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Modernisez votre enseignement par les techniques de la Coopérative de l'Enseignement Laïc

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Avril 1945

Jeunes éducateurs, moderniser votre enseignement est une nécessité urgente :
a)    Parce que, pour reconstruire la France, il nous faut des méthodes de travail efficientes, qui stimulent et vi­rilisent les individus au lieu de les dé­goûter prématurément de tout effort.
b)    Parce que l'ouvrier est content lorsqu'il travaille avec de bons outils, sur du terrain et avec des matériaux qui rendent, et s'il sent toute l'utilité de son effort.
Selon nos méthodes, vous n'aurez pas moins de travail, vous en aurez peut- être davantage parfois, mais vous au­rez: enfin un travail vivant, qui n'usera pas vos nerfs, n'excédera pas votre patience, ne vous obligera pas à vous réfugier dans la routine — qui main­tiendra votre bonne humeur et justi­fiera votre joie et votre activité.
Les éducateurs qui ont connu le tra­vail vivant et joyeux auquel nous désirons vous initier ne retournent jamais plus aux techniques de passivité et de mort de l'ancienne école.
Nous ne vous donnerons dans ce ra­pide résumé, aucune justification théo­rique, qu'elle soit psychologique, pédagogique et sociale. Vous trouverez tout cela dans les livres ou revues que nous vous recommandons.
Nous nous contentons de vous donner quelques conseils essentiels pour que vous vous mettiez immédiatement au travail nouveau. Quand vous aurez goû­té aux satisfactions, aux possibilités, aux joies qu'il réserve, nous savons que vous irez toujours plus avant.
 
Premier conseil :
Jeune éducateur, supprime l'estrade dans ta classe. Tu en feras ce que tu voudras. Je l'avais transformée, moi, en table d'imprimerie. Tu seras désor­mais au niveau des élèves, au milieu d'eux et  tu comprendras mieux l'at­mosphère nouvelle du travail.
Tu as fait du sport : celui qui com­mande n'est pas le monsieur qui arrive avec faux-col et chapeau et qui se con­tente de commander, de réprimander et de punir, mais celui qui fait partie de l'équipe et en est l'élément le plus actif et le plus dynamique.

Tombe la veste, prends l'outil, à mê­me le travail des enfants. Vis avec eux. Si le travail qu'ils font ne t'inté­resse pas, comment veux-tu qu'ils s'y intéressent eux-mêmes ? Il faudra en changer. Si tu n'y réussis pas, comment veux-tu qu'ils y réussissent ? Tu seras indulgent et tu auras mieux conscience de la nécessité de changer les outils. Tu travailleras et tu chercheras avec tes gosses pour ces améliorations.
L'autorité, la discipline! penseras-tu peut-être. Pauvre autorité et pauvre discipline qui ne se maintiennent que par la peur du maître, que par le faux prestige, la menace ou la punition ! Il y a une autre discipline, celle du travail et de la vie dans ta classe. Si tu es un bon ouvrier, le meilleur ouvrier de la classe, tu seras estimé, respecté et obéi. Il n'y a jamais d'exception à cette loi générale.
Pour les détails de la discipline, tu feras comme tous les travailleurs, tu défendras ta dignité. Te donnant tout entier, respectant les enfants, les ai­dant, tu n'accepteras jamais qu'ils ne te respectent pas ou qu'ils ne t'aident pas.
Mais ne t'en fais pas : les éléments les plus turbulents, ceux que tu ne sais parfois pas comment prendre, les plus terribles, donne-leur un travail qui les intéresse, passionne-les, passionnez-vous ensemble à une œuvre qui vous domine, et tu verras comme ils seront transfor­més.
Organise ton école et ton travail, vi­vant à même les enfants. Tu auras de la discipline et la meilleure des disci­plines.
 
Deuxième conseil :
Constitue une coopérative scolaire; Même si tu n'as pas des statuts modè­les. Réunis tes élèves. Passe-leur la plus grande part possible des responsabili­tés : organisation et propreté de la clas­se — travail — ordre et discipline — achats — gestion financière. Fais nom­mer un bureau actif. Tu les aideras. Mais ils auront conscience qu'une vie nouvelle commence pour eux.
Fais gérer par la coopérative le jar­din scolaire, le clapier, si vous en avez un. Fais-lui organiser les promenades et les visites.
 
  Troisième conseil ;
Rédigez un journal scolaire. L'idée emballe toujours tout le monde, maî­tres et élèves. Lorsqu'on a une coopé­rative surtout, on aime avoir son jour­nal.
Comment le réaliser ? Voilà.
Il faut habituer tes élèves à la prati­que du texte libre, qui est l'expression de la vie de la classe dans son milieu normal. Cette pratique est aujourd'hui officiellement recommandée, comme l'organisation de la coopérative d'ail­leurs. Ne crains rien.
A l'arrivée en classe, le matin :
Si tu as une petite classe, tu laisses parler tes enfants et tu distingues dans le tas d'histoires qui te sont offertes celle qui semble le mieux exprimer le souci dominant des enfants. Tu l'écris au tableau, en français parfait, mais en changeant le moins possible à la pensée et à l'expression des auteurs.
Dans les autres classes : de très bon­ne heure, tu laisses tes enfants écrire leurs textes. Et le matin, chaque au­teur vient lire son texte à ses camara­des. On choisit par vote le texte qui répond le mieux aux préoccupations de la classe.
Ce texte est écrit au tableau, en fran­çais parfait, en changeant le moins possible à l'expression initiale.
Tu donnes à chaque élève un cahier spécial qui sera le journal du mois. Tu en fais tenir même deux à tes meilleurs élèves car il te faudra des exemplaires pour la correspondance. Les textes sont reproduits sur le journal, soigneuse­ment, illustrés, coloriés, bien présentés, pour qu'ils soient d'une lecture facile et vivante.
A, la fin du mois, vous mettrez un titre décoré sur la couverture. Vous avez votre journal scolaire.
Dès que tu le pourras ensuite, en oc­tobre peut-être, tu achèteras : un appa­reil à polycopie, un limographe, ou mieux une imprimerie, avec lesquels ces textes seront tirés à 20. 40, 60, 100 exemplaires. Ce sera alors le vrai jour­nal. Mais n'attends pas : commence im­médiatement.
Et puis, demande-nous des correspon­dants. Tu seras intégré dans une équi­pe de six. Chaque fin de mois tu enver­ras donc cinq journaux scolaires. Mais tu recevras aussi cinq journaux scolai­res. Tu verras alors quel enthousiasme dans ta classe.
Tu seras, de plus, en relation plus particulière avec une école de ton équi­pe. Et tu échangeras avec elle non seu­lement le journal, mais des lettres, des photos, des colis. Tu m'en diras des nouvelles.
 
Quatrième conseil :
Laisse tes enfants dessiner librement. Il suffit que tu leur procures papier, crayons, couleurs. Et ce n'est pas tou­jours une petite affaire par les temps qui courent. Mais tu feras de ton mieux.
 
Cinquième conseil ;
Dès aujourd'hui commence la consti­tution de ton fichier scolaire coopératif. Découpe tous les documents que tu peux te procurer (textes, dessins, photos, etc.) aux formats 13,5 x 21 ou 21 x 27. Dès que le carton sera revenu, tu colle­ras ces documents sur fiches. Nous te donnerons des indications techniques pour le classement de ces documents. Avec ça tu feras tout de suite des le­çons d'histoire et de géographie vivan­tes, tu illustreras tes recherches de sciences ; tes élèves liront avec plaisir. Ils pourront aussi préparer des confé­rences dont je vais te parler.
Le F.S.C. est l'outil de travail essen­tiel de la classe de demain. En octobre tu pourras acheter à la C.E.L. des cen­taines de fiches toutes prêtes qui enri­chiront ta collection.
 
Sixième conseil :
Prépare des fichiers autocorrectifs. Au lieu de donner des calculs et des problèmes à tes élèves, de leur donner les problèmes les mêmes pour toute une division, découpe dans un livre, dans un livre du maître si possible, les demandes, les énoncés et les réponses. Tu colles les demandes sur un carton d'une couleur, les réponses sur une fiche d'une autre couleur. Tu places dans deux boîtes de craie différentes deman­des et réponses. Les enfants vont pren­dre la demande, font le travail, puis vont vérifier sur la réponse. Ils aiment énormément cette activité, chacun y travaille à son rythme, et toi tu n'as plus qu'à les regarder travailler (dès que tu as constitué les fichiers).
Tu peux avoir un fichier A C addi­tion-soustraction (livrable à la C.E.L. en octobre) — multiplication-division (id.) C. P. — C. M. — C. E. P. (livra­ble à la C.E.L.). Un fichier de gram­maire, d'algèbre, etc....
Tu peux y aller. Tu n'auras pas de désillusion.
 
Septième conseil ;
Constitue ta bibliothèque de travail. Mets sur un rayon spécial les livres, les brochures qui servent aussi pour le tra­vail documentaire de» enfants. Tu enri­chiras ensuite cette B. T. par l'achat des livres édités par la C.E.L.
 
Huitième conseil ;
Habitue tes élèves à la pratique de la conférence, qu'ils préparent sur un su­jet de leur choix, avec les documents du fichier et de la B. T. Ils lisent ensuite leur conférence à tous les élèves. Tu verras le résultat.
 
Neuvième conseil :
Pense à l'activité manuelle des en­fants. Organise dans ta classe, ou au­tour, des ateliers de travail selon le mi­lieu et tes possibilités : couture, menui­serie, découpage du contreplaqué, gra­vure du lino, travaux des champs, etc...
Je n'en dis pas plus long. Quand tu auras essayé de ces réalisations immé­diatement possibles, et que tu en auras senti les avantages, quand tu seras, par le travail nouveau, entré en rela­tions avec d'autres écoles lancées sur la même piste, je sais que tu adhéreras à. la Coopérative de l'Enseignement laïc, que tu liras notre reçue l'Educateur qui est la revue de 'travail du groupe, et que tu auras entre les mains tous les documents édités par notre C.E.L.
Il t'arrivera, certes, parfois, de ne pas réussir totalement. Nous en som­mes tous là. Et c'est pour mieux réus­sir que nous unissons nos efforts et que nous te convions à entrer dans la ron­de fraternelle des éducateurs du peu­ple qui, excédés des recommandations théoriques, ont pris en mains eux- mêmes la régénération de l'Ecole du peuplé, qui sera en même temps, tu peux en être assuré, la régénération des éducateurs.
Les anciens de notre groupe qui sont toujours là, t'aideront pour que, tous ensemble, les jeunes, vous continuiez leur œuvre.
C. FREINET.
P.-S. — Les techniques de la C.E.L. prennent chaque jour une allure plus officielle. Elles vous permettent d'ail­leurs de plus efficaces résultats scolai­res, sans négliger les succès aux exa­mens. Mais une ère nouvelle s'annonce heureusement où le bon instituteur n'est plus le fonctionnaire bureaucratique et passif, mais l'entraîneur et le réalisa­teur.