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Une pratique du texte libre, des questions sur l'évaluation

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Mars 2011
Pierrick Descottes se posait un certain nombre d'interrogations sur le texte libre après un trimestre de pratique dans un CE2.CM1.CM2. Elles sont toujours d'actualité...
 
 
 
Je viens de prendre en charge une classe à la dernière rentrée. La place centrale que j'ai accordée tout de suite à l'institution du texte libre suscite à l'issue du premier trimestre quelques questions touchant principalement au problème de l'évaluation.
 
Mais .je tiens d'abord à placer le décor.
 
1) Présentation de la classe
 
- École rurale
- Classe de CE2-CMI -CM2 de 26 élèves
- Niveau globalement faible, surtout chez les CM peu familiarisés, entre autres, à l'expression écrite.
- Faisant partie d'un département pilote, l'école a élaboré avant mon arrivée un projet en coopération avec une école voisine. Le coeur du projet est l'élaboration d'un journal inter-écoles. Il intègre aussi une partie éveil artistique. Nous avons sollicité par ailleurs un FAI avec dotation de matériel informatique, traitement de textes plus une émulation minitel pour pouvoir échanger en continu entre les deux écoles.
Nous devrons nous contenter dans l'immédiat du matériel informatique.
- Pour en finir avec ce rapide descriptif nous faisons partie depuis Novembre du réseau télématique PCLASS.
 
2) L'institution du texte libre
 
J'ai donc tenu tout de suite aménager une place centrale au texte libre (est-ce bien original pour un ICEMien ?)
L'essentiel du travail en Français se fait explicitement à partir ou autour de cette activité. J'ai d'ailleurs cru un moment que le fait d'insister sur cette liaison à chaque fois qu'est entrepris individuellement ou collectivement un travail en grammaire ou orthographe vienne " scolatiser " quelque peu le T.L et contrarier chez certains l'envie d'écrire.
 
Apparemment, cela ne pèse pas trop mais la question reste posée.
En début d'année, le contrat minimum d'écriture était un texte par quinzaine, il est désormais d'un par semaine. La plupart des CE2 déjà familiarisés auparavant à l'écriture en produisent plusieurs par semaine. Mais beaucoup de CM2 " rouillés ", bloqués ou inhibés parviennent encore difficilement à respecter le contrat et me demandent régulièrement un coup de pouce.
Avant toute correction, les textes peuvent être lus (c'est l'immense majorité) au groupe. Conformément aux règles coopératives, chaque texte subit une première et rapide évaluation par le groupe. Moment très riche et devenu central dans la vie de la classe sur lequel je reviendrai.
A la fin de chaque semaine, 5 textes sont élus pour le journal suivant.
J'ai eu peur dans un premier temps que le fond soit sacrifié à la forme mais il n'en est rien heureusement. Les textes non élus peuvent être mis dans un recueil et seront lus ponctuellement aux petites classes de l'école.
 
3) L'emploi du temps en Français
 
Je ne veux pas aborder ici tout le travail spécifique en lecture. Il mériterait un développement à lui seul ...
Comme je l'ai dit plus haut, toute la partie " étude de la langue " s'articule autour du texte libre et s'organise en deux temps.
 
3.1) Temps collectifs
 
Deux groupes de niveau :
- un groupe de CM plus 2 CE2 très en avance (et maîtrisant d'ailleurs bien mieux la langue que la plupart des CM)
- un groupe de CE avec à l'occasion participation de quelques CM en difficulté.
Ces moments sont consacrés essentiellement à l'étude de notions en grammaire-conjugaison, en fonction des besoins collectifs révélés à travers les diverses évaluations.
Un moment de la semaine peut être réservé à un travail en grand groupe où on abordera des difficultés relevées chez la plupart des enfants, en orthographe notamment, ou encore à la mise en forme collective d'un texte ayant soulevé de nombreuses remarques lors de l'évaluation socialisée.
En marge de ces activités classiques, il me semble important d'amener les enfants à réfléchir régulièrement sur l'articulation et le bien fondé de celle-ci pour l'amélioration de l'expression écrite.
Si pour l'orthographe cela n'est pas trop difficile, la pertinence du travail grammatical ne leur est pas claire d'emblée. N'est-ce pas le lieu par excellence des dérives scolastiques ?
 
3.2) Temps individuels
 
C'est le moment consacré principalement au travail sur fichiers PEMF ou à l'écriture de textes libres.
Chaque enfant est renvoyé à des fichiers correspondant à des carences orthographiques constatées dans ses textes. Je reviendrai sur cette activité plus tard car elle n'est pas sans susciter dès à présent quelques interrogations. Ce moment peut être consacré aussi à la mise enforme individuelle de textes. Moment privilégié où j'essaie de concentrer la réflexion de l'enfant sur la cohérence et le style de son texte tout en cherchant à ne pas trop dénaturer celui-ci (c'est parfois bien difficile).
Afin de limiter ma part, l'aide du magnétophone ou d'un camarade s'impose parfois. J'ai essayé aussi pour des textes particulièrement incohérents d'amener les enfants à utiliser les procédés " La Garanderie " dans la planification et la mise en texte. Mais, au-delà de ma maîtrise limitée de ces techniques, sont-elles vraiment applicables ici ?
 
Il reste que ce travail sur la cohérence intra-textuelle et inter-phrastique constitue une de mes préoccupations principales au sujet desquelles des questions demeurent.
 
4) Les évaluations.
 
Elles sont de plusieurs types et se concentrent essentiellement sur les textes produits.
 
4.1) Évaluations socialisées.
 
Moment privilégié de d'échange et de construction interactive des compétences dans l'exercice de la langue écrite. Il peut donner lieu à des corrections immédiates par le lecteur en fonction des remarques du groupe.
Je ne m'étends pas plus sur le sujet. Cette pratique coopérative fondamentale n'est qu'une reprise de ce qui se fait ailleurs dans le mouvement et qui a déjà été maintes fois décrit.
 
4.2) Évaluations formatives
 
J'ai fabriqué un grand tableau à double-entrée (élèves/acquisitions fondamentales du cycle 3 dans la pratique du Français écrit). En dehors des acquisitions de base en orthographe-conjugaison, j'ai tenu à introduire des critères de cohérence textuelle (ex : maîtrise de la progression thématique, des organisateurs, des connecteurs, de la valeur de l'emploi et de la concordance des temps ... ).
Ce tableau me sert à pointer, au coup par coup, les difficultés relevées dans les textes de chaque enfant. C'est alors que je les renvoie à une .fiche ORTHO ou à un exercice du manuel correspondant à chaque difficulté.
 
En ce qui concerne les problèmes de cohérence, ils peuvent donner lieu à une approche spécifique lors de la mise en forme individuelle avec moi. J'ai commencé à constituer une batterie d'exercices correspondant à chaque erreur de cohérence (ex : textes-puzzle pour la cohérence thématique).
Je tiens par ailleurs à ajouter que les textes, étant copiés sur un cahier spécial, sont soumis à deux niveaux de correction :
 
            * L'enfant essaie de corriger seul les erreurs que j'ai soulignées en utilisant le code de correction ou en s'aidant d'un copain ou du magnétophone.
            * Suite à ce premier toilettage, on procède à la mise en forme du texte avant de le recopier.
Quand je constate sur ma grille qu'une notion n'est pas assimilée par une majorité d'enfants, je sais que l'on peut aborder cette question collectivement.
 
4.3) Évaluations diagnostiques.
 
Je procède régulièrement à des évaluations de ce type quand il s'agit d'aborder une notion collectivement (ex : pour des leçons systématiques en conjugaison). Cela me permet éventuellement de constituer des groupes de besoin.
 
4.4) Évaluations sommatives
 
J'ai constitué une batterie de tests en 3 niveaux (Objectif : -niveau 3 à atteindre en fin de cycle). Les enfants passent ces tests à mi-trimestre ou en fin de trimestre. Cela donne un aperçu ponctuel. On peut contester la validité d'un tel type d'évaluation à priori scolastique.
Il ne peut assurément prétendre à une appréhension réelle et globale du niveau de l'enfant.
Cependant, je crois pouvoir affirmer que la première évaluation de ce type m'a permis de découvrir des manques (dans la connaissance de la langue surtout) que la seule évaluation des textes n'avait pas révélés. Cela m'invite à revenir sur certaines notions que je croyais intégrées.
 
5) Et maintenant les questions.
 
Elles sont multiples et concernent différents aspects.
 
5.1) Au sujet des outils
 
Après un premier trimestre de pratique, je ne suis pas très satisfait des fichiers ORTHO, tout du moins dans le contexte où je les utilise.
J'ai beau signaler aux enfants pourquoi je les envoie vers telle ou telle fiche et leur demander de réfléchir à la nature de la difficulté abordée, je ne suis pas sûr que toutes les fiches, par leur présentation même, permettent une appréhension consciente et réfléchie de leur objet respectif.
Ce genre d'outil est-il adapté aux différents styles cognitifs ? La motivation culturelle de l'enfant n'est-elle pas là encore nécessaire, au risque d'accroître le fossé entre bons et mauvais élèves ? Même si cet outil n'est pas le seul utilisé, j'en arrive à me demander si on peut le concevoir comme instrument privilégié de personnalisation. En attendant, j'envisage d'adjoindre dès que possible une aide didactique minimum sur la plupart des fiches (sans que les questions précédentes soient évacuées pour autant).
Par extension se trouve posée ici la question sur les effets plus ou moins positifs de la dialectique expression libre-activités décrochées. Et cela nous renvoie au problème de l'évaluation.
 
5.2) Au sujet de l'évaluation
 
Celle-ci est centrée essentiellement sur l'expression libre.
Au-delà de la question sur les effets des activités décrochées, se pose aussi celle de la validité d'une évaluation du premier jet des textes - cette dernière induisant pour l'instant le choix d'exercices de remédiation (essentiellement les fiches ORTHO justement).
Sachant que ce premier jet sera corrigé et recorrigé, certains enfants doivent se relâcher plus ou moins consciemment sur le respect des différentes règles d'écriture. Cela ne veut pas dire pour autant que toutes les carences relevées dans le premier jet soient vraiment révélatrices du niveau de l'enfant concerné. (En écrivant ceci, me vient justement une idée : pourquoi ne pas entreprendre l'évaluation formative des textes une fois la première correction effectuée par l'enfant ? Cela pourrait donner une idée plus exacte de son niveau de compétences à tel moment ...)
A l'inverse, l'évaluation sommative de fin de premier trimestre me suggère une autre question. Certains enfants ne .faisant pas d'erreurs sur telle notion dans leur écriture spontanée ont manifesté des difficultés sur la même notion dans ces exercices plus formels.
Cela demande bien sûr à être vérifié.
Auquel cas je ne pourrais m'empêcher de poser la question : peut-on se satisfaire d'une maîtrise perceptive, par imprégnation, et ne pas entreprendre dans ce cas une approche notionnelle ou conceptuelle plus approfondie ?
 
5.3) Au sujet de la mise en forme des textes
 
Comme je l'ai déjà signalé, j'attache une grande importance à la maîtrise de la cohérence textuelle.
Certaines carences peuvent apparaître très accidentellement chez tel enfant sans que j'y accorde plus d'intérêt. Par contre, certains enfants en difficulté refont les mêmes erreurs régulièrement (surtout dans l'organisation des infos, la progression thématique, l'emploi ou la concordance des temps). J'ai écrit plus haut que j'étais en train de constituer une batterie d'exercices visant à pallier ces différentes carences.
Cependant je peux dire qu'une pratique soutenue du texte libre chez quelques enfants affichant de nombreuses incohérences dans leurs textes initiaux a conduit la plupart à des améliorations notables de ce côté.
Là encore un bain de textes régulier, allié à l'exercice collectif tout aussi régulier de la critique de ces textes ne vaut-il pas autant que le recours à des exercices décrochés, si structurés soient ceux-ci ?
Autres interrogations plus récentes : une telle évaluation de la cohérence textuelle est-elle pertinente pour tous les textes libres eu égard à la spécificité même de ceux-ci. (le peu de contraintes formelles qui les régissent entre autres ?)
N'y aurait-il pas, comme l'a démontré P.Clanché par ailleurs, une génétique de la maîtrise de la cohérence textuelle, auquel cas mon travail dans ce domaine se trouverait encore plus infondé ?
Enfin, et ce n'est peut-être pas la moindre, cette approche formaliste si elle devait être systématisée ne risquerait-elle pas d'entraîner une dérive normative contestable, surtout quand on connaît l'enjeu politique du texte libre ?
Voilà où en est l'essentiel de ma réflexion et de mon questionnement après un trimestre de pratique en cycle 3.
Pierrick DESCOTTES
Novembre 1990