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Sommes-nous encore inventifs à l' I.C.E.M. ?

Dans :  Mouvements › mouvement Freinet › 
Novembre 1976

«Nous stagnons, car depuis la disparition de Célestin Freinet, le mouvement n'a plus rien inventé !» Voilà une affirmation enten­due il y a peu de temps et qui évoque pour nous l'image d'un navire qui, privé de gouvernail et de commandant, avancerait au hasard des vents et des courants pour aller soit s'échouer sur quelque récif, soit tout simplement s'arrêter au milieu de l'océan pour attendre là, grande carcasse inerte, l'anéantissement. Non ! Nous ne pouvons plus accepter cette vision pessimiste et non objective des choses quand il s'agit de l'I.C.E.M. ! Certes, ce n'est pas tous les jours que nous aurons l'idée d'inventer un outil révolution­nant la pédagogie, ou que nous découvri­rons des techniques permettant de boule­verser l'acte éducatif. Cependant en 1976 notre vaisseau a encore une coque solide non éventrée par les nombreux récifs, et, de surcroît, il ne s'est pas arrêté au beau milieu de l'océan tourmenté de la pédagogie. Bien au contraire, après avoir louvoyé, il est en train de gonfler largement ses voiles et d'augmenter de façon sensible son allure : nous ne stagnons pas ! Gardons-nous d'un optimisme béat, mais il est important que de temps en temps nous sachions laisser filer la corde pour connaître notre vitesse réelle.

Avons-nous inventé quelque chose depuis 1966 ?
 
Nous répondons oui sans hésiter car, outre de nouveaux outils pédagogiques (F.T.C., fichiers, livrets maths), le mouvement s'est inventé une nouvelle façon d'être et de travailler. En l'absence du maître, le mouvement a été obligé d'apprendre à se regarder, à se mieux cerner, à se mieux connaître, à s'analyser pour mieux s'organiser, à déterminer ses objectifs et à mettre en œuvre les moyens pour les atteindre. Nous n'aurions rien à faire d'inventions hasardeuses, qui ne seraient qu'éphémères, si nous n'avions mis en place un véritable réseau coopératif d'expérimentation, notre but n'étant pas de transformer notre mouvement en concours Lépine pédagogique. Nous avons à assurer une cohésion à nos recherches menées dans «l'immense laboratoire que représentent nos classes».
Nous avons à faire que le mouvement soit capable de permettre à chacun d'exprimer ses désirs, ses besoins et de poser ses hypothèses. Nous avons donc à établir un échange véritable entre les individus et les groupes de travail.
Ce que nous avons découvert : c'est la nécessité de nous structurer, non pour le plaisir d'offrir un bel aspect ordonné, mais pour travailler efficacement et coopérativement. Bien sûr il suffisait de regarder autour de nous pour avoir des modèles d'organisation, nous pouvions aussi faire appel à des spécialistes qui nous auraient arrangé une belle architecture, nous aurions gagné du temps mais nous avons préféré que le mouvement invente ses propres schémas d'organisation.
Il est sûr que parler d'organisation a effrayé plus d'un membre du mouvement qui voyait en elle un carcan rigide. N'allions-nous pas tuer toute spontanéité, diminuer l'enthousiasme ?
Non ! car toute technique institutionnelle mise en place devait avant tout servir notre travail et notre réflexion pédagogique. Toute structure ne remplissant pas ce rôle a été balayée comme nous continuerons à balayer tout système de fonctionnement qui nous éloignerait de la construction d'un mouvement autogéré suivant notre processus du tâtonnement expérimental.
Jusqu'à aujourd'hui nous avons travaillé à mettre en place les instances qui nous permettent de fonctionner.
 
Le comité d'animation de trente membres est subdivisé en cinq commissions : gestion, revues, outils, politique du mouvement et rencontres. Il prend les décisions et en est responsable devant l'Assemblée Générale, En son sein travaillent quinze délégués régionaux qui doivent assurer la liaison la plus vivante et la plus directe possible avec les groupes départementaux.
Le comité d'animation I.C.E.M. se réunit avec le Conseil d'Administration de la C.E.L. Ce comité d'animation désigne en son sein un Comité Directeur (6 membres), émanation de nos instances I.C.E.M. et C.E.L. qui a pour tâche d'assurer la coordination générale du mouvement et notamment la liaison entre ces deux pôles de vie : l'I.C.E.M. et la C.E.L
Ces problèmes d'organisation interne étant actuellement réglés, nous pouvons porter nos efforts sur nos circuits de travail et nos priorités pédagogiques. Au dernier congrès de Clermont-Ferrand nous avons avancé dans notre réflexion sur les équipes pédagogiques et engagé tous les membres du mouvement à en constituer dans le maximum de groupes scolaires.
C'est toujours en ce sens que nous parlons aujourd'hui de modules de travail, mot qui se substitue à commission de travail, non pas parce que tout à coup nous étions frappés de «modulomanie» mais simplement parce qu'au travers de ce mot nous avons voulu marquer les nouvelles relations qui s'installent entre les travailleurs et entre les groupes de travail : chacun étant très libre, très autonome et en même temps très dépendant des autres, pour mener à bien une œuvre collective tels les atomes qui, solidaires les uns des autres, constituent une molécule.
Pour que maintenant le mouvement continue à se renforcer, à se consolider, nous avons besoin de l'analyse de tous et de la volonté de chacun.
Le mouvement repose bien sûr sur les individus, mais isolés, ceux-ci perdent une trop grande partie de leurs forces. Le lieu de rencontre privilégié est le groupe départemental qui réunit les travailleurs aux motivations très diverses. Cette cellule de vie qu'est le groupe départemental doit porter en elle un potentiel le plus grand possible. Aux journées d'été (Nice, 21-24 août 1976) nous avons entamé une réflexion sur la vie et le rôle des groupes départementaux ; nous vous engageons à prolonger cette recherche et nous pensons que chaque département doit faire sa propre analyse, se fixer lui-même ses propres objectifs, faire sa propre recherche, en un mot s'inventer ou se réinventer.
Lorsque cette dynamique départementale qui s'amorce déjà sera installée, le mouvement pourra alors reposer sur des bases solides et nous pourrons voir plus loin dans le sens de perspectives qui se dessinent :
       Une analyse institutionnelle permanente qui permettra de nous renvoyer notre image que nous reconnaîtrons — conforme ou pas — à nos ambitions politiques, sociales et éducatives. C'est dans le sens de cette analyse permanente que se développe notre projet d'éducation populaire qui doit nous permettre de faire connaître des positions, des opinions trop souvent seulement murmurées. S'inscrit aussi dans cette optique le «pouvoir de théorisation» que nous revendiquons et mettrons en place pour mieux élucider et dominer collectivement nos pratiques quotidiennes.
       Une véritable formation à ta pédagogie Freinet doit se mettre en place, nous aurons donc à créer les outils de notre formation pour approfondir nos recherches mais aussi pour que puissent s'intégrer tous les nouveaux qui souhaiteront se joindre à nous.
Une chose est aujourd'hui certaine : le mouvement a fait mieux que se conserver, il a su se transformer en appliquant sur lui les principes mêmes de Freinet : autonomie, créativité, liberté d'expression et tâtonnement expérimental.
C'est parce que l'I.C.E.M. a su inventer sa propre dynamique, que notre prochain congrès de Rouen en 1977, regroupant tous nos travailleurs, nous prouvera, s'il en était besoin, que le mouvement a su rester un mouvement et non devenir un musée pédagogique !
 
Le Comité Directeur de l'I.C.E.M. : J. BAUD, J. CAUX, J.-C. COLSON, R. LAFFITTE, J.-L. MAUDRIN, A MATHIEU