Raccourci vers le contenu principal de la page

L'enfant expérimentateur

Février 1995

L'enfant
expérimentateur
Eveil scientifique en Maternelle
 
 

 

« Nous partirons de l'expérience tâtonnée, que nous aiderons et conseillerons ; des faits tels qu'ils sont, qu'on tourne et retourne pour les connaître, les reconnaître et se les intégrer, nous ferons jaillir les rapports qui seront formulés en règles et en lois. L'acquisition sera normale, définitive, dominée et domestiquée par la personnalité à la recherche de sa puissance et de son équilibre. »
 C.Freinet - 1943 - (1)
« Comme l'homme de science, un enfant utilise sa propre théorie, ou structure cognitive, pour donner du sens au monde qui l'entoure. Un enfant fait aussi des expériences afin de développer et de modifier sa théorie en suivant des procédures semblables à celle du scientifique. Le processus d'apprentissage fondamental chez tous les êtres humains suppose la vérification expérimentale des hypothèses cognitives. »
F.Smith - 1979 - (2)
 
Le dispositif
pédagogique :
l'atelier de sciences
physiques
 
Nous l'avons organisé afin qu'il soit une structure légère, souple et fluctuante, facilement reproductible dans d'autres classes de grande section.
 
Organisation temporelle :
 
Atelier ouvert durant une grande partie de l'année scolaire, sous la forme d'une séance hebdomadaire de 45 minutes, pendant les décloisonnements de trois classes. Les enfants ont choisi d'y venir en fonction de leurs envies, en continu plusieurs séances ou par intermittence.
 
Organisation spatiale :
 
La localisation permanente dans la classe de grande section présentait un intérêt certain : matériel à disposition, repères, exposition des productions et tables de manipulations distinctes.
 
Organisation pédagogique :
 
Deux thèmes ont été choisis :
- le phénomène de magnétisme,
- les effets calorifiques du courant électrique (la lumière uniquement) et son transport (des circuits), suggéré par la manipulation répétitive de l'interrupteur par Paul, thèmes créant une dynamique, proche de celle du jeu, c'est - à - dire mobilisant, chez l'enfant, les mêmes ressorts internes.
 
Organisation matérielle :
 
Un matériel très simple a suffi:
- quelques aimants en barre (servant aux fermetures de placards) et en fer à cheval, achetés au super-marché, de la limaille de fer ( pour réaliser des spectres du champ magnétique),
- des boîtiers de lampe de poche, des ampoules, des piles plates à lamelles, des morceaux de fil électrique rigide et souple, des pinces crocodiles, des dominos et des boîtes de dérivation pour les diverses connexions, des petits tournevis...
A cela, il faut ajouter quatre tables de manipulations et quelques autres, ordinaires, disposées le long d'un mur pour y ranger le matériel, les outils et les productions (circuits réalisés, dessins affichés).
 
Organisation des activités :
 
L'effectif était réduit à six enfants grâce au nombre des ateliers simultanés, animés par enseignants et parents, pendant le décloisonnement des trois classes, mais nous fonctionnerons avec deux groupes successifs de douze enfants dans le cadre interne de la grande section, cette année : une autre structure possible pour assurer une continuité facilitant l'approfondissement.
Ce qui nous a paru essentiel, c'est l'organisation des quatre tables de manipulations distinctes, correspondant chacune à une phase dans la démarche d'ensemble, avec son matériel spécifique à disposition. Ainsi, pour le thème des « circuits électriques », que nous choisissons de rapporter ici, la première table était réservée aux manipulations premières d'une lampe de poche, la seconde à des manipulations d'une pile avec une ampoule, sans le boîtier, la troisième à des premières recherches avec fils, pile et ampoule, la quatrième à des créations plus ou moins complexes de circuits et toute expérience spontanée ou libre.
Ce dispositif a permis aux enfants de passer d'un stade à un autre, en fonction de leur maîtrise du stade précédent, sans toutefois empêcher les avancées ou les retours plus anarchiques de certains enfants, pour « aller voir » ce qui se faisait ailleurs ou pour répéter, par besoin ou par plaisir, certaines expériences réussies ou attrayantes.
 
Nous avons ainsi constaté le rôle capital de cette organisation matérielle générale pour éviter l'abandon de l'enfant à son seul spontanéisme mais aussi pour éviter une guidance trop forte afin que la personnalisation de ces multiples apprentissages soit maximale.
 
Une démarche
heuristique
 
Cette démarche vise à développer, à diversifier le questionnement des enfants, à éveiller leur curiosité, à provoquer l'émission et la multiplicité des hypothèses (même inconscientes), à ouvrir le champ des possibles : essais, inventions... véritable « brainstorming » de créativité.
Entre spontanéisme et guidance, nous avons mis en place une interactivité entre deux types d'expériences : l'expérience provoquée et l'expérience spontanée ou libre.
 
Les expériences provoquées
 
Provoquées par le matériel et les questions élucidantes, comme le décrit Britt Mari Barth (3),ne sont pas des expériences construites c'est-à-dire guidées directement ou indirectement par des fiches. Là, il s'agit seulement de poser « le problème ». C'est la « mise en situation de recherche », déclenchant le processus dans ce mode d'apprentissage par tâtonnement expérimental :
hypothèse----> action : vérification de l'hypothèse provoquant le « feed – back »----> évaluation du feed - back (réussite ou échec)...
Les expériences
spontanées ou libres.
Elles sont souvent et d'abord des essais répétitifs avec plus ou moins de variantes. Elles peuvent aussi diverger du phénomène : par exemple, une fois la lampe de poche allumée, nous avons vu plusieurs enfants s'intéresser à l'effet du faisceau lumineux en expérimentant des approches variables sur les murs ou le plafond (effet de ronds concentriques plus ou moins gros en fonction de la distance). Certaines ont été de véritables découvertes, plus complexes, comme l'idée d'associer deux ampoules sur une même pile (Document n°1) ou deux piles sur un même circuit... ou encore de combiner plusieurs circuits (Document n°2).
Pour cela, à chaque table de manipulations, nous avons proposé une situation-problème à résoudre mais nous avons ensuite laissé la liberté, à chaque enfant, de répéter autant de fois qu'il le souhaitait une expérience réussie par plaisir, de modifier, de faire varier ou d'essayer autre chose.
Enfin, au-delà des expériences personnelles ou en équipe, une séance collective de communication, à la suite de l'atelier, élargissait le débat à toute la classe, développant le questionnement, les idées nouvelles, faisant intervenir les autres modes d'apprentissage par l'observation, la « monstration », les langages : paroles, dessins, créant auprès des autres l'envie d'expérimenter aussi.
Première
situation - problème (1ère table)
Les enfants, en groupe restreint, disposaient de trois objets séparés : un boîtier de lampe de poche vide, une pile plate à lamelles, une ampoule.
Problème : Comment faire fonctionner la lampe de poche ?
C'est la question élucidante que nous leur avons posée au départ, l'expérience provoquée.
« Partir de ce qu'ils savent. » écrivait B.Schwartz. En effet, certains connaissaient l'objet, d'autres avaient une idée très vague. Chacun a cherché une réponse par l'action personnelle. Tâtonnements individuels plus ou moins longs, observation du voisin, entraide pour certains, essais, échecs, réussites... C'est le conflit socio-cognitif classique qui a conduit finalement au résultat positif : la lampe s'est allumée. Alors commencèrent les répétitions pour le plaisir de la réussite, puis des expériences divergentes avec le faisceau lumineux évoquées précédemment.
Qu'ont-ils appris ? Une pile fournit du courant électrique qui peut allumer une ampoule à condition que les lamelles touchent celles du boîtier.
 
Deuxième
situation-problème : (2ème table)
Là, les enfants disposaient seulement d'une pile et d'une ampoule.
Problème : Comment allumer l'ampoule sans le boîtier ?
La contrainte était plus forte. Nous les avons laisser expérimenter et nous avons observé alors les diverses hypothèses que les enfants peuvent essayer, hypothèses souvent non verbalisées mais gestuelles.
La mise en contact de l'ampoule avec la ou les lamelles de la pile a été quasi-spontanée pour la plupart mais... celle-ci ne s'allumait pas pour autant ! (Document n°3) Ce feed-back négatif les a amenés à modifier l'hypothèse choisie et ainsi de suite jusqu'à ce que « la lumière soit » ! (Document n°4). Quel plaisir alors pour ceux qui ont obtenu ce résultat ! Observation, imitations plus ou moins faciles pour d'autres, les essais furent nombreux jusqu'à la réussite de chacun avec le même plaisir.
A ce moment-là, nous leur avons demandé, de manière personnalisée, de dessiner « leur montage » dans les divers cas essayés, avec ou sans lumière. Ce fut l'expérience pour comprendre. (Document n°5)
Les enfants ont aussi beaucoup tâtonné pour représenter, par un dessin non figuratif, la pile et l'ampoule afin d'atteindre un niveau compréhensible de schématisation. Nombreux ont été les dessins approximatifs (Document n°6 - 1) et les erreurs de positionnement de l'ampoule (Document n°6 bis), ce qui nous a conduits à leur demander individuellement de vérifier expérimentalement leurs schémas. Cette démarche inverse donna lieu à de nombreux essais, certains avec échecs, d'où modification du schéma (Document n°6 - 2), d'autres au contraire avec une réussite immédiate, lorsque les contacts avaient été bien repérés.
Qu'ont-ils appris ? Les contacts à établir entre le culot de l'ampoule et la pile, ainsi que les prémices d'un langage symbolique : la schématisation. Tous ont progressé rapidement.
Troisième
situation-problème (3 ème table)
Avec une pile et une ampoule placée à distance nous leur avons posé le problème suivant :
 
Comment allumer l'ampoule placée plus loin de la pile ? 
Les hypothèses émises furent diverses : « avec une ficelle... », « il faut un fil de fer », « avec un fil électrique » etc...Nous leur avons alors proposé de les expérimenter. Devant les échecs obtenus, quelques-uns ont ‚mis une nouvelle hypothèse « plus logique » comme Tiphanie, Cyril...
« Il faut deux fils électriques »
- Pourquoi ?
- Parce qu'il y a deux lamelles à la pile ! »
Devant la réussite de l'expérience réalisée avec deux fils rigides tenus à la main, difficilement, pour établir les contacts entre la pile et l'ampoule, ce fut l'émerveillement ! Ce fut aussi la naissance du concept de « circuit » !
Afin de solutionner cette difficulté matérielle, nous avons introduit des douilles montées sur deux fils qui peuvent être connectés aux lamelles à l'aide de pinces crocodiles. Quelle joie, pour tous, d'expérimenter ce montage d'un circuit simple et quel retentissement eut le mot « crocodile », plus jamais oubli » ! (Document nø°7)
 
Vers une
expérimentation plus libre
(4ème table)
 
A partir de ce tronc commun initial d'expériences, les expériences purent se diversifier, donc se personnaliser davantage. Certains entreprirent des répétitions, des retours aux expériences premières, d'autres, assez nombreux, tentèrent une complexification des circuits avec plusieurs ampoules, plusieurs fils, des dominos ou une boîte de dérivation afin de réaliser des branchements inattendus (Document n°8) « en série » ou « en parallèle », étonnés des effets : « les ampoules éclairent moins... », « elles éclairent pareil... » jusqu'à la découverte d'un circuit « qui fait clignoter l'ampoule », à la main, bien sûr ! (Document n°9 et photos des circuits créés en couverture finale)
Nous ne pouvons décrire dans le cadre de cet article l'expérience de Yacine qui, découvrant dans la revue J Magazine des photos montrant l'expérimentation du passage du courant électrique à travers divers matériaux, a entrepris les mêmes expériences et poursuivi d'autres essais ; ni décrire et analyser les diverses expériences d'une équipe, assez révélatrices de ce processus du tâtonnement expérimental sur lequel nous reviendront dans d'autres articles.
 
Corine et Edmond Lèmery
Ecole Maternelle de Mercoeur (Z.E.P)
63000 Clermont-Ferrand
 
 
 
 
 
 
 
 
(1)- Célestin Freinet - Essai de psychologie sensible (1943) - in Oeuvres Pédagogiques - page 578 -    Tome 1 - Editions du Seuil (Septembre 1994)
(2)- Franck Smith - La compréhension et l'apprentissage (1979) - Chap : 4 - pages 129/130 - Editions HRW - Montréal (QUEBEC)
(3)- Britt-Mari BARTH - L'apprentissagede l'abstraction (1987) – Chap.4 - page 55 - Editions Retz