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L'art, tremplin à la communication

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Octobre 2001

 

 

Troisième étape: oser une démarche de création

Lors de l’exposition, l’œuvre commune de deux enfants présentée dans un carton évidé (papier tressé) suscite la remarque d’un élève: “ on dirait une chaise ”, et quelqu’un de préciser : “ on dirait même la chaise d’un roi ”, en référence aux tissus garnissant les sièges des chefs africains. Cette production est donc nommée : “ La chaise du roi ”, et pour être plus ressemblante, montée sur un pied confectionné avec un gros rouleau peint à la gouache.
Il s’en suit la confection d’un pantin, un roi, à asseoir dans la chaise. Ce pantin fabriqué avec des rouleaux de papier, boîtes en carton, papier journal, bouchons, capsules, etc. est baptisé “ Le roi qui tire la langue ” car il a une bouche composée d’un couvercle de carton lui donnant effectivement l’air de tirer la langue.
Les enfants ont besoin de faire de nombreux essais pour trouver les systèmes d’accrochage adéquats : (poids, perçage préalable, esthétique), A la suite de cette réalisation naît un vrai désir de réaliser d’autres productions en volume (voitures, maisons, autres personnages), renforcé par le succès du pantin auprès du public du Centre.
 
A ce moment du projet, les enfants visitent à Cannes une exposition de sculptures de Richard Pellegrino. L’artiste utilise des matériaux de récupération qu’il peint à la bombe avec des couleurs vives. Il compose notamment des sculptures dont les corps sont faits de gros bidons de peinture soudés les uns sur les autres. Il présentait également une collection d’autos dont les matériaux de composition sont facilement reconnaissables (brosses à dents, fiches électriques, bouchons et couvercles, cuillères en plastique…), ainsi que des sculptures mobiles : les baleines d’un parapluie portent des voitures ou des avions, l’axe central est soudé sur un tourne-disques ou une machine à coudre qui peuvent être actionnés, et le “ manège ” tourne !
A la suite de cette visite, les enfants décident de réaliser un totem de grande taille, en commun. A partir de leurs dessins de l’exposition, il est prévu de réaliser individuellement une sculpture correspondante en terre puis de choisir les éléments intéressants de chaque production pour composer le totem.

 Les enfants se remémorent les matériaux utilisés à l’exposition et les recherchent. Ils sont sollicités pour rapporter de la maison le plus de matériaux possible afin qu’une implication-appropriation effective puisse avoir lieu.
Tous les dessins sont agrandis. Les enfants en choisissent un, pas forcément le leur et le mettent en couleurs avec différents médiums : pastels secs, gras, craies grasses. Comme le temps est compté, le projet est modifié, l’étape du modelage en terre est supprimée.
L’enseignante a des contacts téléphoniques avec Richard Pellegrino afin d’obtenir l’autorisation de montrer les photos de ses œuvres et fait part aux enfants de son intérêt pour leur démarche.
L’artiste se dit très heureux d’avoir pu, au travers de ses œuvres, sensibiliser et encourager les enfants à produire des volumes. Les enfants sont très motivés dans la poursuite du projet par cette marque d’intérêt.
Toutes ces réalisations sont affichées et les enfants se demandent comment faire pour créer des sculptures à partir de ces dessins. Après quelques difficultés de mise en route, une élève comprend ce qui est attendu. Elle va chercher un bouchon bleu et le pose sur le dessin au niveau d’un œil bleu. Les autres se lancent et il commence à y avoir une réelle émulation, des propositions intéressantes.
Une élève part spontanément sur l’idée d’un chat (des animaux figuraient à l’exposition mais il s’agit aussi d’une préoccupation actuelle pour elle), et les autres continuent sur la même idée (lapin, chien, chat). Les dessins sont exposés au tableau mais ne sont pas copiés. L’enseignante aurait pu insister sur la nécessité d’une ressemblance avec ces dessins pour aller dans le sens du projet, mais elle a préféré laisser libre cours aux investigations des enfants et à leur libre expression. Les matériaux disponibles induisent fortement : boîtes en carton, rouleaux, “ pogs ”, et finalement les enfants s’éloignent des sculptures d’origine plus nettement marquées par le métal. Ces premières réalisations ont le mérite d’être plus faciles à réaliser d’un point de vue technique. Trois de ces sculptures sont “ bombées ” de peinture bleue, les différents matériaux s’estompent mais le volume gagne en intensité.  

Une roue de vélo trouvée la veille sur un container de poubelles rallie tout le monde autour d’un projet. Même si on s’éloigne encore de la réalisation du totem collectif, on rejoint davantage l’idée d’exploitation d’une trouvaille et la mise en valeur d’objets de rebut. La roue rappelle les manèges, les cintres en métal se prêtent à la déformation, et très vite s’imposent les grandes lignes de la sculpture : des personnages seront accrochés à la roue qu’il faudra fixer sur un axe. Les enfants se heurtent à des difficultés techniques par rapport à ces matériaux ; il ne s’agit plus de coller mais d’assembler, tordre du fer, et les élèves manquent totalement d’expérience dans ce genre de maniement. De ce fait, la réalisation est longue car il faut apprendre à tenir une pince, une tenaille.
Les enfants dessinent et colorient les sculptures. Ils passent chaque fois de la production plane au volume et vice versa, car il y a peu d’aisance dans les représentations, dans la structuration de l’espace.

Pour la dernière séance de production, les enfants voient quelques photos de l’exposition de Richard. Des enfants lavent une grille de cuisinière à gaz récupérée pendant que d’autres cherchent les matériaux pour construire. L’accent est mis sur le fer, pour se rapprocher un peu des productions de Richard. A nouveau la réalisation nécessite des trous de perçage, l’utilisation de pinces, et pose donc problème. La participation et la collaboration se font par contre de mieux en mieux, chacun agissant à sa guise sur le support.

 

Pour exposer, le problème est maintenant de rassembler et donner un lien aux multiples productions de ces séances. Faut-il privilégier une exposition chronologique ? C’est, semble-t-il, le fil conducteur le plus évident pour les enfants. Si l’on suit cette idée, l’intérêt est aussi de pouvoir mesurer l’évolution de leur travail. La toute première étape qui est la réalisation de la chaise du Roi sera également le lien entre les deux thèmes : papier et volume

L’exposition est accrochée dans la classe pour enfants étrangers de Toreille à Vence la veille de notre visite. C’est un moment de rencontre très riche : les enfants étrangers montrent ce qu’ils ont réalisé à partir de la fiche envoyée par les enfants de CLIS, ils parlent des problèmes d’exécution et des solutions de rechange qu’ils ont trouvées. Ils posent beaucoup de questions, font le rapprochement entre les sculptures et des objets qu’ils ont rencontrés (notamment un jeu sud-américain connu d’une petite fille qui nous en montre des photos), mais surtout ils accordent un véritable intérêt aux productions.
Cette visite se poursuit par un pique-nique avec l’enseignante, et par la visite d’une autre exposition à Vence à L’atelier B. Un accueil très chaleureux est réservé aux enfants, l’artiste et le galeriste ayant ouvert spécialement la galerie pour eux. Les enfants peuvent toucher les sculptures, les dessiner, ils s’imprègnent véritablement du respect et de l’écoute qui leur sont témoignés. Riches de cette expérience, ils auront envie, par eux-mêmes, d’écrire à ces personnes pour les remercier.

Pour finir, l’exposition est rapportée au centre pour la fête de l’école, où elle est montrée aux parents.

                                             

Ce qu’a retenu l’enseignante


- Mener une année entière en Arts Plastiques avec très peu de moyens est possible. En récupérant et en redonnant vie aux rebuts, on crée une ouverture pour une réflexion sur notre société de consommation. Cette démarche permet à tous de participer, sans discrimination de budget, il est facile de trouver ces matériaux permettant à l’enfant de produire même chez lui.

- Mettre à la disposition des enfants des moyens d’expression variés et inhabituels permet chaque fois un enrichissement personnel important. Le travail sur les matières est fort apprécié et aiguise le regard au fur et à mesure : l'enfant regarde différemment les textures, et cherche ce qui peut être matériau de création dans tout ce qui l’entoure.

 

- S’enfermer dans un projet défini dès le départ est illusoire et source d’entraves : il faut savoir suivre les pistes révélées par les enfants et ne pas hésiter à tirer parti de toutes les occasions qui se présentent. L’objectif n’étant pas la technique mais bien l’expression, on ne peut faire fausse route si on tient compte de leurs désirs.

- S’adresser à des personnes ressources permet une plus grande ouverture.

- Echanger est toujours une nourriture émotionnelle.

- Pratiquer les Arts Plastiques ne peut se résumer à l’illustration d'une poésie par trimestre quand on constate l’ouverture qu’elle génère vers soi-même, les autres, les autres disciplines : parler, écrire, faire de la géographie, des mathématiques, de la technologie, des sciences… et aussi de l'éducation à l’environnement et à la citoyenneté.

- Conduire un projet de ce type constitue un tremplin pour l’intégration : les quatre enfants concernés, vraiment coupés du circuit ordinaire, ont été reconnus dans une “ vraie ” école et par de “ vrais ”artistes …

Mais surtout : participer à ce projet a été pour ces enfants une immense source de plaisir.

 

 

  sommaire n° 98 - L'autre, image de soi 

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