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L'enfant et l'adolescent créateurs

Dans :  Principes pédagogiques › expression-création › 
Avril 1995

Avignon, cloître des carmes du 9 au 15 mai 1994.

 
 
Organisée par le groupe vauclusien de l'Ecole Moderne - Pé­dagogie Freinet, cette manifestation rassem­blait trois expositions et offrait diverses ac­tivités culturelles tout au long de la semaine : des ateliers, des mo­ments de communica­tion, d'ouverture, des débats.
 
Les expositions
 
* L'exposition de textes et de photos d'enfants faisant du théatre, était présen­tée par le groupe dé­partemental. Les concepteurs de ce tra­vail, des profession­nels, avaient su ma­gnifier l'expression des enfants intégrés dans une grande en­treprise, un festival de théâtre, synthèse de mois de travaux obscurs, de longs tâ­tonnements et d'apprentissages diffi­ciles.
* M. et C. Berteloot avaient réuni des oeuvres d'enfants d'âges, de mi­lieux, d'époques, de pays différents, mais ayant ce point commun d'être toutes nées dans un contexte d'expression libre, respectueux du processus de création inhérent à la nature même de l'enfant.
* L'exposition imaginée : "L'état du monde vu par les enfants et les ado­lescents".
Les nombreux réseaux de communication du mouvement Freinet al­laient tans­mettre cet appel : un texte, un des­sin, une création sur la vie quoti­dienne... et ce sont par centaines que les textes et les dessins al­laient arriver chaque jour durant l'exposition, de tous les continents. Les textes étaient rassem­blés dans un fichier envoyé à tous les partici­pants.
 
Une délégation rou­maine, un profes­seur, Christina Palimaru et deux de ses élèves qui correspondaient avec le Collège de Vedène depuis trois ans, re­présentaient les en­fants du monde qui n'ont jamais la parole et ceux qui essaient de la prendre.
 
Les ateliers, moments de création, de com­munication, d'ouverture.
 
Dans les locaux de l'exposition fleuris­saient des ateliers de créa­tion ouverts aux enfants et aux écoles, collèges et lycées du quar­tier.
Les cent vingt étu­diants de l'IUFM d'Avignon ont visité l'exposition avant une présentation de la pé­dagogie Freinet. Tous les jours, des visites commentées par Clem et Mau­rice Berteloot attiraient de dix à cent personnes... Des projections de vidéos, reçues de tous les conti­nents, montraient les activités des en­fants du monde...
 
La délégation roumaine se déplaçait dans les collèges et lycées du Vau­cluse... La corres­pondance par Fax émerveillait les visi­teurs... Dans les vi­trines des commer­çants, sur les pan­neaux lumineux, le programme était pré­senté, annoncé...
 
Les débats
 
Des débats furent or­ganisés :
-"Education, médias et citoyenneté" au théâtre des Carmes.
-"L'enfant, l'adolescent créateurs" au Centre d'études Linguistiques d'Avignon.
 
De ce dernier débat, centré sur le thème de "L'enfant, l'adolescent créateurs", animé par Maurice et Clem Ber­teloot, avec la partici­pation de Georges et Annie Bellot, de Chris­tina Palimaru de l'école de Iasi en Rouma­nie et de deux élèves du "Cercle de créativité" de l'Ecole 42, d'enseignants du Sud-Est, de parents d'élèves, nous retien­drons quelques mo­ments forts des échanges :
- les pouvoirs créa­teurs de l'enfant et de l'adolescent.
- les conditions favo­rables à l'éclosion et à la fructification de la créativité pour l'épanouissement de leur personnalité.
- les limites actuelles de la mise en oeuvre de telles démarches, compte-tenu du contexte social et de l'institution scolaire.
- le refus de la rési­gnation et l'engagement vers une école d'un autre type dont certaines pers­pectives prometteuses ont été appro­chées à l'Ecole Expérimentale Freinet de Vence, par M. et C. Berteloot.
 
Pourquoi un "Manifeste pour l'enfant créateur" ?
 
"Parce que la place de l'enfant, du point de vue culturel, social et même politique n'est pas tout à fait recon­nue, et surtout pas au rang au­quel nous vou­drions l'y situer. Ce manifeste veut réaffir­mer certains pouvoirs de l'enfance, en parti­culier ses pouvoirs créateurs. Les pro­ductions d'un enfant l'engagent globale­ment... C'est nous qui les éclairons, soit du côté scientifique, soit du côté mathématique, parfois historique, spécialisation dont l'enfant n'a pas tout à fait conscience, le phénomène qui dé­clenche l'acte créateur étant un phé­nomène interne et inconscient.
Les disciplines sco­laires inscrites dans un emploi du temps comparti­menté scindent l'enfant, le saucisson­nent, et tout cela parce que la globalité de sa production n'est pas reconnue. Cette vue de la globa­lité de l'activité de l'enfant serait donc en opposi­tion avec le système scolaire actuel.
Si cette exposition ne nous offre que des oeuvres dites d'art plastique, c'est parce qu'elle est ainsi plus médiatiquement acces­sible aux visi­teurs.
Mais ces réflexions sont également va­lables pour des pro­ductions litté­raires, musicales, informa­tiques, cinématogra­phiques, vidéo... En­core une fois, ne sé­parons pas affectivité des fonctions cogni­tives ou des rela­tions sociales...Tout est lié, exis­tant à l'état global dans chaque in­dividu. Une précaution ora­toire : Dans les échanges, nous donne­rons à "création" un sens qui n'est peut-être pas le sens ha­bituel : pour nous, est création tout ce que l'enfant ne connaît pas encore et qu'il va dé­couvrir. "L'enfant crée pour se créer" comme l'affirmait la présenta­tion de l'exposition.
 
Des créations peuvent être pour nous un texte libre, un pro­blème mathéma­tique que l'enfant se pose. Il le ré­soud et c'est dans cette résolution qu'il découvre des éléments nouveaux, qu'il a créés, car pour lui, vérita­blement, il les a créés.
Cela peut être une création totale dans le sens commun du terme, ce peut être une re-création (parce qu'il ne crée pas tout), ce peut être une re­cherche, une expé­rience. Une expé­rience n'est peut-être pas une créa­tion par les objets que l'expérimentateur uti­lise, mais par les rela­tions qu'il instaure entre et avec les ob­jets".
M. Berteloot
 
 
"La créativité, c'est déjà un pro­blème pé­dagogique et en même temps un problème so­cial. En Roumanie, un pro­blème culturel vient de l'enseignement rou­main en général, parce que nous ne pouvons parler de créativité que lorsque nous par­lons d'un enseignement formatif. Quand un en­seignement formatif existe, il peut donner la liberté de s'exprimer aux élèves ; on peut parler de la créati­vité.
Et puis, c'est le côté social, parce que nous avons beaucoup d'élèves créatifs. En Roumanie, j'ai fait un sondage. J'ai testé beaucoup d'élèves. 80% de nos élèves sont créatifs. Un problème se pose : Com­ment peut-on aider nos élèves à déve­lopper leur créativité ? Quelle est notre méthode pour développer leur créativité ? Où se trouve cette mé­thode ? Dans les maisons, les écoles, à côté de l'école, dans les autres activités où se trou­vent d'autres gens semblables ?
Je crois que toutes les choses qui peuvent se faire dans mon pays peu­vent venir par l'entrée de la démo­cratie et la "collaboration" entre les enseignants. Si nous pouvons ap­prendre cette démo­cratie et cette "méthode de coopéra­tion, de communica­tion" dans le futur, cela sera très bien pour nous. Ce n'est pas très facile de trouver ces pra­tiques de coopération, mais enfin...
Je crois que si l'enseignement se li­bère un peu de l'uniformisation, il de­viendra formatif, comme je l'ai dit au début..."
Christina Palimaru de Iassi (Roumanie), Conseillère d'orientation et psy­chologue.
 
"Représentants d'un même courant de pen­sée, nous ne sommes pas tous par­venus aux mêmes étapes, et nous ne sommes pas dans les mêmes conditions de travail.
La réponse que donne un éducateur à cette question de "créativité" dé­pend d'abord de lui-même, de la conjoncture dans laquelle il est placé, de l'espace de liberté qu'on lui laisse pour appliquer ses idées et chacun d'entre nous a une réponse qu'il es­saie d'adapter aux cir­constances.
C'est le cas de Chris­tina..
C'est aussi le cas par exemple d'Annie et de Georges Bellot. Dans leur situation respec­tive, eux aussi ont une réponse. Je l'ai appe­lée "la réponse débor­dante".
En effet, votre expé­rience relatée dans Le Nouvel Educateur d'avril 1994 montre que vous "débordez" largement l'institution d'origine. La classe est un endroit très étroit en défini­tive... Dans l'environnement sco­laire, vous n'avez pas toujours les réponses escomptées, donc vous avez élargi votre ter­rain, vous avez dé­bordé en créant des Associations loi 1901, des clubs... et vous formez à côté tout un ensemble qui doit fa­voriser la création".
M. Berteloot
 
Avec nos élèves, nous sommes des créateurs de situations. Dans les structures qui nous enferment, si nous ne voulons pas devenir fous ou neurasthé­niques, il nous faut agir.
Ce que nous ne pou­vons pas faire dans la classe parce qu'il y a trop d'élèves, parce que les programmes sont trop sérieux, parce que nous avons un chef d'établissement qui nous ennuie, ou pour toutes sortes d'autres raisons, nous pouvons le faire dans les clubs ou en dehors des heures de classe.
S'il est facile de favo­riser la créa­tion de textes pendant les heures de cours, nous pouvons faire en sorte que ces textes soient arrangés, valo­risés, envoyés aux corres­pondants des diffé­rents réseaux pendant les clubs et les ate­liers.
Si le temps manque, on peut très bien prendre le temps de rencontrer les adolescents pen­dant un week-end afin de terminer les tra­vaux commencés... On risque alors d'être ac­cusé de créer une sorte de réserve, mais on se donne les moyens de se faire plai­sir et de prendre le temps, ce qui est souvent impossible à réaliser dans les col­lèges où les locaux sont trop étroits et l'ambiance souvent désagréable et paraly­sante.
A l'inverse des ensei­gnants roumains, nous n'avons pas de pro­blèmes maté­riels, mais seulement des diffi­cultés administratives avec les petits chefs et relationnelles avec les collègues. Cela fa­cilite et explique la communi­cation avec tous ceux qui vivent des situations déli­cates, quelles qu'en soient les causes. Mais c'est à cha­cun de trouver les moyens de mieux vivre sa vie professionnelle.
G. Bellot
 
A propos des débor­dements vers les asso­ciations, vers les clubs.
Cela va poser des questions dans l'avenir. Nos enfants vont petit à petit pas­ser 4 jours à l'école, 3 jours en dehors. Au­trement dit moitié moi­tié.
En dehors de l'école commencent à se créer des activités pour les enfants et il faudrait analyser l'efficacité de telles activités, savoir si elles sont véritable­ment dans le sens que l'enfant voudrait lui donner. Dans ces centres, ceux qui s'y dévouent n'ont peut-être pas toujours de connaissances suffi­santes de l'enfant pour juger bon de lui laisser le champ libre nécessaire à toute ac­tivité.
Mais ceci est une question an­nexe...C'est également une question de "débordement" des classes - débor­dement qui va être de plus en plus effectif, à mesure que l'école va di­minuer d'influence.
Il existe aussi le dé­bordement des médias extrêmement important qui pose des pro­blèmes. L'enfant est submergé par le fatras de la télé, de la publi­cité : agressions vi­suelles et auditives. Il ne retrouve plus ses propres chemins, noyés dans un déluge d'informations qu'il ne peut structu­rer : in­formations artistiques, so­ciales, cognitives... Il finit par se créer une image du monde au se­cond degré.
En fait, l'image du monde qu'il a en lui ne vient pas d'un contact avec la réa­lité... Elle passe à tra­vers un écran, tou­jours déformant, et ce que l'enfant prend pour la réalité n'est qu'un reflet de l'écran. Il y a là un problème qui va se poser dans l'avenir et qu'il nous faudra bien résoudre, nous, ensei­gnants et éduca­teurs surtout.
D'où lui viennent ses pouvoirs créa­teurs ?
Sont-ils réels ?
Ne sont-ils qu'une in­vention de notre es­prit ?
Ils viennent, et c'est un avis per­sonnel dont on pourra discuter, ils viennent de sa nature même.
Quelle est cette nature qui lui per­met d'apprendre, de connaître, d'agir ?
Comment arrive-t-il par exemple à parler ? Tout simplement parce qu'il "émet" des ac­tions, (oui, je dis émettre des actions) dans son milieu lin­guistique ; il en reçoit des ré­ponses qui, pour lui, donnent un sens à ce qu'il a émis.
Potentiellement, chaque enfant va pouvoir ap­prendre toutes les langues, mais il en sélectionne une et c'est le milieu envi­ronnant qui va déter­miner cette sélection. Chaque fois qu'il exerce une action sur son sys­tème vocal, le milieu, par la réponse qu'il lui renvoie donne ou ne donne pas de sens à cette action, mais le fait que la ré­ponse donne un sens à l'action l'amène à la répéter parce qu'à chaque fois il attend la même réponse.
Entre lui et le milieu ambiant s'établissent des circuits non pas en flèche n'indiquant qu'une seule di­rection, : non, constamment s'effectue un aller et retour.
C'est dans l'établissement de ces circuits innombrables qu'il se crée.
 
Notre pédagogie est basée sur ces possibi­lités de l'enfant : C'est pour cela que j'appelle "création" une expé­rience tâtonnée, dûe au hasard quelquefois, puis véritablement ex­périmentale, dans la­quelle le tâton­nement prend tout son sens, et c'est ce tâtonnement expérimental qui se révèle l'une des dé­marches, je dis l'une (pour moi ce serait presque ex­clusif) des démarches d'apprentissage.
Comme le dit Freinet, l'expérience vécue est fondamentale, parce que, dans l'expérience vécue il y a tou­jours la société. Et l'action de la société qui l'entoure se révèle, pour la formation d'un individu, très impor­tante.
Cette société comprend aussi la fa­mille de l'enfant : il établit donc des relations, des circuits non seu­lement avec le monde phy­sique mais également avec sa famille, le monde animal etc...
Il établit ainsi tout un réseau de relations entre des circuits qui le construisent. Chaque fois se créent en lui des schémas que j'appellerai : schémas projecteurs, parce qu'ils se mani­festent sous forme de projet d'action poten­tielle. Tous ces sché­mas se conjuguent en réseaux. On di­rait que dans chacun des neu­rones se trouve tout le cerveau, c'est à dire toutes les rela­tions qu'il contient ; autrement dit le tout est dans le neurone et s'y trouve en partie. Ceux qui connaissent la mathématique de l'hologramme savent qu'à partir d'une par­celle infime de l'hologramme on peut reconstituer le tout. C'est donc que cette parcelle infime contient les relations qu'il y a au tout. C'est un des principes que nous n'avons pas encore élucidé mais au­quel, par expérience, nous croyons.
 
Faut-il cultiver ces démarches ?
 
Oui, parce que ce sont des démarches natu­relles et que si on les entrave, on va "contre nature", ce qui peut provoquer des incon­vénients, voire même des catastrophes. En effet, si on entrave ces démarches, l'enfant ne se construit que très mal, très diffici­lement et nous aurons un en­fant qui "s'autoconstruira" en fonc­tion du milieu et des réactions qu'il en a, et qui va donc en souffrir, parce qu'il faut bien dire qu'il se construit affective­ment.
Il se construit cogniti­vement, socia­lement et familialement, en fait, il se construit globa­lement et les décou­vertes faites en neu­rophysiologie nous ré­vèlent que presque toutes les actions inté­ressent les trois cer­veaux. On a l'habitude de dire que chaque hémi­sphère du cerveau a un rôle : l'un, siège des sentiments, l'autre siège des raisonne­ments... D'accord, mais en réalité, chacune des activités de l'enfant met en branle les trois cer­veaux, l'un ou l'autre plus ou moins, mais toujours les trois.
Les neurophysiolo­gistes ont également découvert que les traces sont d'autant plus inscrites que les trois cerveaux ont été sollicités : autre­ment dit, on retrouve dans ce fonc­tionnement la globalité qui caracté­rise la démarche de l'enfant. Nous agissons beaucoup en fonction de cette globalité, mais hélas, la péda­gogie ar­rive difficelement à en tenir compte, et c'est là un sujet de ré­flexion pour l'avenir.
 
Pourquoi cultiver ainsi ces créations ?
 
Parce que la société galope autour de nous. En effet, nous arri­vons à une société dans laquelle l'imagination, la créati­vité deviennent de plus en plus essen­tielles. On sait que les actes répétitifs sont de moins en moins to­lérés, et on s'en dé­charge sur la moderni­sation. Donc, petit à petit, le robot se chargera de la répéti­tion et nous, nous al­lons créer des robots et ensuite nous allons nous créer nous-mêmes à côté des robots. Mais cela prendra une autre allure que maintenant puisque nous aussi, petit à petit, nous se­rons amenés à ne vivre le scolaire que 4 jours. Que ferons nous pendant les trois jours qui restent ? La question va se poser...
Nous savons que c'est dans la créati­vité, dans la création, dans notre action person­nelle et responsable que nous allons signer un complément de vie.
En conséquence, si, dès l'école, on entrave les processus de créa­tivité, ils seront alté­rés et nous aurons une civilisation de mutilés ; d'où l'essentiel, pour nous, qui demeure de prépa­rer nos enfants (et ils se prépareront eux-mêmes si on les laisse dans une certaine at­mosphère), à organiser un plan de société qui leur convienne.
 
Comment peut-on y ar­river ? Vers quel type d'école faut-il aller ?
 
L'école du 1er type
 
C'est l'école du Moyen - Age qui s'est pour­suivie presque jusqu'à Na­poléon et encore bien après, dont cer­tains textes qui la ré­gissaient existent en­core de nos jours et de­meurent de véri­tables forteresses à enlever. C'est l'école qui répondait à un type de société parce que l'école répond toujours à une société ; elle est, qu'on le veuille ou non, traver­sée par la société.
Quelle était cette so­ciété ?
C'était une société fixée par des classes sociales, c'est à dire qu'un enfant de pay­san n'envisageait qu'une chose et il n'en existait qu'une pour lui, en gros, c'était d'être paysan.
Où apprenait-il la vie ?
Dans son milieu paysan par rapport à son père, à ses parents. Une fois pour toutes, sa destinée était fixée.
Bon gré mal gré il de­vait s'y sou­mettre. Elle répondait, peut-on dire, à la tradition.
D'où notre définition de cette école comme une école traditionnelle qui renforçait la so­ciété.
 
L'école du 2ème type
 
Quand est venue l'industrialisation, puis une société de commu­nication, avec possibi­lité de travail à dis­tance, celle que nous connaissons mainte­nant, tout cela a changé. Nous sommes arrivés à l'école du 2ème type... et que nous le voulions ou non on a commencé à parler de "Méthodes actives".
Le directeur d'une entreprise, d'une usine sait que ses ouvriers ont une certaine "image" du patron, il essaie de tisser avec eux des liens qui en­gendreront cette image. L'action du pa­tron, l'image qu'il veut en donner, sont dé­terminées par l'image qu'en ont les ouvriers. J'appelle cela une so­ciété extravertie.
Les méthodes actives répondent à cette ex­traversion, c'est à dire que les actions de l'un sont motivées par le regard des autres. L'enfant agit. Certes, c'est là un progrès sur la tradition qui conduit tout de même notre enfant vers une autodétermina­tion.
 
L'école du 3ème type
 
Elle sera celle qui respectera intégrale­ment les possibilités de la nature humaine, qui sont énormes, im­menses.
Attention ! Elle se dé­veloppera d'après l'environnement, et cet envi­ronnement, nous le conditionnons, parce que nous agissons se­lon lui, mais lui réagit sur nous,il nous conditionne égale­ment... C'est dans ce circuit que nous ins­taurerons l'école du 3ème type qui sera celle de l'autodétermination. On laissera chaque indi­vidu s'autodéterminer et poursuivre son dé­veloppement jusqu'aux limites qu'il a lui-même fixées.
L'école du 3ème type réfléchira intégrale­ment les possibilités de la nature humaine. Elle sera la réponse globale que nous fe­rons. Or, il se trouve que cette école je l'ai connue pendant huit années à l'école Frei­net de Vence.
C'est cela l'avenir pour nous. Et cela c'est la pédagogie Freinet, c'est son ou­verture vers l'avenir dans le respect de la nature de l'espèce hu­maine... Je ne pense pas que nous soyons dépassés".
M. Berteloot
 
Les limites actuelles
 
"Je n'appartiens pas au groupe Frei­net. Je suis à Marseille. Je trouve cela très beau, mais on se sent frus­tré. Ce que je de­mande, c'est comment une telle école - avec laquelle je suis à moi­tié d'accord au point de vue idéologique - peut trouver sa place dans une période où s'installe partout la concurrence liée à la crise économique mon­diale, où les va­leurs sont véhiculées, alors que ce qu'on cherche dans les classes le plus souvent, c'est à être le meil­leur pour pouvoir échapper à la crise et pour pouvoir ne pas faire partie des millions de chômeurs. Comment une telle école peut trouver sa place ?
A. Gava
J'ai parlé aussi d'environnement.
M. Berteloot
L'environnement, c'est ça. Et moi, j'ai envie de parler d'acte de résis­tance. Je travaille dans un collège et dans un lycée du centre de Mar­seille, une grande école où il y a l'élite de la Pro­vence. Et je dois dire que faire un peu de correspon­dance sco­laire, faire un peu d'initiation indivi­duelle. Faire tout çela, c'est presque faire acte de ré­sistance par rapport à l'environnement. Parce qu'il y a la pression de la bourgeoisie qui envoie ses enfants dans ce collège, ce ly­cée; la pression des familles, la pression des collègues qui valo­risent absolument toutes les filières math, physique. Tout ça parce qu'il y a en­suite les Grandes Ecoles et tout le reste. Et la créativité en particu­lier n'y a pas sa place. Comment peut-on faire pour ré­sister ?
A. Gava
J'ai bien parlé de ré­ponses person­nelles et conjoncturelles, dans un espace de liberté défini. Tu tra­vailles certainement sur les mêmes fondements que les nôtres dans un es­pace totalement contraignant. Tu ne peux pas résoudre seule cette ques­tion. C'est à dire que nous ne pré­tendons pas que nos positions, actuel­lement, soient entière­ment va­lables. Je l'ai bien dit au départ. Et ne te sens pas déva­luée parce que tu ne peux pas faire l'école du 3ème type mainte­nant. Ce que je dési­rerais, c'est que cer­tains d'entre nous aient une réponse...
Savoir vers quoi l'on va. On sait d'où l'on vient, par conséquent, on saura où l'on va. Et c'est cela qu'il nous faut poursuivre. Ne perdons pas le but que nous nous sommes fixé à travers toutes les vicissitudes, nous n'y arriverons peut-être pas, tout au moins notre généra­tion.
Je n'ai simplement que l'espoir d'un change­ment. Et j'y oeuvre le plus possible.
Si nous n'avions rien fait, si nous avions dit : "Non, ce n'est pas pos­sible", nous n'aurions pas eu - je suis modeste, là, j'espère - des résul­tats que tu as vus par exemple à l'exposition. Il faut savoir que cela existe quelque part, que c'est une réalité relativement solide pour mar­cher sur l'avenir. Si nous n'avons pas la lumière vers laquelle nous nous dirigeons, nous marchons dans l'obscurité et à tâtons et nous pour­rions prendre des mauvaises direc­tions.
M. Berteloot
 
 
On a besoin d'autre chose, on a be­soin sur le plan humain comme sur le plan d'une cité, sur le plan d'un pays, de former des gens qui ont de l'imagination, qui ont le sens des relations humaines. On en a as­sez de voir des "bêtes d'université". C'est bouché, complètement bouché. On va bien être obligé de s'apercevoir qu'il y a une demande de l'école du 3ème type.
Je suis prof de Lettres, de Lettres vi­vantes.... J'ai envie qu'il y ait ce travail sur l'imaginaire. Il ne faut pas seulement un conditionnement à un certain nombre d'outils, de techniques, de ce qu'on sait faire par exemple pour les fautes d'orthographe... C'est pas la peine d'avoir des habitudes, des dressages. Pour rassurer, je dirai qu'il me semble bien, qu'à bien des égards l'école du second type a fait long feu. On va bien être obligé de chan­ger... Voyez comment "ça bouge" dans les lycées !
Il y a plusieurs ni­veaux d'engagement dans la Pédagogie Freinet. Il y a ce qu'il faisait, qui est le rêve dans une classe de village et où tu peux faire tout le jour de la Pédagogie Freinet à 100% et il y a ce que fait Christina, qui "dérobe" les trois heures non payées de sa semaine de travail parce qu'elle croit à autre chose, et parce qu'elle a envie de voir se réaliser complète­ment cet es­poir d'une autre école ou d'une autre pédagogie.
Et puis il y a ce qu'on fait dans les établis­sements, avec les clubs, où l'enseignant se repose un peu du "type 2" en faisant une heure de "type 3" de 12 à 13 heures . Où est-ce que l'on arrive plus profondément à insufler notre souci de l'enfant et de la vie, et de la pédagogie de l'intelligence et de l'imagination dans les cours qu'on fait ?
Jo Carret
 
Moi je voudrais décul­pabiliser l'enseignant qui dit : Je ne fais pas ce que je souhai­terais.
Freinet l'a toujours dit : "Il ne faut pas se lâcher les mains avant d'avoir touché terre des pieds", il faut toujours assurer quelque chose, une prise quelque part de façon à ne pas se la­cher dans le vide to­tal. Et puis, on fait de la pédagogie à 5%, l'année d'après à 10% et puis, si à la fin de sa vie on arrive à un pour­centage important, à cause d'un environ­nement qu'on a pu créer, qui peu à peu s'est amélioré, tant mieux. L'enseignant sera heureux.
L'idéal n'existe pas. On y tend tous sans pou­voir y arriver.
André...
Dans des pays comme le nôtre, France, An­gleterre, Allemagne, où nous ne vi­vons pas dans la misère, nous man­geons à notre faim et dormons comme nous le voulons, on a tendance à ré­primer cette faculté de créa­tion. Les jeunes des pays de l'Est qui ont vécu cinquante ans éloignés du reste du monde, n'avaient plus rien, et créer est de­venu aussi naturel que de res­pirer ou de rê­ver.
Pour nous, français, c'est tellement facile d'allumer la télé, qu'à force on ne se crée plus. Ce sont les autres qui le font.
Marion : élève fran­çaise de troi­sième, qui recevait Oana, une Rou­maine.
 
Conclusion
 
Il existe des dé­marches fondamentales qui président à la construction de tout être humain. Contra­rier ces dé­marches fondamentales ou croire que le temps accordé aux activités créa­trices est du temps volé aux leçons et aux devoirs, seules bases de l'évaluation, c'est enfermer l'enfant dans un conformisme passif et stéri­lisant, c'est l'amener à "une sponta­néité tapageuse et incohérente, à des révoltes incontrôlées, voire incon­trôlables". C'est le contraindre à la négation de lui-même, de ses possibi­lités, c'est infirmer la construction de son être...
... c'est le mutiler.
M. Berteloot



 
L'état du monde de 1994
 
Dans des lettres venues d'ailleurs
Dans des lettres écrites par des enfants et des adolescents
Tu décris, seul ou avec ta classe, ta vie quotidienne dans ton pays.
Tu choisis un dessin ou une création...
Tu les envoies...
Ils seront exposés à Avignon du 9 au 15 mai 1994
Adresse : Marion Moulin classe de 3ème collège "Lou Vignares" 84270 Vedène
 



 
TO : Exposition : L'enfant et l'adolescent Créateurs. Avignon
 
Down Under en Australie
 
Bonjour à Tous. Nous sommes Australiennes de Sydney et nous allons vous parler de notre pays.
En Australie l'environnement est très varié. On trouve de belles plages, des montagnes neigeuses, des déserts, des forêts tropicales et des îles isolées. Comme il fait souvent beau, les Australiens ont l'habitude de passer beaucoup de temps en plein air à faire des activités diverses : le sport, les pique-niques ou les promenades (à pied, à cheval, à bicyclette ou en bateau, surtout à Sydney).
En Australie, il n'y a que 17 millions d'habitants et la population est aussi diverse que le paysage. Il y a des gens de toutes nationalités donc notre culture est un mélange.
En ce moment nous sommes en train de finir notre dernière année au lycée. Après, on peut aller à l'université ou travailler immédiatement. L'Australie, c'est un pays très jeune qui est, pour l'instant mal connu par le reste du monde, mais on espère que tout ça va changer parce que l'Australie a beaucoup de potentiel pour être un pays de progrès.
Pour nous, les jeunes, l'avenir est plein d'occases surtout à cause des Jeux Olympiques en l'an 2000. Le choix de Sydney a créé beaucoup de fierté parmi la population. Nous sommes pleins d'espoir.
Ecrit par :
Felicity Datton, Sarah Morgan, Nicole Swarbrick et Sarah Mc Kinnon (16 et 17 ans), élèves à Loreto Collège, Normanhurst à Sydney. Australie.
Fax : 19 61 2 189 23 48