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L'inspecteur et l'enfant.

Octobre 1974

 

Dialogue authentique :
L'inspecteur et l'enfant
 
Voici un échange né spontanément entre Olivier (8 ans, 11 mois) élève d'une classe Freinet,et l'un des nombreux visiteurs qui passent. Mais celui-là était inspecteur. Olivier ne le savaitpas. Ce qui a sûrement permis plus d'authenticité. Entretien recueilli par Guy Bihel.

 

 

 

 

 

Renée, l'institutrice. — Olivier L. Explique-nous ta peinture sur laquelle tu travailles aujourd'hui !
Olivier. —C'est bien difficile de vous expliquer...mais je vais expliquer quand même... comme je peux.
L'Inspecteur. — Alors, explique-moi un peu !...
Olivier. —Vous voyez, cette fleur, je lui ai fait lacorolle en forme d'usine, voilà !...
L'Inspecteur. — Voilà !... Et puis ?...
Olivier. —C'est pour montrer que la pollution de l'usine tuera les vraies fleurs... Moi, ça, je sais pas bien l'expliquer... mais j'en suis sûr, moi... je le sens... c'est mal expliqué, mais vous, vous devez comprendre ce qu'elle veut dire, ma peinture, vous devez savoir l'expliquer, mais moi j'y arrive pas.
L'Inspecteur. — Pourquoi crois-tu qu'il faut la comprendre ta peinture ?... Tu sais, il ne faut pas trop vouloir comprendre les peintures... En général, plus il y a à comprendre, moins la peinture est réussie.
Olivier. —Il faut bien en comprendre un petit peu quand même !...
L'Inspecteur. — Ah oui, mais vois-tu... moi, ta peinture, elle me fait ouvrir ies yeux bien grands. J'essaie seulement de bien la regarder.,, de tout voir... de ne rien manquer,,.
Olivier. —Oui mais, là, ma peinture, vous compre­nez, elle est politique.
L'Inspecteur. — Ah ?!!..,
Olivier. - Ben oui ! L'usine qui pollue la nature, c'est politique.
L'Inspecteur. — Ah ! oui. D'un certain côté, l'usine c'est politique... Mais il n'y a pas que cela... Et puis il s'agit d'une certaine politique.
Olivier. —Ouais, bien sûr, c'est pas de la politique de la droite ou de la gauche...
L'Inspecteur. — Ah voilà... tu as raison... il ne s'agit pas de cette politique-là, celle d'un parti ou d'un journal.
Olivier. — Non !
L'Inspecteur. — Et dis-moi, qu'est-ce pour toi la politique ?
Olivier. —C'est se défendre... C'est défendre mon avis. Mon avis c'est que la nature, on la tue.
L'Inspecteur. — C'est bien cela. C'est défendre son avis. Mais encore, quand fait-on aussi de la politique ?
Olivier. —Partir presque tous les soirs aux réunions...ou bien aller voter... mais c'est pas la même.
L'Inspecteur. — Non, ce n'est pas la même politique, mais c'est aussi de la politique. Et en classe, fais-tu de la politique ?
Olivier {qui ne peut avoir saisi la portée de la ques­tion). —Oh ! Vous savez ! Ici, à part avec Jean ­Paul... y'a pas moyen de discuter !...
L'Inspecteur. — Quand, en classe, vous décidez d'une activité, que vous en discutez, vous vous préparez, dans une certaine mesure à la politique... Tu as fait beaucoup d'autres grandes peintures ?
Olivier. —Il y en a une pile en haut, dans l'appartement de Renée !
L'Inspecteur. — C'est bien. Continue
Olivier. —Il y a autre chose de politique dans ma peinture I
L'Inspecteur. — Quoi donc ?
Olivier. — Les étoiles !
L'Inspecteur (après un nouveau regard).
— Parce que ce sont des « étoiles de David » ?
- Et explique-moi pourquoi est-ce politique de peindre des étoiles de David ?
Olivier. —L'an dernier pour Noël 72, j'avais décoré ma lettre à mon correspondant du Liban avec des sapins et des étoiles comme ça, c'est plus facile à dessiner. Son maître a répondu qu'il ne fallait pas envoyer d'insigne politique... Nous, ici, on savait pas...
L'Inspecteur. — Voilà... Je comprends !. Eh bien I Mademoiselle je vais vous laisser...
Olivier. —Au fait, vous fumez ? Non ?
L'Inspecteur. — Oui, je fume, beaucoup trop ! Mais pourquoi me poses-tu cette question ?
Olivier. —Dès que vous êtes entré, j'ai senti l'odeur du tabac... Et puis c'est politique ça aussi !
L'Inspecteur. — Tu en es sûr ?
Olivier. —Oui, chaque cigarette raccourcit votre vie d'un quart d'heure !
L'Inspecteur. — Eh bien je ne vivrai pas vieux ! Pourrais-tu me dire pourquoi je fume encore en sachant cela ?
Olivier. —Vous fumez tellement que vous ne pouvez plus vous arrêter !...
L'Inspecteur (pensif). — Tu as certainement raison )
Olivier (brusquement, vers son père), — Eh ! On y va ? J'ai solfège moi !