Nous le crions depuis vingt ans, mais il a fallu l'épreuve tragique de ces dernières années pour faire la démonstration éclatante de ce dilemme : s'adapter ou mourir !
L'industrie, le commerce, l'agriculture se sont depuis longtemps rendus à l'évidence des faits : quand l'usine aux machines désuètes ne veut pas ou ne sait pas adapter aux nécessités actuelles ses méthodes de travail, elle est vaincue par la concurrence et doit fermer ses portes. Le commerçant timide vivote puis fait faillite, et le paysan qui a rechigné â la mécanisation de son travail ne parvient plus à vendre ses produits. Telle était du moins la loi normale, la loi d'hier qui sera la loi de demain.
Par suite d'un concours de circonstances que nous n'étudierons pas aujourd'hui ici, l'Ecole a réalisé quelque temps le miracle de se survivre dans un milieu économique et social qui l'avait depuis, longtemps dépassée. Mais il arrive pourtant un moment où l'écart est trop grand, où le scandale est trop flagrant, pour peu surtout que les novateurs dont nous sommes aient montré par leurs réalisations l'évidente supériorité de méthodes nouvelles mieux adaptées à nos besoins et à nos possibilités.
Il est en tous cas un fait incontestable : tous les éducateurs sont aujourd'hui conscients de ce désaxement de l'Ecole, de l'impuissance des méthodes qu'on leur a enseignées et qu'ils ont pratiquées sans enthousiasme, et tous sont à la recherche de la solution la plus favorable. Il y a parmi le personnel, en cette première rentrée de la paix, un bouillonnement pédagogique sans précèdent, et la masse éducative, celle du moins qui est encore adaptable, se tourne naturellement vers nous qui avons patiemment prépare 1es éléments de ce bouillonnement et qui sommes actuellement en France les seuls susceptibles d'apporter des solutions définitives. Non pas que des solutions doivent d'un coup de baguette magique aplanir toutes les difficultés de la gestation : elles l'entretiennent au lieu de l'arrêter et la mèneront à son terme normal, l’adaptation et la modernisation de l'école.
***
Les circonstances n'ont malheureusement pas servi nos désirs de répondre à l'immense demande exprimée ou latente de tous les éducateurs de France. Pendant six mois, nous avons pu péniblement, faute de papier, sortir une petite revue de huit pages tirée à deux mille exemplaires. Et notre numéro de rentrée —enfin parti pourtant — a failli rester sur le marbre, faute d'autorisations chinoises et faute de papier. Nous n'avons pas pu toucher, comme nous l'aurions voulu, tous les instituteurs. C'est regrettable, car nous sommes persuadés que, dans cette période d'attente, l'immense majorité du personnel nous aurait suivis si elle avait été totalement informée.
Peut-être nos craintes sont-elles exagérées : la rentrée est lente et difficile ; l'organisation, des classes est à peine commencée. Il est enfin temps de faire auprès des camarades une propagande qu'ils attendent et qui portera.
Nous comptons pour cela sur tous nos adhérents anciens et nouveaux, sur nos filiales et nos délégués départementaux dont nous attendons beaucoup. Nous leur demandons d'accentuer leur propagande, au cours des assemblées syndicales, au moment surtout des conférences pédagogiques. Sur simple demande nous enverrons gratuitement un colis propagande qui vous permettra de faire connaître nos réalisations et de recueillir des abonnements à « l'Educateur » et « Enfantines ». Les camarades qui le désirent pourront passer commande d'un stock d'éditions à vendre avec remise de 20 % pour couvrir les frais.
Nos techniques sont dans l'air. C'est comme les remèdes de bonne femme au moment des épidémies, Il se trouve toujours quelqu'un pour suggérer : Écrivez à Freinet.
Pour peu que vous y aidiez, nous devrions être des milliers à poursuivre, dans des conditions extraordinairement favorables, l'œuvre que nous avons fait se survivre et aboutir à force d'ingéniosité, de dévouement et de sacrifices.
***
Dans notre dernier numéro, nous avons indiqué les grandes lignes de notre programme.
Nous précisons encore, pour que nul n'en ignore, que, si nous parlons volontiers d'imprimerie à l'Ecole, de Journaux et d'échanges scolaires parce que nous voyons dans ces réalisations une des innovations essentielles de notre école populaire, nous n'oublions pas que l'éducation est un tout, qu'il n'y a pas une méthode de lecture, de calcul, de rédaction, de musique ou de dessin, mais une conception nouvelle du travail scolaire, basée sur les fondements inébranlables que nous avons découverts, définis et assis. Tout ce qui touche à la modernisation de l'école est de notre programme. Nous ne disons pas cela pour attirer une clientèle, mais parce nue nous pensons qu'il ne peut y avoir de bon travail pédagogique hors d'une telle conception globale, complexe et fonctionnelle.
Vous tous qui cherchez, qui éprouvez le besoin de réadapter votre école, de travailler dans des conditions plus efficientes, venez à nous. Par l'intermédiaire de nos services et de notre revue, vous serez insérés dans le vaste travail d'équipe qui avait donné de si excellents résultats avant la guerre et que nous reprenons. Vous participerez librement aux Commissions de Travail que nous organisons et dont notre revue « L'Educateur » sera la tribune.
Et c'est la principale caractéristique de notre revue, sur laquelle nous insistons à nouveau : elle n'est pas l'œuvre d'une équipe rédactionnelle réduite, si parfaite soit-elle. Elle est notre organe de travail, à l'image du travail que nous réaliserons. Elle est donc votre revue, non seulement parce qu'elle est propriété de votre coopérative, mais parce qu'elle est et sera l'expression de vos succès, de vos craintes, de vos recherches, individuelles ou collectives, de vos réalisations.
Quelle formule pourrait mieux vous donner satisfaction !
***
Nous parlons ici, et nous parlerons haut et ferme. Si nous faisons parfois pousser des hauts cris à ceux qui nous écoutent, nous n'imposons pas notre point de vue. Rien n'est passionnant comme les discussions amorcées dans nos stages sur les sujets que nous présentons, nous, sous un aspect pas du tout formaliste : la question des mouvements d'enfants, la question de la santé des enfants, le matérialisme pédagogique, le travail devant remplacer le jeu à la base de toutes nos réalisations pédagogiques, etc...
L’actualité nous montre aussi que trois questions nu moins devraient attirer notre attention dans les numéros qui vont suivre :
Les SIXIEMES NOUVELLES pourraient être des coins d'éducation nouvelle enfoncés dans l'écorce coriace du 2d degré. Nous aiderons au mieux les maîtres qui sont appelés à enseigner dans ces classes afin qu'ils puissent poursuivre l'expérience dans les meilleures conditions possibles. Et ils auront ici une « tribune» pour discuter de questions qui ne nous sont pas indifférentes.
Et nous voudrions aussi parler ici d'un problème qui prend chaque jour plus d'extension : celui des maisons d'enfants, centres scolaires ou villages d'enfants — et celui qui ne peut guère en être séparé des colonies de vacances.
Nous donnons déjà d'autre part des informations à ce sujet. Nous désirerions que notre revue soit, au carrefour de toutes ces tendances pédagogiques, le guide et l'outil qui permettra l'adaptation et la modernisation sans lesquelles notre France ne saurait se survivre.
L'enthousiasme que nous sentons autour de nos techniques nous est le plus sûr garant de notre succès croissant.
Nous comptons aussi, pour parfaire ce succès, sur MM. les Inspecteurs primaires et d'Académie qui sont presque, tous acquis aujourd’hui aux idées nouvelles, et aussi sur les Inspecteurs départementaux de la culture populaire qui cherchent avec un acharnement juvénile qui mérite notre sympathie, les méthodes qui leur permettront d'atteindre, de toucher et d'élever le peuple.
L'émouvante fidélité, depuis vingt ans, de nos plus anciens adhérents nous est une assurance que nous ne dévierons pas de la ligne pédagogique et sociale qui nous a valu tant d'inimitiés tenaces et de brimades acharnées — et l'ère n'en est sans doute pas close — mais sans laquelle nous ne serions pas aujourd’hui un des mouvements pédagogiques les plus originaux du monde, le plus fort mouvement pédagogique de France, vers lequel se tournent les yeux inquiets des éducateurs et les volontés généreuses des rénovateurs.