Conversation entre un danseur-peintre, Jean-François Bizieau, et une conseillère pédagogique Arts Plastiques, Nicole Bizieau.
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Jean-François Bizieau - Pour se lancer dans un projet aussi important que celui de devenir artiste, on doit s'y engager avec tout son être, et c'est souvent toute une vie qui prend sens autour de cet engagement. Etre artiste c'est tout d'abord oser faire un choix, parler du monde réel mais aussi oser le rêver, l'imaginer en son propre nom, se mettre en situation de danger. Ce que l'homme tente alors d'offrir au regard, le résultat (jamais définitif) de ses recherches n'est ni une copie de la réalité, ni une vision en décalage (voire à l'opposé de celle-ci) mais ce réel là qui lui est propre, ce monde là qui lui appartient, enfin un corps : ce corps. L'image, l'émotion montrée est belle et bien celle du monde qui est sien parce qu'il y existe, lui donne sa vie. Son geste se pose comme son propre reflet. Il s'agit d'exister véritablement et de vivre l'aventure pleinement pour affirmer sa présence en tant que corps "agi et perçu". Il se tourne vers son prochain, ce n'est plus lui qui donne à voir mais l'autre qui devient lui, cette image du monde qui devient son monde. Il me serait impossible de réaliser un monde où je ne serais pas et qui serait pur objet de contemplation survolante. Lorsque je peins, je vis en toute conscience la scène que je représente, je suis le personnage qui vous regarde, je pourrais aussi bien être le paysage qui vous contemple. Lorsque je danse, je vis sereinement le danger de mettre mon corps devant vous et suis tout enclin à la poésie. Je m'amuse de ce danger, j'expérimente ma présence au monde. Nicole Bizieau - Danser est une expression, une proposition d'interprétation du réel parmi tant d'autres. C'est un langage, un besoin de communiquer par le geste-image, le geste-signe, le geste-sens qui puisent leur réalité dans la mémoire du corps comme dans la mémoire sociale, culturelle. A l'origine, le corps N. B. - Le corps chez l'enfant bouge et exprime des états d'être. Au fur et à mesure qu'il grandit, le geste s'étiole par perte d'habitude mais bien plus encore par tabou du corps, surtout dans nos sociétés occidentales. Nos corps sont engourdis, guindés, retenus … interdits. Il n'en est pas de même, dans d'autres sociétés, africaines en particulier, qui ont gardé tout le sens de l'expression du corps pour manifester un langage de l'esprit comme de l'âme. J.F. B. - Cette expression là puise dans des traditions ancestrales qui nous parlent d'humanité. N. B. - Nos sociétés ne produisent plus ce type d'expressions. Ne devons-nous pas lutter contre ce repli sur soi ? Contraindre le potentiel naturel du corps est probablement source de violences, soupapes d'énergies trop contenues. J.F. B. - Nos racines sont vitales. Sans le respect de notre énergie ancestrale, nous resterions comme orphelins de nous-mêmes, contrits dans un corps sans histoire et sans lendemain. L'homme sans ses racines dépérit, tourne en rond, à la recherche de quoi ? Il ne sait sans doute plus. Enclin à l'inertie, à l'abrutissement de ses sens, il peut entrer dans (ou céder à) un état de grande violence à l'égard de son prochain, de lui-même. Tout langage est à construire N. B. - On peut tout dire avec des mots à condition d'en connaître le sens et de maîtriser la syntaxe qui permettra d'exercer l'art du langage ; pourquoi ne pourrait-on pas tout dire avec le corps ? Une condition cependant : comme pour le verbe, il est indispensable de connaître la force d'un geste, la signification qu'il exprime envers l'interlocuteur visuel, et de savoir lier les mouvements harmonieusement et de façon cohérente pour aboutir au phrasé gestuel. J.F. B. - C'est un rapport particulier avec l'autre mais aussi avec soi-même qui s'instaure, un nouveau rapport à l'espace, à la forme et au temps qui se met en place. C'est un corps à corps. Accès au domaine chorégraphique N. B. - D'abord il y a le geste, nécessaire, puis il y a toutes ses déclinaisons possibles qui permettent de passer de l'ordinaire naturel à une chorégraphie, une énergie humaine mise en scène où le corps répond à ce que l'esprit propose. J.F. B. - Puissions - nous faire que la danse tout en développant l'écoute des sensations physiques, devienne par le corps le prolongement de l'esprit pour accéder à la poésie ! N. B. - Les types, les styles de danse sont suffisamment nombreux pour permettre à chacun de retrouver la route de son corps, l'énergie pour le mouvoir et jouer avec ses intentions. Le langage chorégraphique se construit comme tout autre en explorant d'abord ce dont chacun dispose en soi comme matériau nécessaire. Ensuite il faut passer de ce capital à sa mise en valeur. J.F. B. - Le langage chorégraphique s'articule d'abord autour d'un projet, d'une idée, d'une envie de nommer, de dire quelque chose de façon figurative ou abstraite. N. B. - Le geste naturel simple peut devenir chorégraphique si l'on prend conscience de son pouvoir d'expression par l'alchimie d'une amplification, d'un rétrécissement, d'une répétition, d'un rythme contrôlé, choisi, ralenti accéléré, la découverte de l'espace, sa gestion et son appropriation, qu'il soit vide ou encombré, vaste ou étroit … Du potentiel personnel à la créativité N. B. - Comment passer de la richesse du potentiel humain en déclenchant la spontanéité première source d'expression, à la découverte de la créativité ? J.F. B. - Il ne faut pas hésiter à se rassembler autour d'un projet, partager pour rebondir. N. B. - Comme pour tout autre mode d'expression, il y a donc nécessité d'offrir à chacun des situations permettant la rencontre, la découverte, l'exploration, l'expérimentation, l'appropriation de tout ce potentiel existant en soi, pour mieux s'exprimer par le corps si le cœur lui en dit. Assumer, revendiquer sa créativité et son mode d'expression. J.F. B. - Il faut supprimer cette idée que l'on s'excuse presque de danser. Il faut oser parler en son nom, donner sa vision personnelle, son monde propre. C'est une proposition du réel que chacun peut faire parmi tant d'autres. C'est la seule qu'il puisse montrer en son nom propre parce que c'est impossible autrement. Il faut en finir avec l'excuse de l'artiste fou ou inconscient. Tout homme qui essaie de danser, peindre, … ne peut qu'assumer ce qu'il fait et ne montrer que ce corps là qui est le sien sous la totale maîtrise des sens. Quel est l'endroit privilégié choisi pour construire ce monde qui m'attend ? Ainsi sommes-nous devant le réel, prêts à le "vivre pour nous", à le transgresser si on en ressent la nécessité pour en parler plus librement. Danser pour soi et/ou pour les autres ? N. B. - De même que l'édition implique un travail de fond dans la recherche d'une "perfection" écrite, qu'une exposition nécessite du sens, le spectacle de danse est un prétexte à une expression plus élaborée, justifiée. … sans lequel l'artiste s'enfermerait dans l'autisme.( J.F. B.) N. B. - L'expression artistique, quelle qu'elle soit, pourrait-elle se satisfaire de son existence en vase clos ? Elle interroge l'auteur, l'interprète et ne se grandit-elle pas, ne se construit-elle pas non plus si elle interroge l'autre ? Conclusion J.F. B. - Aujourd'hui plus que jamais, notre quotidien s'est rempli d'une utopie futuriste. On nous parle d'un monde au-delà du nôtre, d'une possible odyssée de l'espace à la découverte d'autres civilisations. Nous rêvons… *Vaslav NIJINSKY ( Kiev 1890. Londres 1950 ) est l'un des danseurs chorégraphes les plus importants du début du vingtième siècle. Ses contemporains disaient de lui que lorsqu'il sautait, il restait quelques longs instants suspendus avant de retomber sur le sol. On parle d'un bond prodigieux qu'il effectuait pendant le spectacle "Le spectre de la rose" en 1911 dans les Ballets Russes. Aujourd'hui il est devenu une véritable
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