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Avril 2001


CréAtions 96 - Rendez-vous avec son corps - publié en mars-avril 2001

                        Conversation entre un danseur-peintre, Jean-François Bizieau,

                                              et une conseillère pédagogique Arts Plastiques, Nicole Bizieau.


Jean-François Bizieau - Pour se lancer dans un projet aussi important que celui de devenir artiste, on doit s'y engager avec tout son être, et c'est souvent toute une vie qui prend sens autour de cet engagement. Etre artiste c'est tout d'abord oser faire un choix, parler du monde réel mais aussi oser le rêver, l'imaginer en son propre nom, se mettre en situation de danger.
Ce que l'homme tente alors d'offrir au regard, le résultat (jamais définitif) de ses recherches n'est ni une copie de la réalité, ni une vision en décalage (voire à l'opposé de celle-ci) mais ce réel là qui lui est propre, ce monde là qui lui appartient, enfin un corps : ce corps.
L'image, l'émotion montrée est belle et bien celle du monde qui est sien parce qu'il y existe, lui donne sa vie. Son geste se pose comme son propre reflet. Il s'agit d'exister véritablement et de vivre l'aventure pleinement pour affirmer sa présence en tant que corps "agi et perçu". Il se tourne vers son prochain, ce n'est plus lui qui donne à voir mais l'autre qui devient lui, cette image du monde qui devient son monde.
Il me serait impossible de réaliser un monde où je ne serais pas et qui serait pur objet de contemplation survolante.
Lorsque je peins, je vis en toute conscience la scène que je représente, je suis le personnage qui vous regarde, je pourrais aussi bien être le paysage qui vous contemple.
Lorsque je danse, je vis sereinement le danger de mettre mon corps devant vous et suis tout enclin à la poésie. Je m'amuse de ce danger, j'expérimente ma présence au monde.

Nicole Bizieau - Danser est une expression, une proposition d'interprétation du réel parmi tant d'autres. C'est un langage, un besoin de communiquer par le geste-image, le geste-signe, le geste-sens qui puisent leur réalité dans la mémoire du corps comme dans la mémoire sociale, culturelle.

   A l'origine, le corps

N. B. - Le corps chez l'enfant bouge et exprime des états d'être. Au fur et à mesure qu'il grandit, le geste s'étiole par perte d'habitude mais bien plus encore par tabou du corps, surtout dans nos sociétés occidentales. Nos corps sont engourdis, guindés, retenus … interdits. Il n'en est pas de même, dans d'autres sociétés, africaines en particulier, qui ont gardé tout le sens de l'expression du corps pour manifester un langage de l'esprit comme de l'âme.

J.F. B. - Cette expression là puise dans des traditions ancestrales qui nous parlent d'humanité.

N. B. - Nos sociétés ne produisent plus ce type d'expressions. Ne devons-nous pas lutter contre ce repli sur soi ? Contraindre le potentiel naturel du corps est probablement source de violences, soupapes d'énergies trop contenues.
La libération positive de ce potentiel ne pourrait-elle pas nous aider à lutter contre ces violences, contre LA violence ?

J.F. B. - Nos racines sont vitales. Sans le respect de notre énergie ancestrale, nous resterions comme orphelins de nous-mêmes, contrits dans un corps sans histoire et sans lendemain. L'homme sans ses racines dépérit, tourne en rond, à la recherche de quoi ? Il ne sait sans doute plus. Enclin à l'inertie, à l'abrutissement de ses sens, il peut entrer dans (ou céder à) un état de grande violence à l'égard de son prochain, de lui-même.

   Tout langage est à construire

N. B. - On peut tout dire avec des mots à condition d'en connaître le sens et de maîtriser la syntaxe qui permettra d'exercer l'art du langage ; pourquoi ne pourrait-on pas tout dire avec le corps ? Une condition cependant : comme pour le verbe, il est indispensable de connaître la force d'un geste, la signification qu'il exprime envers l'interlocuteur visuel, et de savoir lier les mouvements harmonieusement et de façon cohérente pour aboutir au phrasé gestuel.

J.F. B. - C'est un rapport particulier avec l'autre mais aussi avec soi-même qui s'instaure, un nouveau rapport à l'espace, à la forme et au temps qui se met en place. C'est un corps à corps.

   Accès au domaine chorégraphique

N. B. - D'abord il y a le geste, nécessaire, puis il y a toutes ses déclinaisons possibles qui permettent de passer de l'ordinaire naturel à une chorégraphie, une énergie humaine mise en scène où le corps répond à ce que l'esprit propose.
La danse met en lumière la dimension poétique du corps humain. Puissions nous sensibiliser chacun à une représentation de son expression par son corps dans le plaisir de créer mais aussi la nécessité d'apprendre :
d'apprendre son corps pour mieux le libérer, l'utiliser,
d'apprendre sa pulsation,
de libérer ses pulsions internes,
de considérer la réalité de l'espace,
de répondre aux sollicitations extérieures sonores, visuelles, événementielles, …

J.F. B. - Puissions - nous faire que la danse tout en développant l'écoute des sensations physiques, devienne par le corps le prolongement de l'esprit pour accéder à la poésie !

N. B. - Les types, les styles de danse sont suffisamment nombreux pour permettre à chacun de retrouver la route de son corps, l'énergie pour le mouvoir et jouer avec ses intentions.
Petits gestes, mimiques, attitudes, grâce, vitesse, énergie, amplitude, rencontres, rythme, variations, poids, légèreté, espace temporel et relationnel, symbolismes… Tant de pistes sont tracées lorsqu'on ouvre la porte à la danse.
Qu'elle soit contemporaine, jazz, de salon, hip hop, classique, folklorique, traditionnelle … maladroite ou maîtrisée, chacun peut trouver le domaine où il rencontrera le plaisir de "bouger", de construire son propre langage du corps.

Le langage chorégraphique se construit comme tout autre en explorant d'abord ce dont chacun dispose en soi comme matériau nécessaire. Ensuite il faut passer de ce capital à sa mise en valeur.

J.F. B. - Le langage chorégraphique s'articule d'abord autour d'un projet, d'une idée, d'une envie de nommer, de dire quelque chose de façon figurative ou abstraite.

N. B. - Le geste naturel simple peut devenir chorégraphique si l'on prend conscience de son pouvoir d'expression par l'alchimie d'une amplification, d'un rétrécissement, d'une répétition, d'un rythme contrôlé, choisi, ralenti accéléré, la découverte de l'espace, sa gestion et son appropriation, qu'il soit vide ou encombré, vaste ou étroit …

  Du potentiel personnel à la créativité

N. B. - Comment passer de la richesse du potentiel humain en déclenchant la spontanéité première source d'expression, à la découverte de la créativité ?
La dynamique du corps ne suffit pas, c'est l'esprit par la découverte de ses sensations et des effets produits qui va permettre la compréhension et le contrôle de la gestuelle. Prendre conscience de son corps et l'utiliser pour s'exprimer : vaste programme dans l'éducation du petit humain. Apprendre par le plaisir, exprimer ses sensations, découvrir les lois de l'équilibre, des appuis, se réaliser avec l'autre rencontré, dialoguer, s'approprier l'espace, maîtriser le temps, se jouer des rythmes, des sons, des images, communiquer par tout son être et son identité singulière, offrir une proposition de sa perception des choses, du monde qui le sollicite.

J.F. B. - Il ne faut pas hésiter à se rassembler autour d'un projet, partager pour rebondir.

N. B. - Comme pour tout autre mode d'expression, il y a donc nécessité d'offrir à chacun des situations permettant la rencontre, la découverte, l'exploration, l'expérimentation, l'appropriation de tout ce potentiel existant en soi, pour mieux s'exprimer par le corps si le cœur lui en dit.

    Assumer, revendiquer sa créativité et son mode d'expression.

J.F. B. - Il faut supprimer cette idée que l'on s'excuse presque de danser. Il faut oser parler en son nom, donner sa vision personnelle, son monde propre. C'est une proposition du réel que chacun peut faire parmi tant d'autres. C'est la seule qu'il puisse montrer en son nom propre parce que c'est impossible autrement. Il faut en finir avec l'excuse de l'artiste fou ou inconscient. Tout homme qui essaie de danser, peindre, … ne peut qu'assumer ce qu'il fait et ne montrer que ce corps là qui est le sien sous la totale maîtrise des sens.
Parce que le danseur joue "sa partie" dans l'image qu'il va donner à voir de lui-même et de l'autre par lui-même, il ne peut plus tricher à l'intérieur de cette réalité qui l'incombe.
Parmi les taches de lumière et d'ombre, les gestes, l'espace, les formes qu'il propose, il pourrait risquer de se perdre et avec lui son entourage, l'identité des choses.
Le danger est présent. C'est une prise de risque, une responsabilité.
La danse est ce danger là, pris dans ce face à face entre "Autrui" et "Moi", tout entier entre Art et Néant.

Quel est l'endroit privilégié choisi pour construire ce monde qui m'attend ?
Le réel est là devant celui qui s'essaie à la création : tout puissant.
Pourtant, il ne s'agit pas d'en rester à une simple "mimésis", copie de la réalité. Il faut aussi ouvrir l'œil intérieur, celui de l'imaginaire, pour que la vision, dépassant la simple perception, se fasse compréhension profonde : on assiste alors à l'avènement d'une autre vérité du visible, quelque chose comme dire vrai sans se plier au vraisemblable.

Ainsi sommes-nous devant le réel, prêts à le "vivre pour nous", à le transgresser si on en ressent la nécessité pour en parler plus librement.

    Danser pour soi et/ou pour les autres ?

N. B. - De même que l'édition implique un travail de fond dans la recherche d'une "perfection" écrite, qu'une exposition nécessite du sens, le spectacle de danse est un prétexte à une expression plus élaborée, justifiée.
Les temps de mise au point et de répétition, de préparation d'un spectacle, le rendez-vous avec le trac, sont des temps d'interrogation, de rencontres, de confrontations qui permettent de passer du besoin d'exprimer au besoin de communiquer sa production à un groupe social semblable ou différent. Le spectacle est un aboutissement.

… sans lequel l'artiste s'enfermerait dans l'autisme.( J.F. B.)

N. B. - L'expression artistique, quelle qu'elle soit, pourrait-elle se satisfaire de son existence en vase clos ? Elle interroge l'auteur, l'interprète et ne se grandit-elle pas, ne se construit-elle pas non plus si elle interroge l'autre ?
Ces temps de rencontres entre créateurs, interprètes et spectateurs sont des convocations culturelles dont on peut difficilement faire l'économie.

    Conclusion

J.F. B. - Aujourd'hui plus que jamais, notre quotidien s'est rempli d'une utopie futuriste. On nous parle d'un monde au-delà du nôtre, d'une possible odyssée de l'espace à la découverte d'autres civilisations. Nous rêvons…
Aujourd'hui nous avons besoin d'ordre et d'organisation, nous avons certes besoin d'hommes d'affaires et de scientifiques, d'idoles aux corps athlétiques mais plus que jamais nous avons besoin de rêver, d'inventer et d'avoir une pensée sur le monde que nous fabriquons.
Nous avons besoin d'artistes qui s'envolent dans un saut de l'ange pour peut-être voler vers un jour nouveau.
Le futur appartient aux enfants ; qu'ils n'oublient surtout pas le saut de NIJINSKY* qui nous avait propulsé dans le monde moderne nous emplissant d'espoir, il y a presque un siècle !

*Vaslav NIJINSKY ( Kiev 1890. Londres 1950 ) est l'un des danseurs chorégraphes les plus importants du début du vingtième siècle. Ses contemporains disaient de lui que lorsqu'il sautait, il restait quelques longs instants suspendus avant de retomber sur le sol. On parle d'un bond prodigieux qu'il effectuait pendant le spectacle "Le spectre de la rose" en 1911 dans les Ballets Russes. Aujourd'hui il est devenu une véritable
légende. Il propulsa l'art de la danse dans une grande modernité, chorégraphiant avec les Ballets Russes le célèbre "Prélude à l'après-midi d'un faune" où il interprétait le rôle du faune. En 1912, la pièce fut présentée à Paris. La chorégraphie en était si révolutionnaire qu'elle provoqua le scandale dans le monde du spectacle. Mais elle s'imposa et fut reconnue comme une œuvre fondamentalement nouvelle, ouvrant la route d'un nouveau monde chorégraphique vers la danse moderne.

 

 Etrange attentat

La compagnie du Sixième étage - Une performance chorégraphique et théâtrale

Aujourd'hui, deux anges sont entrés par une fenêtre restée ouverte sur le corridor du sixième étage. Ils ont replié leurs ailes invisibles pour se jouer de nos sens, se sont mis à danser.
" Vous êtes morts… Bienvenue !" a proclamé le plus grand, l'œil rieur. Le plus petit s'est empressé d'applaudir pour nous inviter au voyage vers un au-delà fantaisiste.
Puis des images, parasites, neiges et brouillards électroniques sont arrivés comme de nulle part pour nous projeter dans un état de douce torpeur, pour nous baigner dans une atmosphère céleste bleue sombre à l'ombre de nous-mêmes.

Inventer est la chose la plus difficile qui soit.
La création commence là : quand la pensée connue finit, et que l'on sort des sentiers déjà piétinés, répétés, recopiés, imités.
La Compagnie du Sixième Etage a choisi de se réaliser autour de projets mêlant différentes disciplines artistiques. A la croisée de la danse, du théâtre et des arts plastiques, Jean-François BIZIEAU et Pascal RENAULT construisent un univers mental spécifique où déambulent des personnages espiègles, où se collent le geste et le mot avec surprise. Au beau milieu d'un paysage chorégraphique éclaté, comme suspendu entre tourbillons et marigots poético-politiques, en deçà des océans de la reconnaissance, existe un monde où ils ont trouvé refuge.
"Etrange Attentat" s'organise autour de l'idée de proximité avec le public et se joue ici ou là, dans la cuisine d'un grand restaurant, le bloc opératoire d'un hôpital, le grenier de votre immeuble, la salle de classe d'un lycée scientifique… hors cadre habituel du spectacle.
Au cours du temps, les artistes et leurs modes d'expression ont évolué, ils se sont tournés vers l'échange entre les disciplines, leur art est fragile et singulier.
Ouvrons les yeux… Ca commence !  

Camille ROCHWERG – Plasticienne et journaliste sur internet

Système Castafiore / La compagnie

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