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Rectifications de l'orthographe française

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Mars 2011

Le Journal Officiel (1) vient de publier dans ses « Documents administratifs » les modifications à apporter à notre orthographe.
Toutes les tentatives de ce siècle, même modérées, n’ont pas abouti (voir en annexe)

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Les opposants, certains de nos « intellectuels ", se déchaînent, déclarent la guerre à toute retouche, à tout aménagement. Nous taisons leurs noms, car ils risquent de ne pas reconnaître plus tard leurs outrances.
L’un prêche la désobéissance civile, le recours devant le Conseil d’État, en appelle au respect de la langue et crée une association : le Français Libre. –qu’on veuille bien expliquer ce titre.- Tel autre ne saurait plus lire Corneille. Un autre est dérouté par la nouvelle écriture qui rendrait les textes illisibles. Et cependant l’édition, la presse, la publicité fourmillent de coquilles ou d’erreurs orthographiques tout comme la télévision. Selon eux, les enseignants sont incapables d’apprendre l’alphabet et d’exiger l’effort des enfants pour l’orthographe. Ils n’oublient pas de crier : Haro ! sur la méthode globale de lecture. Et tout cela formulé avec un humour à l’encre noire qui frise le ridicule par ces chevaliers de la Sergent-Major. (2)
Selon la présence ou l‘absence d’accent, l’huître serait sans coquille, l’âme ne saurait gagner le ciel, l’abîme ne peut céder le sien à la cime. De quoi se mêlent les membres de la commission ? L’Académie des Sciences se permettrait de décrèter la pluie ? (3) Les réformateurs sont de dangereux révolutionnaires qui sapent la société, enlaidissent le français.

Examinons les différentes modifications pour voir si ces déclarations sont fondées.

TRAIT D’UNION

Soudure des mots composés : un piquenique, une quotepart, un portemonnaie comme un portefeuille. Le trait d’union est donc supprimé mais il demeure pour quelques mots : un pèse-lettre …
Pluriel des noms composés : un ramasse-miette, des ramasse-miettes. Si l’on avait admis la soudure de tous ces mots composés, le pluriel serait allé de soi : des ramassemiettes. Bien entendu on écrira des arcs-en-ciel, des trompe-la-mort.
Extension du trait d’union aux numéraux : cette extension nuit à la rapidité d’écriture sans apporter une meilleure compréhension du nombre. Il aurait suffit de rendre tous les numéraux cardinaux invariables donc cent, vingt.


ACCENTS – TREMA

Accent circonflexe : Il ne remplace pas toujours un «s». La suppression sur le «i» et le «u» n’est pas générale, elle laisse des exceptions : abime, ile, mure, mais maintient pour crû … la simplification est limitée. On a voulu éviter les confusions mais on a oublié l’importance du contexte. Vous pouvez d’ailleurs chercher et trouver des homographes ignorant l’accent circonflexe, la langue française en possède des centaines : abaisse, baba, baie, balle, botte …
L’accent circonflexe sur le «a», «o», «e» donne une autre valeur aux lettres â [ạ], ô [ọ], ê [ε] . On pourrait le remplacer par l’accent grave (4).
Accent grave ou aigu : L’accent aigu se place sur les sons fermés ; l’accent grave sur les sons ouverts. Ainsi nous avons évènement, il ruissèle, l’étiquète (sur le modèle d’acheter) … asséner, réfréner, etc …
Tréma : tous le trémas se mettent sur la lettre prononcée, on ne peut plus se tromper sur gageüre, argüer, mas on laisse linguistique.

 

ACCORDS

Pluriel des noms empruntés : ils suivent la règle générale : des matchs
Participe passé:  on se limité à l’invariabilité du participe passé suivi d’un infinitif : je les ai laissé partir

 

« ANOMALIES »

Catégories diverses : Chariot rejoint sa série analogique charrette.
Exzéma, la série d’examen … [εgzéma] ; l’»x» ayant deux valeurs principaels gz ou kz
Corole n’a plus qu’un l, nénufar reprend son ancienne graphie
………………………….

Voici donc en résumé les rectifications de notre orthographe avec quelques annotations.

Avant leurs réactions violentes, les opposants ont-ils réfléchi à ce qu’apportent les rectifications annoncées de notre orthographe ? Admettent-ils que l’écriture s’accorde avec la prononciation ? (accents et trémas) ? Feignent-ils d’ignorer que la plupart des retouches concernent des éléments de tolérance orthographique de 1900-1901 et 1976 ? l’Académie française considère que la notion de tolérance orthographique est pédagogiquement regrettable. Or, on supprime certaines de ces tolérances. Oublient-ils que les notions « d’émondage orthographique » de René Thimonnier acceptées en partie par le Conseil International de la langue française et l’Académie, non reprises par le Ministère, mais publiées dans les fascicules de l’Académie, sont entrées dans les dictionnaires. Elles ont inspiré quelques-unes des rectifications actuelles.
Selon les confidences de membres de la Commission, un désaccord sur abîme ou abime montre simplement le désir de certains de ne pas changer d’habitude.
Le championnat de la dictée ne risque-t-il pas de manquer de matériau, car si nous ne savons pas s’il sert la langue française, il en démontre simplement par contre les difficultés. Il ne révèle pas le style des lauréats.
On discours sur les rectifications, hypnotisé par quelques-unes d’entre elles sans évoquer le but de toute réforme orthographique.
Si nous considérons avec Foucambert que savoir « lire » est un « enjeu capital de tout processus de démocratisation ", il est possible d’ajouter, car c’est un corollaire inévitable, que savoir « écrire » lui est obligatoirement attaché.
L’école et la société sont responsables de la conquête de ce pouvoir de « lire », de ce pouvoir « d’écrire » auxquels chacun d’entre nous doit pouvoir avoir accès.
Certes, les « intellectuels » qui détiennent ces pouvoirs, ces privilégiés de la langue française, ne souhaitent pas les partager, car, sincèrement, ils croient qu’ils sont dûs à leurs mérites. Aucun « émondage », aucune « réformette » et à plus forte raison aucune réforme profonde ne trouve grâce à leurs yeux.
Mais est-ce là défendre la langue française si l’écart ne cesse de se creuser entre le langage oral et la langue écrite, si l’école absorbée par sa tâche d’apprendre la grammaire de l’orthographe ne peut consacrer qu’un temps insuffisant à la grammaire –l’art d’écrire-.
Il n’est pas étonnant si les enseignants du Mouvement de l’École Moderne confrontés aux difficultés de l’apprentissage de l’écrit avec les premiers textes libres souhaitent une simplification de notre écriture.
Nous recherchons des simplifications qui font l’objet d’un énoncé simple aussi général que possible qui ne crée pas de nouvelles exceptions ou des écritures provisoires si des prolongements étaient envisagés. Par ailleurs, ne la fréquence d’emploi, ni la longueur des mots ne sauraient justifier des exceptions.
De nombreuses erreurs sont dues au doublement des consonnes. En supprimant les consonnes doubles, on aurait aligné sa série sur chariot, charète, on aurait eu corole, imbécillité, j’apèle.
Il ne faut pas publier que toute simplification partielle est limitée par la nécessité de respecter la prononciation. Ainsi pour «s».
Pour le participe passé, imaginez ce que deviendrait la grammaire si on reprenait le texte de l’arrêté des tolérances de 1900 : « Pour le participe passé construit avec l’auxiliaire avoir on tolérera qu’il reste invariable dans tous les cas où on prescrit aujourd’hui de le faire avec le complément. »
Le Ministre de l’Éducation est parfaitement compétent de prendre la décision de rendre obligatoire dans les établissements scolaires les rectifications de notre orthographe adoptées par diverses instances. Les livres scolaires édités ou réédités seront conformes aux nouvelles normes.
Nul ne songe à contester que la langue évolue, mais il est faux de soutenir que l’usage réforme notre orthographe.
Si les modifications envisagées n’étaient pas appliquées, il appartiendrait aux enseignants avec leurs associations et leurs syndicats d’être indulgents pour les erreurs concernant ces modifications, de se concerter pour créer l’image qui imposerait des écritures nouvelles. Ils devraient rechercher le soutien des parents d’élèves et des mouvements pédagogiques dans leur action.
Toute simplification, même peu importante est la bienvenue pour les enseignants qui appliqueront la nouvelle norme qui allège leur travail.
À une mise à jour mot par mot du dictionnaire de l’Académie française –dernière parution en 1935- semblent se substituer des rectifications sur des ensembles de mots de notre orthographe.

ACADÉMIE

Pour sauvegarder notre langue, l’Académie française, face à un projet de réforme de l’orthographe, ne peut que s’organiser avec de nouveaux plans de travail pour la publication de son dictionnaire, ses recommandations …
Le dictionnaire qu’elle révise ne paraît qu’à des dates trop éloignées même si des corrections se font avec la parution de fascicules de la 9° édition. Ces modifications entrent « clandestinement dans l’usage »
Ses recommandations insuffisamment connues ne sont pas suivies.
L’Académie française laisse ainsi les éditeurs maîtres d’adopter ou de délaisser les mots selon leurs propres critères. Elle doit rester maître du choix des mots (5), de leur prononciation, de eur écriture, de leurs sens, attentive à l’entrée des mots étrangers tout en reprenant les modifications envisagées. La publication du Dictionnaire de l’Académie française est indispensable pour entériner des modifications de notre écriture.
Aristide Béruard
36 Avenue des Barattes
74000 ANNECY

(1) J.O. Année 1990, n°100 26 rue Desaix 75275 Paris CEDEX 15
(2) La classe de cours élémentaire de mon école fut la première à utiliser le stylobille
(3) L’Académie des Sciences avait demandé une réforme orthographique.
(4) Le o accent grave ne figure pas sur les claviers des machines à écrire
(5) La soudure des noms composés semble présenter des inconvénients par la longueur des mots. Les usagers ont fait un sort au cinématographe (cinéma), automobile (auto). Qu’adviendra-t-il des nouveaux proposés par la Commission générale de terminologie avec télécartophile (collectionneur de carte téléphoniques), cartopuciste (collectionneur de cartes à puce) ? La langue semble préférer des expressions telles pomme de terre

 

ANNEXE
Projets de réforme orthographique au XX° siècle

À la fin du 19° siècle, pendant une vingtaine d’années, des linguistes comme F.Brunot, des écrivains comme Anatole France, des journalistes, … luttent pour réformer l’orthographe. Leur action aboutit à des arrêtés sur les tolérances.

1900. Le 31 juillet 1900, Georges Leygues, ministre de l’Instruction Publique prend un arrêté sur les tolérances orthographiques proposées par une commission de linguistes et d’académiciens
1901. le nouvel arrêté du 26 février 1901, pris après consultation de l’Académie française, limite le nombre des tolérances, notamment celle du participe passé. Ces tolérances ne seront jamais enseignées.
1904. Une commission désignée par le Conseil supérieur de l’Instruction Publique se déclare favorable à une réforme sérieuse.
1905. Une commission ministérielle avec un rapport favorable de Ferdinand Brunot n’aboutira pas.
1935. Albert Dauzat propose une réforme par étapes, échelonnées sur une longue durée.
1947. À la Libération, la Commission Langevin-Wallon souhaite une réforme.
1950. le congrès de l’École Moderne à Nancy propose dans une motion l’extension des tolérances.
1950. le directeur de l’enseignement primaire, Aristide Beslais, présente un projet de réforme modérée.
1952. L’auteur d’une « Histoire de l’orthographe française » Charles Beaulieux demande une réforme plus importante.
1953. Un projet de conciliaton d’Albert Dauzat n’aura pas de suite.
1960. La deuxième commission ministérielle Beslais propose au bout de cinq ans sans succès une réforme modérée, efficace, simple
1967 Le projet de René Thimonnier comporte un émondage orthographique des «anomalies» pour rationaliser les séries analogiques du français. Il n’entre pas en application.

Ctons encore :
- L’Alfonic d’André Martinet, professeur à la Sorbonne, favorable à une graphie par phonèmes.
- La Grafonie de R.Thimonnier, code d’initiation pour l’apprentissage de la lecture
- L’ortografe populère de la Commisson Réforme de l’orthographe de l’Institut Coopératif de l’École Moderne (1)

(1) paru dans le revue l’Éducateur n°4 du 10 Novembre 1976, Dossier n°111, PEMF BP 109 06322 Cannes la Bocca CEDEX