques novatrices soient mises en place dans l'école, dans les ins­titutions diverses d'accueil des en­fants et des jeunes, dans les centres de formation.
Ainsi nous pourrons espérer que les enfants et les hommes seront mieux aptes à prendre leurs affaires en main et à vivre ensemble dans un es­prit de coopération.
Le chantier d'une nouvelle citoyen­neté est ouver. Nous avons une place importante à y tenir pour être fi­dèles à notre histoire et à nos convictions.
 
Jean Le Gal,
Chargé de cours à l'I.U.F.M de Laval
Chargé de mission à l'I.C.E.M pour les droits de l'enfant 
 
(1) Le Gal Jean, 1990, La Convention des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant, in Documents du Nouvel Edu­cateur, 213
(2) Les lycéens se sont vus recon­naître ces droits et libertés : dé­cret n° 91.173 du 18 février 1991, relatif aux droits et obligations des élèves dans un établissement du se­cond degré et circulaire n° 91052 du 6 mars 1991.
(3) L'article 42 de la CIDE stipule que "les états partie s'engagent à faire largement connaître les prin­cipes et les dispositions de la pré­sente convention, par des moyens ac­tifs et appropriés, aux adultes comme aux enfants".
(4) L'article 12 de la CIDE stipule que "les états parties garantissent à l'enfant qui est capable de discerne­ment le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération en égard à son âge et à son degré de maturité".
(5) En 1957, le Mouvement Freinet a adopté à Nantes, lors de son congrès international, une CHARTE DE L'ENFANT, dont l'article 15 stipule : "Les enfants ont le droit de s'organiser démocratiquement pour le respect de leurs droits et de la dé­fense de leurs intérêts".
Puis en 1983, à l'Université de Nan­terre, Paris X, l'ICEM a réuni 300 personnes pour réfléchir sur Droits et Pouvoirs, Devoirs et obligations, des enfants et des jeunes.
En juillet 1989, l'ICEM a organisé, avec l'ARESPI, la première Université d'été sur "Droits de l'enfant et Edu­cation en France et en Europe", à Vaucresson.
(6) En ouverture de cette U.E, j'affirmais que la Convention serait un point d'appui pour les militants des droits de l'enfant mais qu'il y avait "un combat à mener pour que l'exercice de ces libertés devienne une réalité dans les familles, dans les institutions éducatives, théra­peutiques et dans la cité". in Le Gal Jean, Schneider Arnaud, 1989, Droits de l'enfant et Education en France et en Europe, CEPJJ, Vaucresson, 205p.
(7) Freinet Elise, 1971, Naissance d'une pédagogie populaire, Paris, Maspéro
(8) Freinet Célestin, 1923, La disci­pline nouvelle, in CLARTE
(9) Freinet Célestin, 1974, Pour l'école du peuple, Paris, Maspero
(10) L'éducation civique aujourd'hui, propositions du Groupe technique édu­cation civique, Conseil National des programmes, Ministère de l'Education Nationale et de la Culture, juin 1992
(11) concept utilisé par Jacques Floch, député, dans son rapport : Participation des habitants à la ville, Rapport de la commission, Edi­tion du Conseil national des villes et du développement urbain, Novembre 1991.
(12) in rapport Jacques Floch (op. cit.)
(13) in rapport Jacques Floch (op. cit.)
(14) La participation des enfants : de la politique de participation sym­bolique à la citoyenneté. Rapport à l'UNICEF, 1992
(15) Le Gal Jean, 1975, Organisation et mémoire des activités dans une ex­périence d'autogestion, in Chantiers, bull. de l'enseignement spécialisé à l'ICEM
(16) Maccio Charles, 1988, Autorité, Pouvoir, Responsabilité, Lyon, chro­nique sociale (1ère édition 1980)
(17) Mendel G., Les enseignants et le seuil interminable de l'autorité, Ca­hiers Pédagogiques 319, décembre 1993, La démocratie à l'école
(18) Cifali Mireille, 1994, Le lien éducatif : contre-jour psychanaly­tique, Paris, P.U.F
(19) Rosenczveig J.P., in Libération, 21/11/1989, Les droits gagnent du terrain, l'enfant reste un incapable, propos recueillis par Catherine Er­thel
(20) Cacheux Denise, 1990, Rapport d'information sur les droits de l'enfant, Paris, Assemblée Nationale
(21) Le Gal Jean, Yvin Pierre, 1971, Vers l'autogestion, Cannes, Ed. de l'Ecole Moderne
(22) Miller A., 1984, C'est pour ton bien. Les racines de la violence en éducation, Paris, Aubier
(23) Cifali Mireille, op. cit., p 53
(24) Le Gal Jean, Mise en oeuvre de la Convention des Nations Unies sur les droits des enfants, in Documents du Nouvel Educateur, 220, Novembre 1990
(25)) L'éducation à la citoyenneté, in Information et Innovation en Edu­cation, 82, mars 1995, revue du B.I.E
(26) Décret n° 91.173 du 18 février 1991 et circulaire 91.052 du 6 mars 1991 sur Droits et obligations des élèves des lycées, collèges et éta­blissements régionaux d'enseignement adapté
(27) Le Gal Jean, 1982, La classe co­opérative en Pédagogie Freinet, in Educateur n° 5
(28) Le Gal Jean, Yvin Pierre, 1971, Vers l'autogestion, document de l'ICEM, Bibliothèque de l'Ecole Mo­derne, Cannes
(29) Pour une présentation plus dé­taillée, se reporter au rapport de l'équipe pédagogique, in Mise en oeuvre de la Convention des Nations Unies sur les droits des enfants, op. cit.
(30) Colliard Claude Albert, 1982, Libertés Publiques, Paris Dalloz (2ème édition)
(31) Décret n) 91.173 du 18/02/1991 et circulaire 91.051 du 6/03/91 sur les publications réalisées et diffu­sées par les élèves dans les lycées.
 

 

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