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Mars 2006
 

Ecole en fêtes- CréAtions N°117
Publication en mai juin 2005


Fanny Carré, étudiante Carrières sociales,Talence (Gironde) - enseignante : SimoneCixous

 

La boîte à mots

Mise en boîte

 

"Les mots sont comme des cailloux, les fragments d’un minerai qu’il faut casser pour libérer leur respiration. Tout un livre peut provenir d’un seul mot brisé." dit Valère Novarina.

Ce n’est pas un livre mais une boite en métal (15/12/8), neutre comme une boite à instruments médicaux, que Fanny investit de ses mots, pour elle "clé de bien des Maux".

Mettre en boite ce qui nous est précieux n’a rien à voir bien sûr avec l’expression familière qui signifie se moquer de quelqu’un, même si quelques «boites à malice» surprennent parfois qui les ouvre par leur contenu saugrenu ou bizarre.
Des boites à usages multiples jalonnent les parcours de l’art: musée portatif, vitrine, espace à tiroirs secrets, la boite se substitue au livre comme lieu d’une mise en scène intime, comme espace confidentiel où les objets rassemblés, en apparence hétéroclites, racontent une histoire à partager.
 
 

 

 

Voici, pour mémoire, quelques unes des boites de Marcel Duchamp :
- La boite de 1914, première d’une longue série, nomment les sources littéraires et formelles de l’art de Duchamp ;
- La boite verte, 1934, contient les fac-similés de notes manuscrites et d’œuvres, une reproduction en couleur sous verre "neuf moules Mâlic" ;
- La boite en valise, boite à tirettes en carton de facture artisanale et poétique est un petit musée portatif, contenant des répliques miniatures d’œuvres.
 

Celles de Joseph Cornell, proche des surréalistes, sont des boites vitrines qui rassemblent des bribes du quotidien, adresses, bouts de bois, sable, objets d’origine onirique, comme autant de paysages intérieurs.

 

Un bric-à-brac de mots


Dans la boite de Fanny, un bric-à-brac de lettres d’abord, qui donne à la fois le ton de la confidence, et du jeu de la découverte. Ordre des lettres qui classent et désordre dans leur format, leur forme même: elles se métamorphosent en bateaux, ancre de navire, ou pull marin, les mots voyagent au gré des pliages…


"Des jeux de mots, des mots tendres, des mots forts, des mots pour rien, des mots tristes, des mots fous, des mots étranges, des mots touchants, de beaux mots. Bref, des mots qui viennent se coller à moi. Cette œuvre est un petit résumé de moi, entre gaîté et dure sensibilité. Vous y trouverez un bric-à-brac de mots et les silences entre chacun d’eux".


 

 

Extraits de la boite

Voici deux textes aux couleurs des mots de Fanny :
gravité et fantaisie.
 
 
L’emprise des mots
 
Elle avait démarré tout à coup, je ne m’y attendais pas. L’instant ne s’y prêtait pas et pourtant elle avait démarré. Comme si elle gardait en elle des milliards de paroles qui ne demandaient qu’à être évacuées. Son visage s’était plissé et les mots avaient commencé à sortir de sa grande bouche molle. Elle jetait les mots censés m’atteindre, comme de petites pierres. Plus il en sortait de sa grande bouche, plus son visage se froissait. Ses yeux étaient devenus un amas de plis, ses lèvres se resserraient autour du flot de phrases qui s’intensifiait.
Elle avait gardé en elle trop de mots, ça débordait.
Après sa bouche, c’étaient les yeux qui se libéraient d’un flot de phrases. Les mots sortaient avec violence et déformaient ce qu’il restait d’humain en elle. Elle ne se ressemblait plus. Elle était devenue un être étrange, envahi de paroles non maîtrisables. Je ne voyais que ses deux grands yeux vides et le mouvement de sa mâchoire, postillonnant la haine des mots vers moi.
Ses phrases s’étaient préparées à l’intérieur, elle les avait ruminées et lorsqu’elles furent prêtes, une fois qu’il y eut trop de mots, elle n’avait pu se retenir de les cracher.
Devenue la haine et les phrases à elle seule, elle s’était métamorphosée en un monstre bouillant. Comme les vers sur un cadavre, ses paroles s’échappaient de son regard, de son nez, de ses lèvres… La violence des mots l’atteignait plus que moi. Elle était la créature épouvantable que je n’avais jamais osé imaginer. Ses pierres se faisaient de plus en plus lourdes, ses mots s’affermissaient pour toucher plus fort.
Je fus soudain envahie d’un sentiment effroyable. Son désir de me lapider échouait, et pourtant j’avais peur. L’image composée sous mon regard me poignardait d’horreur. J’aurais dû parler. J’aurais dû l’arrêter. J’étais dénuée de force. Je me sentais incapable d’ordonner des phrases, les sons se refermaient en moi. Je restais face à elle, contemplant l’emprise des mots et l’imposition du silence.

 

Méditation sur les mots inutiles

Le monde des inventions présente : Méditation sur les mots inutiles.
A la suite d’une réflexion approfondie sur le dicton « mieux vaut choisir le silence plutôt que parler pour ne rien dire », l’idée d’un mécanisme unique retenant les mots inutiles s’imposa.
Un prototype est actuellement en cours d’élaboration et vise à être breveté prochainement : La Passoire à glotte

Schéma du mécanisme

Il s’agirait de placer un petit mécanisme filtrant sur la glotte. Il faut faire cesser l’idée que les mots sont fabriqués par la langue. Il faut remonter bien plus haut. Les mots sont élaborés en chaîne dans le cerveau, et le tapis roulant de la machine cérébrale les mène jusqu’au bout de la langue. Il faut donc impérativement filtrer les mots entre la cervelle et le bout de la langue. La glotte s’avère être l’endroit idéal.
La passoire à glotte peut être vidée telle une corbeille à papiers. Dans l’idéal, il est conseillé de la vider quatre fois par jour pour les bavards, deux fois pour les lunatiques du discours et une fois pour les autres. Les gens fâchés avec les mots n’auront évidemment pas besoin d’investir dans la passoire à glotte.

 

Entretien

La passoire à glotte est élaborée de façon à ce qu’elle ne s’oxyde pas. Il est bon de la nettoyer avec une goutte de produit à vaisselle une fois par semaine.
Attention !
La passoire à glotte ne convient pas aux enfants de moins de six ans. Il est très important de la poser dans le bon sens.

Fanny Carré

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