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Un feuilleton en latin

Dans :  Langues › Principes pédagogiques › 
Mars 2011
Dans une quatrième qui commence le latin, ce qui est difficile pour moi, c'est de faire autre chose qu'une monotone succession de leçons/applications-avec-les-exercices-du-livre. D'autant plus que je n'ai pas la même logique d'apprentissage que les livres. Je suis donc forcée d'inventer.
 
Au début du cours, il y a cinq minutes de " conversation " en latin, où j'introduis du vocabulaire et des structures de phrases. Voilà ce qui a été appris au début de cette année, entre autres :
" Sunt nubes in caelo. Non sol est. Pluit. " _ " Il y a des nuages dans le ciel. Il n'y a pas de soleil. Il pleut. "
" Tumultum audio " _ " J'entends du bruit "
D'autre part, l'année commence par le choix d'un adjectif-surnom, par chaque élève, pour pouvoir fabriquer des phrases en latin dans lesquelles ils interviennent. Cela fait 25 adjectifs retenus facilement : Magnus = le grand, Pertinax = la têtue, Acer = le rapide...
Cette année, en octobre, ils connaissaient deux cas : nominatif et accusatif ( sujet et C.O.D. ). Je leur ai demandé d'utiliser leurs connaissances, et leur livre, pour inventer des phrases en latin. Voilà ce que Sandrine-Parva (la petite ) a écrit :
" Per fenestram, puella ducem et exercitum videt. Romam veniunt. Romae sunt nubes in caelo, non sol est. Pluit in terra. " = "Par la fenêtre, la fille voit le chef et l'armée. Ils viennent à Rome. À Rome, il y a des nuages dans le ciel, il n'y a pas de soleil. Il pleut sur la terre. "
J'ai évidemment corrigé les erreurs, et apporté ce qui est souligné (les compléments de lieu qu'ils ne connaissaient pas.). Le reste est une ingénieuse utilisation de ce qui a été appris en grammaire et en " conversation ".
J'ai trouvé ce texte particulièrement dramatique, et je l'ai lu en classe en improvisant des bruitages.
" Et si on écrivait la suite ? " Immédiatement, ça a donné :
" Exercitus puellam terret, quia milites videntur feroces. Magnum tumultum puella audit. Milites urbem delent. " " L'armée effraie la jeune fille, parce que les soldats paraissent féroces. La jeune fille entend un grand bruit. Les soldats détruisent la ville." Tout ce paragraphe est de la création collective, et j'ai apporté tout le vocabulaire qu'ils me demandaient : quia = parce que ; videntur = ils paraissent...
On s'est, bien sûr, bien amusé. Et j'ai senti peu à peu les enfants s'approprier cette histoire, et la " voi" , comme je voyais moi-même les nuages voiler la lune, la jeune fille éplorée et les éclairs des glaives...
Alors, c'est devenu " le feuilleton ". Et, comme exercice d'application, je donne de temps en temps : Écrivez deux ou
trois phrases qui continuent l'histoire. Certains les écrivent spontanément, certains en écrivent davantage.
Je corrige d'abord toutes les phrases, puis, ensemble, nous élaborons la suite. Ce qui m'a semblé très intéressant, c'est que, pour trouver davantage de vocabulaire et de tournures de phrase, ils se servent de leur livre, font des recherches, essaient des mots et des structures inconnues... N'est-ce pas cela, le tâtonnement expérimental ?
 

" Umbram puella videt in nocte "." La jeune fille voit une ombre dans la nuit."

Ici, discussions passionnées. Est-ce que cette ombre est celle d'un chat, d'un héros ou d'un soldat méchant ? Il a fallu voter.
" Haec est militis umbra. Miles puellam videt. Puellae vita in perïculo est. Miles puellam capit et gladium eximit. " _" C'est l'ombre d'un soldat. Le soldat voit la jeune fille. La vie de la jeune fille est en danger. Le soldat attrape la fille et dégaine son épée "...
Nous en sommes là. Je ne sais pas ce qui va arriver à l'héroïne, mais nous avons déjà une phrase prête qui annonce l'arrivée d'un héros à la tête d'une armée salvatrice.
Si nous arrivons au bout de cette histoire, j'aimerais relire avec eux ce texte brut, élaboré au fil des semaines, et lui donner davantage de cohérence, en supprimant par exemple les répétitions. Et évidemment l'illustrer, et/ou l'enregistrer... en faire un produit fini.
En tout cas, dès maintenant, on va pouvoir envoyer notre ébauche aux correspondants pour qu'ils cherchent eux aussi une suite.
 

Catherine Mazurie