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Avril 2000

 

CréAtions 91 - Lieux culturels, Visites actives  - publié en mars-avril 2000

Anne-Marie SOUZ, artiste

 Variations d’une rhapsodie

« On pourrait dire de sa peinture qu’elle est abstraite dans la mesure où elle donne la force de s’abstraire de toutes les formes et figures de la réalité, pour les réduire à ce qui demeure d’essentiel quand tout s’est décanté : la trame du monde tient alors à un fil quelques impressions, des lignes, une mélodie…, s’abstraire, se taire… simplement. Il faudrait regarder ses tableaux comme on écoute les infimes variations d’une rhapsodie, voir comment chaque toile ne cesse d’en découdre avec la matière. » Jean-Louis SOUZ


Anne-Marie SOUZ dit : « Pour me former j’ai fait un passage à l’Ecole des Arts appliqués de Bordeaux Cauderon où j’ai appris à peindre, à dessiner. Puis j’ai travaillé à l’atelier Calliope au Musée d’Aquitaine de Bordeaux. J’ai découvert là une autre manière de m’exprimer plus libre, plus inventive : c’est à ce moment-là que le cadre peinture figurative s’est craquelé pour moi. Après trois années passées dans cet atelier, j’ai eu envie de poursuivre seule mon cheminement.
Créer c’est être disponible, ouverte à ce qui va surgir sur le plan visuel et psychologique lorsque je mets en jeu divers éléments : des supports (toiles, papiers, draps, cartons) avec des couleurs (pigments, colle, peintures, bouts de ficelle…), c’est voir des effets se produire avec quelques gestes parfois maîtrisés, souvent inattendus.
Mon travail est une recherche par rapport à moi-même. Comment vais-je m’approprier les matières ? Il y a mille façons de traiter le papier selon son grain, son aspect mat ou brillant… J’obtiens des effets par ma façon de le manipuler, de passer la couleur.
Mes travaux me parlent d’histoires passées ou présentes, de voyages…, des questions viennent, des acceptations, des refus.

Quand je commence une peinture il m’arrive d’avoir une idée, de penser à des teintes, à une atmosphère, à un événement. Cela peut aussi être la forme d’un objet du quotidien qui me donnera envie de laisser des empreintes dans l’enduit. Et pendant le déroulement de l’action, des choses se passent qui ne me conduisent pas forcément là où je l’avais imaginé. C’est cela justement qui m’intéresse : être curieuse de ce qui va se produire sur le support, en moi et ensuite dans le regard des autres.
Lorsque je décide d’en finir avec une peinture, elle peut être montrée. Parmi les personnes qui regardent mes œuvres, il y a celles qui veulent savoir ce que j’ai voulu dire, qui veulent comprendre. Et puis les autres qui parlent d’elles à travers ce qu’elles ressentent. Lorsque cela se passe ainsi, elles continuent d’exister hors de moi. »

Dans l’œuvre de Anne-Marie SOUZ « … il y a du grattage, des froissements, des sédimentations, ça se plie ou ça se duplique, ça se lit sens dessus dessous, à l’envers par transparence, il y a de l’incision, de l’accumulation… à peine ça ralentit que de nouveau ça s’accélère. »

L’artiste travaille dans une institution spécialisée où elle a animé des ateliers de peinture.

 

 

« Pour ces enfants en situation d’échec, c’était un lieu de liberté, nous dit-elle, où ils pouvaient donner cours à leur imagination, leurs pulsions, sans avoir de comptes à rendre. Là, pas de notion d’apprentissage, pas d’appréciation à attendre des uns ou des autres, ils décidaient de montrer leurs réalisations ou d’en parler, de les garder ou de les détruire. Ces ateliers d’expression libre étaient comme une respiration dans leurs parcours chaotique. Un court instant, ils pouvaient sans contrainte (à part le respect des autres et de leur travail) être créatifs pour eux-mêmes. »

 

 

Un des buts de la revue Créations est de monter la création vivante dans tout son mouvement et l’œuvre finie, qui n’est pas moins signifiante que celle « in progressé. Le travail d’Anne-Marie SOUZ rejoint quelque part celui de Michaux dans ses émergences-résurgences. Il rejoint celui de Dubuffet dans son sens de « l’homme à l’ouvrage », il rejoint le travail d’Ecco et de tous ceux qui veulent ouvrir l’œuvre pour mettre en présence les signes-traces génériques de notre humanité.


Hervé Nuňez, rédacteur de Créations

 sommaire n° 91