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logo ressource btn Lavoisier : la chimie pneumatique (chimie des gaz)

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Dans :  Sciences et Techno › 
Août 2011
Ce sont les travaux pour lesquels son nom est resté célèbre. Mais a-t-il découvert l'oxygène ou la composition de l'eau ?
 
Prémisses : les différents airs
 
Il faut noter d’entrée que la France est, au XVIII° siècle, très en retard dans le domaine de la chimie pneumatique. Les premières recherches ont lieu en Angleterre.
Jusque là l’élément air est considéré comme un corps inerte, jouant un rôle purement mécanique dans les opérations de combustion et de calcination.


Le point sur les recherches en Angleterre.
Bayle (XVII°) comprend que les gaz forment une catégorie importante à côté des solides et des liquides.
1735, Hales montre que les plantes absorbent l’air.
1756, Black établit l’existence d’un « air fixe » qui fait mourir les oiseaux.
1772, Priestley1 reprend les expériences en étudiant la couche d’air qui se forme sur les cuves où fermente la bière. Cet « air fixe » fait mourir de petits animaux et éteint une chandelle allumée. Les plantes ont le pouvoir de le rendre respirable. Priestley crée aussi une eau gazeuse artificielle aux pouvoirs curatifs.
 1. Joseph Priestley, 1733-1804, chimiste et théologien anglais. Il est connu pour ses travaux sur l'électricité et pour avoir isolé de nombreux gaz.
Lavoisier ne s’intéresse pas immédiatement à ce domaine. Il faut une demande pressante de l’Académie suite aux rapports envoyés par Magellan2.
D’entrée, il établit que, pour mener des expériences fiables, il doit faire réaliser une lentille puissante et disposer d’un moyen de recueillir les gaz libérés. Il voit déjà les failles de la théorie du phlogistique3 sans pourtant s’y opposer : ce serait se heurter à l’hostilité générale sans avoir effectué assez d’expériences pour prouver son intuition.
 2. Magellan, moine portugais, descendant du navigateur, pratique l'espionnage scientifique. Il envoie à Paris les travaux publiés sur l'air fixe, en particulier ceux de Black, Priestley, Cavendish.

3. voir article : La chimie avant Lavoisier.

Le phosphore
En 1772, plusieurs chimistes français travaillent sur le phosphore (matière qui ne se trouve pas dans la nature).
Lavoisier reprend les expériences en brûlant,  en utilisant une lentille ardente, du phosphore sous une cloche.
Les vapeurs qui se dégagent se condensent sur les parois de la cloche en gouttes d’acide phosphorique au poids plus important que la matière de départ.
Une observation identique à partir de soufre et d’étain lui permet de poser en principe : toute combustion ou calcination « d’un grand nombre de corps solides ou liquides s’accompagne d’augmentation de poids et d’absorption d’air. » (Archives de l’Académie des Sciences)
 
L’air fixe
Plusieurs scientifiques en Angleterre et en France poursuivent les recherches de Priestley.
Lavoisier, en Février 1773, annonce un programme de recherches qui se poursuivra pendant vingt ans. « … le fluide élastique qui se dégage des corps, soit par la fermentation, soit par la distillation, soit enfin par les combinaisons de toute espèce, ainsi que sur l’air absorbé dans la combustion d’un grand nombre de substances …»
« Les travaux des différents auteurs que je viens de citer, considérés sous ces points de vue, m’ont présenté des portions d’une grande chaîne ; ils en ont joint quelques chaînons. Mais il reste une suite d’expériences immenses à faire pour former une continuité. »
(cité par Berthelot, La Révolution chimique, Lavoisier, 1890)
 
les airs
XVIII°
Actuel
Air déphlogistiqué
Air éminemment respirable
Principe oxygine (Lavoisier)
Oxygène
Air fixe
Gaz méphitique
Gaz carbonique
Air inflammable
Hydrogène
Air phlogistiqué
mofette
Azote
 
L’oxygène
 
Début 1774, des expériences de combustion menées avec le « mercure per se » n’attirent pas l’attention de Lavoisier. Elles ouvrent pourtant la voie à des remarques sur les effets de la combustion sans charbon. Priestley, qui a noté les effets du gaz dégagé (qu’il appelle « air déphlogistiqué ») sur une chandelle, a l’occasion d’en parler à Lavoisier lors d’un séjour à Paris en octobre 1774.
 
Première avancée
Lavoisier reprend alors des expériences en 1775, avec et sans charbon, et comprend le mécanisme de « l’air fixe ». Son apport consiste à établir que tous les corps combustibles absorbent en brûlant la part combustible de l’air, en quantité égale à l’augmentation du poids des chaux ou acides produits.
 
 La composition de l’air
Entre 1775 et 1777, Lavoisier multiplie les expériences à partir des travaux de Priestley.
 
Priestley établit que la combustion du carbone sous une coche dégage un gaz absorbé par l’eau de chaux –air fixe ou fixé-, le gaz restant ne peut entretenir la respiration –air phlogistiqué-. Il comprend que l’air atmosphérique est un corps composé dont il estime à 1/6 la proportion respirable.

 
En 1777, Lavoisier calcine du mercure sous une cloche. Il obtient du mercure per se, l’air résiduel éteint une bougie.
Le chauffage de ce mercure per se libère la part respirable de l’air qui, ajoutée à la « mofette » irrespirable, reconstitue l’air atmosphérique.
Les composants de l’air sont définis par leurs propriétés biologiques : 4/5 de « mofette », 1/5 d’air respirable.
 
L’oxygène
De multiples expériences menées en 1777 sur la formation d’acides variés l’amènent à une loi générale.
Tous les acides sont formés « d’une substance élastique contenue dans l’air» et d’un principe propre à chacun.
Il le nomme principe oxygine
 
La composition de l’eau
 
Des synthèses sans le savoir
En 1766, Cavendish4 découvre « l’air inflammable » 
1766, il fait réagir de l’acide sulfurique ou de l’acide chlorhydrique sur du fer, du zinc, de l’étain. Il recueille le gaz obtenu dans une cuve à mercure.

En 1776, Macquer observe qu’une soucoupe passée au-dessus d’une flamme d’hydrogène se couvre de gouttelettes d’eau...
En 1781 et 1783, Waltire et Priestley remarquent que la combustion d’un mélange d’air et d’hydrogène produit de l’humidité.
Cavendish, en 1783, fait les mêmes observations mais en tire des conclusions erronées en interprétant le fait par l’action du phlogistique.

 
 
 
 4. Henry Cavendish, 1731 – 1810, noble anglais. Il a été le premier à déterminer la masse de la Terre. Ses travaux ont porté aussi sur les chaleurs spécifiques des substances et l’électrostatique.
La synthèse de l’eau
En Juin 1783, Lavoisier et Laplace effectuent une grande expérience publique. Ils disposent deux caisse pneumatiques, remplies l’une d’oxygène, l’autre d’hydrogène5
Les tuyaux, au débit réglé par des robinets, aboutissent à une caisse pneumatique à mercure. Ils introduisent un brûleur et laissent brûler jusqu’à extinction des gaz. La surface du mercure se couvre d’eau.
Les résultats restent imprécis mais Lavoisier n’hésite pas à publier ses conclusions :
« L’eau n’est pas une substance simple ; elle est composée poids pour poids d’air inflammable et d’air vital. »(Œuvres, T.II)

 
L’analyse
Tous ces travaux sont accélérés par une préoccupation d’actualité : les débuts de l’aérostation.
 

 
 

5. Le nom d’hydrogène est proposé par Lavoisier à partir des mots grecs eau (υδορ) et j’engendre (γεινομαι).

 histoire de ballons
Les frères Montgolfier, en 1783, réalisent le premier ballon à air chaud. Cela éveille l’intérêt de l’Académie des Sciences qui crée une commission, dont fait partie Lavoisier, pour suivre et encourager les travaux.
Dans le même temps, Charles et les frères Robert réalisent un ballon gonflé à l’hydrogène.
La concurrence passionne l’opinion.
En septembre 1783, les frères Montgolfier font s’élever à Versailles un ballon dont les passagers sont des animaux. Puis, en Décembre, Pilâtre du Rozier et le marquis d’Arlande survolent Paris.
En Décembre aussi, Charles et Robert effectuent un vol en ballon à hydrogène.
L’ Académie encourage les aérostats dont elle envisage les utilisations possibles : observations scientifiques (astronomie, météo, …), déplacement de charges, …
Le débat porte aussi sur la technique à favoriser car chacune a ses inconvénients dont, pour l’hydrogène, la difficulté de produire le gaz.
 
Au-delà de l’aérostation, les savants se livrent aussi à une course à la précision. Dans ce cadre, le gazomètre remplace la cuve pneumatique.
Du 27 Février au 1er Mars 1785, Lavoisier, Meusnier et Berthollet organisent une grande expérience publique de synthèse et d’analyse de l’eau.
 
Décomposition :
- De l’eau coule goutte à goutte sur du feu incandescent. L’hydrogène est récupéré dans une cuve pneumatique à eau. L’oxygène n’est pas conservé.
- L’oxygène nécessaire à la synthèse est produit séparément en chauffant du mercure per se.
 
Synthèse :
Un ballon à tubulures reçoit séparément l’hydrogène et l’oxygène. Une étincelle électrique enflamme les deux gaz, l’eau recueillie est pesée.
« l’eau (est composée) de deux principes distincts, la base de l’air vital et celle du gaz hydrogène ; et … ces deux principes y entrent dans le rapport approché de 85 à 15. » (Œuvres, T.V)
En fait, l’expérience n’est pas vraiment concluante à cause de l’imprécision des mesures, mais elle revêt une importance historique en entraînant le ralliement de Berthollet et d’autres savants à la position de Lavoisier contre le phlogistique.

 Gazomètre utilisé par Lavoisier (CNAM Musée des Arts et Métiers)

Conclusion
Étant donné le nombre de savants pratiquant des expériences similaires à la même période, peut-on attribuer à Lavoisier la paternité de cette découverte ?
Berthelot apporte une réponse mesurée :
« Si Lavoisier n’a pas eu la pleine initiative des faits, si Cavendish l’a précédé à cet égard, si Monge et Priestley ont participé à leur étude progressive, ce qu’on ne saurait contester à Lavoisier, c’est qu’il ait eu d’abord la claire vue de la théorie ; théorie que ses travaux antérieurs sur le rôle de l’oxygène dans la formation des acides et des oxydes devaient faire pressentir à tous les chimistes éclairés de l’époque. Il osa le premier proclamer nettement et publiquement la composition de l’eau, vérité qui est devenue une des pierres angulaires de la science chimique. » (La révolution chimique, Lavoisier, 1890)
 

 

En classe, expérience sur les états de l'eau

 
   
   
   
   
   
 
Crédit iconographique : 
photos : CNAM Musée des Arts et Métiers, S.Connac http://www.arts-et-metiers.net