Juin 1996
Au départ, il y eut un homme et de sa conscience, de sa révolte, de sa réflexion, de sa mobilisation intime pour l'éducation, est né un mouvement dont le point d'ancrage se situe quelque part entre citoyen à l'école et citoyen du monde.
Ainsi de Célestin Freinet à René Daniel, de bouches à oreilles, de lettres à minitel, de fax à internet, de rencontres à congrès, s'est tissé un réseau de personnes intra et inter-national partageant un même but : faire émerger dans et par l'école une certaine idée de l'homme, citoyen actif et vigilant.
Je n'ai pas connu cette naissance mais j'ai assisté à celle d'un autre réseau de citoyens dont la similitude avec le mouvement Freinet (et d'autres réseaux d'ailleurs) réside dans sa structure neuronale issue de l'intime : quelques personnes moralement choquées, révoltées par l'épuration ethnique en Bosnie se sont réunies pour "faire quelque chose". Comme les neurones se connectant entre eux pour permettre le passage d'influx nerveux, des hommes et des femmes, par contacts personnels, ont fait naître quelques trois cents comités, collectifs ou associations, divers, autonomes, plus ou moins bien organisés, connectés entre eux dans le but de rencontrer, soutenir ceux qui en Serbie, Croatie et Bosnie tissaient des réseaux de résistance aux ultra-nationalistes, aux purificateurs ethniques.
Aucun de ces comités n'a la même histoire ni les mêmes façons d'agir, chacun des collectifs comme chacun de ses membres, travaille en "autonomie citoyenne" (acteur et responsable de ses projets) dans le respect de l'esprit de ce mouvement de solidarité : créer des échanges de personne à personne, de profession à profession, d'école à école, de ville à ville pour soutenir et promouvoir le sens de la Résistance bosniaque symbole de toutes les autres et plus généralement des grandes questions sur la citoyenneté...
Un exemple récent : la grève de la faim de deux membres du Collectif de Montpellier. Les contacts avec les différentes expressions de résistance en Bosnie se sont faits par les convois civils humanitaires, leur but étant de :
- répondre aux besoins prioritaires des habitants
- faciliter des échanges porteurs de projets.
Suite aux assises nationales, des collectifs ont organisé un convoi civil humanitaire qui a relié Mostar, Sarajevo et Gorazde. A leur retour, frappés par l'extrême pénurie des 60000 habitants de Gorazde, deux membres du Collectif de Montpellier ont décidé de faire une grève de la faim pour demander que cette enclave retrouve des conditions de vie plus décentes (eau, électricité, téléphone, chauffage, sécurité). Ils proposaient que chacun (individu, association) écrive au Président de la République. Cette action individuelle a interpellé chacun d'entre nous, aussitôt l'influx nerveux a circulé à travers le réseau et de ce réseau à d'autres.
Au bout du quinzième jour de jeûne, ils ont obtenu l'assurance que l'eau serait rétablie, qu'un générateur puissant était en route, qu'un téléphone fonctionnait à la mairie, que du charbon serait acheminé.
Par son désir d'agir, par son environnement immédiat de contacts et d'informations, chacun est tour à tour noyau, dentrine, axone et synapse, chacun participe au tissage et métissage de réseaux dont la finalité, à long terme, est l'émergence d'une société solidaire, citoyenne, responsable de son environnement et des communautés humaines qui la composent.
En tant que militant du mouvement Freinet, beaucoup parmi nous sont en relation avec un pays pour contribuer ainsi à l'établissement d'un réseau international d'éducateurs en Pédagogie Freinet, donc porteur de cette société citoyenne.
Au regard de mon engagement dans le réseau "Citoyens, citoyennes pour la Bosnie", j'ai accepté d'être correspondante ICEM pour la Bosnie Herzégovine. Si d'autres voulaient bien devenir correspondant ICEM pour la Serbie et la Croatie, nous pourrions contribuer à la reconstruction d'une société démocratique réconciliée : la peur provoque des vagues de xénophobie, des replis religieux.
Un réseau de citoyens solidaires peut contribuer à la paix.
Auteur :