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L'enfant écrivain

Dans :  Français › Techniques pédagogiques › 
Juin 2011
L'enfant écrivain, génétique et symbolique du texte libre, Pierre Clanché, Éditions Païdos/Le Centurion
L'idée centrale du livre de P. Clanché est que le texte libre est une pratique qui offre la possibilité à l'enfant de rencontrer la création littéraire. Après avoir défini, en s'appuyant sur les idées de Barthes et de Benveniste, la différence entre "écriture" et "écrivance", il se propose de montrer que c'est grâce à la production libre de textes banaux que l'enfant aura l'occasion de rencontrer l'écriture.
 
Après avoir rappelé les invariants qu'il considère être ceux de la Pédagogie Freinet, Pierre Clanché définit ceux du texte libre.
Les invariants du texte libre
1 Le texte libre n'est qu'un des aspects de l'expérience libre. (dessin, quoi de neuf, entretien, conseil...)
2 Les outils spécifiques du texte libre sont plus des instruments de reproduction et le devenir du texte c'est-à-dire son avenir communicatif {oral ou écrit}.
3 Le texte libre s'oppose à la démarche "antinaturelle" qui veut que l'on maîtrise la syntaxe pour pouvoir s'exprimer. II est le droit au tâtonnement sur la langue écrite. II implique une liberté de forme, de contenu, de choix de thèmes, de périodicité...
4 Le texte libre n'est pas jugé, noté. II s'adresse au groupe. II peut être ou non communiqué. L'élection des textes libres pour le journal ainsi que la mise au point collective sont l'objet de pratiques différentes.
5 Le texte libre n'est la seule activité "d'écriture" de la classe P.Freinet. Mais il revêt une spécificité de pratique littéraire.
Les deux chapitres suivants sont consacrés à l'explicitation des outils théoriques qui serviront à l'auteur pour mener à bien sa démonstration.
Écrivant / Écrivain
P. Clanché aborde l'étude des textes d'enfants comme des textes tout courts, sans a priori lié à un psychologisme particulier à l'enfance.
De la même façon que la psycholinguistique fait la différence "lecture" et "lisance", elle fait aussi la différence entre "écrivant" et "écrivain".
- La lisance vise la transitivité du texte (au sens mathématique: a R b, b R c donc a R c). Sa fonctionnalité sociale. (un mode d'emploi).
- La lecture vise son intransivité, sa fonctionnalité littéraire (un poème). De la même façon on peut différencier l'écrivant de l'écrivain.
- L'écrivant est celui pour lequel le texte est un instrument, le véhicule de sa pensée, la fonctionnalité du texte est située au delà du texte, le texte sert à ...
Le texte est contemporain de ceux qui le suscitent.
"La fonction de l'écrivant est de dire en toute occasion et sans retard ce qu'il pense". R. Barthes. Le texte est un moyen, un outil.
- L'écrivain est celui pour lequel le texte est l'objet ultime. L'écrivain n'est pas pour autant indifférent au monde mais ce qui le préoccupe est le "comment écrire". "Comment écrire, comment en parler: quel est le sens des choses !" R. Barthes.
Le texte lui -même est la finalité de l'écriture.
Le cadre institutionnel du texte libre est donc une situation d'écrivant (puisque ces écrits auront un devenir social), et non d'écriture. Mais cette situation débouche toujours à un certain moment à une situation d'écriture (par définition non-institutionnalisable).
Alors que les situations institutionnelles "d'écriture", comme la rédaction dans laquelle le comment écrire est mis en avant débouche le plus souvent sur une écrivance (liée à finalité d'évaluation du texte agrémenté de figures de rhétoriques.
De l'écrivance à l'écriture
Pour P. Clanché, le passage de l'écrivance à l'écriture s'opère par rupture occasionnelle ou définitive avec le stéréotype.
1 Rupture passagère de l'arbitraire du signe. Effets de signifiants
Le signifiant devient provisoirement le signifié. Les mots sont utilisés pour leur valeur sonore (Proust, Gogol). Dans les T.L. il constate une utilisation "littéraire" du phénomène que Piaget appelait le réalisme nominal. Exemple le soldat Martz Garine... ou le marchand M. Richard Gutier.
2 Rupture du flux du récit : la phrase, l'ellipse...
Le langage oral, comme le discours intérieur ne connaît pas les contraintes de l'écrit. L'exigence de la phrase commençant par la majuscule et finissant par un point, détruit l'illusion du texte tout prêt. Écrire c'est couper. Écrire c'est soustraire (laisser des blancs).
L'écrivance est le refus de l'ellipse, l'écriture son assomption.
Remarque personnelle
J'ai remarqué souvent dans les textes les plus "primitifs", le souci de tout dire avec l'utilisation des connecteurs de temps (et, et puis, après, etc.). Petit à petit, ceux-ci ont tendance à disparaître.
3 Rupture du flux énonciatif. Du dire et du dit.
Quand dans un texte, il est question de la production du texte lui-même, ce fait est une marque repérable de l'écriture. Barthes le nomme "effet de méta-livre" puis effet "diagrammatique".
II n'y pas d'exemple dans les T.L. mais P. Clanché note des situations voisines: des textes qui parlent de textes libres ou du problème des idées nécessaires pour écrire un texte.
P. Clanché conclut :
Ce serait une erreur de penser que le T.L. est une activité qui serait réussie quelques fois quand il y aurait écriture, et manque le plus souvent (écrivance).
Le texte libre est la traduction du tâtonnement sur la langue. L'important pour l'efficience pédagogique n'est pas que certains enfants écrivent le plus souvent des textes littéraires, mais que le plus grand nombre, à force d'écrire, finissent par rencontrer l'écriture.
Dans le chapitre P. Clanché définit les paradigmes qui lui permettront de classer les textes recueillis.
Texte libre et appropriation de la langue : L'énonciation.
Théorie de l'énonciation. E. Benveniste.
"L'énonciation est la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation".
Quoi qu'on en dise, c'est toujours en la malmenant, en la triturant, en s'y écorchant, en la détournant que le sujet parlant se sert de l'outil-langue pour s'y dire.
Comme le dit E. Benveniste :
"C'est dans et par le langage que l'homme se constitue comme sujet, parce que le langage seul fonde en réalité, dans sa réalité, qui est celle de l'être, le concept d'ego".
À partir de lui, la parole (ou le texte) sera l'instance obligée de la manifestation de la subjectivité. Hors de la parole, pas de manifestation de la subjectivité. Mais cela est inséparable du corrélat linguiste. A savoir l'ensemble des règles au langage. Si l'individu est le "maître" (le décideur du contenu) du discours, c'est la langue qui détient les termes et les processus, qui impose la forme (voir Barthes sur l'aspect dictatorial de la langue).
Définitions :
Le sujet / l'énonciation.
Quand il y a parole, il y a toujours non pas "le sujet", mais "du sujet". C'est la place du sujet qui constitue l'énonciation.
Le sujet de l'énonciation.
Celui qui produit "la parole" ou l'écrit.
Le sujet de l'énoncé.
C'est l'objet de l'énoncé.
Pour Barthes l'énoncé est considéré comme un produit sans énonciateur (un peu comme un objet intrinsèque).
L'énonciation est caractérisée par la reconnaissance du sujet énonciateur; elle reconnaît la relativité du langage.
 
P. Clanché s'appuie sur les idées de E. Benveniste pour définir les critères qui vont lui permettre de classer les textes.
opposition        discours / histoire
opposition      personne / non personne
- Les "je, tu, nous, vous" sont des marqueurs personnels de surface. Il y a donc énonciation puisque le sujet de l'énonciation.
- Les "il et elle" sont considérés comme extérieurs éloignés de l'énonciateur et définis comme "non personne".
Discours et histoire.
- Est "discours" pour Benveniste tout texte comportant des shifters (déictiques en français?), c'est-à-dire des éléments de mise en relation du texte avec le sujet de l'énonciation; exemple : je, tu, hier, ce matin, aujourd'hui etc.
- Est "histoire" tout texte sans shifters.
Discours : je viens juste de me réveiller... Hier soir, tu es allé au cinéma. Histoire : II venait juste de se réveiller. La veille, l'homme alla au cinéma. L'utilisation des temps est aussi un critère d'opposition discours/histoire.
 Un dernier tableau récapitule les critères et les indices de repérage qui serviront pour l’étude et la classification des textes des enfants
 
 L’analyse des textes peut donc commencer…
Mais là s’arrête mon résumé du livre de P.Clanché. Au lecteur de continuer ce travail.
Vous découvrirez de nombreuses notions qui enrichissent la réflexion sur le texte libre.
 
Analyse horizontale des textes d’une même tranche d’âge et recense ment des types de scénario …
Prédominance de certains types en fonction des «niveaux».
Analyse verticale de la génétique de ces types …
Texte libre et poésie.
Aspect révélateur du texte libre … Idée de percolation …
… et le fameux « effet yaourt ».
Jany Gibert
Janvier 1990
 
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