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Avril 2004

 


 

CréAtions 111-  L'atelier de peinture - publié en mars-avril 2004
Edito 

Edito: Accéder au savoir laïque

Alors que l’activité artistique est inexistante dans la plupart des lycées, livrée de manière implicite à l’appréciation des enseignants du primaire (l’enseignant se sent concerné ou pas), voici qu’à partir de la rentrée prochaine elle s’éparpille en spécialités mises en concurrence en 3e de collège !

Or, à l’heure où de nombreuses pratiques artistiques s’éloignent des chapelles, de l’académisme et de la technicité pour fréquenter les territoires du métissage et/ou des pratiques globalisantes, on peut s’interroger sur les conséquences d’une telle volonté. N’aura-t-elle pas pour effet d’émietter encore plus la portée de cet enseignement, de l’envisager comme un simple sas de décompression, un divertissement destiné à mieux faire accepter les savoirs dits scolaires, ceux qui sont souvent perçus comme rébarbatifs, ceux dont il est trop admis aussi que l’apprentissage ne peut pas évoluer.

Mais “ Pas d’enseignants spécialisés en cirque, en bruitage, en théâtre, en cinéma… Qui viendra assurer ces heures ? ” s'interroge le collectif des enseignements artistiques. Des intervenants extérieurs, des animateurs choisis par les pouvoirs locaux, chefs d’établissement,etc. pour la plupart pas formés à l'enseignement de ces disciplines.

Et le collectif de rajouter : “ Qui opèrera ces choix ? Les élèves auront-ils réellement la possibilité de choisir et sur quels critères ? ”. Comment peut-on penser former à la liberté de penser, à la liberté de conscience, à l’esprit critique, bases de laïcité, en émiettant les domaines dans lesquels s’exercent et se confrontent les formes d’expression ?

Ne voit-on pas qu'il s'agit d'augmenter la part structurelle de travailleurs précaires dans l'éducation ? Ne voit-on pas, aussi, qu'il s'agit, d'externaliser une partie des enseignements ? Comment ne pas mettre en relation ces projets avec la préoccupation du gouvernement d'introduire la bivalence mais seulement à des fins d'économie, hors toute préoccupation éducative et d'exigence scientifique, bivalence qui permettrait de combler les horaires des enseignants en sous service dans leur discipline de base, voire, argument démagogique, de leur permettre de “ faire passer leur passion ” ?. Ne voit-on pas, enfin qu'il s'agit de diviser les personnels en multipliant les statuts afin de mieux affaiblir le système public laïque d'éducation ?

Les décideurs ne veulent pas du partage du savoir ni celui de la connaissance. Au contraire, ce sont les valeurs de compétitivité et de technicité que la République a préféré développer dans l'éducation. Comment s'étonner, dès lors, de ce qui se passe sur le versant de la laïcité réduite à une loi sur le voile islamique ? Qu’a t-on fait, toutes ces années, pour promouvoir les pratiques pédagogiques et les contenus d’un projet politique et philosophique émancipateur auquel notre jeunesse a droit pour lutter contre les endoctrinements, l’obscurantisme ?

En même temps que l’accentuation des disparités entre les établissements et entre les élèves que ces offres vont entraîner (on ne fera pas de tout partout), on continue à asséner des injonctions du genre “ l’école doit apprendre à lire, écrire et compter ”, injonctions dictées depuis le XIXe siècle, sans donner leur place à des savoirs importants aujourd’hui comme l’analyse des images, ces images dont on se plaît, avec fatalisme, à remarquer l’influence “néfaste”...

On note jusqu’à présent quelques réactions timides dans les syndicats hormis la montée au créneau, isolée, de collectifs d'enseignants spécialisés. Or l'enjeu n'est pas corporatiste et disciplinaire ! L'enjeu concerne la place de la création à l'école et dépasse, donc, la question de l'enseignement des arts. C'est une conception de l'éducation, de ses finalités, sur lesquelles il s'agit de se battre.

Corinne Marlot dans l’article “ l’atelier de peinture libre ” parle de l’atelier comme celui où s’opère la dynamique de diffusion d’idées, de connaissances et de savoirs dans la classe.

Danielle Maltret insiste sur le va-et-vient entre la pratique, l’échange et le questionnement garants de l’enrichissement de la production.

Pour Laurine Rousse , l’apprentissage du “ regard singulier ”, s’il passe par “ peindre à la manière de Poliakoff ”, n’a pas pour but l’uniformisation, l’imitation ou le ludique, mais la construction d’outils d’appropriation utilisables dans “ l’atelier d’expression libre ”.

Par ses fonctions opératoires “ représentation, transformation, association, isolation ” et par son “ faire ”, la pratique artistique est pratique de la critique, bien loin de la tradition scolaire d’accumulation et d’aveuglement, ce qui explique peut-être le peu de place que Jules Ferry lui a faite. Conçue comme pratique de la création elle est un des principes de rupture majeur de l’école nouvelle, son apprentissage consistant à prendre garde de ne pas figer l’objet d’expérimentation pour en préserver la qualité de transmutation, attitude caractéristique du tâtonnement expérimental.

Ainsi, la peinture est “ la quête de l’innommé ” et l’atelier de peinture le lieu de cette alchimie laïque où se questionne le monde et se construit le savoir. Se forgent ainsi des attitudes d'apprentissage où se lovent toutes ces promesses de l’expérimentation et de la recherche qui font les êtres libres.

CréAtions


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