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Pratique du jardin expérimental

Avril 2000
Les apprentissages se bâtissent dans la durée et au moyen d’un ancrage fortement affectif. Quoi de plus motivant que le jardin expérimental. Depuis trois ans, c’est le chemin choisi par Marie-Françoise Villebasse* pour laisser libre court au tâtonnement et à l’expérimentation libre de ses élèves.
 
 
Au préalable…
C’est une expérience que j’avais déjà menée il y a quelques années dans une école défavorisée de Tourcoing. Je prenais à l’époque, une heure ou deux par semaine, une classe de CP ou de CE1 et nous allions au jardin. Cette tentative me permit de connaître les écueils à éviter.
L’an dernier un terrain, en pente, vaste, rempli de caillasses et de chardons nous fut octroyé par la ville à ma demande.
 Je voulais cette fois non plus “apprendre aux enfants à planter”, mais leur permettre de posséder un bout de terre qui serait leur royaume et où je les accompagnerais dans leurs démarches.
Je leur parlai d’abord de cette possibilité qui souleva immédiatement l’enthousiasme. Dès le lendemain des plantes, des graines arrivèrent sur mon bureau.
- « Tiens maîtresse, c’est pour toi ! »
- « Alors ce n’est pas pour moi, c’est pour ton jardin. C’est toi qui vas t’en occuper ! »
- « Ah bon ! C’est pas toi ? »
- « Ici, c’est nous qui faisons, ce n’est pas la maîtresse, dit Alain un “ancien”, elle est là juste pour nous aider. Ton idée, elle doit venir de toi ».
- « Est-ce que l’on peut aussi planter dans des pots ou dans du coton en attendant d’avoir le terrain désherbé ? »
- « Bien sûr ! »
On récupéra des pots, de la terre, du terreau, quelques barquettes.
Et quelques albums se mirent en route sur des plantations en pots.
Ils furent présentés à la classe qui fit ses critiques et établit ses règles :
- les dessins des plantes doivent être ressemblants sinon ça ne veut rien dire ;
- il faut toujours écrire la date lorsqu’on écrit ou que l’on dessine pour pouvoir comparer.
On s’organise
On alla voir le terrain : rempli de mauvaises herbes. La mairie nous l’avait donné à la condition de nous débrouiller tout seul. On n’aurait de la terre que si l’on désherbait ! On mit les parents dans le coup. Nous, on arrachait ce qui ne piquait pas et eux le reste. Un repas coopératif clôtura le travail.
Ensuite on mesura le terrain et on réfléchit à la meilleure manière de l’utiliser. Ce fut une longue discussion, il fallut plusieurs fois revoir notre travail. En effet il fallait partager la surface en 10 parts égales car les enfants voulaient travailler par groupes de 2 sur un terrain. Ces mesures servirent aussi pour l’exposition de fin d’année et pour l’album destiné à nos copains allemands car eux aussi ont un jardin.
On fit les comptes de coopé, mais les outils étaient chers ! J’avançais un premier lot de pelles, serfouettes, râteaux et plantoirs ainsi que les bulbes car certains voulaient planter des fleurs.
On fit venir un « technicien de jardin » de la ville. Il expliqua à quelle période de l’année il fallait planter les uns et les autres. Je fis un grand tableau récapitulatif après sa visite que j’affichai au mur. Il sert encore de référent.
Certains voulaient faire pousser des arbres : glands et noyaux de toutes sortes furent soigneusement placés et étiquetés dans des bocaux pour ne pas se tromper. D’autres ramenèrent différentes sortes de graines.
On ramena ensuite autant de bouteilles plastiques que l’on voulut faire d’expériences. Il nous fallut un mois pour y parvenir tant la demande était grande. De plus il pleuvait et on avait décidé de planter tout le même jour ce que l’on mettrait dehors. On guetta l’éclaircie !
La veille j’avais demandé aux parents de prévoir des vieux habits et des bottes.
Premier décembre :
on plante !
Après s’être habillé en jardinier, chaque enfant mit son étiquette sur sa ou ses bouteilles (nom de ce qu’il plante et son prénom). Puis chacun passa à tour de rôle faire son “ marché” et prendre l’outil de son choix.
Pour les outils, comme il en manquait, la règle était de se les prêter.
Et nous allâmes planter ! Chacun à sa manière et ce qu’il avait prévu.
J’avais pris soin la veille de bêcher et de ratisser la terre de façon à ce qu’elle soit facile à creuser.
Au retour ils dessinèrent et écrivirent ce qu’ils avaient fait et ce qu’ils en pensaient dans leur classeur personnel de jardin.
Tout ce qu’ils avaient fait auparavant y était déjà : dessins des oignons, noyaux, graines, plans de leur lopin, emplacement de ce qu’ils voudraient planter, leur jardin imaginaire, etc.
On attendait impatiemment entre deux averses pour aller voir l’évolution de nos plantations que l’on dessinait et pour lesquelles on prenait note de nos observations et de nos commentaires. C’est là où le bulletin météo revêtit toute son importance ainsi que le thermomètre extérieur !
On émettait des hypothèses, on cherchait des preuves par tous les moyens qui nous venaient à l’esprit.
C’était la part de travail collectif et coopératif. Je relançais la recherche par une question du genre : « En êtes vous sûrs ? »
Un jour de janvier
 On ne trouva plus nos terrains : on les avait recouverts complètement de copeaux ! C’était ainsi que la ville avait réglé le problème des mauvaises herbes ! Quelle frayeur… De nouvelles hypothèses surgirent immédiatement :
-”Les plantes vont mourir ! “
-“ Non, elles vont passer à travers !”
Chacun ôta les copeaux de son lopin du mieux qu’il put !
Seules les monnaies du pape d’Audrey furent oubliées. Pourtant, à sa grande joie et à l’étonnement général, elles survécurent.
Ils s’aperçurent aussi qu’elles étaient bien jaunes mais que l’air libre leur rendait leur verdeur.
En février et en mars…
L’on rata les plantations d’arbres. Les glands plantés à la mode du technicien des jardins ne donnèrent aucun résultat pas plus que les pruniers, pêchers, châtaigniers, marronniers ni même les noisetiers. Mais le Club Nat’ nous proposa cinq arbustes. Notre choix se fixa après réflexion sur trois noisetiers, un prunellier et un fusain.
Leur arrivée au mois de février fut encore un événement. Il fallut lire la notice et creuser les trous. Ensuite on les tailla.
En mars nos jacinthes, narcisses et tulipes fleurirent et l’on découvrit d’autres plantes que nous n’avions pas plantées.
 
Puis, à partir d’avril,…
Mathieu, l’aide éducateur, prit les enfants chaque jour par groupe de 2 ou 3. Il filmait au camescope à la fois leur activité et leurs commentaires. Puis on regardait tous ensemble la vidéo et les remarques fusaient. Ils émettaient de nouvelles hypothèses et d’autres expériences démarraient. (planter des oignons à l’envers, dans de la ouate, placer des bourgeons à même le sol, des graines dans du plastique, etc.)
Tous ensemble, nous allions chaque vendredi dans notre jardin. Nous découvrions les abeilles dans les étamines des fleurs, les pucerons et les coccinelles, les chardons, les bleuets et les liserons et bien d’autres choses encore. Nouss allions chercher, dans les livres, les informations.
Ensuite, ce furent les semis de radis, carottes, capucines, reines-marguerites, tapis magiques. Quelques uns plantèrent des pommes-de-terre. Les jardiniers de la ville, un matin, nous donnèrent des restes de semis : des soucis en godets, des héliotropes et d’autres plantes.
Malheureusement il gela et peu de plantes résistèrent.
En mai et en juin…
Ce fut la chaleur qui détruisit nos carottes, mit à mal les dahlias et les reines-marguerites. On organisa une séance d’arrosage.
Les pois de senteur de Doriane disparurent, mais Mehdi en eut sur son terrain alors qu’il ne les avait pas semés ! Ces graines furent apportées aussi par des enfants au fur et à mesure de leur envie. Le partage se fit entre eux.
Un papa nous ramena des morceaux de bois pour faire des piquets afin de mettre des ficelles avec des bouts de tissu pour éloigner les mangeurs de graines : les oiseaux.
Tout ce qui nous semblait important fut retranscrit dans l’album collectif car nous participions au concours des écoles fleuries. On réalisa aussi une cassette vidéo des meilleurs moments choisis. J’eus des dessins de plus en plus précis car l’émulation aidant, chacun voulait avoir son travail dans l’album.
Résultat notre album devint énorme ! On décida de faire une exposition pour les parents à la fête de l’école.
Cette expo fut ensuite démontée et reliée et fit un nouvel album qui circule cette année dans les familles.
En septembre, l’expérience se poursuit et « s’enracine »
Comme nos jardins avaient belle allure à la rentrée de septembre ! On a fait la récolte de pommes de terre, de carottes. Puis ce furent les bouquets de dahlias, de soucis, des capucines, du muflier, des bleuets et des liserons à foison.
Le gel de novembre réduisit les capucines, l’héliotrope et les tapis magiques en bouillie, mais on avait déterré les carottes de dahlias et les bégonias juste à temps !
Il y eut une nouvelle plantation de bulbes, en novembre cette fois. On réessaya les glands, forts des conseils de nos corres qui avaient réussi leurs plantations d’arbres (Mettre les noyaux ou les glands couchés sur du terreau sans tasser). Cette année 15 glands ont germé dans la classe ! On les a mesurés, on les a caressés, on leur a parlé, ils ont grandi. Puis ils ont stagné. Même le rempotage n’y a rien fait ! Finalement on les a mis en pleine terre, au printemps. Certains ont survécu aux giboulées.
Nous avons eu de belles tulipes, jacinthes et des narcisses. La découverte de ces fleurs n’a eu lieu que pour les 6 nouveaux de la classe. Pour les autres ils se sont attardés sur les vivaces : muflier, soucis, capucines qui repoussaient après l’hiver.
Le projet s’enrichit…
Enfin on a aussi décidé de construire une mare pour notre salamandre : l’idée venait de Mathieu et fut tout de suite acceptée. Ce fut notre nouveau grand projet de l’année. La mare suscite un grand intérêt : les enfants y guettent maintenant les colverts qui viennent s’y baigner !
Nous avons fait des semis d’œillets d’Inde, d’ipomées, de pois de senteurs, de verveine, d’ancolies, pour le pourtour de la mare et les murs de l’école. Nous avons installé des capucines et des plantes grimpantes issues de nos semis à la fois dans la cour de l’école, dans nos jardins et autour de la mare. La mare a eu aussi des plantations de vivaces comme des sédums, des centaurées, des ancolies, des myosotis, de la menthe citronnée pour éviter les moustiques, et des non vivaces pour donner quelques couleurs : alysses, pétunias, lobélias, impatiences etc.
Les classeurs personnels de jardin ainsi que l’album collectif se construisent et s’enrichissent peu à peu.
Notre mare va être inaugurée et le jardin vit sa vie…
                                                                              Marie-FrançoiseVillebasse
ele.jacques-prevert.tourcoing[arobase]mail.ac-lille.fr
 
Faire un jardin est une belle aventure mais il faut :
- des partenaires financiers (Mairie, associations, Club Nat’, OCCE) ;
- des adultes bénévoles (parents, grands-parents, amateurs de jardins) ;
- une rigueur dans le travail, un suivi et de la continuité (au moins 3 ans pour obtenir un jardin agréable à voir) ;
- de la disponibilité (notamment aux vacances car les mauvaises herbes ne s’en soucient guère !) ;
- des règles de vie à l’intérieur de l’école qui permettent que le travail réalisé par les uns ne soit pas détruit par les autres.
 
Une prise de conscience...
Comme nous avons découvert, à notre retour d’Allemagne, un pot, des pierres et des grosses briques au fond de la mare ainsi que des tuteurs et des plantes arrachées dans la cour de l’école, cela a provoqué une réaction : une demande de modification de l’article 20 du Règlement Intérieur de l’école a été proposée par les enfants de la classe au Conseil d’école, qui l’a votée.
Ils se sont engagés, par écrit avec signatures, à le respecter, avant de la proposer, l’ont affiché dans la cour et veillent à son application.

 

(*) Marie-Françoise Villebasse, membre du groupe Freinet du Nord, a une classe de CP-CE1 (qu’elle suit jusqu’en CE2) à l’école Jacques Prévert, une école de 6 classes, située en milieu urbain dans la REP de Tourcoing.