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De la nécessité d’une pédagogie vive comme force politique

Humanité Quotidien, 31 Août, 2011
Quels projets pour renouer avec les exigences démocratiques de l’école publique ?
Par Nicolas Mathey, enseignant.

L’école française n’est-elle que malaise, enseignants en difficulté, élèves en souffrance, résultats insuffisants ? Le détour par le mouvement Freinet prouve nettement l’inverse.
Le cinquantième congrès de l’Institut coopératif de l’école moderne (Icem pédagogie Freinet) a réuni du 23 au 26 août à Villeneuve-d’Ascq près de 700 participants venus de 18 pays.
Tous restent fidèles à la décision philosophique de se représenter les élèves comme enfants auteurs d’eux-mêmes, pour s’autoriser à devenir ensemble des adultes libres et responsables. Les expositions du congrès ont fait ressortir la vitalité des créations, la richesse des journaux scolaires, des correspondances, des textes et dessins libres. Entre autres conférences, l’intervention de Philippe Meirieu a mis l’accent sur la nécessité d’éviter la mise au pas des enfants au service de leur employabilité, de respecter les fondements anthropologiques de l’intention d’écrire pour faire de l’enfant un auteur. L’Icem a également fait preuve d’ouverture aux autres pédagogies actives et libératrices, dont celles du Polonais Janusz Korczak, ou de la pédagogie institutionnelle de Fernand Oury.
Les résultats de la pédagogie Freinet sont indéniables. L’expérience de l’école Freinet de Mons-en-Baroeul se poursuit, confirmant les très bons résultats mis en évidence par l’équipe de chercheurs en sciences de l’éducation en 2007 (voir l’Humanité du 3 septembre 2007 sur
Une école Freinet). Le niveau de violence, l’ambiance de l’école et des classes demeurent très nettement apaisés, ainsi que la motivation et les capacités des élèves, comme le confirme la chercheuse Maria Pagoni, qui poursuit l’observation.
La question de l’élargissement de cette expérience reste cependant soumise à des choix politiques, aujourd’hui radicalement inverses. Si le ministère de l’Éducation actuel reconnaît en effet la valeur de la pédagogie Freinet, cela ne l’empêche pas de poursuivre son train
brutal de réformes néolibérales : désengagement de l’État, suppressions massives de postes enseignants, notamment ceux dédiés à l’aide aux enfants en difficulté, introduction des techniques de management et de la précarité, mise en concurrence des écoles, creusement des inégalités sociales et territoriales entre écoles, constitution d’un socle commun de connaissances appauvrissant, évaluations mécaniques répétées, fichage des élèves… et baisse massive des subventions aux mouvements pédagogiques, de l’ordre de 40 % cette année, selon le président de l’Icem Christian Rousseau. Décomplexé, le ministère est allé jusqu’à lui conseiller de se tourner vers des fondations privées et d’encourager le bénévolat…
D’où les réactions d’insoumission et de résistance de nombreux adhérents du mouvement. À la suite d’Alain Refalo, initiateur du mouvement des Enseignants désobéisseurs, François Le Ménahèze et le réseau Résistance pédagogique comptabilisent 3 000 enseignants en butte aux pressions des inspections académiques, commissions disciplinaires et autres retraits de salaire. Enseignant de Loir-et-Cher, Philippe Wain est menacé de voir son poste déplacé par l’inspecteur académique, à l’encontre même de toutes les règles de nomination.
Face à ces politiques néolibérales d’éducation qui démantèlent partout en Europe le service public d’éducation (voir par ailleurs le compte rendu de l’ouvrage de Ken Jones l’École en Europe), le mouvement Freinet est décidé à aller au-delà des cercles enseignants et de ses
réussites particulières. Il s’associe à d’autres mouvements pédagogiques, mais aussi au monde associatif et syndical, notamment dans le cadre récent de l’Appel de Bobigny, qui se veut grand projet national pour l’enfance et la jeunesse. Dans le même esprit, l’Icem participe à l’initiative d’ATD-Quart Monde, qui, en novembre prochain, organisera un colloque sur les rapports entre politiques d’éducation et inégalités sociales, sur les rapports entre l’échec scolaire et les enfants des milieux les plus pauvres, pour dénoncer l’école de la sélection, l’école pour héritiers.
Plus avant, le mouvement Freinet compte interpeller tous les représentants des partis politiques de gauche avant l’élection présidentielle. Sont-ils résolus à rompre avec le démantèlement de l’école publique et à renouer avec ses exigences démocratiques ? Soutiendront-ils les enseignants Freinet en résistance, les initiatives comme celle de Mons dans tous les départements ? S’engageront-ils à refonder une école humaine, ouverte, à moyens égaux pour tous les enfants sur tout le territoire ? À renouer avec le désir d’apprendre dans le respect des droits de l’enfant ? Tant il apparaît que si la politique veut s’inventer un avenir, elle doit renouer avec une pédagogie humaine.
Nicolas Mathey

Source: http://www.humanite.fr/tribunes/de-la-necessite-d%E2%80%99une-pedagogie-...