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Lorsque je me suis acheté un appareil photo numérique, c’était pour que je puisse garer la trace des travaux des élèves, garder la mémoire des images et des textes recueillis dans les expositions où je me rendais (les commentaires sont parfois longs à recopier tandis qu’avec une photo…), pour produire des documents à l’usage des élèves, le tout placé sur cédérom avec « mises à jour » périodiques, consultables sur l’ordinateur du CDI de l’établissement.
Très vite cependant les élèves se sont approprié ce nouvel outil (je n’ai pas pu m’empêcher de le leur laisser malgré les risques que je prenais).
Après quelques essais de manipulation, je leur donnai donc le droit de produire des photos qui ne me revenaient pas cher, puisqu’elles étaient placées sur des disquettes informatiques que je vidais ensuite pour les réutiliser (plus de pellicule ni de développement mais un cédérom qui se remplissait petit à petit de nouvelles images). Les élèves se sont donc mis à mieux fréquenter le « cédérom du CDI », se formant à la manipulation du logiciel et consultant par ailleurs les images faites par d’autres ou les documents que j’y avais placés.
Car mieux que l’image vidéo, spectaculaire mais toujours fuyante, la photo véhicule le sentiment d’identité. On parle de photo d’identité.
Ce sont donc ces « instantanés » qui ont été les premiers à être réalisés par les élèves : portraits individuels cadrés de près, parfois tronqués, avec ou sans accessoires, portraits de groupes de copains, mise en scène du corps. Chacun plaçait enfin un peu de son affectivité dans la réalisation d’une image. On sourit, on se serre de près. On manifeste que l’on est bien ensemble. On veut être vu plus fort que le copain d’à côté. Ce sont les élèves dont l’identité est mise à mal par la structure scolaire qui semblent le plus attirés par cette démarche. Elèves en difficulté et/ou ethnies minoritaires utilisent la photo comme témoignage de leur existence.
Cette pratique, premier pas vers l’élaboration d’une expression pouvait être tolérée grâce à la maniabilité du numérique.
Je me souviens d’une expérience : j’avais placé une caméra dans la salle de classe sans bande, simplement pour que les jeunes puisent se voir dans le petit écran d’une télé.
Tout se passe comme si l’individu devait apprivoiser son image dans l’écran, comme narcisse dans le miroir de l’eau ou comme l’on cherche à s’apprivoiser soi-même dans la relation à un nouvel ami. D’abord on est attiré, puis on fuit en faisant semblant, puis on revient, on se trouve beau, puis laid et on recherche la représentation.
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