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Elfinor : un conte philosophique et poétique

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Mai 2000

Situations authentiques de création, de communication, d’échanges ...
et démarches citoyennes à l’Ecole Freinet de Vence       
“ELFINOR” : un conte philosophique et poétique
Le texte libre est une pratique habituelle en pédagogie Freinet : passer par l’écriture pour communiquer, pour aller à la rencontre de soi - même, pour se connaître mieux, pour se construire, pour le plaisir de déguster les mots, de trouver ceux qui vivent, qui disent ce que l’on porte en soi ...
                                                                                          (Carmen Montès)
 
Carmen Montès est directrice de l’école Freinet de Vence (3 classes), école publique d’Etat, à caractère expérimental, depuis 1991. Les parents des 66 enfants inscrits adhèrent à la Charte et aux modalités de fonctionnement de l’école.
 
L’expérience partagée d’écriture
· Vanessa écrit et présente son texte libre
L’idée est partie d’une poésie : “Si j’étais un cheval” de notre camarade Vanessa. Ensuite, Carmen - notre maîtresse - nous a lu “Le cheval ORNIFLE” écrit par Alain Grinda, un écrivain - conteur que nous connaissons bien et avec lequel nous correspondons.” (La classe)
 C’est un texte pour adulte...
 Bien sûr, ils n’ont pas tout compris mais ils ont ressenti l’essentiel. L’amour de la nature, le bonheur de vivre avec sensibilité le présent.
“Cette histoire nous a beaucoup touchés, et Manon l’a retravaillée à sa façon. Elle l’a lue à la classe, et nous avons voulu la réécrire tous ensemble.” (La classe)
 
· C’est toute la classe qui a été transportée par l’écriture dans une entente, une union, un partage exceptionnel
“Alors nous avons organisé des matins où nous écrivions l’histoire.
Chacun recherchait seul, puis lisait ce qu’il avait trouvé et nous écrivions ensemble les phrases définitives au tableau. Et voilà ! “ (La classe)
 
· Personne ne savait à l’avance que l’on ferait un texte poétique.
Moi, je passais auprès de chaque enfant et je m’exclamais toujours que c’était beau ! Car c’est vrai que c’était beau ! (Carmen)
“Tout de suite, on a eu le sentiment d’écrire quelque chose d’extraordinaire. On ne savait pas à l’avance que l’on allait écrire quelque chose de poétique, de presque féerique ! C’est venu tout seul... Les phrases de chacun se mélangeaient et se complétaient. Au fur et à mesure de l’écriture, on s’étonnait et on se disait : “Que c’est beau !” 
Tout cela s’est fait très vite...” (La classe)
 
Ouverture sur le monde : différents niveaux de confrontation
·           Des échanges naturels et privilégiés avec Alain Grinda, écrivain - conteur : un premier niveau de confrontation
Des échanges divers évoqués par les enfants avaient eu lieu l’année précédente : rencontres, contes... lectures de ses ouvrages, mais ils se sont approfondis à propos de l’écriture d’Elfinor : critiques positives, affectives, encouragements, confrontations d’écritures...
Comment raconter la relation fugace et merveilleuse qui peut naître entre un adulte et des enfants ? “ (Alain Grinda)
 
A la fin du texte, les enfants l’ont envoyé à Alain Grinda qui les a félicités et dit surtout qu’il avait aimé. Il leur a proposé des suggestions en notant ses impressions dans la marge. Les enfants étaient très fiers quand ils lisaient “Que c’est beau ! “, “Oh, j’aurais aimé trouver cette phrase ! “.
Et ils ont retenu quelques - unes de ses propositions, par exemple un changement de mot, ou trouver une autre phrase... Mais ils n’ont pas tout accepté, c’était très amusant car tout le monde échangeait vraiment d’égal à égal, entre écrivains ! (Carmen)
 
“ Il y a de l’Elfe et de l’Or, dans votre Elfinor. L’Elfe nous invite à ne garder du métal précieux que sa couleur solaire et nous emporte dans ce pays où les sabots du cheval ne touchent plus terre.
Ornifle était aussi porteur de l’or des rêves, mais, animal de chair, il reniflait parfois très fort, et pouvait sentir très mauvais.
Alors merci Manon, pour l’envoi (et l’idée ? ) d’Elfinor.”  (Extrait du courrier d’Alain Grinda)
 
Pendant tout ce temps, j’envoyais à Alain Grinda des textes d’enfants (des anciens textes) que j’aimais bien. Et lui s’amusait, de temps en temps, à les réécrire parce qu’il les aimait. Moi, je les lisais aux enfants. Ainsi de suite. Nous nous sommes retrouvés avec des textes libres traitant de sujets comme “posséder” ou “le silence” ou “le temps”...
Tout cet échange a été très enrichissant et totalement naturel.
Il n’y a jamais eu d’animation “écriture” comme cela se fait parfois dans les écoles.
Alain Grinda écrivait pour se faire plaisir à lui, les enfants l’ont bien senti et ça été contagieux.
C’était une année d’écriture exceptionnelle !             (Carmen)
                              
· Ouverture sur le monde environnant : un second niveau de confrontation.
  Tout naturellement - car c’est un mode de vie à l’école de Vence - les enfants ont entrepris diverses démarches citoyennes, sources d’une multitude et d’une diversité d’apprentissages sociaux et culturels.
Tous ces actes “ donnent à l’enfant une connaissance vivante du monde dans lequel il vit...”  (Extrait de la Charte de l’Ecole)
 
L’idée d’un vrai livre s’est imposée.
Ensuite nous avons vite fait quelques illustrationspour faire d’Elfinor un petit livret... mais...
“Nous avons voulu faire un vrai livre d’Elfinor, car nous avons eu le sentiment d’écrire tous ensemble quelque chose d’exceptionnel.
D’abord nous avons fait des dessins en noir et blanc pour que l’édition coûte moins cher. Mais très vite, nous avons pensé qu’Elfinor méritait la couleur. Nous avons terminé l’album (texte mis en page avec dessins en couleur) au mois de juin.”  (La classe)
 
* Présentations du produit fini :
                - un montage poétique au théâtre de l’école : “Nous avons présenté Elfinor lors d’un montage poétique (il y avait des poésies et l’histoire) au théâtre de l’Ecole, à nos correspondants et à nos parents.
                - lors d’une soirée “contes” :
“Nous l’avons aussi présenté au Centre des Loisirs de Menton, à l’occasion d’une soirée conte.
                - participation à un concours de poésie : Alain Grinda a proposé de réécrire encore le texte en 300 mots pour participer à un concours de poésies (moi, je ne voulais pas car j’ai horreur des concours ! ) mais les enfants voulaient.
“Nous l’avions aussi réécrit en 300 mots pour participer au concours des rencontres poétiques du Tholonet qui auraient lieu en juillet.
Dès la rentrée de septembre, d’abord, nous avons eu la surprise d’avoir obtenu le premier prix du concours (Classe entière) de poésies du Tholonet ! “ (La classe)
 
* Poursuite du projet d’édition :
            - multiples démarches dans le monde de l’édition : “Ensuite, nous avons poursuivi notre projet d’édition. Ça n’a pas été facile de trouver un éditeur.
Nous avons envoyé des lettres, téléphoné... Car nous aurions voulu qu’un éditeur nous fasse notre livre à son compte, sans devoir le financer nous - mêmes.
Nous sommes allés au Festival du Livre de Mouans - Sartoux et nous avons parlé à tous les éditeurs. Nous avons aussi demandé des devis... Et c’est là que Bernadette et Manon ont rencontré Sylvie des “Editions de l’Envol”. L’Envol ne pouvait pas faire notre livre à son compte, mais Sylvie
nous a fait un devis “serré”. Nous avons réfléchi, puis décidé de travailler avec l’Envol.
Nous avons tout de suite lancé des bons de souscription ; il nous faut vendre 330 livres pour rentrer dans nos frais (là, nous en sommes à 182). Nous avons 500 livres en tout. Mais ce n’est pas pour gagner de l’argent que nous avons fait ce livre. C’est pour nous faire plaisir, c’est le couronnement de notre travail. C’est aussi pour que tout le monde en profite.
Nous souhaitons qu’Elfinor donne aux enfants l’envie d’écrire avec leurs classes.”  (La classe)
                - participation à la réalisation finale de la maquette :
“Nous avons pu participer au travail de l’Envol, car Sylvie nous a envoyé toutes les épreuves, la maquette, en nous demandant de corriger ce qui ne nous plaisait pas. Tout s’est fait par téléphone
pour aller plus vite, car tout le monde voulait ELFINOR pour Noël, et l’Envol a travaillé d’arrache - pied pour cela !
             - l’attente du résultat avec impatience ! “Mais il faut croire qu’ELFINOR (qui est bien vivant ! ) se plaisait trop, là - bas, chez son imprimeur, en Espagne ! Car il y est resté bien plus longtemps que prévu ! Mais aujourd’hui, 31 janvier 2000, nous sommes heureux de fêter son arrivée à l’Ecole... et dans le monde !
Car son parcours ne fait que commencer. Il paraît même qu’il est attendu au Japon... mais, chut... cela est déjà une autre histoire...”                     (La classe des grands)
                Pour conclure...
Ensemble, nous avons apprisà mener un projet à son terme, à ne pas renoncer dès la première difficulté... Nous vivrons les liens tissés avec ces autres, rencontrés au hasard de la réalisation de ce livre, et avec tous ceux qu’il nous reste à croiser, sans doute... Tous nous feront grandir.
Quant à moi, ce pas de plus sur mon chemin professionnel m’amène à une humilité et à une confiance plus grandes encore, et me conforte dans la voie que j’ai choisie : celle tracée par Elise et Célestin FREINET .
                                                                                                              Carmen Montès
 
******************
 
Les textes de Carmen, dans ce montage, sont extraits d’un courrier adressé à Kura, au Japon ainsi que du fascicule cité ci-dessus
 
Les textes rédigés par les enfants sont extraitsdu fascicule de présentation: Elfinor vous révèle ses secrets  
 
... Les enfants que j’ai rencontrés savaient écouter, donc parler. Il avaient beaucoup à dire car leurs écrits étaient lus. Il m’a été facile de conter, d’être lu. Un de mes textes a plu. Il a été réécrit. Ornifle est devenu Elfinor. Il a gagné au changement. Cela se voit tout de suite à son nom. La réécriture trouve son sens quand elle va plus loin que l’auteur initial.
                                               Alain Grinda
 
La méthode naturelle
...Quand on y songe, rien n’est aussi difficile que de parler, rien n’est aussi difficile que d’écrire. Comment enseigner à parler, comment enseigner à écrire ?
Celui qui est écouté a toujours quelque chose à dire, celui qui est lu a le désir d’écrire. Le petit enfant a appris à parler sans enseignement, sans leçons programmées, l’écolier apprendra à écrire de même. Les enfants respectés (pourquoi ne pas dire aimés ? ) ne ressentent pas les difficultés - réelles en vérité -de la parole ou de l’écriture. Même cette dernière leur deviendra naturelle...
... A nous, encore une fois, de prendre auprès des enfants ce qu’ils peuvent nous donner : le goût du présent, la spontanéité, et d’apprendre à préférer le message à sa forme, le messager à son message.
                                                                                                                             Alain Grinda
 
 
Une expérience partagée d’écriture longue
On ne dira jamais assez de bien de l’écriture collective longue. Longue par le temps qu’on y consacre et non par le nombre de pages. Quand on entretient le goût du beau des enfants, on entretient leur goût de bien faire, rendu alors inséparable de celui de faire. Dans un climat d’entraide sincère, un groupe d’enfants peut créer ce que ni l’enseignant, ni le meilleur élève n’aurait pu produire. Et pour le plus grand profit de tous. De multiples lectures d’un texte en cours d’écriture, assorties de critiques positives, de suggestions le plus souvent orales, permettent d’améliorer l’écrit de façon considérable. Le rôle de l’adulte ne se limite pas à celui d’un animateur neutre. Il s’engage et apporte, quand le besoin s’en fait sentir, et si le groupe l’accepte, sa touche personnelle.
   A.G.
 
 
Elfinor
auteurs : les élèves de la classe des grands de l’école Freinet de Vence.
Format 22 x 21 cm, à l’italienne ; intérieur couché brillant 170 g, impression quadri couleur: 36 pages.
80 F (franco de port) Chèque à l’ordre de «Coopérative scolaire Ecole FREINET.
Ecole Freinet, 06140 VENCE
 
 
Légende : Réflexions des enfants après l’écriture d’Elfinor
 
 
 
Magnifier      
“Travailler “pour de bon”...”Faire joli”...”Pour que ça serve”... Ce sont là les grands soucis de l’enfant aux prises avec la vie...
... En ce début d’année, essayez d’oublier les enseignements inhumains de la scolastique, écoutez les exigences normales de la vie, magnifiez l’oeuvre la plus humble du plus humble de vos enfants ! Que chaque travailleur - et l’enfant a les soucis et la dignité du travailleur - ait, à tout instant, conscience d’avoir posé une pierre à son édifice et ajouté à son patrimoine un peu d’efficience et un peu de beauté.
Modifiez le texte informe en lui donnant la pérennité du majestueux imprimé, magnifiez par les couleurs et la présentation, des dessins qui seront dignes d’une collection ou d’une exposition, émaillez et cuisez au four des poteries qui, dans leur forme définitive, sauront défier les siècles.
Alors vous sentirez la fierté de l’oeuvre bien faite animer et passionner vos jeunes ouvriers, vous ferez naître et s’imposer cette grande dignité du Travail que nous voudrions écrire, nous aussi, en lettres définitives aux frontons de nos écoles modernes du peuple.”
C. Freinet   “Les dits de Mathieu” (extraits). Oeuvres pédagogiques (Tome 2) Seuil.
 
 
 
La vie appelle la vie...
Comment savoir quand tout a commencé... quand commence la vie...
Notre mémoire situe l’origine d’ELFINOR, sa “conception”, à une certaine lecture de textes libres (pratique quotidienne à l’Ecole, la date importe peu) : Vanessa nous présente sa poésie “Si j’étais un cheval”. Et moi, j’ai sous la main un autre texte, sous forme de petit livret : “Le cheval ORNIFLE”. L’auteur, Alain Grinda, est bien connu - bien aimé - des enfants : ils l’ont rencontré à Sainte - Victoire, ils ont lu quelques - uns de ses livres, l’ont entendu conter, lui ont écrit... Alors, c’est du vivant que je leur livre là, en leur lisant ORNIFLE ! Notre coeur dirait donc que l’aventure était en cours depuis bien longtemps...
Quoi d’étonnant alors que ce texte - destiné aux adultes - ait touché les enfants... Il provoque le rire : “Le cheval entre dans la cuisine...” et aussi le silence, un silence qui buvait toute la sensibilité de ces mots écrits, inconnus pour la plupart, mais leur parlant de coeur à coeur de quelque chose de vaste, d’infini...
Car le vertige de la vie est à la mesure des enfants. Ils l’apprivoisent d’emblée, simplement, très naturellement, sans passer par les chemins que l’on prétend bien souvent leur faire prendre, et qui ne font que les égarer.
Dans toute cette histoire, je n’ai fait que suivre, écouter, recueillir... refléter l’étincelle qui brillait dans leurs yeux... Je n’ai fait que m’émerveiller tout comme eux.
Alors bien sûr, pour parler d’ELFINOR, je ne saurais expliquer posément les démarches, la progression, le processus... disséquer les apports, les compétences, les apprentissages... l’emballer dans un projet pédagogique, quoi !
Mais le faut - il ? Faut - il tout structurer, planifier, définir ? Ou faire, après coup, semblant de l’avoir fait ? N’est - ce pas à suivre ces routes toutes tracées que l’on s’égare ? Souvent je me demande : “mais que s’est - il passé, depuis notre enfance, pour qu’on se perde ainsi ? “
La vie appelle la vie, les enfants nous le montrent, pour peu qu’on sache voir. ELFINOR me le démontre encore. De cette expérience partagée, chacun grandira à sa façon, celle qui est bonne pour lui, qui lui convient le mieux. Simon se lancera dans l’écriture d’un roman, en entraînant d’autres... Sarah multipliera ses productions de poèmes... Vanessa débridera davantage sa fantaisie... Christopher se passionnera pour la réécriture de textes d’auteurs... Vincent saura mieux structurer ses récits... Manon développera ses goûts du partage... Romain osera d’autres types d’écritures et aussi de dessins...
                                                                                                              Carmen Montès