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Novembre 1974

D'après Célestin Freinet

Pour connaître les raisons qui nous poussent, nous autres, à pratiquer une recherche d'école moderne : le bon sens, l'imagination, la réflexion et l'élan peuvent tous à la fois nous y aider.

Si savoir pourquoi nous avançons est une chose importante : savon également contre quoi il nous faut avancer en est une autre non moins importante !
L'école moderne se pratique contre la scolastique.
C'est une opposition de principe : une opposition entre la forme figée de pratiques traditionnelles, immuables et considérées comme sacrées par ceux pour qui l'école du XIXe siècle est une assise essentielle de notre société et les exigences dynamiques d'un monde et d'une nature humaine qui vivent d'idées neuves et nécessairement iconoclastes.
Qu'est-ce donc que la SCOLASTIQUE ?
Chaque fois que nous nous livrons en classe à un comportement, à des réactions ou à des occupations qui sont spécifiques au milieu scolaire et que nous ne pratiquerions nullement ni à la maison, ni à l'atelier, ni aux champs, ou dans la famille : nous sacrifions à la scolastique.
Elle est la maladie spécifique de l'école. Dans les bureaux, il y a la bureaucratie. Dans les hôpitaux, il y a l'hospitalisme. A l'école, il y a la scolastique.
Elle est une poisse qui revient sans cesse. Jamais on n'en parvient à bout. Elle renaît chaque fois de ses cendres.
Croit-on avoir éliminé les manuels scolaires ? On se plaint encoreouvertement, durant cette rentrée, des professeurs qui ne les utilisent pas !
Croit-on avoir supprimé les leçons ? Nos adolescents périssent sous la charge d'ennui distillée par les paroles dont on les abreuve jusqu'à l'indigestion.Croit-on avoir supprimé les rangs, les bras croisés, les punitions, l'autorité formelle qui s'exerce à force de cris et de colères et de vengeances et de chantages ?
Croit-on avoir supprimé l'interrogation soupçonneuse, la recherche morbide d'une mise en défaut et l'application masochiste d'une sanction ?
Croit-on avoir éliminé l'exercice, la notation rageuse ou l'appréciation à l'emporte-pièce notée en rouge sur le casier judiciaire (pardon ! sur le livret scolaire...).
Ne sommes-nous pas surpris parfois de nous laisser aller à nous époumonner pour faire en belles paroles une démonstration bavarde et à crier.« Ecoute-moi bien ! », « Raisonne un peu ! », « Répète ! exerce ta mémoire I », « Souviens-toi de ce que je te dis ! », « Explique mieux ! fais un effort I »...
Tout cela — entre autres choses dont il nous faudra encore si souvent dénoncer l'existence ! — c'est de la scolastique I
Et parfois nos meilleurs outils : le journal scolaire, l'imprimerie, les fichiers ou les cahiers autocorrectifs pour le travail individuel, notre Bibliothèque de Travail, ceux auxquels nous accorderions la meilleure confiance, nos meilleure outils foirent et tombent sous les atteintes de la scolastique à laquelle il faut les arracher quotidiennement ! Alors le texte libre devient devoir du soir...Alors l'imprimerie devient cet exercice figé : « Un ! le porte-composteur ! Deux ! la vis à gauche ! Trois ! le cran vers soi l Quatre ! mettre un blanc ! Cinq ! commencer par une majuscule ! Et sept minutes pour un composteur ,Pas plus l Rompez ! » Alors la pédagogie Freinet échappe à la vie et au tâtonnement expérimental !
Oh oui nous avons bien raison de voir la scolastique partout l Comme il faut sans cesse nous en méfier I
Et cette méfiance est une de nos meilleures armes !