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Octobre 2002

 CréAtions 103- Grands formats - publié en septembre-octobre 2002

édito

 

Le format comme “ limite ”

 

Dans son carnet de bord , un élève note : “ Aujourd’hui, je suis président de la séance. Je veux faire un débat sur les dimensions. J’aimerais demander aux personnes de cette classe, si lorsqu’ils font quelque chose, ils pensent aux dimensions. Car je trouve que beaucoup de personnes exposent le petit format 24 x 32. Est-ce pour qu’on ne voit pas trop la production ? Ou parce que tout le monde fait comme ça ? parce que cela prend moins de temps ? Je montrerai Paul Rebeyrolle en disant qu’il ne travaille que sur du grand format. Et que pour lui c’est principal dans ses peintures : elles n’auraient pas tant de force ! ”

Ce numéro de Créations traite d’entreprises où la remise en cause des formats habituels donnent “plus de force” à l’expression. C’est ainsi avec les peintures murales des écoles de Pontèves ou de Cormeilles en Vexin. Avec les “bannières” sous lesquelles se rangent les classes de CP et CE1 de Bastia, les auteurs se sentent dépassés objectivement par leur production, expérimentant une perception nouvelle, plus forte, dans le rapport œuvre/corps. Il en va de même des élèves de l’école élémentaire de Pouilly-les-Nonains mais le plus de force n’est-il pas ici dans le désir de voir leur production intégrée à un rond point de la ville qui deviendrait un nouvel “organe” de l’œuvre ?

Au-delà de la recomposition des limites spatiales de l’œuvre, la remise en cause du format peut entraîner d’autres remises en cause. Les élèves de l’école des 3 Maisons ont engendré une production sans limite, les obligeant à rediscuter en conseil la manière d’envisager leur quotidien, afin d’y inclure la structure potentielle devenue à leurs yeux “vivante”. Les élèves du collège de Libos dérogent à la fragmentation disciplinaire du collège et à la perception fractionnée du temps didactique parce que leur projet inclus un environnement extérieur au collège.

Parfois l’investissement dans le grand format n’est plus à penser comme élément distancié de l’expérience. La Banane à Pattes est née à partir de l’appréhension spontanée par les enfants de la sensation du mur lisse du couloir de l’école, l’œuvre se développant ensuite sur ce support dans le but de rechercher à partir du lisse une plus grande variété de matières à l’expérience. Et n’est-ce pas vouloir approcher une nouvelle dimension que de parler d’ADN dans la conception d’une “créature” résultat de la récupération d’objets chargés de sens pris l’environnement proche?

Penser, concevoir, réaliser en grand format (ou en petit format), suppose, en ce qui concerne les notions d'espace et de temps, une démarche et une appropriation personnelles. Dépasser ses propres limites, celles de son corps, d'un imaginaire conditionné, exige de se confronter à celles qui régissent et conditionnent nos espaces de vie et de déplacement, donc nos propres déterminismes dans nos rapports corporel, imaginaire et social à l'espace vécu mais aussi au temps vécu.

Permettre que chacun se construise un univers symbolique qui déborde les cadres “normés”, suppose que soient mis en question et repensés espace et temps scolaires, tout comme les références culturelles légitimées ; c'est seulement dans ces conditions que peut s'engager une véritable dynamique créatrice riche d'incidences dans la construction de soi, comme dans tous les domaines de l'appropriation des savoirs.


Créations


    sommaire n° 103  Grands formats