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Pour une société pédagogique

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Juin 2000

Pour une société pédagogique, mutualiste et participative

Aujourd'hui, une action pédagogique qui se veut populaire peut-elle se circonscrire aux murs de l'école, quand bien même elle pratique l'ouverture sur la vie ? Dans notre société de l'information où le savoir tend à prendre une place prédominante - en s'alliant, on ne doit pas le négliger, aux pouvoirs financiers - la mission de l'école et de ses éducateurs ne doit-elle pas se transformer radicalement ? A l'heure où les médias et le multimédia investissent chaque jour un peu plus l'espace du savoir, l'identité enseignante est questionnée dans ses fondements.
Changer l'école pour changer la société ou l'inverse ? Qu'en est-il de ce vieux dilemme à une époque où le scepticisme voire la défiance prévalent vis à vis d'un monde politique assimilé aux milieux politiciens ? Dans ce climat, l'école ne serait-elle plus qu'un terrain offert, au mieux, à un pédagogisme discret, sinon à un technicisme didactique sans âme sous la houlette d'IUFM où domine le cloisonnement disciplinaire ?
Le Mouvement Freinet a toujours eu une vision dialectique du problème. Agir dans l'espace socio-politique et, en cohérence, au sein de l'école. Mais l'analyse des réalités sociale et sociétale actuelle ne nous invite-t-elle pas à revoir les termes de nos engagements ?
 
En n'intervenant que dans la sphère scolaire, on ne se donne pas réellement les moyens de promouvoir une citoyenneté fondée sur la coopération et la participation. Dépasser le hiatus préjudiciable entre société civile et société politique nous incite à trouver des outils de médiation adaptés. L'action politique traditionnelle a tendance à traiter les problèmes par le haut. Il ne s’agit pas de la jeter au pilon. Le progrès social a toujours besoin de réponses au niveau macro-politique et s'appuie encore bien souvent sur des rapports de force.
Cependant, avec le développement du temps libéré et dans la mesure où celui-ci n'entraîne pas précarité ou de nouveaux types d'exploitation, se dessine en contrepoint un espace pour "la militance civique"1 affrontant les problèmes par la base et dans une optique beaucoup plus participative. Celle-ci consisterait entre autres à intervenir " dans des réseaux qui oeuvrent pour le changement et qui s'efforcent d'influencer le pouvoir et de l'amener notamment à tenir davantage compte des sans-voix". C'est un encouragement à la constitution de laboratoires d'expérimentation sociale destinés à explorer de nouvelles pistes d'organisation du lien social. Autant de foyers de contre-pouvoir, si petits soient-ils. Autant de petites ambitions qui pourraient en nourrir de plus grandes. Cette nouvelle donne, choisissant l'entrée micro-politique, doit pouvoir s'appuyer sur "des animateurs capables d'aider à l'élaboration des projets et des réalisations, compte tenu du fossé entre les difficultés ressenties dans la vie quotidienne et les institutions, des passeurs, des médiateurs. Or cette fonction est niée par des politiques qui ne cherchent à mobiliser les acteurs que de façon instrumentale."
Il nous faut participer à la construction d'une alternative à la société de l'information mercantile qui s'impose actuellement, tournée avant tout vers la consommation et la compétition et prompte à toutes les manipulations.
 
Au niveau des praticiens de l'école, c'est une invitation à entreprendre à la base des coopérations avec d'autres praticiens du milieu socio-éducatif à l'échelle du quartier ou du village. Qu'ils occupent pleinement leur place parmi "ces militants civiques".
 
Au service d'un tel projet de société pédagogique, mutualiste et participative, il faut trouver aujourd'hui les outils adaptés. Les Arbres de Connaissances me semblent faire partie de ces outils de médiation susceptibles d'aider à ce projet, dès lors qu'ils se développent dans une optique réellement coopérative. (cf Nouvel éducateur n°…).
Depuis cinq ans maintenant, nous expérimentons ce système en Ille et Vilaine2, au sein d’une association regroupant trois écoles et des structures de quartier. A l'origine de cette action, il y a le constat d'une distance culturelle persistante entre de nombreuses familles et les institutions, qui n'est pas sans effet sur le devenir social des enfants. Notre visée essentielle est de développer des liens sociaux à l'échelle de quartiers, en offrant à chacun de valoriser ses connaissances quelles qu'elles soient et de susciter leur mutualisation au sein de communautés émergentes. En aval, c'est la création d'un espace éducatif permanent qui nous motive, avec des passerelles possibles entre les différents espaces d'évolution des personnes, mais aussi entre générations ou catégories sociales.
 
Nul doute qu'à de telles fins il faille se battre, au-delà d'une réorientation de la formation des maîtres, pour des moyens conséquents et du temps pour le travail en partenariat. Nul doute encore qu'il faille chercher à peser pour une remise en cause de la hiérarchie des connaissances et des critères de domination par les seuls savoir intellectuels.
Nul doute enfin qu'il faille veiller à ne pas se laisser récupérer par les tenants d'une vision libérale de l'école. On connaît aujourd'hui les projets assez inquiétants de certaines officines de la Commission Européenne telles que la Table Ronde Européenne sur l'Education ou de l'OCDE. Certains décideurs économiques "éclairés" voudraient profiter de l'essor des nouvelles technologies de l'information pour instaurer un enseignement à plusieurs vitesses.
Une école populaire réactualisée, animatrice de réseaux pédagogiques de proximité, saura-t-elle tenir sa place dans le rapport de forces qui s’annonce au coeur du nouveau paysage socio-éducatif ?
 
Pierrick Descottes
1 Cf "Vers un nouveau contrat social" de Guy Roustang, Jean Louis Laville et al - Desclée de Brouwer 1996
 
2 L'association Acacia est née autour de ce projet. D'autres expériences du même type ont cours ailleurs en France. Pour en savoir plus, aller voir sur www.globenet.org/arbor
3 Cf le travail mené par l'APED, à l'initiative de l'écrivain et journaliste Nico Hirtt.