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Petersen et Freinet. Le Plan d’Iéna et l’École Moderne,

Broersma Rouke, Velthausz Freek, Éditions les Amis de Freinet, Mayenne, 2011, 121 p, 9 €.

Olivier Francomme, juin 2011, Notes de lecture
 
Parmi les amitiés pédagogiques de C. Freinet, il y a eu Peterson, un enseignant universitaire, qui a mené une expérience pédagogique dans une école expérimentale à Iéna en Allemagne (ex RDA), et avec lequel il est resté en contact pendant près de 30 ans, de 1922 à 1952.
Une chose manque à cet ouvrage, une bibliographie, générale, qui aurait permis de situer certaines sources difficiles à localiser. En revanche, la reproduction et la traduction intégrale des documents dans le livre, nous permet une approche plus approfondie et plus critique de cette histoire singulière.
Sur le site des amis de Freinet, il existe un dossier complémentaire consacré au livre.
Prologue (p 4)
Le prologue permet une première approche de « la position de basse commune » entre la pédagogie Freinet et la pédagogie du Plan d’Iéna.
Chapitre 1 : Tableau historique (p 10)
Les deux biographies déroulées de manière synchronique montrent à la fois les parcours des deux pédagogues et leur inscription dans l’histoire politique de l’Europe. Leur première rencontre eut lieu à Hambourg, puis la seconde à Locarno, au congrès de l’éducation nouvelle en 1927 et une troisième fois à Vence où Petersen vint rendre visite à Freinet. Les deux pédagogues auront maille à partir avec leur parti communiste réciproque !
Chapitre 2 : Le dossier Freinet aux archives Peter Peterson (p 17)
Une personne a permis de reconstituer les liens entre Freinet et Peterson, il s’agit de Hans Jörg, universitaire allemand, qui était un ami commun et fidèle.
Chapitre 3 : Trois rencontres entre Petersen et Freinet (p 23)
1-La première rencontre fut lors de la visite de Freinet dans les écoles de Hambourg en 1922, alors qu’il était encore un enseignant débutant. Ils partageaient tous deux la nécessité de refonder l’école, de rebâtir l’Europe, même s’ils ne partageaient pas la même sensibilité politique (Peterson était un conservateur évangélique, et Freinet un anarcho-socialiste !).
2-la seconde rencontre eut lieu à Locarno en Suisse en 1927, pour le congrès de la ligue internationale pour l’éducation nouvelle (LIEN), fondée par A. Ferrière. C’est aussi là que Freinet a rencontré de grands pédagogues : Dewey, Decroly, Ferrière, Montessori, Parkhurst.
3-La troisième rencontre eut lieu à Saint Paul en 1932, mais on n’a pas de trace, sinon le souvenir d’un compagnon de Freinet : Lallemand.
Chapitre 4 : Première rencontre entre le Plan d’Iéna et l’Ecole Moderne (p 32)
L’éducateur prolétarien, revue internationale du mouvement Freinet, a eu un rôle important dans les relations entre Freinet et Peterson. H Bourguignon, responsable des relations internationales, a traduit un article allemand : « Le travail par groupes. Le Plan d’Iéna. » Cet article relatait une organisation de l’école qu’on appellerait aujourd’hui « par cycle », par des groupes mixtes. Les groupes travaillaient selon leurs préoccupations : issues du monde familier pour les plus jeunes, puis du monde élargi, pour atteindre le monde et l’univers pour les plus âgés. (p 35) Au sein de ces groupes, le travail est libre, le rôle du maître est d’accompagner les élèves. Au sein des groupes, on pratique l’entraide mutuelle.
H Bourguignon a orchestré les échanges de lettres, de compte rendus d’expériences, d’outils, dont il ne reste malheureusement pas de trace aujourd’hui.
Chapitre 5 : Le plan d’Iéna et Hambourg. (p 43)
Les évènements politiques s’accélèrent : en 1933 Peterson envoie une contribution pour l’Educateur Prolétarien (c’est aussi la prise de pouvoir d’Hitler). Peterson est conscient de ses affinités avec les écoles novatrices de Hambourg, dont le modèle était transférable à toutes les écoles publiques (p 46). Leur visée était la reconstruction de l’Europe ; ses idées étaient comparables à celles de Freinet : épanouissement intellectuel, importance du travail, capacité d’auto-correction,…
Ce chapitre livre le texte de l’article de Peterson publié dans l’Educateur Prolétarien : présentation de l’expérimentation allemande. L’école de l’université d’Iéna est libre / indépendante, elle a pour vocation de mener des études scientifiques (en sociologie de l’enfance), dans la continuité des écoles communautaires de Hambourg. Elle fonctionne dans le même esprit que les Ecoles Nouvelles (Angleterre, Allemagne, Autriche, Suisse), précurseurs de l’Education Nouvelle. Beaucoup de paradigmes pédagogiques sont affirmés : éducabilité, cadre, liberté, physiologie,… (abolition de la hiérarchie = enfants de même nature que l’homme) il fournit aussi un certain nombre de résultats : groupe de travail maximum : 6 élèves. Groupe classe, taille maximale : 15
Chapitre 6 : Séjour d’école et atelier d’école (p 55)
Entre Freinet et Petersen, il y a des différences : pour l’un une démocratie comprise, pour l’autre l’autogestion. Ce sont deux points de vue différents sur le leadership de la communauté (communauté chez Petersen, société chez Freinet). Pour Petersen, la communauté est supérieure à la société, c’est un organisme vivant et irremplaçable, alors qu’une société est temporaire et remplaçable. Pourtant l’école fait partie des processus historiques et sociaux (vision marxiste).
Chez Petersen, chaque group a sa propre salle / pièce, il est opposé à la taylorisation, au travail posté. Le chapitre comprend le texte du second article de Petersen : « l’enseignant et ses rapports avec l’instinct de socialisation de l’enfant ». La salle de travail est aussi celle de la vie sociale. L’article décrit le fonctionnement des groupes et des sous groupes (ou groupes de projet). La semaine commence par une assemblée de l’école (qui est une fête). Il y a 4 formes de l’activité humaine adaptée à l’éducation : la causerie, le jeu, le travail , et la fête. Dans le plan d’Iéna, il n’y a pas d’examens de passage, ni de certificat. La progression dans les cours est individuelle, le concours des parents est important, ils peuvent assister, et/ou participer.
Petersen fait référence à FW Dörpfeld, un des plus grands pédagogues allemands du XIX° siècle.
Chapitre 7 : Les ponts ont été tragiquement coupés. (p 68)
En 1933, le contexte international est pessimiste : gouvernement dictatorial en Allemagne, en Angleterre une situation éducative dégradée, l’Autriche se fascise, et en Espagne le fascisme gagne du terrain. L’unique brin d’espoir vient de l’URSS, avec Makarenko, mais la dictature de Staline commence à être perceptible.
Dans la revue pédagogique internationale en Allemagne, à partir de 1933-1934, on voit la mainmise nazie : « éducation nationale en fonction du sol et du sang ». Petersen sera adopté comme pédagogue en justification à la (pseudo) tolérance.
Chapitre 8 : Les contacts renouvelés. (p 75)
Durant les années Hitler, l’école du plan d’Iéna n’a pas été fermée, mais a subi les influences du régime nazi. Petersen a refusé d’adhérer au NSDAP (jeunesse de Hitler) et on lui refuse de faire la formation abrégée des institutrices d’école maternelle. Petersen a suivi certains aspects populaires du nazisme (éduquer les enfants à la véritable communauté populaire,…)
En 1947, le contact est renoué avec l’ICEM par l’intermédiaire de Rauh, instituteur allemand, qui a introduit les techniques Freinet (dont l’imprimerie). Petersen est invité au congrès de Nancy en 1950, mais il n’aura pas l’autorisation de s’y rendre.
Chapitre 9 : La distance entre Iéna et Nancy (p 92)
Freinet a essayé, par de nombreux courriers, à faire venir Petersen au congrès de Nancy en 1950, dont le thème était : la presse enfantine. Il aura même tenté de faire jouer son réseau diplomatique. La présence de Petersen aurait montré la dimension internationale du mouvement Freinet. De plus, c’était l’occasion de relancer la presse enfantine. Cela aurait été aussi un succès politique que Freinet espérait pour le renforcer au sein du parti communiste où il était jugé marginal (pour lui, l’intérêt de l’enfant est plus important que l’orthodoxie du parti… Freinet apparaissait comme trop libertaire, trop socialiste.).
De son côté, Petersen ne pouvait pas venir, parce qu’il n’était pas possible de se rendre dans les pays qui ne reconnaissaient pas les pays de la zone russe. L’école du Plan d’Iéna se portait bien, mais Petersen était à la veille de se faire démettre de ses fonctions. L’école s’arrêtera le 11 août 1950 pour des raisons politiques. Dans ce sens, les rapports des 2 pédagogues avec le parti communiste et les staliniens ont eu des similitudes, y compris dans leur inéluctable rupture.
Epilogue (p 106)
Si le mouvement de l’Ecole Moderne a survécu à son fondateur, aujourd’hui il existe environ 40 écoles du Plan d’Iéna, et dans les statuts des nouvelles, il n’est plus fait mention de Petersen. Mais il est inscrit dans l’histoire, et ce livre en témoigne.
Quelle est la vision commune Freinet – Petersen ?
Ces deux pédagogies sont nées d’un contexte historique similaire, dans un idéal pacifiste et de reconstruction de l’Europe. Il y a beaucoup d’éléments communs : une communauté scolaire élargie aux parents, un fonctionnement démocratique, la pratique du conseil, le fonctionnement en cycles, l’organisation par ateliers, la coopérative, le travail vrai / utile (production), le conseil d’école, l’apprentissage vivant, l’auto-contrôle, le plan de travail personnel, l’harmonisation entre la théorie et la pratique…
Postface de Philippe Meirieu
Le patrimoine éducatif fait partie de notre histoire commune… L’absence de reconnaissance de la pédagogie conduit à la naturalisation des pratiques éducatives.
Les échanges entre ces deux pédagogues montrent le renoncement au conformisme et au laisser aller, intellectuels.
Ils ont développé les processus complexes de l’acte pédagogique, toujours confronté à des tensions paradoxales (paraconsistantes ?) : formalisation structurée et tâtonnement expérimental, liberté d’apprendre et organisation structurée,…
Aujourd’hui encore, comme eux, nous sommes soumis à la récupération politique de l’enseignement : dépistage précoce des inadaptés, … face à laquelle nous devons rester vigilants.
Et au delà d’un récit, ce livre retrace l’histoire d’une véritable amitié entre deux hommes, qui ne se ressemblaient pas tant que ça…