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La nécessité de l'outil pédagogique

Octobre 1974

d'après Célestin Freinet

Comment procéder dans la classe, à l'école, au collège, au lycée, à l'Université, afin de parvenir aux changements nécessaires, ceux de la technique pédagogique, ceux de la connaissance des enfants et des adolescents, ceux des adultes eux-mêmes qui enseignent et animent les processus d'apprentissage à tous les niveaux ? Et comment parvenir en définitive, dans la globalité et l'unité de tous ces divers changements à changer la vie ?
L'école, elle, de tous temps a répondu :
« Il est bien exact, sans doute, qu'en forgeant on devient forgeron. Mais le chemin en est long, et lent, et empirique. C'est une voie incertaine et ceux qui s'y aventurent ne sont que des pragmatiques, en quelque sorte les rebouteux de l'enseignement, les marginaux entêtés qui refusent toujours le secours des sciences de l'éducation ! Prenez des livres et expliquez ! Démontrez avec logique ! Parlez et convainquez ! Rien ne peut remplacer la parole des maîtres, les leçons et les cours, sinon les divers enregistrements et montages que les moyens modernes de l'audiovisuel mettent à votre disposition ! Vous ferez ainsi l'économie de l'expérience et vous irez plus vite et plus loin dans la pratique sûre de la préparation « à la vie active ! » Ainsi loin de la vie, l'école peut-elle prétendre changer la vie ? Ainsi s'affirme encore quotidiennement l'intention plus ou moins avouée d'adapter l'enfant et l'adolescent à l'école et non l'inverse. Ainsi s'affirme la philosophie du « bon élève » qui ne doit rien à la recherche pédagogique mais dépend presque uniquement des normes qui régissent la société adulte. Le « bon élève » reçoit un savoir abstrait dont on lui dit qu'il en tirera plus tard un bénéfice certain, mais jamais il ne l'expérimente lui-même immédiatement.
Jamais, sauf dans le cas où l'école est bâtie de telle sorte que l'enfant et l'adolescent puissent y accomplir un vrai travail, y exercer en toute souveraineté leur droit à l'expérience ; sauf dans le cas où la salive a été remplacée par l'usage de techniques pédagogiques à base d'outils qui promeuvent, qui incitent, qui entretiennent une pratique socialisante, efficiente et profonde. Des outils liés à la vie affective et sensible de ceux qui tes utilisent, à tout leur comportement non seulement économique et social mais psychique aussi et même biologique.
Nous cherchons et réalisons ces outils qui déclenchent et nourrissent les processus du tâtonnement expérimental.
Si nous organisons la classe selon les normes coopératives de la gestion du travail, si nous utilisons l'imprimerie et l'échange par la correspondance de tout ce qui naît des diverses expressions de l'enfant et de l'adolescent, si nous profitons des avantages du travail autocorrectif et individualisé, si nous rassemblons une véritable bibliothèque de travail dans la classe ou dans l'établissement, si nous exigeons toutes les conditions qui permettent l'installation des divers ateliers de travaux pratiques d'observation, d'expérimentation, de réalisation et de participation, alors et seulement dans ces conditions lorsque l'école sera devenue chantier, l'enfant et l'adolescent font s'écrouler le mur de l'ennui et de la passivité qui fait d'eux des citoyens irresponsables. Alors, et seulement dans ces conditions l'enfant et l'adolescent ne se lassent jamais de chercher, de réaliser, d'expérimenter, de connaître et d'entretenir leurs élans, de monter, concentrés, sérieux, réfléchis, humains !
Et c'est l'éducateur alors qui se fera à leur image...