Le pinsé
On est en plein quoi d'neuf, l'animateur vient de donner la parole à Malwenn qui, depuis l'entrée en classe, traîne un gros sac plastique bien lourd.
«Je vous ai apporté des trucs que j'ai ramassés sur la plage.»
L'aventure du pinsé venait de commencer.
En effet de son sac, Malwenn a sorti pêle-mêle: une cannette métallique cabossée, un morceau de filet de pêche, une poignée de bouchons multicolores, du bois flotté, des coquillages, un vieux bidon, des gants de manutention…, même une boule de pétrole bien dure! Un trésor de «laisses de mer”, «pinsé» en breton.
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Après de multiples échanges (la magie du quoi d'neuf!): «berk, les pollueurs!» ; «bravo les marins!»; «regarde le gant on dirait un punk!»; «avec les deux berniques sur le bidon, on fait un vieux ronchon», etc, je demandai la parole à mon tour, et proposai de prendre contact avec un artiste local qui travaille à partir des laisses de mer, Jean Jacques Petton, afin qu'il nous initie à son travail: enthousiasme communicatif, certains enfants ayant vu ses expositions. Deux années plus tôt, par l'entremise d'un parent d'élève de l'école, Jean-Jacques Petton, initiateur du courant artistique du pinsé dans le Nord Finistère, avait, dans le cadre des Grands Ateliers du samedi, participé à un atelier pinsé.
Contact fut pris: la classe à Projet Artistique et Culturel commençait à voir le jour.
L'année suivante tout était en place, le cadre réglementaire posait ses exigences mais finançait le projet dans son intégralité!
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Une première rencontre est organisée sur le lieu de travail de l'artiste, à Lampaul Plouarzel. Au menu, une petite exposition et des éléments sur la démarche de l'artiste: tout matériau rejeté par la mer est bon à prendre mais à condition que la mer l'ait «travaillé»: poli, râpé, cabossé, déchiré, fendu, etc., ensuite place à l'inspiration, qu'elle soit le fruit de la spontanéité ou d'une réflexion intense. Souvent les matériaux décident!
Puis vient la visite de la caverne d'Ali Baba: le hangar, ouvrant sur la plage et la mer d'Iroise, servant à la fois d'atelier d'artiste et de lieu de stockage, un bazar... organisé! on y aurait passé des heures, à fouiner tout en écoutant Jean-Jacques raconter, dans un mélange détonant, sa vie et son œuvre: l'émerveillement était sans fin.
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Mais le plus dur nous attendait. Nous avions en classe défini deux objectifs: ramasser des matériaux sur les deux plages proches mais aussi les nettoyer. Plusieurs gros sacs n'y suffirent pas! Quel boulot, une fois rentrés à l'école, pour trier tout ça, et quelle bonne odeur iodée dans les couloirs!
La récolte dura plusieurs semaines encore. Les familles étant mises à contribution lors des week-ends, les lundis matins étaient animés des trouvailles des uns et des autres. Notre salle atelier prenait elle aussi des airs de caverne d'Ali Baba : on trouve de tout sur les plages bretonnes!
Du coup chacun repérait, mettait de côté, passait commande. Antoine, ramasseur d'une belle et grande branche, stockait tout ce qui était bois, Jérôme ne ramassait que des objets métalliques bien rouillés, d'autres étaient attirés par les couleurs laiteuses du verre poli ou par celles, plus vives et fluo, des plastiques.
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Et chacun de réfléchir: un tableau? une structure en volume? un totem? ou tout à la fois?
C'était bien compliqué déjà, mais pas assez encore sans doute. Débarque (c'est le cas de le dire) dans notre classe, un beau jour, Gilles, scientifique-explorateur-écologiste, habitué des lieux, avec une proposition qui ne se refuse pas.
Il partait en effet bientôt, en famille, à bord d’un voilier à balancier, pour un périple de plusieurs mois à destination de Madagascar et nous proposait de communiquer tout au long de son voyage par internet. Il voulait nous associer à un projet de sensibilisation à la protection d'espèces menacées (tortues marines) et au développement durable. Intéressé par notre projet pinsé (qui ne passait pas inaperçu en classe), et surtout par la réflexion engagée sur la pollution marine, il s'engagea à nous expédier, de chaque lieu d'escale, des laisses de mer.
C'est ainsi que nous reçûmes régulièrement des colis odorants, de Sicile, de Crète, d'Egypte ou de Djibouti jusqu'à ce que son voyage soit sérieusement perturbé par une attaque de pirates en Mer Rouge.
Le déballage des colis était moins exotique: les déchets des côtes méditerranéennes et africaines ressemblaient fortement aux nôtres! seuls les caractères imprimés différaient parfois: briques de lait en caractères cyrilliques, cannettes en caractères arabes qu'on s'est escrimé à déchiffrer!
Toujours est-il que la matière s'accumulait, au grand dam du personnel de service.
Il était grand temps de concrétiser.
Les séquences collectives succédaient aux moments plus informels, ponctuées par les visites de Jean-Jacques Petton qui s'informait régulièrement de l'avancée de nos travaux, discutant les choix des uns, ajustant un clou pour les autres.
Les choix, les échanges de matériaux furent âprement discutés mais toujours dans un esprit coopératif. Les manipulations en tout genre, du plus petit bouchon de plastique à la branche polie géante qui manquait d'éborgner au passage, en passant par les kilos d'une chaîne rouillée, le tâtonnement dans leur utilisation, créaient une agitation permanente. Coups de marteaux, bruits de visseuse, malaxage du mastic, «dégoulinures» de colle, rien ne nous fut épargné. Même pas la séance soudure grâce au savoir faire d'Henri, ancien parent d’élève, irremplaçable!
Et au final une exposition à faire pâlir les «pros». De la tendresse, de la tristesse, de la poésie, de l'humour, chacun y avait mis une petite partie de lui-même.
Gilles ne fut pas oublié : plusieurs enfants ont collaboré à la réalisation du tableau: «Les pirates de la Mer Rouge», composé exclusivement des déchets qu'il nous avait expédiés!
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