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Juin 1998

 

 

           

CréAtions 82 - Créer avec le corps - publié en mai-juin 1998

 

Edito

  

« Il est urgent de redonner à nos préoccupations pédagogiques leur vraie place sociale : place d’honneur certes, dans un régime d’exploitation, une tâche dont ils doivent sentir toute la portée émancipatrice pour être mieux préparés à mener cette lutte urgente sur tous les terrains. » C. Freinet, 1933.

Nous vivons une période où vont s’aggravant les effets du capitalisme mondial avec, dans les pays riches comme la France, chômage, diminution du pouvoir d’achat, misère dans les foyers, SDF, sans-papiers… En ces temps néfastes, il ne parait pas inintéressant de relire certains écrits de Freinet (dont quelques-uns datent des années qui précèdent la montée du fascisme !) afin de repréciser les choix politiques faits par l’ICEM.

Cette réflexion m’est venue en réaction à la lecture d’un article du Monde diplomatique d’avril 1998 dont voici le chapeau : « La firme de M. B. Crates, invitée à une collaboration très étroite « en matière » de recherche et de formation, vient de lancer l’opération Compétences 2000 en direction de l’Education nationale. Ce programme de formation aux technologies Microsoft, doté de 30 millions de francs, est l’illustration caricaturale des pratiques commerciales de cette société.» Et un peu plus loin un commentaire : « On peut mettre sur cédérom l’ensemble des connaissances. On peut installer un site Internet dans chaque classe. Rien de tout cela n’est fondamentalement mauvais, sauf si cela nous berce de l’illusion que l’on s’attaque à tous les maux de l’éducation. » Wired- Sans Francisco

En effet, l’aménagement de la vie des enfants qui leur permettrait de mener une existence normale ne peut se concevoir sans un changement profond de nos principes et sans un important effort d’imagination. On ne peut continuer à prévoir les mêmes établissements, à prévoir les mêmes programmes et les mêmes horaires, les mêmes techniques qu’à l’époque de Jules Ferry où plus des deux tiers de la population vivaient dans des villages, exerçant des métiers agricoles ou artisanaux.

La seule mission de l’école était alors d’instruire les enfants qui trouvaient dans leur environnement des activités de jeux dans la nature, de participation à la vie familiale et professionnelle des parents. Or, l’univers familial de l’enfant s’est rétréci considérablement aussi bien humainement que matériellement et l’école est amenée à prendre en charge la vie de l’enfant dans sa globalité. On considère scandaleux, à juste titre, que des familles de plusieurs enfants s’entassent dans une ou deux pièces, mais on ne trouve pas anormal que plus de trente enfants s’entassent dans une salle de classe et que tout l’effectif d’un établissement se retrouve dans une cour trop petite et parfois même sans abri contre les intempéries.

Les enfants ont besoin d’espace à leur table, autour de leur table, ils ont besoin de locaux multiples avec ateliers de travail adaptés aux nécessités nouvelles, autant que les adultes sans leurs activités professionnelles.

Le besoin de mouvement fait partie, chez les enfants, des besoins fondamentaux. Ils ont autant besoin d’une activité libre que d’exercices organisés ou de jeu, qui sont inséparables du travail ; c’est leur mode d’apprentissage du monde qui les entoure.

« Il ne saurait y avoir de progrès normaux de l’individu si les divers organes du corps ne remplissent pas leur fonction naturelle. Nous n’avons jamais cru que l’idée soit une parcelle du divin mystérieusement tombée du ciel et enchaînée à une chair terrestre et périssable. L’idée n’est qu’une fonction de la complexe nature humaine et la preuve, simple et vulgaire, qu’il n’y a plus d’idée là où il n’y a plus de vie. » C. Freinet.

La pédagogie Freinet est une pédagogie matérialiste. Le corps n’est pas ce dont on doit se défaire au profit de l’esprit. La réduction de l’enfant à l’esprit est soumission à la scolastique et en survalorisant l’esprit, on crée déjà des rapports de domination de classe.

Il arrive souvent que les individus les plus rebelles à l’enseignement formel et aux acquisitions précises soient ceux qui, dans le domaine de l’expression corporelle ou artistique, mettent en valeur leur personnalité et découvrent un être qui se réalise.

On ne saurait trop insister sur l’importance des pratiques fondées sur la totalité de l’être, des pratiques qui mettent en œuvre l’identité de l’enfant.

Jeannette Roudier Go

 

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