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Du texte au livre

Dans :  Français › Principes pédagogiques › 
Juin 2011
Dans ma classe de cours moyen deuxième année on écrit beaucoup, et les enfants proposent souvent de communiquer leurs textes à la grande section de l'école maternelle voisine. A cette occasion, ils les illustrent et en font un album.
 
 
L'histoire 
Cette année, Magali a écrit quelques lignes qu’elle a intitulées « Interrogations ». Ses camarades ont aussitôt décidé de présenter cette histoire aux petits, mais ils la trouvaient trop courte. Ils ont alors supposé d'autres questions d autres réponses et ils ont obtenu le texte que voici .
 
"Dans la vitrine d'un opticien, rue Claude Nozière les lunettes formaient un arc-en-ciel.
I1 y avait des lunettes mi-jaune, mi-orange, des lunettes avec des coeurs roses, des lunettes carrées avec des étoiles multicolores, des lunettes noires triangulaires, des lunettes "en oeuf", et ... beaucoup d'autres sortes.
 
La petite paire de lunettes, à pois verts et blancs, se demandait sur quel nez elle allait être posée.
- Sur un nez crochu ?
- Je glisserais comme sur un toboggan.
- Sur un nez aplati ?
- J'aurais toujours l'impression de me jeter dans le vide.
- Sur un nez en trompette ?
- Au moins 1à, je serais bien assise.
- Sur un nez long ?
- Je skierais sur une piste noire.
- A quoi vais-je servir ?
- A lire les schtroumpfs ?
- A coudre de la dentelle ?
- Est-ce que je vais être transportée de maison à école et d'école maison ?
- Irai-je au collège pour apprendre l'anglais ou l'allemand ?
A ce moment-là, une grande dame mince vêtue d'un blouson en cuir noir, d'un jean, et chaussée de santiags, désigne la paire de lunettes à pois verts et bleus.
Et la paire de lunettes s'en va. Elle est contente car elle a enfin trouvé le nez de ses rêves."
 
Le moment de travail collectif., sur les mots, qui a permis d'obtenir ce texte, a été passionnant. Au départ, les hésitations qui ont précédé le choix du nom de la rue était supposée se dérouler l'histoire, on été nombreuses. Les enfants voulaient qu'elle porte le nom d'un écrivain qu’ils aimaient bien mais ils souhaitaient aussi le modifier un peu ce Ils se sont enfin mis d'accord sur Claude Nozière (un de leurs auteurs préférés est Jean-Paul Nozière).
 
Ils ont ensuite discuté sur le temps à utiliser : futur ou conditionnel présent ? Cette dernière solution a été retenue car, ont-ils déclaré, cette histoire est un rêve.
Pour rendre le texte plus vivant, ils ont enfin opté pour la première personne, alors que Magali s’était exprimée à la troisième.
Ils ont aussi décidé que l’école qu’ils allaient représenter serait la leur et qu’ils écriraient sur le dessin « École du Verdere t».
 
Les illustrations
 
Le vœu des enfants était de faire un livre « à l’italienne ». Ils ont tout de suite pensé au découpage de l’histoire en douze séquences auxquelles ils feraient correspondre douze dessins. Et ils se sont mis au travail, prévoyant –sans faire une seule entorse à cette règle- une page de texte, une page illustrée. Quelques dessins ont ainsi été faits, mais rapidement les enfants ont été bloqués. Ils restaient insatisfaits (moi aussi, mais j’étais incapable de les aider). Face à mon incompétence, je leur proposai de faire appel à Jean Renaud, professeur d’arts plastiques à l’École Normale d’Instituteurs, et partie prenante dans tous les travaux artistiques entrepris dans le cadre de notre projet d’école.
 
Le regard de l’autre
 
Dans un premier temps, Jean nous a fait observer plusieurs albums et il a invité chacun à réfléchir sur le mélange image-texte, les illustrations pleine page, double page, les images rectangulaires plus petites. Avec lui, nous avons vu que les dessins étaient à droite ou à gauche.
En fait, avec son aide, nous avons redécouvert la structure d’un livre du début à la fin.
Jean a alors conseillé aux enfants de faire une maquette de ce livre (je n’y avais jamais pensé). Il les a invités à préparer des pages doubles sur papier léger, puis à les mettre à la suite l’une de l’autre et à les coller. Sur cette sorte de livre blanc, il leur a suggéré de faire les esquisses des illustrations, et d’indiquer la place du texte.
Et jean est parti, nous laissant avec cet objet-livre à créer. Mais son intervention avait déclenché bien des idées chez les enfants.
 
La construction du livre
 
L’après-midi a été consacré à la réalisation de la maquette. Par groupes, les quinze enfants intéressés par ce projet ont réalisé toutes les doubles pages.
 
Voici quelques-unes de leurs esquisses :
 
 
 
            L’enthousiasme persistant, ils ont poursuivi leur production. Chacun a imaginé les pages qui l’inspiraient le plus.
            Ce faisant, ils ont rencontré des difficultés, en particulier pour figurer tel ou tel nez. Certaines séquences du texte ont en revanche suggéré des dessins à plusieurs enfants.
            En regardant leurs illustrations, je note que le vide, par exemple, est noté de plusieurs façons différentes. Pour l’un, le vide évoque une chute alors qu’on est dans l’atmosphère; pour un autre, le vide prend le visage d’une noyade au fond de quelque océan.
 
La vie de cet objet-livre
 
            « Interrogations » a été présenté dans plusieurs classes : perfectionnement, cours élémentaire deuxième année, grande section de maternelle.
            Les enfants de cours moyen allaient deux par deux dans les classes et disaient ou lisaient leur histoire. Ils écoutaient les plus petits commenter leurs dessins ou inventer un autre texte. Ils étaient alors heureux de voir appréciée, valorisée, leur production, et ils avaient envie d’écrire encore.
            Pourtant, si ce livre existe, je sais bien que je le dois au fait que j’ai pu bénéficier des compétences d’un autre adulte.
            Seul dans sa classe, peut-on toujours permettre à chaque enfant de dévoiler le maximum de ses possibilités ? Je ne le crois pas, et pour ma part j’ai besoin des autres pour y parvenir.
Émilie FAURE
Septembre 1988
 
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