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Les témoins du congrès, Michel Xufré GD 14

Savez-vous ce qui m’est arrivé hier ? J’ai été appelé à témoigner.
Convoqué au tribunal par le juge ! Oui ! Pour l’affaire qui défraye la chronique à Lille ces jours-ci. C’est ça ! Le congrès de l’ICEM ! Et bien c’est pas drôle, ça aurait pu arriver à chacun de vous là, dans la salle, car après tout vous avez vu vous aussi. Bon, mais c’est tombé sur moi. Je vais vous raconter comment ça s’est passé :
Le juge : Veuillez décliner vos noms, prénoms et profession
Moi : Je m’appelle Michel Xufré, j’habite à Caen, Calvados. Je suis enseignant et bricoleur.
- Expliquez-vous et dites comment vous avez connu l’ICEM
- J’ai connu l’ICEM il y a 25 ans, lors d’un stage organisé par le GD 14. Et j’y ai adhéré par goût du bricolage. Imprimerie, cuisine, travail manuel, jardinage. A l’issue du stage je me suis senti autorisé à faire tout ça avec les élèves. J’ai eu la naïveté de croire qu’avec tout ça, les enfants allaient quand même faire des apprentissages. Pas tout à fait faux mais pas si simple. Je n’avais pas encore pressenti qu’il allait falloir se mettre au boulot, se former, réfléchir, échanger. J’ai vite compris qu’une rencontre allait appeler une lecture, une question une envie de stage, un désir la nécessité d’être ensemble… Trop tard, l’addiction était là, impossible de décrocher, accroc à l’ICEM et enseignant pour quelques années encore. Présentement je suis directeur de l’école Freinet d’Hérouville ST Clair, Calvados.
- 25 ans ça fait long ! Vous devriez peut-être essayer une cure de désintoxication…
- Impossible Mr le juge! Qu’est-ce qui guide le bricoleur ? Non pas le résultat, la belle réalisation, l’œuvre. Mais plutôt la recherche, l’astuce, la réalisation partielle, souvent éphémère, les réponses rarement définitives bref le métier souvent remis sur l’ouvrage ou l’ouvrage sur le métier, comme on veut. En ce sens avec la PF j’étais servi. On voit bien encore dans ce congrès combien il est difficile de la circonscrire, d’en faire le tour, combien elle se dérobe à toute tentative totalisante et à toute définition exhaustive.
- Témoin vous vous égarez ! Vous n’êtes pas là pour réfléchir, je vous déconseille d’essayer de recommencer. Dites ce que vous avez vu, uniquement ce que vous avez vu, ça suffira ! Et je vous prie de revenir aux faits qui nous intéressent ici : ce congrès.
- Bien Mr le juge, j’y viens. J’ai vu, j’ai vu beaucoup de gens, tous portant un petit carton blanc ou rouge sur sa veste, sa robe ou son pull. Y’en avait partout ! Les amphis en étaient pleins, les salles, le hall, au bar et au restaurant, des queues…
- Cela ne nous apprend pas grand-chose, n’avez-vous rien remarqué d’étrange, des individus à l’allure bizarre ?
- Si, parmi eux certains avaient des écharpes rouges, mais ils n’avaient pas l’air trouble. Ils étaient toujours souriants, toujours à leur poste, comme s’ils ne s’arrêtaient jamais pour aller manger ou dormir. Et ils en voyaient des choses eux aussi, ils auraient pu témoigner, vous auriez dû les convoquer.
- Témoin, ce n’est pas vous qui choisissez les témoins, alors contentez vous des faits !
- Une chose m’a frappé. Dans beaucoup d’endroits et très souvent, un mot revenait dans les conversations : labo. Le labo par ci, le labo par là, tu vas à l’atelier du labo et la conférence du labo, qu’en penses-tu ? J’ai cherché dans les salles les tubes à essai, les éprouvettes et les microscopes. Ne trouvant rien je me suis décidé à aller à l’atelier du labo ce mercredi en salle B2 348. Enfin j’allais savoir. Mais la encore plein de gens, je n’étais pas le seul à chercher à comprendre. On est donc tous allé à l’amphi, et là…
- Au fait ! Au fait !
- Le fait est que je n’ai pas été déçu. J’ai vu une équipe de praticiens-chercheurs. J’ai retrouvé les concepts de la conférence de N. Go en action, j’ai compris le travail entrepris. Me sont alors revenus en tête les bricolages divers, les essais pédagogiques nombreux tentés dans mes classes successives. Je les ai regardés autrement. Ah si j’avais su, j’aurais…
- On vous a bien compris ! Pas de nostalgie, ni de regrets ! Continuez !
- Jeudi matin, dans « les GT sous les projecteurs », j’ai vu le premier film envoyé par les correspondants bretons de la classe de Freinet. Cette suite d’enfants, se présentant à la caméra, saluant en tirant leur casquette, les regards, rieurs ou sérieux, mais pétillants de vie. On dit que les enfants d’aujourd’hui sont différents. Pas si sûr ! 
- Enfin, Mr le témoin ! Vous avez vu les casquettes de nos jeunes d’aujourd’hui, ce ne sont pas du tout les mêmes ! Mais revenons au congrès !
- Ce même matin, dans le journal vidéo, la phrase d’un congressiste interrogé m’a plu. Avec un bel accent méditerranéen il a dit : « des mots, des mots… Trop de mots. Pas assez de silence. Il faut du silence pour penser ! »
- Ah vous y revenez ! Je croyais vous avoir mis en garde, n’essayez plus de penser !
- Je sais Mr le juge ! Réfléchir c’est déjà désobéir ! Voilà encore une belle phrase vue au congrès… Pour en revenir aux mots, j’aurais bien voulu en avoir plus dans l’atelier sur l’école V-Tex, présenté mercredi matin en flamand par les collègues belges. Heureusement qu’il y avait une traductrice, mais l’effort que j’ai fait ce matin là pendant une heure trente, certains congressistes l’ont fait, à l’inverse pendant presque tout le congrès. Pas facile un congrès à l’étranger ! Mais enrichissant, même si la rencontre avec ces enseignants, les échanges que nous avons eus me laissent une série de questions sans réponses. Peut-être une future correspondance permettra-t-elle de mieux connaître un système scolaire très proche et bien mal connu, dans lequel le ministère et les autorités peuvent imposer une pédagogie progressiste. Etonnants ces Belges. Isn’t it ?
- Témoin ! Epargnez-nous votre humour douteux et finissez-en !
- Je terminerai donc puisque vous me le demandez par un rapprochement qui peut-être vous a échappé Mr le Juge. Le premier jour du congrès, Nicolas Go terminait sa conférence en ouvrant vers de futures recherches. Je cite deux questions de son texte du n° 0 du journal du congrès auxquelles il conviendrait de se confronter « qu’est-ce que la sagesse en éducation ? » et « qu’est-ce que la sagesse selon Freinet ? » Dans l’atelier de jeudi « la connaissance de soi à l’école » animé par Benoit Choquart, cette question de la sagesse en éducation constituait l’axe central de l’atelier. L’approche philosophique présentée nous proposait une meilleure connaissance de soi comme élément de réponse. Il est apparu que cette meilleure connaissance de soi changeait le regard porté par l’enseignant sur l’enfant. Et il se pourrait bien que ce nouveau regard, cette nouvelle manière de considérer l’enfant-élève soit aussi une caractéristique de la pédagogie Freinet.
Merci Témoin, vous pouvez vous retirer.
Michel Xufré